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J. R. Miller est un auteur non seulement prolifique dans le champ de l’histoire autochtone au Canada, mais soucieux d’écrire des ouvrages accessibles à un large public et qui permettent d’ancrer des enjeux contemporains dans la longue durée. Fidèle à son approche, il propose ici de synthétiser quatre siècles de rapports politiques entre les nations autochtones du pays et les autorités coloniales françaises et anglaises d’abord, et l’État canadien par la suite. Cette histoire, Miller l’articule autour du processus de ratification des traités qui représente, à ses yeux, un baromètre des relations historiques entre les Autochtones et les nouveaux arrivants, et qui n’est pas sans résonnance aujourd’hui, ne serait-ce qu’en raison de la garantie constitutionnelle dont jouissent les droits issus de traités fréquemment évoqués dans le cadre des démarches de revendications.

Miller constate d’abord des transformations au fil du temps dans le processus de ratification des traités de même que dans les intentions qui les sous-tendaient. Une première catégorie de traités, s’inscrivant dans un cadre de rapports de proximité, a ainsi caractérisé la période s’étendant des premiers contacts jusqu’à la Conquête anglaise. Essentiellement de portée commerciale, ces traités s’articulaient largement autour du protocole traditionnel autochtone en matière d’échanges, alors que des considérations sociales et rituelles précédaient la conclusion des accords. Trop faibles en nombre et peu aptes à imposer leurs propres coutumes contractuelles, les colonisateurs européens n’ont eu d’autre choix que de s’ajuster à celles de leurs hôtes, notamment en entrant dans des dynamiques de parenté fictive, en offrant des présents et en fumant le calumet, un geste qui contribuait à donner un caractère sacré au pacte (chapitre 1).

Parallèlement, par leur intégration dans la géopolitique autochtone, les colonisateurs ont dû conclure également des traités de paix et d’amitié avec leurs alliés dans le but de protéger leur entreprise commerciale et de consolider progressivement leur contrôle sur le continent (chapitre 2). Tous ces traités conclus au cours du premier siècle et demi de cohabitation ont peu retenu l’intérêt des historiens, mais pour Miller ils ont été déterminants, car à c’est à travers eux que les Autochtones ont forgé leur interprétation des obligations réciproques qui en découlaient, une interprétation d’ailleurs bien différente de celle de leurs vis-à-vis.

À compter de la Conquête anglaise, une seconde phase de ratification de traités s’est amorcée et la mainmise sur le territoire constituait désormais l’enjeu premier pour les colonisateurs. Au départ, les Autochtones ont bien accueilli la Proclamation royale qui offrait des garanties quant à la protection de leurs territoires et faisait preuve de coopération dans la ratification de traités dans le Haut-Canada. D’autant plus que le protocole traditionnel continuait d’être respecté par les autorités politiques, avec les engagements symboliques qu’il supposait, à tout le moins dans l’esprit des Autochtones. Pour les Britanniques cependant, les traités constituaient avant tout la reconnaissance d’une cessation de terres (chapitre 3), et l’arrivée en grand nombre de colons sur leurs territoires a commencé à faire douter les Autochtones de la sincérité des autorités politiques d’assurer leur protection, d’autant plus que la Couronne britannique transférait désormais au gouvernement local ses responsabilités en la matière.

Devant la politique indienne déployée après la guerre de 1812, toujours axée sur la dépossession territoriale mais accompagnée maintenant d’une volonté d’assimilation, les Autochtones du Haut-Canada ont réclamé avec plus d’insistance des territoires protégés à leur intention, ce qui a ouvert la voie aux traités Robinson au mitan du XIXe siècle et, surtout, à une dynamique de ratification de traités plus légaliste et axée sur l’obtention formelle d’une cessation de vastes territoires, particulièrement dans les régions riches en ressources naturelles, en échange de réserves, de compensations annuelles et de droits de chasse et pêche dans les zones hors réserve non encore colonisées (chapitre 4). Cette dynamique allait également orienter, à compter de la seconde moitié du XIXe siècle et jusqu’au début des années 1920, la ratification des traités numérotés dans l’ouest du pays (chapitres 5 à 7). Finalement, après un demi-siècle d’inaction en matière de ratification de traités (chapitre 8), l’ère des traités modernes s’est ouverte avec la Convention de la Baie James et du Nord québécois, dans un contexte où les tribunaux reconnaissaient désormais la validité des revendications territoriales des Autochtones, forçant ainsi le gouvernement fédéral à revoir sa façon de répondre à leurs demandes.

Cet ouvrage n’offre pas une nouvelle perspective d’ensemble sur l’histoire des Autochtones du Canada, ni sur la trame fondamentale des rapports qu’ils ont entretenus avec les nouveaux arrivants. Miller revisite plutôt cette trame à travers la lorgnette particulière des traités, offrant du même coup une synthèse des rapports politiques entre Autochtones et nouveaux arrivants qui prend davantage en compte la perspective des premiers. C’est d’ailleurs là l’aspect le plus intéressant et novateur du livre. En donnant abondamment la parole aux Autochtones, à travers les déclarations des leaders de l’époque ou par la tradition orale, il permet au lecteur de saisir à quel point ceux-ci étaient conscients de ce qui se déroulait autour d’eux et à quel point les traités, loin d’avoir été seulement des instruments de dépossession territoriale au service des colonisateurs, ont aussi été envisagés comme des outils pouvant leur permettre d’affronter plus adéquatement les nouvelles réalités économiques et politiques engendrées par la colonisation. Au point de réclamer eux-mêmes, dès les dernières décennies du XIXe siècle, la ratification de traités avec le gouvernement fédéral.

En bout de ligne, il en ressort une histoire des traités beaucoup plus nuancée et débarrassée de nombreuses interprétations simplistes. À certains égards, cette contribution de Miller à l’histoire des relations politiques entre Autochtones et nouveaux arrivants au Canada rappelle celle qu’Arthur Ray a offerte il y a déjà longtemps sur le plan des rapports économiques.