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Introduction

Pour toutes les entreprises, secteurs et tailles confondues, les enjeux liés à l’implantation technologique s’étendent bien au-delà d’un simple soutien aux opérations. Certains de ces enjeux, notamment un savoir accru et continuellement renouvelé ainsi que l’accélération des changements organisationnels, seront pour quelques-unes de ces entreprises particulièrement critiques, surtout celles de petite taille. En effet, la qualité de l’organisation et l’implication des ressources humaines sont autant de facteurs qui influencent la réussite d’un projet technologique (Julien et al., 2003). À cela s’ajoute le fait que celui ou celle qui subit un changement technologique dans le cadre de son travail va inévitablement réagir et vivre des sentiments qui sont d’abord d’ordre personnel et psychologique, et ce, peu importe la fonction qu’il occupe ou le rôle qu’il joue dans le projet. Une première interrogation est alors soulevée : Pourquoi certains individus semblent mieux s’approprier les technologies que d’autres ?

Ce questionnement est renforcé par l’observation que les plus récentes applications des TI, c’est-à-dire celles reliées à l’Internet, présentent une originalité, un aspect transversal, que les autres à caractère ciblé, sur la production par exemple, n’ont pas toujours (Monnoyer-Longer, 2002). On peut donc dire que les implications, notamment en termes de compétences et de collaboration, propres de la navigation sur les sites Web, l’utilisation d’un intranet, d’un portail, d’un moteur de recherche, d’un forum de discussion ou d’un logiciel de groupe qui composent les applications retenues dans le cadre de cette recherche, ajoutent une variable supplémentaire à une équation déjà fort complexe sur l’unique aspect individuel.

Dans une autre perspective, tous les aspects de la gestion de l’organisation, c’est-à-dire stratégique, tactique et opérationnel, risquent d’être affectés par l’introduction d’une technologie (Rivard, Pinsonneault et Bernier, 1999). En outre, le fait que l’utilisation des applications de l’Internet semble niveler les structures organisationnelles en plus de modifier les relations de pouvoir (Evans et Wurster, 2000) souligne l’importance de l’environnement dans lequel se déroule l’action. C’est pourquoi le contexte qui prévaut au sein de l’organisation, en tant qu’élément critique qui peut ou non encourager l’individu dans son processus d’appropriation, est posé en tant que second questionnement, à savoir : Que peut nous indiquer le contexte organisationnel de la PME en termes de facteurs critiques de succès à l’égard des technologies de l’Internet et de ses possibles effets sur le degré d’appropriation des individus ?

Dans ces conditions, c’est donc un double défi qui se pose aux gestionnaires. Défi qui sera d’autant plus grand en contexte de PME où les ressources sont limitées et les décisions généralement centralisées autour d’un dirigeant, dont les compétences sont déterminantes dans le choix des technologies utilisées. Effectivement, dans un premier temps, les gestionnaires doivent procéder au choix et à l’implantation des TI afin d’améliorer et de soutenir la compétitivité de l’entreprise, et ce, dans un environnement généralement turbulent. Par la suite, ils doivent s’interroger sur plusieurs éléments, à la fois organisationnels et individuels, afin que ces technologies produisent les résultats escomptés en termes d’utilisation par les individus concernés et donc en termes de création de valeur pour l’organisation (Porter, 2001 ; Schmitt, 2004).

L’intérêt de mieux définir les éléments constitutifs de l’appropriation technologique susceptible d’être démontrée par les individus eu égard aux applications de base de l’Internet, tout en qualifiant le contexte dans lequel ils évoluent, prend alors tout son sens. C’est donc dans cet objectif que nous présentons les fondements théoriques afin de conceptualiser cette notion d’appropriation technologique au plan individuel, ainsi que le choix des facteurs critiques de succès qui serviront à qualifier l’environnement interne des PME visitées. La méthodologie suivra avec les résultats obtenus et les constats réalisés. La conclusion résumera les apports et les limites du projet actuel, et indiquera des pistes de recherches futures.

1. Les fondements théoriques

1.1. Le phénomène de l’Internet et la PME

L’avènement de l’Internet et le caractère inédit de ses diverses applications soulèvent de nombreuses questions et mettent en évidence des problématiques spécifiques, et ce, particulièrement à l’égard de la configuration des processus qui soutiennent les activités de l’entreprise. Contrairement à certaines technologies plus anciennes qui visaient plutôt l’automatisation des procédés et des processus, les TI plus récentes n’ont pas toujours des visées et des résultats strictement opérationnels (Agarwal, 2003 ; Monnoyer-Longer, 2002 ; Piva, Santarelli et Vivarelli, 2004 ; Vacher, 2002 ; Venkatraman, 1994). Ainsi, plusieurs de ces applications soulignent l’importance des compétences individuelles, des connaissances et des capacités de l’entreprise à favoriser leur acquisition et leur diffusion. Dans ce sens, les PME, généralement concentrées sur leurs processus opérationnels, risquent de ne pas voir l’intérêt d’une technologie qu’on peut qualifier d’intangible. À cet égard, divers organismes voués à la recherche (CEFRIO, FCEI, Statistique Canada, Technopole Vallée du Saint-Maurice) révèlent, d’une part, que les PME québécoises tardent à suivre la vague TI, particulièrement en matière d’Internet. Plusieurs auteurs s’accordent aussi pour dire que celles-ci exploitent peu le potentiel stratégique relié aux applications de l’Internet (Croteau, Bergeron et Raymond, 2001 ; Hunter, 2004 ; Monnoyer-Longer, 2002 ; Raymond et Blili, 2005). Dembla, Palvia et Krishnan (2007) signalent que, bien qu’on en reconnaisse assez aisément les bénéfices pour les PME, celles-ci ne s’en servent pas nécessairement pour accroître leur efficacité et leur compétitivité par rapport aux grandes entreprises, notamment en utilisant peu les applications les plus porteuses telles que le commerce électronique.

D’autre part, les recherches en matière d’adoption, d’utilisation et d’appropriation des applications de l’Internet semblent indiquer que les éléments clés à considérer et les facteurs critiques à retenir varient peu relativement aux technologies dites traditionnelles. Les conclusions de Porter (2001) sont d’ailleurs claires : les technologies de l’Internet ne représentent qu’une étape dans l’évolution des TI en général. De même, le commerce et les places d’affaires électroniques, les systèmes interorganisationnels ou les services aux consommateurs s’inscrivent toujours dans les préoccupations classiques des entreprises, à savoir le développement de marchés, la gestion de la chaîne de valeur et l’amélioration de l’approche client (Phan, 2003). Ainsi, la position selon laquelle Internet ne représente qu’un nouveau contexte dans lequel il est tout à fait possible d’appliquer les théories et les modèles existants, et ce, bien que ceux-ci soient toujours en évolution, nous apparaît pertinente. Toutefois, s’intéresser à un tel sujet, principalement étudié en contexte de grande entreprise jusqu’à maintenant pour l’appliquer au contexte des PME, oblige à prendre un chemin qui peut se révéler chaotique. On ne peut cependant y échapper, puisque l’objectif de définir conceptuellement un phénomène s’inscrit dans ce que Markus et Robey (1988) qualifient de point de départ des théories. Théories qui sont, par ailleurs, toujours à la recherche d’une meilleure robustesse.

1.2. L’appropriation technologique et l’individu

Les termes « innovation » et « TI » sont souvent utilisés comme synonymes (Rogers, 1995) ; de même, la conceptualisation de l’adoption ou de l’utilisation, son équivalent opérationnel, les rend implicitement synonymes (Marcon et Compeau, 2003). Considérant désormais le lien étroit qui s’établit entre changement organisationnel induit par une nouvelle technologie et les individus en présence, la théorie de la diffusion de l’innovation de Rogers (1995) et le Technology Acceptance Model ou TAM de Davis (1986), mis à jour par Venkatesh et Davis (2000), intègrent aux modèles de recherche différentes dimensions comportementales individuelles et sociales, d’ordres psychologique et psychosociologique. Cette perspective marque alors un tournant dans la recherche en matière de SI ; un courant qui s’avère plus exploratoire, surtout à partir de la seconde moitié des années 1990. Les outils de recherche se diversifient et les chercheurs sont désormais à la poursuite d’informations qualitatives considérées comme plus riches. Ce type d’approche, circulaire plutôt que linéaire, inclut généralement toute une variété de facteurs et de dimensions qu’on hésite à qualifier de variables dépendantes ou indépendantes. Cependant, on reconnaît assez aisément la présence de contingences, à la fois endogènes et exogènes, qui agissent en synergie de manière à inhiber ou encourager l’utilisation d’un système ; les attentes, les habiletés et l’expérience de l’utilisateur, l’engagement des destinataires, l’octroi de ressources, le recours à des techniques de gestion de projet et du changement, l’influence sociale en sont quelques exemples (Ballantine et al., 1996). Cette conception du caractère imprévisible de l’interaction entre utilisateurs et TI a d’ailleurs été qualifiée de « perspective émergente » par Markus et Robey en 1988.

En outre, l’intention d’adopter ou de continuer d’utiliser une technologie serait déterminée par deux facteurs : premièrement, la perception d’un gain ou d’un avantage personnel et, deuxièmement, les effets de l’influence sociale (Karahanna, Straub et Chervany [1999], inspirés des travaux de Ajzen et Fishbein). Ainsi, l’attitude d’une personne serait fonction du fait que l’adoption ou l’utilisation d’une TI entraîne des conséquences, bonnes ou mauvaises. D’autres éléments tels que l’affect, les facteurs sociaux, les conditions « facilitantes » et la perception des effets à court terme ont été ajoutés (Chang et Cheung, 2001 ; Venkatesh et Davis, 2000). Ces derniers auraient un effet positif sur l’intention d’utiliser ou de continuer à utiliser l’Internet dans la mesure où l’individu perçoit qu’il dispose des ressources et d’un soutien suffisants. Triandis et Suh (2002) précisent que le comportement individuel n’est pas seulement fonction de la personnalité et de la culture environnante, mais également de l’interaction entre les deux.

C’est donc ce type de recherches qui introduit la notion de l’appropriation technologique, telle que nous la concevons. On peut la voir comme une « étape postérieure » allant au-delà de l’adoption ou de l’utilisation, volontaire ou forcée, rendant ainsi ces éléments implicites et sans lesquels il ne pourrait y avoir appropriation. En effet, puisque l’appropriation considère l’utilisateur comme une source d’idées constructives et créatives d’innovations potentielles (Joas, 1999), elle suppose une certaine forme de responsabilisation personnelle (self-management) qui se révèle dans le recours à la technologie de manière appropriée, productive et avec un effort suffisant (Marcolin, Compeau et Ross, 2004). De plus, si les conditions sont réunies, elle pourrait se réaliser même si l’utilisation a d’abord été obligée par la voie hiérarchique, puisqu’à ce stade elle ne concerne plus que l’individu seul, avec ses compétences et sa confiance, face aux outils dont il dispose pour effectuer ses tâches. C’est donc en considérant ces différents éléments que l’appropriation technologique est définie de la manière suivante : la combinaison de certains facteurs psychologiques individuels et de connaissances techniques qui favorise le recours spontané et l’adaptation créative d’un outil ou d’une application informatique par des individus membres d’une organisation et ce, de manière volontaire (Pelletier, 2005 ; Pelletier et Moreau, 2006). Plus précisément, le concept d’appropriation ainsi défini implique la présence des trois éléments suivants : le sentiment d’efficacité personnelle à l’égard des technologies (Compeau, Higgins et Huff, 1999 ; Compeau et Higgins, 1995), les compétences de l’utilisateur (Munro et al., 1997) et l’absorption cognitive (Agarwal et Karahanna, 2000).

