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La notion de médiation culturelle a de quoi faire couler de l’encre. D’abord parce que c’est d’une médiation proprement culturelle dont il est question, à un moment où la culture semble s’imposer dans tous les champs de connaissance avec insistance. S’imposer au point où l’idée d’un «  paradigme culturel » pour comprendre le monde d’aujourd’hui a fait surface ces dernières années, ayant sans doute trouvé sa formulation la plus «  radicale » dans un ouvrage d’Alain Touraine, Un nouveau paradigme. Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, paru en 2005 (Touraine, 2005) et qui fit écho des deux côtés de l’Atlantique. Quant à la notion de médiation, peut-être est-il pertinent de rappeler que cette dernière a occupé une place de choix dans la sociologie québécoise. On pense ici aux travaux de Michel Freitag, qui plaçait l’analyse des médiations (ce qu’il nommait les «  médiations symboliques ») au centre de ses préoccupations (Freitag, 1986).

Cette brève parenthèse permet d’expliquer en partie la grande vitalité de la notion de médiation culturelle dans les sciences sociales, au Québec comme en France. Mais il est certain qu’en rapprochant des termes aussi polysémiques que ceux de «  culture » et de «  médiation », on ouvre la voie à une multitude de définitions. Ce qui est entendu comme médiation culturelle variera certainement en fonction de la définition de la culture qu’on met de l’avant ou de ce qu’on identifie comme une médiation. S’il existe, comme le souligne Jean-Marc Fontan, une forte tendance dans la littérature sur la médiation culturelle à évincer la dimension politique des pratiques médiatrices (Fontan, 2007 : 12), celle-ci nous semble due à l’utilisation du terme «  médiation », qui renvoie au travail d’un médiateur, entendu généralement comme «  acteur neutre » qui interviendrait en vue de résoudre un conflit. La question étant : qui peut se targuer d’être neutre ? On ne devrait pas, à notre avis, écarter la dimension politique de la médiation culturelle, et c’est une redéfinition ou plutôt une «  reconsidération » de la médiation elle-même qui devrait nous fournir la clé de cette dimension politique qui lui est propre.

Nous proposons donc, si l’on nous permet cette entorse au concept, qu’il faut entendre par «  médiation culturelle » des situations, des pratiques, où la culture servirait la cause, viserait ou prétendrait viser des transformations du social, du politique. Il y aurait médiation « culturelle » dans la mesure où des pratiques issues du champ de la culture favoriseraient l’institution de certains « imaginaires » au sein d’un « imaginaire social institué » (Castoriadis, 1975) ou pour le dire plus simplement : des valeurs, des idées, des pratiques évoluant en marge du socialement reconnu, du socialement acceptable, obtiendraient reconnaissance en tant qu’elles sont constitutives d’une identité commune. Ce travail de redéfinition des règles du social laisserait donc supposer un jeu politique intrinsèquement lié à la médiation culturelle. Il y aurait « médiation » culturelle au sens où c’est la culture qui serait interpellée en tant que « médiatrice » dans une situation de conflit  ; on amène donc une lutte sociale, politique ou économique sur le « terrain » de la culture afin de donner voix, de permettre la circulation d’un discours, de valeurs, d’imaginaires. La culture servirait ainsi à « amortir » la confrontation proprement politique. Il nous semble que c’est ainsi saisie que la notion de médiation culturelle devient intéressante, alors qu’il est indéniable que la culture occupe de plus en plus d’espace dans les sciences sociales, et que plusieurs luttes sociales et politiques se déplacent aujourd’hui vers une critique, voire une lutte proprement culturelle.

Après avoir introduit le lecteur au type de pratiques auxquelles nous nous référons, nous parlerons du contexte argentin en insistant sur le rôle joué par la culture dans la formulation d’une critique politique. Nous nous limiterons à exposer quelques moments forts de cette convergence entre culture et politique dans l’Argentine contemporaine. Nous poursuivrons sur une description des collectifs et des pratiques qui nous intéressent et réfléchirons sur les liens entre culture et politique, notamment à travers une réflexion sur la fonction politique de la mémoire. Nous conclurons en évaluant la pertinence de la notion de médiation culturelle.