1.3. Le sentiment d’efficacité personnelle à l’égard des technologies

Outre l’expérience passée d’un individu, le sentiment d’efficacité personnelle à l’égard des technologies se réfère à la perception d’un individu quant à ses habiletés actuelles et futures à utiliser celles-ci dans l’accomplissement de sa tâche (Bandura, 1986). Il s’agit d’une théorie sociale cognitive qui reconnaît l’existence d’une relation réciproque et continue entre l’environnement d’un individu et les perceptions cognitives de ce dernier concernant son efficacité personnelle et ses attentes. Son jugement relié à sa capacité d’utiliser une technologie constitue dans cette perspective, à la fois, une cause et un effet (Compeau, Higgins et Huff, 1999). Ce prédicteur significatif de l’affect et de l’anxiété vécue par un individu lorsqu’il utilise une technologie constitue une base de travail simple et claire. Un avantage non négligeable en contexte de PME. Il apparaît donc tout à fait justifié au regard du premier objectif de cette recherche.

1.4. Les compétences de l’utilisateur

Reconnaissant les caractéristiques et les différences individuelles qui affectent les habiletés au regard de l’utilisation des technologies, Munro et al. (1997) définissent la compétence de l’utilisateur en fonction de trois dimensions indépendantes : l’étendue ainsi que le niveau de ses connaissances en termes d’équipements, de logiciels, de concepts et de pratiques informatiques et la créativité démontrée par celui-ci à l’aide du concept de finesse. De plus, ce construit s’est révélé relié de façon significative au sentiment d’efficacité personnelle à l’égard des technologies (Marcolin, Compeau et Ross, 2000 ; Munro et al., 1997).

Piva, Santarelli et Vivarelli (2004) démontrent que les changements technologiques provoquent une demande accrue en termes de compétences qui, à leur tour, contribuent à accélérer les changements. Selon Marcolin, Compeau et Ross (2004), un individu qui possède un niveau déterminé de compétences peut subir l’influence d’éléments déclencheurs qui auront pour effet de le motiver à développer ou à augmenter celles-ci. S’ensuit alors un processus d’autoévaluation duquel peut émerger un besoin d’acquisition ou de mise à jour. Ils rejoignent ainsi les éléments « adaptation créative » et aspect « volontaire » de la démarche contenus dans la définition précédemment proposée de l’appropriation.

Enfin, concernant les habiletés, Igbaria, Parasuraman et Baroudi (1996), à l’instar d’autres auteurs, suggèrent qu’elles jouent un rôle critique qui affecte l’utilisation des technologies. La mesure de la compétence s’avère alors un indicateur significatif du potentiel des utilisateurs présents dans l’organisation (Marcolin, Compeau et Ross, 2000). Ainsi, étant donné que les ressources sont généralement limitées dans les PME, leur importance en termes de qualité du personnel incite donc à retenir ce construit pour les fins de la recherche.

1.5. L’absorption cognitive

S’inspirant de la théorie du « flow » présentée par Csikszentmihalyi en 1990, Agarwal et Karahanna (2000) définissent l’absorption cognitive comme un profond état d’engagement au moment de l’utilisation d’une technologie ou d’un outil informatique résultant à la fois de facteurs individuels et situationnels. Il s’agit alors d’une disposition ou d’un trait de l’individu, une dimension intrinsèque de sa personnalité qui lui permet d’expérimenter des épisodes d’attention totale, de s’absorber dans une activité à un point tel que plus rien d’autre ne lui importe. Plus précisément, leur modèle comprend cinq dimensions : la dissociation temporelle (perte de la notion du temps), l’immersion ou la concentration totale dans une tâche, l’intensité du plaisir, le sentiment de contrôle de l’interaction ainsi que la curiosité sensorielle et cognitive.

Plusieurs travaux réalisés en matière de systèmes d’information considèrent les éléments de plaisir, d’état émotionnel favorable et de réponses affectives positives de la part de l’utilisateur d’une manière ou d’une autre, notamment par l’intermédiaire des concepts de perception d’utilité et de convivialité où ces notions sont sous-entendues (Agarwal et Karahanna, 2000 ; Agarwal et Prasad, 1997 ; Ajzen, 2001 ; Compeau et Higgins, 1995 ; Compeau, Higgins et Huff, 1999 ; Igbaria, Parasuraman et Baroudi, 1996 ; Mathieson et Keil, 1998 ; Venkatesh, 1999 ; Venkatesh et Davis, 2000 ; Venkatesh, Speier et Morris, 2002). Plus particulièrement, les travaux de Blili, Raymond et Rivard (1998) confirment qu’une dimension affective reliée au plaisir est rattachée au concept de l’informatique par l’utilisateur (end-user computing) ; concrètement, celle-ci jouerait son rôle par l’intermédiaire du degré d’engagement démontré par l’individu.

Enfin, en lien avec un construit précédemment retenu, plus le sentiment d’efficacité personnelle serait élevé, plus l’usage serait grand, plus de plaisir serait alors ressenti et, par conséquent, l’anxiété face aux ordinateurs diminuerait (Compeau et Higgins, 1995 ; Compeau, Higgins et Huff 1999). La notion de « flow », utilisée depuis quelques années en contexte technologique (Koufaris, 2002), souligne donc l’aspect plus émotionnel de l’utilisation des TI. Il devient alors, à travers l’absorption cognitive et jumelé aux construits de sentiment d’efficacité et de compétences, une dimension prometteuse eu égard au phénomène de l’appropriation. Précisons également que les résultats empiriques de l’étude d’Agarwal et Karahanna (2000), menée dans le contexte contemporain du Web, confirment la validité du construit d’absorption cognitive tout en renforçant son caractère multidimensionnel. Pour l’ensemble de ces raisons, la conceptualisation de l’appropriation technologique est complétée par l’absorption cognitive.

1.6. Vers une conceptualisation de l’appropriation technologique

Compte tenu de la complexité du phénomène de l’appropriation des technologies par l’individu, le choix des construits pour l’étudier posait donc un grand défi. Le schéma proposé à la figure 1 met en relation les construits précédemment présentés. Ainsi, la conceptualisation de l’appropriation technologique proposée comprend trois dimensions distinctes, complémentaires et interactives. En effet, on peut supposer que des sentiments plus favorables à l’égard des technologies induiront de meilleures perceptions des compétences personnelles qui permettront, à leur tour, de renforcer le sentiment d’efficacité personnelle lors de leur utilisation. D’un autre côté, la présence chez l’utilisateur d’un certain sentiment d’efficacité l’amène non seulement à avoir une meilleure perception de ses compétences, mais également à éprouver des émotions plus positives face aux technologies à travers l’absorption cognitive, et ce, dans une perspective circulaire et non causale. On présume alors que chaque construit, par sa présence et l’intensité avec laquelle il se manifeste, renforce les autres dans un cycle qui ne connaît pas de véritable fin. Tour à tour, les différents construits passent du rôle de « celui qui initie » à « celui qui réagit », sans qu’il soit vraiment possible de dire lequel joue le rôle de déclencheur. Inspirés par les travaux de Mohr (1982), Markus et Robey (1988) qualifie ce type de structure logique de théorie axée sur la variance (variance theory). Cette approche permet, outre la reconnaissance du caractère dynamique du phénomène, une meilleure explication du succès d’un SI et de ce qui peut entraîner la satisfaction ou l’insatisfaction de l’utilisateur (Woodroof et Kasper, 1998). En lien avec l’état émotionnel de l’individu, ce raisonnement peut s’appliquer au niveau d’appropriation qu’il est alors susceptible de démontrer.

Figure 1

Proposition de conceptualisation de l’appropriation technologique

Proposition de conceptualisation de l’appropriation technologique

Note : Ce modèle de recherche doit être interprété selon une approche circulaire où les liens entre les construits constituent des relations et non des liens formels de causalité.

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1.7. La nature des PME et les facteurs critiques de succès de l’appropriation technologique

Ce qui précède montre qu’il y a bel et bien un intérêt à s’attarder aux acteurs qui font face à la technologie ; mais ceux-ci ne seraient rien sans un scénario et une scène sur laquelle se produire. Cela nous mène donc au deuxième volet du présent projet, à savoir le contexte dans lequel le jeu de l’appropriation technologique se déroule.

Dans un premier temps, rappelons que l’évaluation de la manière dont les individus abordent et utilisent les technologies constitue un phénomène sociotechnique complexe qui repose sur l’interaction entre les individus et la technologie dans un environnement donné (Jiang, Klein et Discenza, 2002). C’est d’ailleurs un reproche qui revient souvent concernant les premières recherches faites en matière de SI, soit d’avoir isolé le processus d’adoption et d’utilisation du contexte dans lequel il se déroule. Cette omission devient particulièrement critique en contexte de PME. En effet, la littérature est claire en ce qui a trait au caractère organique de cette dernière et l’influence que cette caractéristique peut avoir sur tous les aspects de sa gestion (Jacob, 1997 ; Raymond et Blili, 2005 ; Vallerand, Montreuil et Renaud, 2004).

Dans un autre ordre d’idées, Senge et al. (1999 et 2000) posent la capacité d’apprendre comme des ressources, des savoir-faire et des pratiques qui permettent d’assurer stabilité et flexibilité. D’autres abordent cette notion en parlant plutôt de capacité à changer (Collerette et Schneider, 2000). Mais, d’un point de vue ou de l’autre, cette « capacité » n’est considérée stratégique qu’à partir du moment où elle devient hétérogène, rare et difficile à imiter (St-Amant et Renard, 2004). On comprend donc quel est l’enjeu pour une PME d’amorcer une réflexion à l’égard de ces différentes dimensions, aussi qualifiées de facteurs critiques de succès, afin d’en saisir tout le potentiel, à la fois humain, organisationnel et stratégique.

Afin d’en assurer le succès, plusieurs éléments concernant l’implantation et l’utilisation des TI ont été relevés (voir le tableau 1). Selon les auteurs consultés, on peut retrouver plusieurs facteurs dans chacune des catégories présentées. La qualité des données, la sécurité des équipements, la formulation claire d’objectifs et leur promotion, la coopération entre les services, le soutien de la direction, la disponibilité des ressources, la présence d’un champion, la perception d’utilité, la participation et la satisfaction des utilisateurs, l’encouragement à l’utilisation, la tenue de réunions, la gestion des problèmes, la perception et l’historique de l’entreprise en matière de changement en sont des exemples (Igbaria, Parasuraman et Baroudi, 1996 ; Jacob, 2000 ; Korunka et Carayon, 1999 ; Palvia, 1996 ; Palvia et Palvia, 1999 ; Tang, 2000). Puisque ces facteurs contribuent à créer un environnement plus ou moins propice aux changements technologiques et que, par conséquent, ils risquent ultimement d’influencer l’appropriation technologique des individus, ils sont retenus aux fins de l’analyse qualitative à réaliser concernant le contexte organisationnel de la PME. Aussi, bien que plusieurs d’entre eux aient été d’abord élaborés en contexte de grande entreprise, Dembla, Palvia et Krishnan (2007) précisent qu’ils peuvent être utiles à la PME, notamment lorsque vient le temps d’évaluer l’aspect structurel de l’organisation. C’est pourquoi ils sont utilisés sans égard à leur contexte d’origine.

Tableau 1

Les catégories de facteurs critiques de succès

- Technologie (Palvia, 1996 ; Palvia et Palvia, 1999 ; Tang, 2000).

- Pratiques de gestion (Tang, 2000).

- Facteurs organisationnels (Carrier, Raymond et Eltaief, 2002 ; Julien et al., 2003 ; Tang, 2000).

- Interactions gestionnaires-utilisateurs (Igbaria, Parasuraman et Baroudi, 1996 ; Palvia, 1996 ; Palvia et Palvia, 1999 ; Tang, 2000).

- Conditions facilitantes (Jacob, 2000 ; Karahanna et Straub, 1999).

- Style d’implantation (Korunka et Carayon, 1999).

- Perception / changement (Collerette et Schneider, 2000 ; Greiner, Cummings et Bhambri, 2003 ; Senge et al., 1999).

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Par ailleurs, afin de renforcer le lien entre le thème du premier volet de cette recherche et le second, l’un des facteurs précédemment identifiés, à savoir la satisfaction de l’utilisateur, s’avère particulièrement pertinent. En effet, ses principaux indicateurs sont regroupés en trois catégories : les bénéfices perçus, les caractéristiques individuelles et l’organisation dans son ensemble (Mahmood et al., 2000). Ils soulignent ainsi le lien étroit qui s’établit entre l’individu et le contexte dans lequel il évolue. En complément et spécialement pour la PME, Palvia (1996) et Palvia et Palvia (1999) décrivent les différentes composantes de cette satisfaction, à savoir la pertinence et l’entretien des équipements / logiciels, le contenu en données, l’exactitude et le format de l’information, la convivialité, la conservation des données, l’intégrité et la sécurité des données et des systèmes, la documentation disponible, le soutien des fournisseurs, la formation, les facteurs démographiques (taille, secteur, région, etc.) et les caractéristiques du propriétaire-dirigeant (sexe, âge, race, niveau d’instruction, compétences techniques et informatiques).

Enfin, adopter le point de vue reconnu du caractère organique de la PME incite à penser que ses autres caractéristiques - centralisation des décisions, ressources limitées, faible formalisation des pratiques, SI internes et externes simples (Raymond et Blili, 2005) et, enfin, l’hétérogénéité qu’elles affichent entre elles et à laquelle notre échantillon n’échappe pas - influenceront également le processus d’appropriation technologique. D’où l’intérêt de s’attarder au rôle joué par le contexte organisationnel. Raymond et Jutras (2003) précisent d’ailleurs que le processus d’adoption des technologies est largement dépendant de certaines spécificités organisationnelles dans la PME. Toutefois, il importe de mentionner que l’identification des facteurs critiques de succès reliés à la situation d’une PME en transformation ne consiste pas à cocher une liste d’éléments à cocher. Discuter avec ses gestionnaires afin d’établir une forme de diagnostic quant à leur présence et l’importance qui leur est accordée permet plutôt de se positionner, afin de saisir les processus d’adaptation qui leur sont propres. Un objectif appréciable pour des entreprises généralement peu portées sur l’observation et la réflexion.

Ayant introduit les fondements théoriques sur lesquels nous nous appuyons, la méthodologie adoptée dans cette recherche ayant des contextes individuel et organisationnel est maintenant présentée afin d’atteindre nos objectifs.

2. La méthodologie

Étant donné l’état limité des connaissances sur les éléments déterminants de l’appropriation des technologies de l’Internet, surtout en contexte de PME, cette recherche ne peut être réalisée que dans une démarche exploratoire de type inductif. D’abord exploratoire, parce qu’une méthode de recherche appropriée aux questions posées et au contexte étudié permet d’enrichir la compréhension des problèmes vécus et de maintenir un regard perspicace sur les enjeux qu’ils comportent (Hoskisson et al., 1999). Ensuite inductive, parce que, dans ce cas, c’est la réalité qui est à la recherche de théories (Gauthier, 2002). Ainsi, chercher à comprendre un phénomène qui se déroule dans un contexte particulier s’inscrit dans une position interprétativiste où la validité des extrapolations ne repose pas sur la représentativité au sens statistique et la recherche de généralisations, mais bien sur la plausibilité et l’argumentation du raisonnement utilisé pour décrire les résultats et dresser les conclusions (Walsham, 1993). Une fois acquise, cette compréhension pourra être appliquée à un autre contexte (Orlikowski et Baroudi, 1991). Dans ce sens, il est judicieux de procéder par études de cas, car ce projet vise d’abord à conceptualiser cette notion d’appropriation et, par la suite, à la situer dans un contexte approprié afin de mieux saisir ce qui favorise son émergence. La définition devient donc plus importante que la prédiction puisqu’elle constitue le premier pas vers l’explication. Enfin, Yin (1994) indique que le choix de procéder par études de cas doit reposer sur trois critères : une approche exploratoire qui reposent sur des questions de recherche de type « comment ? pourquoi ? », un faible contrôle du chercheur sur les comportements observés ainsi qu’un angle de recherche dirigé sur un phénomène contemporain difficile à manipuler et qui se déroule en contexte réel. Dans l’objectif de cette recherche, toutes ces conditions sont remplies.

Dans le contexte de cette étude réalisée en deux volets, la section « appropriation » de l’Internet par les utilisateurs s’appuie sur une unité d’analyse individuelle, le travailleur du savoir ou le gestionnaire, qui s’approprie ou non une ou plusieurs des applications de l’Internet choisies pour ce projet, à savoir la navigation sur des sites Web, l’utilisation d’un intranet, d’un portail, d’un moteur de recherche, d’un forum de discussion ou d’un logiciel de groupe (collecticiel). L’information recueillie repose donc sur les perceptions des personnes. À cet égard, il importe de mentionner que de nombreux travaux reconnus en SI ont utilisé la perception individuelle comme point de départ de leurs divers concepts et théories (Agarwal et Karahanna, 2000 ; Compeau et Higgins, 1995 ; Compeau, Higgins et Huff, 1999 ; DeLone et McLean, 2002 ; Munro et al., 1997 ; Rogers, 1995 ; Venkatesh, 1999 ; Venkatesh et Davis, 2000). L’analyse des données recueillies à cette étape sera réalisée sous un angle quantitatif.

Dans un deuxième temps, le concept d’appropriation technologique, aussi individuel soit-il, ne pouvait être isolé du milieu dans lequel il se déroule. Le contexte organisationnel de la PME a donc constitué une seconde unité d’analyse, qui sera mesurée qualitativement. Il devient alors possible de mettre en relief les influences propres à une entreprise et de comprendre des éléments latents ou encore de soulever des questions qui, a priori, ne s’imposent pas de manière évidente (Miles et Huberman, 1994). Comprendre ce qui lie les TI, l’individu et l’organisation constitue aussi un objectif de recherche répandu (Orlikowski et Baroudi, 1991), tout comme la combinaison des niveaux d’analyse permet d’explorer l’interaction dynamique entre les individus, la technologie et des structures sociales plus larges (Markus et Robey, 1988).

Pour le choix des organisations, la base de données du CRIQ[1] a été utilisée. Afin de respecter certains impératifs, notamment un degré de complexité suffisant, un dynamisme appelant l’utilisation d’outils nouveaux et un nombre suffisant d’utilisateurs potentiels, celles-ci devaient répondre aux critères suivants : être une entreprise manufacturière ; avoir un effectif se situant à plus de 20 et à moins de 500 employés ; réaliser un chiffre d’affaires de plus de 500 000 $ et être située en Mauricie. À cela s’ajoutait l’utilisation de une ou plusieurs des applications de l’Internet choisies pour cette étude. L’utilisation potentielle était vérifiée à partir de la présence des connexions à l’Internet et du nombre d’employés y ayant accès (minimum de cinq). En dernier lieu, les personnes contactées devaient évidemment avoir l’intérêt et la disponibilité requise, et ce, en considérant le niveau d’implication nécessaire à la réalisation de l’étude (entrevue et questionnaire). Au total, 10 entreprises ont été contactées par téléphone. Un échantillon non probabiliste de convenance de quatre entreprises a été constitué avec celles qui ont accepté de participer. Le tableau 2 indique les caractéristiques démographiques des entreprises visitées.

Tableau 2

Caractéristiques démographiques des entreprises participantes

Entreprise

Année de constitution

Nombre d’employés

Chiffre d’affaires

Secteur d’activité

Applications utilisées

A

1998

49

3 à 5 M $

Aéronautique

Sites Web, intranet, portail, moteur de recherche, logiciel de groupe (Outlook).

B

1986

87

10 à 25 M $

Alimentaire

Sites Web, portail, moteur de recherche, logiciel de groupe (Outlook).

C

1991

350

Plus de 50 M $

Meuble

Sites Web, intranet, portail, moteur de recherche, forum de discussion, logiciel de groupe (Outlook).

D

1958

105

25 à 50 M $

Revêtement

Sites Web, intranet, portail, moteur de recherche, logiciel de groupe (Outlook).

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L’entrevue semi-dirigée réalisée avec les gestionnaires, d’une durée variant de 45 à 75 minutes et enregistrée sur bandes audio[2], a constitué une prise de contact avec les personnes et le milieu. La grille d’entrevue utilisée était composée d’une série de questions, pour la plupart ouvertes et portant sur les facteurs critiques de succès et leurs concepts associés présentés précédemment. Ces questions s’inspiraient des textes d’Igbaria, Parasuraman et Baroudi (1996), Jacob (2000), Korunka et Carayon (1999) ainsi que de Tang (2000). Elles permettaient de qualifier le contexte organisationnel en ce qui a trait à la technologie en général (quatre questions), aux pratiques de gestion (deux questions), aux facteurs organisationnels spécifiques (trois questions), aux interactions entre gestionnaires et utilisateurs (deux questions), aux conditions facilitantes (cinq questions), au style d’implantation (huit questions), ainsi qu’aux perceptions à l’égard du changement en général (deux questions). Enfin, seules les questions se rapportant à l’utilisation de l’Internet, c’est-à-dire l’identification des applications utilisées dans l’entreprise, le temps et la fréquence d’utilisation, ainsi que le degré de dépendance à l’égard de celles-ci, comportaient des choix de réponses. Signalons que ces dernières étaient posées en tout début d’entrevue afin d’introduire le sujet de la démarche.