Quelles « pratiques » ?

Nous portons ici notre regard sur des pratiques artistiques et culturelles que l’on pourrait qualifier de « participatives », en ce sens qu’elles « favorisent la rencontre entre des artistes et des non-artistes engagés dans un projet commun » (Jacob, 2007 : 29-30). Ces pratiques invitent, depuis le champ culturel, à une redéfinition de l’imaginaire social tel qu’il est institué dans un contexte donné. En d’autres termes, il s’agit de pratiques politico-subversives – politiques, puisqu’elles interpellent des institutions ou des acteurs politiques  ; subversives, puisque cette interpellation s’accompagne généralement d’une délégitimation ou d’un questionnement de l’ordre établi – agissant depuis le culturel. Elles sont incarnées par des regroupements de jeunes artistes plasticiens, photographes, graphistes, artistes issus du milieu du théâtre, de la poésie, de la musique, que nous avons eu l’occasion de côtoyer au cours des derniers mois. Ces collectifs évoluent dans un contexte particulier : celui de l’Argentine de l’après-crise de 2001-2002.

Tout porte à croire, cependant, qu’il ne s’agit pas de pratiques isolées et qui ne s’observeraient que dans les limites du territoire argentin. À l’avis de Reinaldo Laddaga, qui trace dans son ouvrage Estética de la emergencia un portrait de pratiques semblables à celles qui nous intéressent ayant émergé ces dernières années sur la scène internationale, il s’agirait d’une « forme de production qui tend à prendre de l’expansion et demeure encore non théorisée » (Laddaga, 2006 : 17). On voit cependant plusieurs similarités avec ce que le théoricien et critique d’art français Nicolas Bourriaud identifie comme l’émergence, au milieu des années 1990, d’une « esthétique relationnelle » (Bourriaud, 1998). Il s’agit d’une « forme d’art dont l’intersubjectivité forme le substrat, et qui prend pour thème central l’être-ensemble, la « rencontre » entre regardeur et tableau » (Bourriaud, 1998 : 15). La performance, les happenings, les oeuvres appelant la participation du public sont autant d’exemples de cette centralité du relationnel dans les pratiques artistiques contemporaines. Bourriaud voit dans la prolifération des productions artistiques qui mettent en avant-scène cette relation une véritable position politique. C’est que l’esthétique relationnelle interviendrait en réponse à des symptômes patents de l’ » antirelationnel » dans nos sociétés. Que l’on prenne l’exemple des guichets automatiques, de la voix synthétique qui a remplacé la voix humaine dans les services téléphoniques : il semble que tous ces facteurs contribuent à destituer le lien social, à mettre à distance les membres d’une communauté, à réduire la part de relationnel dans nos vies. L’art, sous la forme de l’esthétique relationnelle, viserait à restituer ce lien social. Ainsi, « [l]’art contemporain développe bel et bien un projet politique quand il s’efforce d’investir la sphère relationnelle en la problématisant » (Bourriaud, 1998 : 17). Les pratiques que nous aborderons s’inscrivent à notre avis dans la lignée de ce que Bourriaud identifie comme une esthétique relationnelle.

La littérature sur le sujet qualifie généralement les groupes que nous aborderons de « collectifs culturels » (Svampa, 2005 : 275-278), bien que certains préfèrent parler de leurs pratiques, plus simplement, comme d’un « art militant » (Longoni, 2007). Nous préférons l’utilisation du terme « collectifs culturels », pour des raisons qui apparaîtront plus clairement dans les lignes qui suivent. Il s’agit de regroupements qui comptent, comme nous le disions, sur des membres de diverses provenances et dont les limites ne semblent jamais fixées une fois pour toutes : les groupes en question se transforment au cours des ans, certains membres quittant les rangs alors que de nouveaux membres les intègrent ; des liens de solidarité se créent ou se brisent entre les différents collectifs. Quant au qualificatif « culturel », il vise à regrouper sous une même bannière la grande variété des pratiques : information alternative (Indymedia Argentina, LaVaca, etc.), création d’ » ateliers populaires » (Taller Popular de Serigrafía), mise en circulation d’ » objets d’art » (Colectivo Situaciones, Grupo Escombros, Grupo de Arte Callejero, etc.). Ils utilisent divers médiums tels que le cinéma (Grupo de Cine Insurgente), le théâtre de rue (Etcétera…), la radio (FM La Tribu), les arts visuels et graphiques (Grupo de Arte Callejero), etc. Faute d’espace, nous nous limiterons à exposer deux des principaux collectifs qui évoluent présentement en Argentine. Le choix de ces collectifs est justifié par la récurrence des références à ces derniers dans la littérature, l’obtention d’une certaine reconnaissance (prix, expositions) auprès des institutions culturelles et l’intérêt qu’ils représentent pour des chercheurs d’origines diverses [1]. Selon Maristella Svampa, ces collectifs culturels constituent l’un des principaux héritages de la crise économique et politique qui a secoué l’Argentine en 2001 (Svampa, 2005 : 275-278).

Notons cependant que les groupes sur lesquels nous portons ici notre regard sont apparus dans les années qui ont précédé la crise argentine de 2001-2002. Le GAC (Grupo de Arte Callejero, « Groupe d’art de rue ») est fondé en 1997. Quant au regroupement Etcétera…, il est fondé en 1998 par un groupe de jeunes, voire de très jeunes artistes (certains n’ont alors pas plus de 20 ans). Pourquoi parler alors de ces collectifs comme d’un des principaux héritages de 2001, si les groupes en question étaient déjà actifs quelque cinq ans auparavant ? C’est que c’est seulement au moment où le pays entrera dans une période de forte mobilisation sociale, à la suite des révoltes populaires de décembre 2001, que ces groupes gagneront en visibilité : présence médiatique pendant les interventions du collectif Etcétera… ; participation à des événements artistiques d’envergure (la participation du GAC à la Biennale de Venise, en 2003) ; publications de nombreux ouvrages et articles de journaux ; intérêt croissant, au sein de l’élite intellectuelle argentine, puis chez plusieurs observateurs étrangers, pour ces réalisations. La crise argentine aura attiré bien des regards : regards de la société sur elle-même, regards de l’extérieur sur ce pays qui, jusque-là, en laissait plusieurs indifférents. On sait à quel point les pratiques militantes ayant émergé en Argentine à la suite des événements de 2001 ont suscité l’enthousiasme d’une certaine gauche intellectuelle. Comme l’écrit Ana Longoni :

La puissance de la révolte argentine retint l’attention de nombreux intellectuels, activistes, artistes et intervenants du milieu des arts de diverses provenances, quoique surtout européens, qui virent dans ce processus agité une sorte de laboratoire socio-culturel vital et innovateur. On en vint même à parler en Argentine d’un « tourisme piquetero » [2]. (Longoni, 2007)

Mais aussi innovatrice qu’ait été la « réponse » citoyenne face à cette débâcle – création d’assemblées de quartier, récupération d’entreprises par les employés, etc. –, et aussi originale que soit la riposte de ces collectifs culturels, on ne devrait pas occulter le fait que leur travail s’inscrit dans la continuité de certaines expériences de médiation culturelle, au sens où nous entendons cette notion, du passé récent de l’Argentine.

Culture et politique en Argentine

Il existe en Argentine une forte tradition de lier culture et politique, lutte politique et « résistance » culturelle. Cette convergence entre culture et politique, cette politisation des arts est en effet un élément récurrent de l’histoire moderne du pays (Burucúa, 1999). Au cours des 50 dernières années, incluant le silence des « années de plomb » (1976-1983) et le bouillonnement culturel du retour à la démocratie (1983), les pratiques artistiques argentines s’articulent à la critique politique selon diverses modalités.