L’analyse des données qualitatives obtenues lors de ces rencontres s’est faite manuellement par les chercheurs, à partir de la transcription des enregistrements (verbatim). La technique reposait sur l’identification de mots clés significatifs ou similaires et d’inférences qu’il était possible de faire en comparant les réponses des personnes interviewées. Cette interprétation était réalisée par l’attribution d’une cote, faible, moyen ou élevé, qui permettait d’établir une hiérarchie quant à l’importance accordée au thème discuté avec le gestionnaire.

À la suite de cette entrevue, les questionnaires destinés aux utilisateurs, au nombre de 35 au total, ont été distribués. De ce nombre, 30 ont été remplis et soumis au processus d’analyse, pour un taux de réponse de 85 %. En conformité avec la conceptualisation de l’appropriation proposée, ce questionnaire a été bâti à partir des recherches antérieures sur les concepts d’absorption cognitive (Agarwal et Karahanna, 2000), les compétences de l’utilisateur (Munro et al., 1997) et le sentiment d’efficacité personnelle à l’égard des technologies (Compeau et Higgins, 1995 ; Compeau, Higgins et Huff, 1999). La validité et la fiabilité des construits et des outils de mesure présentés par ces chercheurs ont été confirmées à l’aide d’articles publiés dans différentes revues scientifiques reconnues, notamment MIS Quarterly, Information & Management et Informations Systems Research. Ainsi, on pouvait constater que l’utilisation du coefficient de fiabilité composé (composite reliability coefficient / internal consistency reliability - ICR) obtenait des scores variant de 0,83 à 0,93 pour tous les éléments du construit de l’absorption cognitive (dissociation temporelle, immersion / focus, intensité / plaisir, contrôle, curiosité) et de 0,95 pour celui relatif au sentiment d’efficacité personnelle par rapport aux technologies. Dans le cas du construit des compétences de l’utilisateur, incluant l’étendue, le niveau des connaissances ainsi que la finesse, le coefficient alpha de Cronbach (α) rapporté était de 0,86. Lorsqu’on sait que, pour les deux méthodes d’analyse, des scores supérieurs à 0,70 sont réputés adéquats (Fornell et Larcker, 1981, cités dans Compeau et Higgins, 1995 ; Agarwal et Karahanna, 2000 ; Jones et Harrison, 1996, cités dans Tang, 2000), on peut estimer que le questionnaire bâti représente une sélection d’outils de mesure validés pour chaque construit qui correspond aux objectifs de la recherche (Guimaraes, 1999). De plus, afin de respecter la sémantique des énoncés des questionnaires originaux, ces derniers ont été traduits par un expert, puis adaptés aux applications de l’Internet retenues pour ce projet.

Afin de s’assurer, dès le départ, que les répondants étaient bien identifiés, on a jugé utile de débuter le questionnaire avec des notions relatives à l’utilisation, en termes de temps, de fréquence, ainsi que de degré de dépendance. Les questions d’introduction, à choix multiples, posées aux gestionnaires rencontrées ont été reprises intégralement au tout début de ce second outil de mesure. Outre la première page du questionnaire qui proposait un glossaire, le document final comportait trois sections : l’utilisation de l’Internet ; l’appropriation des technologies mesurée en fonction des trois construits retenus et les informations générales et démographiques (tranche d’âge, poste occupé, années d’expérience, formation reçue sur l’Internet, site Web, etc.) au sujet du répondant et de l’entreprise. Il importe aussi de mentionner que ce dernier a fait l’objet de deux prétests. Le premier auprès de deux professeurs-chercheurs et le second, auprès de six utilisateurs des applications visées. Cet exercice a permis d’établir la durée moyenne requise pour remplir le questionnaire, soit 20 minutes, et de corriger celui-ci selon leurs suggestions.

Plus particulièrement, l’absorption cognitive et ses cinq sous-dimensions (dissociation temporelle : cinq énoncés ; immersion [focus] : cinq énoncés ; intensité du plaisir : quatre énoncés ; sentiment de contrôle : trois énoncés ; curiosité : trois énoncés) a été mesurée par une série d’énoncés. Pour ce faire, le répondant utilisait une échelle de Likert en sept points où (1) correspondait à « tout à fait en désaccord » et (7) à « tout à fait d’accord ». Le construit de compétences de l’utilisateur comportait, quant à lui, trois sous-dimensions (étendue et niveau des connaissances, finesse / créativité) qui correspondaient à trois séries de questions indépendantes. Dans le cas de l’étendue des connaissances, l’utilisateur devait indiquer si oui ou non, dans le cadre de son travail, il se servait des différentes applications de l’Internet retenues. Si oui, il devait poursuivre en indiquant le nombre de cours suivis, le nombre de logiciels dont il possédait une connaissance pratique et, enfin, lequel il maîtrisait le mieux. Dans un deuxième temps, son niveau de connaissances pour chacune des applications qu’il disait utiliser était mesuré à l’aide d’une échelle de Likert en sept points où (1) correspondait à une « connaissance très limitée » et (7), à une « connaissance complète ». Un peu en retrait, le zéro (0) indiquait sans équivoque que la personne ne possédait « aucune connaissance ». En dernier lieu, l’utilisateur répondait à cinq énoncés au sujet de sa perception quant à la finesse (créativité) qu’il démontre lors de l’utilisation des applications choisies. Les échelles de Likert utilisées dans ce bloc de questions étaient toutes en sept points, mais leur signification variait de (1), soit « jamais / extrêmement mauvaise / extrêmement non créatif / pas du tout innovateur », à (7), soit « fréquemment / extrêmement bonne / extrêmement créatif / très innovateur ». Finalement, le sentiment d’efficacité personnelle eu égard aux technologies a été mesuré par une série de mises en situation au sujet desquelles le répondant devait dire si, oui ou non, il pourrait terminer le travail en se servant d’une nouvelle application. Dans l’affirmative, il devait indiquer avec quel niveau de confiance il le ferait, selon une échelle de Likert en 10 points où (1) correspondait à une « faible confiance » et (10), à une « pleine confiance ».

Les données ainsi recueillies ont été analysées quantitativement sous deux angles. Premièrement, il s’agissait de vérifier la validité interne des construits et du concept global d’appropriation et, deuxièmement, d’effectuer certaines analyses plus descriptives (fréquence, moyenne et médiane). En raison du nombre peu élevé de répondants dans chaque entreprise, un traitement global des données a dû être effectué. Après la codification et la compilation des 30 questionnaires, les données ont été exportées de Excel vers le logiciel de traitement SPSS ; ce qui a permis le calcul de corrélations de Pearson (r) et de coefficients alpha de Cronbach (α) qui sont rapportés à la section 3.1.

En résumé, l’analyse des données s’est déroulée selon deux approches et visait à répondre aux caractéristiques des données recueillies à chacun des niveaux d’analyse, c’est-à-dire individuel et organisationnel. Les données tirées des questionnaires destinés aux utilisateurs ont été traitées sous un angle quantitatif alors que les données obtenues lors des entrevues semi-dirigées ont été analysées selon une approche qualitative. La section 4.3 rapporte les interprétations qui ont été, par la suite, formulées.

3. Les résultats

Concernant les applications de l’Internet sur lesquelles portaient cette démarche, toutes les entreprises participantes utilisent la navigation sur les sites Web, les portails, les moteurs de recherche et un logiciel de groupe / collecticiel (Outlook de Microsoft). Elles possèdent toutes un intranet, sauf l’entreprise B et seule l’entreprise C a recours aux forums de discussion.

3.1. L’appropriation technologique des applications de l’Internet

En ce qui a trait à la validité de la conceptualisation de l’appropriation proposée (voir la figure 2), l’analyse de corrélation a révélé une relation significative (r = 0,62) entre les construits de compétences de l’utilisateur et du sentiment d’efficacité personnelle eu égard aux technologies. Pour sa part, l’absorption cognitive ne s’est pas avérée significative avec les deux autres construits (r = 0,15 et r = 0,14).

Figure 2

La validité du concept d’appropriation technologique proposé

La validité du concept d’appropriation technologique proposé
*

Pour cet élément, le coefficient alpha de Cronbach affiche un score improbable qui n’est pas jugé acceptable.

**

Comme il contenait des données qualitatives incomplètes, cet élément a été retiré de l’analyse quantitative.

Note : Ce modèle de recherche doit être interprété selon une approche circulaire où les liens entre les construits constituent des relations et non des liens de causalité formels.

-> Voir la liste des figures

Quant aux construits du sentiment d’efficacité personnelle eu égard aux technologies et des compétences de l’utilisateur, leurs coefficients alpha de Cronbach (α) affichent 0,85 et 0,87, ce qui s’avère tout à fait satisfaisant. Par ailleurs, les liens observés entre eux confirment les conclusions de travaux antérieurs (Marcolin et al., 2000 ; Munro et al., 1997). Toutefois, l’élément « étendue des connaissances » du construit des compétences comportait des données qualitatives, souvent incomplètes, qui se prêtaient mal aux tests quantitatifs effectués, et a ainsi dû être retiré de l’analyse. Les éléments « niveau des connaissances » et « finesse / créativité » ont obtenu des résultats positifs avec des coefficients de 0,78 et de 0,93.

Pour le construit d’absorption cognitive, les éléments « dissociation temporelle », « immersion / focus » et « curiosité » affichent des coefficients alpha de Cronbach (α) satisfaisants de 0,85, 0,83 et 0,90. En revanche, il a été impossible de déterminer celui du « sentiment de contrôle » et la valeur acceptable de celui de « intensité du plaisir » à 0,70 font que le score global de ce construit est de 0,66 (selon Nunnally [1978], un score supérieur à 0,65 est jugé acceptable et satisfaisant à 0,80). La validité interne du concept d’appropriation est donc, à l’évidence, affectée par le construit de l’absorption cognitive.

Tableau 3

Les compétences de l’utilisateur et le sentiment d’efficacité personnelle cas par cas

COMPÉTENCES DE L’UTILISATEUR

 

A

B

C

D

Échantillon (n)

10

5

8

7

Niveau des connaissances

Comment qualifieriez-vous votre niveau de connaissance par rapport à… avec l’échelle de Likert allant de (1) « connaissance très limitée » à (7) « connaissance complète », où (4) est le point neutre et (0) correspond à « aucune connaissance » ?