Le « 68 argentin » représente un moment fort de cette convergence entre l’art et la politique. Sous l’influence du mai 68 français et au diapason avec les idéaux révolutionnaires qui circulent à l’époque dans le continent ibéro-américain, apparaît une avant-garde artistique dont l’influence se fera ressentir jusqu’à nos jours. Seoane va jusqu’à parler d’une avant-garde unique en Amérique latine (Seoane, 2004 : 99). Critique de l’industrie culturelle, redéfinition des « frontières » de l’art, l’avant-garde argentine, dans la même veine que les soixante-huitards français, propose ni plus ni moins une « vie augmentée » (Longoni et Mestman, 2000 : 47). Posant dans leurs oeuvres ou leurs performances un regard critique sur la société et la politique (nationale et internationale), plusieurs artistes de la fin des années 1960 (León Ferrari, Roberto Jacoby, Oscar Bony) marqueront de manière irréversible la culture argentine. Malgré la répression et les interventions « musclées » dans les espaces de la culture (Burucúa, 1999 : 99), la dictature du général Onganía ne parviendra pas à faire déroger l’art de cette « passion politique », qui traversera l’ensemble des sphères de la culture dans les premières années de la décennie suivante (Seoane, 2004 : 121).

Le coup d’État de 1976 marquera cependant le début d’une longue mise sous silence de l’ » art politique » qui se poursuivra jusqu’au début des années 1980. Si le récit des enlèvements et des disparitions de plusieurs milliers de « subversifs » est aujourd’hui (tristement) connu, la tendance est à oublier que cette répression des corps s’accompagnait d’une répression aux oeuvres de culture. La « guerre » contre la subversion, nous disent Gociol et Invernizzi, était aussi une « guerre » culturelle : il s’agissait, dans le cas de la dictature, d’un projet « global, on pourrait dire “fondationnel” (de là le nom de “Processus de réorganisation nationale”) et pour ce dernier, le culturel occupait une place centrale et élémentaire » (Gociol et Invernizzi, 2002 : 31). Alors que se multiplient les enlèvements et que se poursuit l’ » étouffement » de la culture engagée, plusieurs artistes, auteurs et intellectuels (parmi lesquels Julio Cortázar, León Ferrari) prendront le chemin de l’exil, laissant un apparent vide dans la culture, malgré de notables exceptions comme le cas du Teatro Abierto, ouvertement critique face à la dictature, qui verra le jour en 1981 (voir Lawrence, s. d.).

Après une défaite écrasante dans leur effort insensé de récupérer les îles Malouines des mains des Anglais en 1982 et face à une impopularité croissante, les militaires cèdent le pouvoir en 1983. C’est Raúl Alfonsín qui assumera alors le rôle historique de premier président de l’Argentine démocratique contemporaine. L’équation « démocratie = vie », qui marquera de manière substantielle l’imaginaire collectif argentin (Armony, 2004 : 63), sera également palpable dans la culture et les arts. Le retour d’exil de milliers d’Argentins donnera une nouvelle impulsion à de nombreuses expressions culturelles, parmi lesquelles le cinéma argentin postdictature qui se déploiera autour de thèmes essentiellement politiques (Seoane, 2004 : 170). Le retour à la démocratie marque également l’apparition d’un thème récurrent dans la culture argentine contemporaine : celui de la mémoire. Ainsi, le film La historia oficial (« L’histoire officielle ») de Luis Puenzo, récipiendaire de l’Oscar au meilleur film étranger (1985), illustre à merveille la tension entre mémoire et histoire, dans l’Argentine des « années de plomb », partagée entre l’histoire qui s’écrit et tente de taire les abus de la dictature et la mémoire des disparus véhiculée par plusieurs acteurs de la société civile.

Le « traumatisme » causé par l’hyperinflation des dernières années du gouvernement d’Alfonsín – qui atteint 175% en 1987, puis 388% en 1988 (Svampa, 2005 : 25) – permettra au président Carlos Menem (1989-1999) de « justifier » l’entrée du pays dans une ère nouvelle : celle du néolibéralisme (Sidicaro, 2002 : 160). La frivolité des premières années du gouvernement Menem – la « fête ménémiste » dont parlent plusieurs auteurs : « fête de peu de gens, répandue cependant dans l’imaginaire populaire » (Arfuch, 2007 : 100) –, l’expansion de la culture de masse, l’intérêt croissant pour le divertissement télévisé (Wortman, 2007) coïncident alors, à en croire certains auteurs, avec la « médiocrité et l’appauvrissement général des idées » (Seoane, 2004 : 188). Alors que l’anti-intellectualisme semble à l’ordre du jour dans les discours présidentiels (Armony, 2004 : 90), l’élite intellectuelle argentine conviendra de garder le silence, surtout durant les premières années de la « fantaisie première-mondiste » et du « boom de la consommation » (Seoane, 2004 : 188). Mais les critiques ne tarderont pas à venir.