 

A

B

C

D

moyenne

E.T.

médiane

moyenne

E.T.

médiane

moyenne

E.T.

médiane

moyenne

E.T.

médiane

Navigation

4,10

1,60

4,0

4,60

0,89

4,0

4,50

1,60

4,5

3,57

1,51

4,0

Intranet

4,00

1,63

4,0

0,20

0,45

N / D

4,88

1,64

5,0

4,29

1,50

4,0

Portail

3,20

1,14

4,0

2,60

2,07

4,0

4,25

1,67

4,0

3,71

1,80

4,0

Moteur recherche

4,10

1,20

4,0

5,40

0,55

5,0

5,14

1,22

6,0

3,86

1,87

5,0

Forum discussion

2,10

1,29

2,0

2,20

2,68

1,0

2,38

1,69

2,5

2,14

2,19

2,0

Collecticiel

4,30

1,16

4,0

2,80

2,17

4,5

4,25

1,83

4,5

2,57

1,99

3,0

GLOBAL

3,63

 

4,0

2,97

 

4,0

4,23

 

4,5

3,36

 

4,0

Finesse / créativité

Énoncés divers avec des échelles de Likert variées allant de (1) « jamais / extrêmement mauvaise / extrêmement non créatif / pas du tout innovateur » à (7) « fréquemment / extrêmement bonne / extrêmement créatif / très innovateur ».

 

A

B

C

D

moyenne

E.T.

médiane

moyenne

E.T.

médiane

moyenne

E.T.

médiane

moyenne

E.T.

médiane

Fréquence d’utilisation pour la résolution de problèmes nouveaux.

3,80

1,69

4,5

4,80

1,48

5,0

4,63

1,69

4,5

4,29

1,11

4,0

Aptitude à utiliser pour la résolution de problèmes de travail.

4,60

1,17

4,5

4,80

1,48

5,0

4,88

1,64

4,5

4,29

1,25

5,0

Degré de créativité pour résoudre des problèmes d’affaires.

3,90

0,99

4,0

4,00

1,00

4,0

4,25

1,17

4,0

3,71

1,38

4,0

Degré d’innovation pour résoudre des problèmes d’affaires.

3,80

1,14

3,5

4,00

1,00

4,0

4,13

1,25

4,0

3,57

1,40

4,0

Tentative d’utilisation de nouvelles façons pour résoudre des problèmes.

4,00

0,94

4,0

4,80

0,45

5,0

4,00

1,60

4,0

3,86

1,07

4,0

GLOBAL

4,02

 

4,0

4,48

 

5,0

4,38

 

4,0

3,94

 

4,0

SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE FACE AUX TECHNOLOGIES

Mises en situation : Je pourrais terminer le travail en utilisant la nouvelle application… Oui / non. Si, oui, indiquez selon quel niveau de confiance sur une échelle de Likert allant de (1) « faible confiance » à (10) « pleine confiance où (5) est une « confiance modérée ».

 

A

B

C

D

moy.

E.T.

médiane

moy.

E.T.

médiane

moy.

E.T.

médiane

moy.

E.T.

médiane

Sans aide.

5,78

1,09

5,0

7,60

2,07

-

6,86

1,46

7,0

5,67

3,20

6,0

Jamais utilisé auparavant.

5,80

1,14

6,0

7,00

2,35

6,0

5,71

1,98

5,0

4,67

3,20

4,0

Avec manuel d’utilisation seulement.

7,22

1,20

8,0

6,50

1,73

6,0

7,25

1,28

7,5

5,71

2,43

5,0

Avoir vu quelqu’un l’utiliser.

6,50

1,08

7,0

7,75

2,06

7,5

7,50

1,51

7,5

6,71

2,69

8,0

Ressource qui peut m’aider au besoin.

7,10

1,37

7,0

7,60

1,82

7,0

8,63

1,41

9,0

8,29

0,49

8,0

Démonstration initiale / soutien au début.

7,60

1,43

7,5

6,75

1,71

6,5

8,50

1,31

9,0

7,86

1,46

8,0

Sans limite de temps.

7,67

1,12

8,0

8,00

1,83

8,0

8,38

1,19

8,0

7,00

2,58

8,0

Avec la fonction d’aide intégrée seulement.

6,25

1,67

6,0

5,00

1,00

5,0

7,50

1,69

8,0

5,86

2,55

6,0

Avec formation et personne-ressource.

7,80

0,92

8,0

6,20

2,17

6,0

9,00

1,31

9,0

8,43

0,79

8,0

Expérience antérieure avec outil similaire.

8,20

1,14

8,0

7,25

2,06

7,5

8,63

1,41

9,0

8,00

1,41

8,0

GLOBAL

6,99

 

7,3

6,97

 

6,5

7,79

 

8,0

6,82

 

8,0

-> Voir la liste des tableaux

Sous l’angle descriptif, la dimension « compétences de l’utilisateur » comporte deux éléments : la perception des utilisateurs de leur niveau de connaissances des diverses applications de l’Internet et le degré de finesse et de créativité qu’ils démontrent lors de l’utilisation. Ces dimensions, évaluées avec les échelles de Likert de 1 à 7, ont été analysées avec la médiane et ont obtenu un score global de 4, donc une connaissance et une créativité plutôt modérées. Ensuite, la dimension « sentiment d’efficacité personnelle face aux technologies » a été définie par les utilisateurs selon leur capacité à accomplir une tâche à l’aide d’une application quelconque en fonction de différentes situations pouvant se présenter. Cette dernière a été évaluée avec une échelle de Likert de 1 à 10 et elle a présenté une médiane globale de 7,7, c’est-à-dire un niveau de confiance assez élevé. À des fins de comparaison, le tableau suivant présente, cas par cas, les mesures statistiques (moyenne, médiane et écart type) obtenues dans chacune des entreprises visitées.

3.2. Les facteurs critiques de succès et le contexte organisationnel des PME

Une collecte d’information pertinente et abondante à l’égard des facteurs critiques de succès en contexte de PME a définitivement été réalisée. Elle permet, en outre, de faire un certain nombre de suppositions en lien avec l’appropriation technologique, telle qu’elle a été analysée dans l’autre volet de ce projet. Ces interprétations seront discutées à la section 4.3. Pour l’instant, le tableau 4 résume les résultats de l’analyse comparative de chaque PME, selon l’échelle suivante : faible, moyen ou élevé.

Tableau 4

Évaluation comparative des facteurs critiques de succès

Entreprise / Facteurs critiques de succès

A

B

C

D

Technologie

Importance du système

élevé

moyen

élevé

élevé

Mesures de sécurité

faible

moyen

élevé

moyen

Importance de l’exactitude, fiabilité et efficacité / données

élevé

moyen

élevé

élevé

Perception / fiabilité du système

faible

moyen

élevé

moyen

Perception / nouveauté

faible

faible

élevé

moyen

Pratiques de gestion

Formulation des objectifs clairs

faible

moyen

élevé

élevé

Communication / promotion

faible

-

élevé

moyen

Facteurs organisationnels

Communication / coopération entre départements

moyen

moyen

élevé

élevé

Responsable fonction informatique (présence)

moyen

faible

élevé

élevé

Rôle de l’interlocuteur dans l’implantation

moyen

élevé

élevé

élevé

Interactions gestionnaires / utilisateurs

Importance de la satisfaction des utilisateurs

faible

moyen

moyen

élevé

Soutien et encouragement pour l’utilisation

faible

faible

élevé

moyen

Conditions facilitantes

Perception d’utilité

élevé

élevé

élevé

élevé

Disponibilité des ressources

faible

faible

moyen

faible

Présence d’un champion

moyen

moyen

élevé

élevé

Équipe porteuse

moyen

moyen

élevé

élevé

Historique d’échec

élevé

faible

moyen

faible

Style d’implantation

Identification des besoins

faible

moyen

élevé

élevé

Identification des destinataires

faible

élevé

élevé

moyen

Processus de planification / processus d’implantation

faible/élevé

élevé/élevé

élevé/-

moyen/moyen

Identification du pilote de projet

élevé

élevé

élevé

élevé

Fréquence des réunions et participants

moyen

-

élevé

moyen

Gestion des problèmes et crises

faible

-

élevé

-

Consultation des utilisateurs

moyen

élevé

moyen

moyen

Participation des utilisateurs

moyen

élevé

moyen

moyen

Perception du changement

Modification du climat social

moyen

moyen

moyen

élevé

Capacité d’adaptation et de changement

moyen

moyen

élevé

élevé

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4. Les discussions

Les discussions qui suivent mettent en relief certains constats en lien avec les résultats obtenus, tantôt d’ordre quantitatif, tantôt d’ordre qualitatif. Rappelons que l’objectif de ce projet était la recherche d’une meilleure définition d’éléments individuels et organisationnels susceptibles de jouer un rôle dans le processus d’appropriation technologique des applications de l’Internet en contexte de PME et non la recherche de liens de causalité généralisables.

4.1. L’utilisation des applications de l’Internet en contexte de PME

Concernant les données relatives à l’utilisation de l’Internet, 62 % des répondants affirment y avoir recours moins d’une heure par jour. Quant à la fréquence d’utilisation, 46,7 % des gens disent l’utiliser plusieurs fois par jour et 36,7 %, environ une fois par jour. Enfin, eu égard au degré de dépendance, c’est-à-dire à quel point le répondant s’estime dépendant de une ou plusieurs applications citées pour accomplir ses tâches et réaliser les mandats qui lui sont confiés, 53,9 % des personnes se sont considérées comme très peu dépendantes et 42,2 %, un peu dépendantes. À ce sujet, mentionnons que la notion de dépendance peut faire référence au caractère volontaire de l’utilisation, mais qu’un utilisateur bien formé et à l’aise avec ces outils comprend généralement mieux l’avantage stratégique qu’ils procurent à son travail (Goodhue et Thompson, 1995). Dans ce sens, les résultats observés pourraient signifier que la voie hiérarchique impose peu de règles concernant l’utilisation de l’Internet. Cela démontre à quel point le potentiel de ces applications doit être apprivoisé par les utilisateurs, en particulier les dirigeants.

En outre, on sent que l’utilisation de l’Internet suscite encore certaines craintes. Les propos suivants sont évocateurs : « […] au niveau Internet [pour l’accès] c’était à la demande, c’est encore un peu comme ça aujourd’hui […] ça nous donne bonne conscience, on se dit que les gens […] vont pouvoir faire de la recherche et communiquer avec Santé et Bien-être Canada ou les normes du travail, mais on ne sera jamais à l’abri du fait qu’ils sont tous abonnés à Jobboom ! », laissant ainsi croire qu’il existe toujours un enjeu de pouvoir rattaché à l’accès et à la possession de l’information pour les gestionnaires de PME.