Petite historique du collectif Etcétera…

Le collectif Etcétera… voit donc le jour en 1998, soit dans les dernières années du gouvernement de Carlos Saúl Menem, à un moment où les politiques économiques néolibérales appliquées par le gouvernement suscitent de plus en plus l’indignation de la population : la pauvreté augmente à un rythme inquiétant (Wortman, 2007) et l’écart ne cesse de se creuser entre riches et pauvres (Seoane, 2004 : 175-205). Mais ce ne sont pas seulement les politiques néolibérales qui suscitent une insatisfaction grandissante : le gouvernement ménémiste entend également fermer les yeux sur les abus de la dictature militaire, assurant l’impunité des militaires responsables de près ou de loin des enlèvements massifs qui ont coûté la vie à plus de 9 000 personnes durant les années de plomb. Le 29 décembre 1990, à peine un an après son ascension à la présidence, Menem accorde l’amnistie aux dirigeants de la junte militaire et libère les hauts placés qui avaient été emprisonnés sous le gouvernement démocratique d’Alfonsín (Amnistía Internacional, 1992).

Les rencontres fortuites entre ceux qui deviendront les principaux protagonistes du collectif Etcétera… les amènent donc à organiser, dès 1997, une sorte de forum pour échanger les idées, remettre en question collectivement la situation accablante qui sévit dans le pays. Ce forum, auquel ils donneront le nom de Rencontre permanente entre créateurs (Encuentro permanente de creadores), représente un moment-clé dans la création du collectif. On réfléchit alors à une stratégie d’action, on échange des positions politiques, artistiques et autres. Au cours de l’année suivante, les artistes, en quête d’un local où se rencontrer et planifier des interventions de toutes sortes, aboutissent dans un lieu hautement symbolique pour leur travail : la maison/imprimerie de l’artiste surréaliste argentin Juan Andralis, abandonnée depuis sa mort en 1994. Le collectif Etcétera… venait de naître.

Très vite, le groupe crée des liens avec l’organisation HIJOS (Hijos e hijas por la identidad y la justicia contra el olvido y el silencio : « Fils et filles pour l’identité et la justice et contre l’oubli et le silence »), constitué d’enfants de disparus, prisonniers politiques et autres victimes de la répression sous la dictature militaire et le gouvernement d’Isabela Perón (1974-1976). C’est à l’organisation HIJOS que l’on reconnaît généralement la paternité de la pratique dite d’escrache, terme difficilement traduisible – le terme dériverait de l’argot argentin, fortement influencé par différents dialectes italiens – qui désigne aujourd’hui une pratique militante visant à laisser une marque visible sur le lieu où vit, par exemple, un tortionnaire bénéficiant de l’impunité. La contribution des deux groupes qui nous intéressent ici au sein des escraches est indéniable. Par exemple, l’idée de lancer des ballons remplis de peinture rouge, rappelant le sang des victimes, sur les murs du domicile de la personne  » escrachée », pratique devenue courante par la suite, sera proposée par un des membres du collectif Etcétera…, inspiré par des pratiques semblables au Chili (Kozak, 2004 : 179).

S’il est vrai que la visibilité du collectif Etcétera…, comme celle de bien d’autres collectifs culturels s’accentue à partir des événements de décembre 2001, on ne peut négliger le fait qu’ils obtiennent rapidement la reconnaissance de certaines institutions culturelles. En 1998, année de sa création, le collectif est invité à participer à une première exposition d’envergure au Centre culturel Recoleta, intitulée « Mangeons ! (une indigestion poétique) » (A comer [una indigestión poética]). Cette exposition s’inscrit dans la lignée d’une série d’interventions du groupe qui visent une critique du champ proprement culturel. Comme l’explique rétrospectivement le collectif lui-même : « À partir de l’idée selon laquelle la nécessité d’alimentation physique est tout aussi indispensable que l’alimentation culturelle, on mit sur pied cette exposition qui visait à dénoncer la “faim culturelle” » (Etcétera, 2007). Parmi les oeuvres exposées durant cette exposition : L’enfant mondialisé (El niño globalizado), sculpture d’un enfant format réel dont le ventre en forme de globe pouvait être gonflé par le public à l’aide d’un mécanisme.