Il convient également de signaler que, bien qu’un glossaire des termes spécialisés ait été fourni avec le questionnaire, que 80 % des répondants, travailleurs du savoir ou gestionnaires, détiennent un diplôme d’études collégiales ou universitaires et qu’ils utilisent ces applications depuis plus de six ans en moyenne, ils affichent un niveau de connaissances limité à des fonctionnalités très générales de l’Internet. Pour toutes les entreprises visitées, le niveau de connaissances le plus élevé concerne les moteurs de recherche et le plus faible, les forums de discussion, opposant ainsi des fonctionnalités de recherche d’information au partage du savoir ; ce qui constitue un autre élément plutôt significatif de retombées stratégiques mal connues. Cette situation s’explique par le fait que 60 % d’entre eux n’ont reçu aucune formation et que seulement 21 % en ont bénéficié un jour ou moins. Cela laisse supposer que la formation se donne sur une base volontaire, de manière peu encadrée, et qu’elle est considérée comme étant la responsabilité personnelle des usagers. Les propos suivants illustrent bien la situation : « la formation se fait à la demande, on ne suggère pas nécessairement ». Conclusion : formation et PME ne s’accordent pas encore tout à fait. Comment, dans ces conditions, espérer susciter l’appropriation technologique des applications de l’Internet ? À cet égard et pour renforcer ce constat, il est intéressant de mentionner que les deux entreprises ayant affiché le plus fort sentiment d’efficacité personnelle (médiane de 8 sur une échelle de 10) sont celles qui offrent un minimum de formation à leurs employés. Une étude de Statistique Canada[3] confirme d’ailleurs le lien entre les compétences et l’utilisation de l’ordinateur et de l’Internet, insistant ainsi sur la nécessité d’améliorer celles-ci.

Enfin, bien que l’utilisation, au sens strict, ne constitue pas l’objet principal de ce projet, il est intéressant de constater l’état de la situation à cet égard, question d’évaluer le chemin qui reste à parcourir avant de parler de véritable appropriation des applications de l’Internet.

4.2. La conceptualisation de l’appropriation technologique

Concernant la définition conceptuelle proposée de l’appropriation technologique et à l’instar d’autres chercheurs, nous admettons que le construit d’absorption cognitive est actuellement trop peu connu pour être utilisé de façon efficiente. Sa complexité, révélée par les faibles résultats obtenus, indique qu’il faudrait considérer son influence probable à un autre niveau. Toutefois, lors de manipulations statistiques ultérieures, en excluant « l’immersion / focus » et le « sentiment de contrôle », le calcul de divers coefficients considérant exclusivement les dimensions « dissociation temporelle », « intensité du plaisir » et « curiosité » a révélé des résultats qu’on peut qualifier d’intéressants. De fait, la combinaison de ces trois éléments a donné un coefficient alpha de Cronbach (α) de 0,63 et des coefficients de corrélation (r) variant entre 0,29 et 0,46. Bien que faibles, ils nous indiquent le début d’une réflexion qui pourrait éclairer une éventuelle continuité de la recherche.

Quant aux construits de compétences de l’utilisateur et de sentiment d’efficacité personnelle, leurs résultats s’avèrent tout à fait valables du point de vue statistique. Ils demeurent donc des éléments d’intérêt dans la recherche d’une meilleure compréhension de l’appropriation technologique.

4.3. Les facteurs critiques de succès et le contexte organisationnel

Le tableau 4 présentait les résultats comparatifs et condensés des entreprises visitées quant à la considération accordée aux facteurs critiques de succès retenus. Les discussions qui suivent tenteront, outre d’expliquer les différences quant aux cotes attribuées, d’indiquer quelques pistes permettant de faire des liens entre l’appropriation technologique et le contexte d’une PME eu égard aux applications de l’Internet.

4.3.1. Les facteurs technologiques

Lors des entrevues, tous les interlocuteurs disent considérer leurs systèmes comme « très, très importants », « capital », « crucial » et « prioritaire ». Cependant, dès que l’on insère la notion de mesures de sécurité afin de protéger l’intégrité des systèmes, l’exactitude et la fiabilité des données, le discours, bien que cohérent, devient légèrement contradictoire. Parfois, les mesures de sécurité se limitent à des dispositifs minimaux, tels que des accès restreints par des mots de passe, des copies de sécurité, des coupe-feu et des vérifications ponctuelles des systèmes. Toutefois, l’entreprise C se différencie positivement par des procédures formelles quant à l’établissement du profil d’accès d’un nouvel utilisateur, la réalisation d’audits de sécurité exécutés une à deux fois l’an, un réel souci pour la prévention et, enfin, la diffusion d’une politique interne encadrant l’utilisation de l’Internet. Mentionnons aussi que les utilisateurs qui ont répondu au questionnaire affichent un niveau de 8 sur 10 quant à leur sentiment d’efficacité personnelle. Dans ce cas, est-il possible que l’existence de politiques et d’un encadrement formel puisse influencer cette confiance ? Dans les trois autres entreprises, les systèmes en place ont été plutôt qualifiés par les termes « désuet », « dinosaure et archaïque » et « limité ». Ces propos expriment bien la priorité et l’importance réelles que revêt la technologie dans les PME en général (Julien, 1995).

En raison de leurs caractéristiques virtuelles, plusieurs applications de l’Internet s’inscrivent dans la lignée des technologies dites immatérielles. Par conséquent et à l’instar des autres technologies de ce type, leurs avantages sont plus susceptibles d’être sous-estimés. D’un autre côté, certaines de ces particularités, par rapport à des technologies plus traditionnelles, risquent de modifier en profondeur les processus, les structures, la culture et les compétences requises tout autant que la notion même de pouvoir de l’information. Ainsi, les PME visitées, à l’exception de C, ne semblent pas prêtes à franchir ce pas et à considérer les bénéfices concrets procurés par ces technologies (Moreau, Raymond et Vermot-Desroches, 2006 ; Porter, 2001). Partant de ce constat, il est compréhensible que la gestion des TI et, par conséquent, leur appropriation ne constituent pas une préoccupation de premier plan pour la direction (Monnoyer-Longé, 2002 ; Raymond et Blili, 2005).

4.3.2. Les pratiques de gestion

Avant tout, pour les PME visitées, se doter de certaines technologies de l’Internet avait pour objectif principal de faciliter la communication avec les partenaires externes ; mais cela a également amélioré les échanges internes, tous en conviennent. Si pour certains gestionnaires, les objectifs poursuivis avaient été mûrement réfléchis, pour d’autres, la situation au sujet de la communication et de la promotion à l’interne de ces technologies est demeurée floue et rejoint les constats précédents quant à la promotion et la formation à l’utilisation de ces applications : « Les gens connaissaient déjà Internet […] il n’y a donc pas eu de grande diffusion d’information à ce moment-là » ; « Ça n’a pas été nécessairement une campagne de lancement […] ». Mais, encore une fois, l’entreprise C s’est démarquée en donnant l’accès total à l’Internet à tous ses employés et en leur offrant de la formation d’emblée.

Au bout du compte, on constate que l’évolution des pratiques de gestion se fait à un rythme plutôt lent et différemment d’une entreprise à l’autre. Les propos rapportés laissent en outre supposer que, bien que parfaitement conscients des disparités de compétences entre les utilisateurs de l’Internet, les dirigeants de PME redoutent un peu la transparence et le partage d’information, des pratiques pourtant reconnues comme stratégiques. À cela s’ajoute le fait que même si plusieurs s’accordent pour dire que les TI obligent les entreprises à aller plus loin au plan des pratiques de gestion (Croteau, Bergeron et Raymond, 2001 ; Jacob, 1997 ; Piva, Santarelli et Vivarelli, 2004 ; Venkatraman, 1994), les résultats dépendent essentiellement du degré de volonté réel démontré par ceux qui détiennent le pouvoir et la légitimité d’initier les changements requis et donc de diffuser, à la fois, les objectifs poursuivis et les outils disponibles pour y parvenir.

Ainsi, il est facile de soupçonner que les gestionnaires dirigeants sont, à l’occasion, les premiers à réagir défensivement devant une nouveauté qui transformerait leurs processus, leurs façons de faire et, donc, inévitablement, leurs pratiques de gestion. Ce constat souligne que les PME doivent améliorer leur communication, leur transparence et leur collaboration. Elles auraient également intérêt à développer et à partager une vision qui leur permettrait de sortir de la logique à court terme qui les caractérise (Schmitt, 2004). Enfin, bien que le concept de gestion du changement ait été abordé à plusieurs reprises, bon nombre de gestionnaires semblent impuissants à en appliquer les règles les plus simples : s’informer et informer. Par ailleurs, utiliser le terme « bébelle »[4], comme l’a fait un des interlocuteurs, pour qualifier l’Internet en dit long sur la perception plus ludique que stratégique qui existe à son égard.

4.3.3. Les facteurs organisationnels

Dès le départ, la diversité de l’échantillon s’est fait sentir à l’égard des facteurs organisationnels, surtout en ce qui concerne les structures du service informatique. Le principal avantage de cette situation est de constater la différence entre une entreprise bénéficiant d’une structure plus élaborée et une autre fonctionnant avec des ressources limitées. Ainsi, les entreprises A et B exercent une gestion strictement opérationnelle des TI et sont moins sophistiquées quant aux structures et méthodes mises en place, et ce, bien que l’une d’elle (entreprise A) possède un système intégré de gestion (SIG). Par conséquent, on peut penser que, tout comme les TI en général, l’utilisation de l’Internet ne contribue pas à améliorer la performance de ces entreprises autant qu’elle le pourrait (Raymond et Blili, 2005). Une fois de plus, le recours à l’Internet ne semble pas prioritaire, sauf pour la messagerie interne qui est la fonctionnalité la plus populaire.

Dans le cas des entreprises C et D, elles ont d’emblée adopté une attitude plus proactive concernant la gestion des TI et de l’Internet. Peut-on alors les supposer plus innovantes ? (Carrier, Raymond et Eltaief, 2002 ; Raymond et Blili, 2005.) Concrètement, les personnes rencontrées sont toutes deux membres de leur comité de direction, et des équipes, formées de trois à six personnes, sont entièrement dédiées à la fonction informatique.

Concernant le rôle du gestionnaire, les propos de la personne de l’entreprise D sont particulièrement intéressants : « c’est mon rôle [de remettre les choses en question], c’est ce que je fais et je sollicite beaucoup les gens à le faire également, à agir dans ça et à se poser des questions aussi ». On peut présumer que ce « réflexe » a un effet positif sur le contexte organisationnel et la manière d’aborder le changement, la technologie et ses nouvelles applications au sein de l’entreprise. À ce sujet, on peut ajouter que l’innovation implique une direction ouverte au changement qui tient compte des multiples idées qui émergent d’un milieu désirant constamment s’améliorer (Julien, 2000). De toute évidence, cette approche ainsi que la situation générale de l’entreprise C constituent des avantages qui leur permettent d’adopter une vision stratégique et innovante de la gestion et de l’utilisation des TI. Ce sont également ces deux entreprises qui affichent le meilleur score quant au sentiment d’efficacité personnelle à l’égard de l’utilisation des technologies (8 sur 10), alors qu’il est de 7,3 pour l’entreprise A et de 6,5 pour l’entreprise B. Un facteur non négligeable de l’appropriation, rappelons-le.

4.3.4. Les interactions entre gestionnaires et utilisateurs

Les réactions initiales des interlocuteurs ont été plutôt révélatrices lorsque nous les avons questionnés au sujet de l’importance de la satisfaction des utilisateurs. Leurs réponses ont pris la forme d’un long silence, d’un « hum » bien senti ou d’un « heu » hésitant. Mais, malgré cette incertitude, les répondants en général jugent important de se soucier du niveau de la satisfaction des employés. Néanmoins, leurs commentaires révèlent bien leur méconnaissance des composantes de ce concept.

Ensuite, sachant que la satisfaction constitue un élément sensible dans le processus de l’adoption et de l’appropriation technologique, général ou spécifique (Bergeron et al., 1995 ; DeLone et McLean, 1992 et 2002 ; Mahmood et al., 2000 ; Woodroof et Kasper, 1998), il convenait de souligner son importance en tant que facteur critique de succès et de poser des questions à ce sujet. Aussi, étant donné qu’en contexte de PME, les compétences technologiques du propriétaire-dirigeant ont un effet plus significatif que tout autre facteur sur le niveau de satisfaction des utilisateurs de TI (Palvia et Palvia, 1999), nous ne pouvons pas ignorer l’existence de cette relation, confirmant ainsi que l’adoption technologique, et tout ce qui s’ensuit, est un acte entrepreneurial qui ne possède pas d’équivalent dans la grande entreprise (Julien, 1995). Pour appuyer ce propos, il faut noter que deux présidents des PME, C et D, ont été qualifiés de « pionnier et d’avant-gardiste » et « d’un accro à tout ce qui s’appelle technologie ». Cela permet donc de comprendre les multiples écarts constatés avec les deux autres entreprises.

Un fait reste cependant à souligner dans l’entreprise C : « [s’il y a des gens insatisfaits] on va voir pourquoi […] Est-ce parce que l’outil ne correspond pas à leurs besoins ou parce qu’ils sont réfractaires aux changements ? […] un usager qui est réfractaire [ne doit pas] faire en sorte que l’entreprise dévie de sa stratégie d’affaires et utilise des outils qui soient moins à la fine pointe, moins efficaces […]« . Cette façon de faire est fort efficiente du point de vue de la gestion, mais elle oublie qu’il est tout à fait normal de se heurter à des résistances lorsque des projets transforment l’entreprise et ses processus (Collerette et Schneider, 2000). Une mise en garde s’impose lorsqu’un gestionnaire refuse de reconnaître ce phénomène ; cela pourrait dénoter la présence d’une vision monolithique peu flexible qui ne saurait être profitable ni pour l’entreprise ni pour les employés.

De surcroît, les propos recueillis ont confirmé que l’usage quotidien des TI par les membres de la direction produit un effet d’entraînement significatif sur les besoins de l’organisation en matière de technologie, appuyant ainsi les conclusions de Monnoyer-Longer (2002). D’un autre côté, il y a les situations où ce comité peut jouer un rôle de frein plutôt que de propulseur comme l’illustre le propos suivant : « […] on va attendre un peu […] on a pas besoin de ça nécessairement tout de suite ». Néanmoins, frein ou propulseur, l’équipe de direction peut, on le suppose encore une fois, affecter l’appropriation technologique, notamment en ce qui a trait à l’amélioration des compétences des utilisateurs.

4.3.5. Les conditions « facilitantes »

Les conditions « facilitantes », tout comme les pratiques de gestion, présentent des contradictions entre le discours et les actes, affectant indéniablement l’appropriation susceptible d’être démontrée par les individus, notamment quant à la perception de l’utilité de l’Internet et la disponibilité des ressources qui favoriseraient son utilisation. En effet, tous les répondants conviennent qu’il est très utile, mais seule l’entreprise C identifie concrètement la formation et le « coaching » comme moyen de promotion. Pour sa part, l’entreprise B n’a jamais mentionné offrir une formation quelconque à ses employés, mais elle considère tout de même mettre toutes les ressources en place pour favoriser l’utilisation de ces applications. Une conviction qui transparaît également dans la perception que celle-ci a du degré de créativité dont elle fait preuve dans l’utilisation des technologies de l’Internet (médiane de 5 sur 7), alors que toutes les autres affichent un score de 4. Rappelons qu’afin de réaliser la productivité anticipée, rendre une technologie disponible est insuffisant ; elle doit être acceptée et utilisée correctement par les utilisateurs cibles (Agarwal et Prasad, 1997 ; Jacob, 1997). Pour les autres répondants, il a été admis que les efforts pourraient être intensifiés, entre autres, à l’égard de l’évaluation des besoins et des possibilités de ces outils. Ces constats sont d’autant plus révélateurs que le manque de formation, de compétences et de savoir-faire en matière de TI est reconnu par les dirigeants de PME comme un obstacle à leur adoption (Moreau, Raymond et Vermot-Desroches, 2006). Les gens rencontrés l’ont formulé ainsi : « […] c’est notre lacune un peu, les gens n’ont pas vraiment eu de formation. C’est le propre de Microsoft, il est facile à apprendre […] On laisse les gens à eux-mêmes pis c’est de valeur […] On suppose que les gens s’y intéressent et vont fouiller, mais ce n’est pas le cas de tout le monde […] ».

En outre, les entreprises A et B éprouvent de la difficulté à élaborer au sujet de la présence d’un champion et d’une équipe porteuse en matière technologique. Peut-être y a-t-il une incompréhension quant à la définition et à l’application concrète de ces concepts. Pourtant, une transformation majeure ne dépend pas seulement d’une vision ou d’une décision stratégique ; elle doit aussi s’incarner aux niveaux fonctionnel et opérationnel par l’action d’une masse critique d’individus (Rondeau, 2002 ; Schmitt, 2004).

En matière d’échec technologique, les réponses ont été aussi variées qu’intéressantes quant à l’historique en la matière. Si, pour certains individus, vivre un échec représente parfois une occasion pour l’entreprise de faire un pas en avant, de réfléchir et de mieux planifier les projets futurs, pour d’autres, cela « […] renforce les convictions des gens réticents aux technologies et rend les projets subséquents encore plus sensibles ».

4.3.6. Le style d’implantation

« Comment les entreprises identifient leurs besoins en matière technologique ? » est le premier indicateur pour évaluer le style d’implantation. Les réponses révèlent trois situations assez différentes. Tout d’abord, les entreprises C et D peuvent être qualifiées de proactives, puisqu’elles établissent leurs besoins à partir de plusieurs sources : planification stratégique, culture organisationnelle favorisant la communication et l’utilisation d’outils performants, sollicitation des clients, besoins des employés, philosophie de gestion axée sur la révision continue des processus, recherches sur Internet (sans être un processus formel de veille technologique), ainsi que vision des dirigeants. Quant à l’entreprise B, elle est surtout à l’écoute des besoins des utilisateurs, puisque tout projet d’implantation déclenche un processus élaboré de consultation. Dans l’entreprise A, l’approche est définitivement réactive comme le montrent les propos suivants : « […] les demandes des utilisateurs vont venir créer un besoin […] c’est leurs besoins qui va venir me pousser ».

Relativement à l’identification des destinataires, les approches des entreprises B et C se rejoignent car elles analysent l’effet du nouvel outil sur la circulation de l’information. Ce qui n’est pas le cas pour les entreprises A et D, augmentant ainsi le risque d’oublier certaines personnes et de créer des situations problématiques qu’elles pourraient facilement éviter grâce à un « schéma de l’information », pour reprendre le terme utilisé en entrevue. Cet état de fait rend donc peu pertinent le critère de taille de l’entreprise évoqué par un des interlocuteurs pour justifier l’absence d’une méthode plus structurée.

Au sujet du processus de planification et d’implantation, la recension de la documentation propose des processus plutôt lourds et des démarches souvent complexes pour des PME aux ressources limitées. Dans ce sens, un compromis intéressant a été adopté par l’entreprise B : ni trop élaboré, ni trop axé sur une vision comptable des coûts-bénéfices, elle mise plutôt sur la consultation, favorisant ainsi l’acceptation du système par les utilisateurs, ce qui éventuellement pourra mener à l’émergence de l’appropriation, tout en limitant les risques de manifestation des résistances. De surcroît, à la suite d’une expérience peu probante avec des consultants externes, une prise de conscience par le gestionnaire s’est produite concernant la nécessité de bien lire le contexte organisationnel et ses spécificités ainsi que les bénéfices d’une méthode structurée, souple et par petits pas. Quant à l’entreprise A, elle s’est révélée plus préoccupée par la phase d’implantation et surtout le monitorage. Suivi méthodique de l’évolution d’une situation permettant un ajustement périodique des pratiques et méthodes en place (Collerette et Schneider, 2000), ce « refresh[5] » est réalisé après l’implantation et vise à vérifier l’intégration des nouvelles pratiques aux activités courantes.

Après avoir désigné le pilote du projet, les répondants sont unanimes au sujet de la nécessité de s’entourer des bonnes personnes. Selon la situation et la nature du projet, différents intervenants sont alors susceptibles d’être sollicités. Toutefois, nous observons la présence quasi systématique du responsable des finances, en tant que conseiller principal, lorsqu’il n’est pas directement nommé chef de projet. Cette situation est risquée, car elle pourrait indiquer la présence d’une vision technico-rationnelle dominante, approche traditionnelle et limitée des SI, et ce, plutôt qu’une vision sociotechnique, approche contemporaine et reconnue par les chercheurs, qui considère que la technologie doit répondre aux besoins de l’organisation et à ceux des individus. Ces doutes sont soulevés par les propos suivants : « tout ce qui est donné finit par être quantifié en données financières » ; « [ça] dépend toujours des priorités […] [que] l’information de gestion est toujours disponible, [mais qu’il y a] un coût pour aller la chercher [et que] c’est là qu’est la grosse dynamique ». Une vision trop « comptable » et peu systémique risque alors de masquer le potentiel relié aux applications de l’Internet et de limiter les efforts et les ressources nécessaires à leur appropriation par les utilisateurs.

Généralement, les réunions se tiennent au besoin. Outre des réunions périodiques en petits comités dans l’entreprise D, le suivi de l’avancement des travaux se jumelle aux comptes rendus trimestriels de la direction. Tout en assurant un soutien individuel à tous ses membres, seulement l’entreprise C planifie des rencontres périodiques avec l’ensemble de l’équipe de travail, et ce, par l’intermédiaire du service des TI. Selon la personne interviewée, cela constitue une bonne façon « d’élever le niveau de connaissances générales du groupe » et d’obtenir une vue d’ensemble de l’état d’avancement des travaux. Par conséquent, cette approche permet de rééquilibrer les ressources et les efforts à déployer, d’éviter le découragement et l’épuisement des personnes impliquées et de respecter les échéanciers établis.

Malgré les problèmes de programmation et les autres aspects techniques (réglés par des spécialistes ou des consultants externes), peu de répondants ont discuté des processus mis en place concernant la gestion des problèmes et des crises. Ce manque de loquacité suscite quelques interrogations. En effet, est-ce que les gestionnaires sont si centrés sur les données opérationnelles et techniques d’un projet qu’ils oublient les aspects humains qui peuvent poser problèmes ? Ont-ils vraiment une idée de ce qui cause les échecs des TI ? Il est donc pertinent de rappeler que, tout comme les résistances, le succès ou l’échec de l’implantation d’un SI ont des causes variées (Greiner, Cummings et Bhambri, 2003 ; Raymond et Blili, 2005). Cela vaut aussi pour l’appropriation technologique qui se réalise dans un contexte précis où les éléments explicatifs et les interactions sont complexes et difficiles à isoler, comme l’a bien démontré le premier volet de ce projet.