En 1999, Etcétera… organise ce qui s’avère être sa première intervention en réaction aux événements culturels d’envergure : Libro libre (« Livre libre »). Aux portes de la Feria del libro de Buenos Aires, le collectif installe un stand depuis lequel ils remettent des livres sortis de leurs propres presses, l’ » imprimerie surréaliste » (imprenta surrealista). « Oui à un salon du livre itinérant et gratuit, oui à l’échange libre de livres », scandent-ils. Dans la même année, ils réalisent une activité spontanée du nom d’ArteBIENE, en marge de la célèbre rencontre artistique ArteBa. Aux dires du collectif, il s’agissait : « [de] créer un espace critique face à la logique conventionnelle du marché culturel. Nous avons donc improvisé une exposition collective d’oeuvres (peintures, sculptures, photographies, etc.) aux portes de la rencontre ArteBa (qui réunit l’ensemble des galeries d’art de Buenos Aires), sous la réclame d’une meilleure ouverture et d’une pluralité du champ culturel » (Etcétera, 2007). L’activité sera reconduite en 2001, cette fois-ci avec des performances qui ne manquent pas d’évoquer la situation économique et politique du pays. Le collectif imprime pour l’occasion des milliers de billets à deux versants. D’un côté : l’image d’un billet vert de 100$ ; de l’autre : celle d’un billet de 100 pesos où le premier chiffre a été effacé, ou si l’on veut bien : un billet de 0 peso. Rappelons que le Plan de convertibilité, élaboré par le ministre de l’Économie Domingo Cavallo durant la présidence de Carlos Menem, établissait la parité entre le peso argentin et le dollar américain. Face à l’imminence de l’échec de la parité, le collectif décida d’ » intervenir » de la sorte à l’intérieur même de la rencontre alternative d’ArteBIENE. Quelques mois après, la dévaluation monétaire devenait réalité…

Culture et politique, indissociablement

On le voit, la critique du champ culturel est inséparable pour le collectif d’une critique politique, économique, sociale. Et s’il est difficile de dire ce qui est le plus important aux yeux du groupe entre l’art, le politique, le culturel, c’est en outre parce que les membres du collectif, provenant de différents horizons « ne travaillent pas tant en articulant leurs savoirs particuliers, mais plutôt en les mélangeant et en les retravaillant tous ensemble » (Kozak, 2004 : 178). Convaincus que c’est l’appréhension du réel qui fait défaut, ils ont organisé, en marge du Forum social mondial (FSM) de 2002, et en réponse au slogan du FSM : « Un autre monde est possible », une action qu’ils ont intitulée : « Une autre réalité est possible ». Ils soutiennent que tout art est politique, et que bien qu’ils participent activement aux manifestations qui ont lieu durant l’année en Argentine (l’anniversaire du coup d’État ou la marche commémorative des événements du 20 décembre 2001), leurs interventions artistiques seraient politiques, quoi qu’il en soit du calendrier (Kozak, 2004 : 178).

Bien qu’ayant collaboré avec différents mouvements sociaux depuis la création du collectif en 1998, « ils se déclarent indépendants et misent sur des discours politiques non linéaires qui recourent à la métaphore et à l’ironie » (Kozak, 2004 : 179). À titre d’exemple, en 2003, quelques semaines avant les élections présidentielles, ils organisèrent, durant la marche du 24 mars en mémoire du coup d’État de 1976, une performance à laquelle ils donnèrent le nom de El ganso al poder (Le jars au pouvoir). Ils transportèrent ainsi l’animal promis à la présidence à travers les rues de Buenos Aires, dans un chariot à la forme d’un globe terrestre, leur objectif étant  » de questionner la légitimité des candidatures et leur fonctionnement, en mettant en jeu l’ambiguïté des symboles de la représentation » (Etcétera, 2007).