Pour ce qui est de la consultation et de la participation des utilisateurs, l’entreprise B s’est démarquée par sa mise en place d’une démarche relativement structurée de consultation. En réalité, elle consulte les utilisateurs potentiels au moins trois fois durant le processus de planification : au sujet des besoins, des outils disponibles et de la circulation de l’information. À l’opposé de ce qui précède, le répondant de l’entreprise A indique : « [discuter pour] mettre en rapport comment l’administration veut que ça fonctionne pour atteindre tel ou tel résultat et comment les utilisateurs de tous les jours peuvent s’intégrer là-dedans et être à l’aise pour arriver aux résultats […] ». Il s’agit donc d’une activité de diffusion d’objectifs déterminés par la direction plutôt que de véritable consultation, on suppose qu’une telle situation puisse limiter l’engagement des utilisateurs et potentiellement leur niveau d’appropriation.

4.3.7. La perception du changement

L’entreprise C précise que les changements constatés dans le climat de travail n’étaient pas dus à l’introduction des technologies elles-mêmes mais plutôt à leur forte croissance. Dans le même sens, ce sont les événements reliés à la vente de l’entreprise A qui ont été les plus porteurs de changement. Dès lors, nous pouvons dire que les changements organisationnels correspondent plus que jamais avec les changements technologiques (Piva, Santarelli et Vivarelli, 2004). Par ailleurs, les répondants des entreprises B et D constatent une communication accrue par voie électronique, ce qui a des effets sur le climat social de l’entreprise. Ils constatent une baisse de la communication directe, des incompréhensions liées à l’absence de rétroaction instantanée d’un courriel, des divergences dans les attentes entre les super-usagers et ceux qui l’utilisent au minimum. En revanche, ils notent une augmentation de l’efficacité dans les échanges, la possibilité de rejoindre un plus grand nombre de personnes simultanément, ainsi qu’une meilleure ouverture aux autres grâce aux listes d’envoi qui permettent de joindre un certain « réseau ». Ces constats concordent en partie avec les travaux de Granovetter (1982).

Quant à la perception de la capacité de changement de leur entreprise, les interlocuteurs se sont scindés en deux groupes : les prudents et les convaincus. Prudent, tout comme l’entreprise B, le répondant de l’entreprise A déclare : « la volonté de changer est là, mais le comment n’est pas toujours clair […] ». On suppose qu’une telle attitude peut limiter les efforts requis par la promotion de nouveaux outils, voire l’appropriation elle-même. En effet, l’adoption d’une vision stratégique pourrait les aider à avoir une attitude plus proactive et à s’ouvrir à l’environnement concurrentiel, afin d’établir les objectifs et de prendre les moyens favorisant la créativité et les innovations porteuses, élément majeur de l’innovation technologique en contexte de PME (Becheikh, Landry et Amara, 2006). De plus, ces entreprises ne prennent pas conscience des liens entre les TI et la notion de partage du savoir et des connaissances. La faible utilisation des forums de discussion, l’outil par excellence de la mise en commun des compétences personnelles et du savoir organisationnel, le démontre bien (médiane maximale obtenue de 2,5 sur une échelle de 7).

Les répondants des entreprises C et D ont manifesté une conviction nettement supérieure au sujet de la capacité de l’organisation à changer. Globalement, l’entreprise C représente, à nos yeux, le modèle d’utilisation stratégique des TI pour soutenir la mission et les objectifs poursuivis. Selon le propos suivant : « Il faut garder le cap sur les outils [dont] on a besoin, qui sont efficaces et qui rencontrent nos besoins », elle tendrait même vers l’alignement stratégique des SI/TI, puisqu’elle considère, entre autres, le déploiement technologique sur le même niveau que la gestion stratégique et la performance organisationnelle (Croteau, Bergeron et Raymond, 2001). Ses résultats, généralement supérieurs aux autres entreprises, et ce, pour plusieurs éléments de l’appropriation, prouvent d’ailleurs que le contexte organisationnel joue définitivement un rôle à cet égard.

Conclusion

La définition proposée du concept de l’appropriation des applications de l’Internet par les utilisateurs ainsi que les observations réalisées au plan organisationnel des PME visitées semblent porteuses d’un éclairage à la fois nouveau et confirmatoire. Nouveau, car la rareté des recherches et les commentaires recueillis auprès des participants confirment que jamais on avait abordé la question de l’Internet sous cet angle dans une PME et que les questions posées incitaient à réfléchir sur un sujet plus complexe qu’il n’y paraissait au départ. Confirmatoire, car ce projet aura permis de constater, une fois de plus, que le simple accès à une nouvelle technologie n’est aucunement une garantie de productivité ou de satisfaction des utilisateurs. Aussi, à l’instar de plusieurs autres, ce projet de recherche souligne une autre chose : les PME sont hétérogènes et l’échantillon déterminé n’a pas échappé à ce constat. Dans des conditions différentes, des critères plus qualitatifs - le stade de développement de l’organisation, la structure de propriété, le secteur d’activité et les marchés ciblés, les objectifs de la direction et les stratégies en matière de technologies, le réseautage, les modes décisionnels, le niveau de formation de la direction et des employés (Julien, 2000) – auraient sans doute permis de constituer un échantillon plus uniforme.

Bien que cette étude constitue une première exploration, le présent document fournira aux entreprises participantes une base comparative (benchmarking) qui permettra d’enrichir leur réflexion, de « concevoir des outils favorisant l’action » (Schmitt, Julien et Lachance, 2003) et donc de mettre en oeuvre des plans concrets pour encourager l’appropriation technologique en contexte spécifique de PME, un résultat déjà appréciable.

En ce qui concerne le questionnaire destiné aux utilisateurs, le nombre minimal de répondants fixés à cinq dans chaque entreprise s’est révélé trop petit et a limité nos observations. De même, l’utilisation d’échelles de Likert impaires dans la majorité des questions amène les gens à adopter une tendance centrale peu compromettante. Enfin, bien que le groupe des répondants au questionnaire ait été jugé relativement uniforme en termes de scolarité et d’expérience, le fait d’y retrouver autant de gestionnaires et de professionnels, agissant aux niveaux stratégique et tactique de l’organisation, que d’employés aux tâches plus cléricales, oeuvrant au plan opérationnel, soulève une difficulté supplémentaire quant à l’analyse spécifique des comportements, des attitudes et des compétences qui a pu être réalisée. En conséquence, le fait que l’échantillon ait été bâti sur des critères de convenance a sûrement influencé les résultats. En effet, il est généralement reconnu que de tels échantillons entraînent un biais de désirabilité qui se manifeste dès le moment où une personne accepte de participer. Donc, bien que la qualité de la démarche puisse être qualifiée d’adéquate selon les critères méthodologiques établis au fil du temps (Pinsonneault et Kraemer, 1993), une poursuite éventuelle de l’étude à ce sujet devra nécessairement considérer les éléments relevés précédemment.

À propos de la validité du concept d’appropriation technologique proposé et malgré les résultats mitigés obtenus avec le construit de l’absorption cognitive, nous maintenons que cette conceptualisation demeure pertinente. De fait, plusieurs travaux récents considèrent des concepts similaires, tels que la notion de plaisir, l’état émotionnel favorable et des réponses affectives positives de la part de l’utilisateur (Agarwal et Karahanna, 2000 ; Agarwal et Prasad, 1997 ; Ajzen, 2001 ; Blili, Raymond et Rivard, 1998 ; Compeau et Higgins, 1995 ; Compeau, Higgins et Huff, 1999 ; Igbaria, Parasuraman et Baroudi, 1996 ; Mathieson et Keil, 1998 ; Venkatesh, 1999 ; Venkatesh et Davis, 2000 ; Venkatesh, Speier et Morris, 2002).

Aussi, nous supposons que l’absorption en tant qu’élément lié à l’individualité, donc principalement inné (Joas, 1999), se pose plutôt en antécédent qu’en déterminant du phénomène d’appropriation technologique individuel. Cela nous ramène à Agarwal et Karahanna (2000), dont l’absorption cognitive, en tant que trait d’un individu, se posait en antécédent de la perception de l’utilité et de la convivialité d’une technologie. Dans ce sens, suggérer qu’elle entretiendrait des liens plus indirects avec les construits de compétences de l’utilisateur et de sentiment d’efficacité personnelle à l’égard des technologies s’avère tout à fait plausible. D’autant plus que ces construits se réfèrent plutôt à des notions acquises et développées par l’individu tout au long de sa vie, et ce, contrairement aux dimensions qui composent l’absorption cognitive et qui sont là dès les premiers instants. Ce constat s’inscrit bien dans les travaux récents portant sur le processus de développement des compétences d’un utilisateur (Marcolin, Compeau et Ross, 2004). En effet, ces chercheurs présentent un modèle théorique où l’intérêt de la personne pour le fonctionnement des technologies en tant que « hobby » ainsi que la perception d’une certaine image / identité liée à son niveau de connaissances technologiques sont considérés comme les antécédents, le point de départ d’un processus. Bref, ils posent ces deux dimensions intrinsèques de l’individu en tant que déclencheurs possibles de l’acquisition de nouvelles compétences ; d’où la pertinence, pour nous, d’envisager l’absorption cognitive de manière similaire. Pour ces motifs, la conceptualisation proposée devra refléter ces nouvelles avenues concernant le construit d’absorption cognitive au sein du processus d’appropriation technologique tel qu’il nous intéresse.

De la même manière, l’approche de circularité adoptée pour réaliser ce projet demeure, à nos yeux, justifiée. Ainsi, la recherche de causalité entre les construits ne constituait pas un objectif poursuivi, de même que la généralisation, qui ne peut se réaliser qu’une fois que des théories robustes sont énoncées, ce qui est loin d’être le cas de l’appropriation technologique, de surcroît en contexte de PME. Ce projet, ainsi que sa suite possible, demeure donc exploratoire et s’inscrit toujours dans la perspective émergente et la théorie de variance de Markus et Robey (1988).

Enfin, le contexte organisationnel dans lequel s’enclenche ou non le processus d’appropriation devra également être inclus dans la future conceptualisation. Ainsi, les conclusions tirées pourront l’être sur un autre mode que la supposition qui a caractérisé l’ensemble de la démarche actuelle. Cette inclusion permettra, en outre, de renforcer encore plus le caractère multidimensionnel de l’appropriation technologique. Un fait qui est déjà largement reconnu pour l’utilisation et qui trouve sa place dans ce projet du fait que cette dernière est implicite à l’appropriation, telle que nous la définissons. Car force est d’admettre que l’analyse des facteurs critiques de succès réalisée a fait ressortir des aspects organisationnels qui semblent aussi déterminants que certaines caractéristiques individuelles.