Dans un éditorial paru dans le journal argentin Página 12, le groupe parle de sa création, des moments-clés et des principales influences du collectif. On comprend mieux, à la lecture de cet éditorial, pourquoi il est approprié de parler d’Etcétera… comme d’un collectif culturel.

Nous avons commencé à ressentir collectivement le désir de former un groupe, de faire partie d’un mouvement à partir duquel on pourrait intervenir sur différentes scènes sociales, en emmenant l’art à la rue et aux espaces conflictuels de la société, en déplaçant ces conflits sociaux vers d’autres espaces où ils étaient réduits au silence (institutions culturelles, médias de masse, événements culturels d’envergure organisés par l’industrie culturelle).

Etcétera, 2007

On comprend aussi qu’à l’avis du collectif, le culturel est inséparable du politique. C’est ce qui ressort clairement lorsqu’ils écrivent qu’Etcétera… « émerge d’une nécessité inconsciente de forger une identité générationnelle et de réagir face à une culture envahie par les règles du néolibéralisme, phénomène fortement accentué au cours des années 1990 » (Etcétera, 2007).

Brève historique du GAC

Sans doute le plus connu des collectifs culturels argentins des dernières années – notamment grâce à la participation du groupe à la 50e édition de la Biennale de Venise –, dans le pays comme à l’extérieur, le GAC émerge en 1997. Dix ans après sa création, le collectif continue ses activités, prévoyant pour l’année en cours la publication d’un ouvrage qui revisiterait les différentes interventions des dernières années. Il se compose aujourd’hui de huit membres issus des arts plastiques, du design graphique et de la photographie. Certains des membres enseignent aujourd’hui les arts dans divers établissements de la capitale, dont l’Université de Buenos Aires.

Dès ses débuts, le groupe travaille en vue d’accroître la visibilité de certains mouvements citoyens argentins et rejoint rapidement l’organisation HIJOS. Ils participent depuis à la Mesa de escrache popular (« Comité populaire d’escrache ») du groupe. Parmi les oeuvres qui surgiront de cette alliance, on retrouve les carteles viales, qu’ils utilisent pour la première fois en 1998, et reprendront sous diverses formes jusqu’en 2001. Il s’agit de panneaux de signalisation routière qui reprennent l’esthétique des panneaux officiels, mais sur lesquels sont apposés des messages tels que : À 100 mètres vit un tortionnaire (A cien metros vive un represor), ou encore : Génocidaire Massera, en référence à Emilio Massera, « escraché » en 1998. Sur ce dernier panneau, comme sur d’autres qui suivront, apparaît même l’adresse du tortionnaire. Concoctés préalablement aux interventions du groupe, ces panneaux sont ensuite installés à proximité des lieux de la personne « escrachée », visant à informer les habitants du quartier de la présence de ce dernier, ou encore à proximité des ex-centres de détention – là où les « éléments subversifs » étaient amenés, puis torturés, durant la dictature – qui parsèment le paysage urbain de Buenos Aires.

Le GAC reprendra l’idée des panneaux de signalisation routière pour leur oeuvre Carteles de la memoria (« Panneaux de la mémoire »), présentée dans le cadre de l’événement culturel Parque de la memoria (« Parc de la mémoire »). Oeuvre constituée de 53 panneaux de fer galvanisé de 260 cm chacun, les Panneaux de la mémoire proposaient au public de retracer un parcours mémoriel – mémoire des disparus, mémoire des crimes commis par la dictature –, en longeant les bords du Parc. Cette oeuvre contribuera grandement à donner une visibilité au collectif, ce dernier ayant remporté le grand prix au Concours de sculptures du Parc de la mémoire (Concurso de esculpturas Parque de la memoria). De fait, l’oeuvre du GAC cadrait parfaitement avec les objectifs de l’événement. Comme on pouvait le lire sur le site du Parque de la memoria : « La mémoire est un processus d’apprentissage, un phénomène culturel exprimé par des individus d’un groupe social déterminé. L’importance fondamentale du souvenir tient de son pouvoir de définir l’identité et la conduite d’un peuple. La mémoire a des effets actuels et détermine notre relation avec l’avenir » (Parque de la memoria, sans date). Nous reviendrons sur la question de la mémoire et de son lien tant avec le politique qu’avec le culturel.

Intervenant, comme son nom l’indique, dans la rue, le GAC organise (1997-1998) une galerie à ciel ouvert (Galería callejera), afin d’exposer des oeuvres individuelles des membres du groupe sur la voie publique. Puis, le collectif met de l’avant, en décembre 2000, le projet Invasion (Invasión), intervention urbaine initiée d’abord par le lancement de 2 600 soldats jouets attachés à de petits parachutes depuis le haut de la tour des Anglais, à Buenos Aires. Ils intervinrent, par la même occasion, sur des murs et des espaces publicitaires, l’idée étant  » [que] l’aspect graphique de l’intervention soit semblable, du point de vue esthétique, à celui employé par la publicité “intervenue”, de manière à ce que la tension de sens soit subtile, mais relève tout de même le paradoxe » (Kozak, 2004 : 182).

En 2002, ils organisent une oeuvre en hommage aux étudiant(e)s disparu(e)s de la Faculté de droit de l’Université de Buenos Aires (Homenaje a los estudiantes desaparecidos de la Facultad de Derecho). Se liant d’amitié avec des intellectuels argentins – notamment l’historienne d’art Ana Longoni, de la Faculté de lettres de l’Université de Buenos Aires –, les articles et publications sur le GAC ou écrits par lui se multiplient, alors qu’on sollicite leur présence pour de nombreuses expositions, en Argentine, en Allemagne, en Italie. Ainsi, à Berlin, en novembre 2003, un colloque international réunissant artistes et intellectuels de diverses provenances (Planes para huir de las visiones panorámicas : « Plans pour sortir des visions panoramiques »), incluait l’exposition Ex-Argentina, réunissant des oeuvres du GAC – et aussi du collectif Etcétera–, l’événement, qui proposait de réfléchir sur « [les] facteurs qui conduisirent à la crise économique de l’Argentine, dans son contexte international », de « […] rendre compte de la crise économique argentine en tant que cas paradigmatique en matière de politique néolibérale indiscriminée » (Ex-Argentina, s. d.), se déplacera vers Cologne. Ainsi, en mars 2004 est présentée l’exposition Plans pour passer du travail à l’agir (Planes para huir del trabajo al hacer), au Musée Ludwig de Cologne. Puis, du 15 février au 19 mars 2006, le Palais de Glace de Buenos Aires propose de réunir les oeuvres d’abord présentées en Allemagne dans le cadre de l’exposition La normalidad (« La normalité »). Cette fois-ci, les artistes convoqués sont appelés à réfléchir sur la fonction critique de l’art, à un moment où la situation semble être rentrée dans l’ordre en Argentine.

Le GAC entre culture et politique

Dans un article du collectif publié récemment, le groupe nous fournit quelques éclaircissements sur sa démarche : « On entend souvent dire, écrivent-ils, que les artistes et producteurs culturels qui sont compromis avec la réalité font de l’”art politique” » (GAC, 2007 : 211). L’utilisation conjointe des termes « artistes » et « producteurs culturels » n’est pas anodine. Elle soulève, à notre avis et dans la même lignée que ce que nous disions du collectif Etcétera, la pertinence d’aborder le travail effectué par ces groupes en tant que « collectifs culturels ». Puis, c’est d’une compromission face à la réalité, encore une fois dans la même veine que le collectif Etcétera, dont parle ici le GAC. Ils poursuivent sur une critique de l’utilisation abusive du terme « art politique », soulignant que le pouvoir utilise un arsenal de symboles qu’on devrait également considérer comme de l’art politique :

Nous vivons entourés d’images et de symboles qui proviennent du pouvoir. Le pouvoir produit un véritable art politique qui falsifie la vérité historique pour s’imposer sur la vérité des massacres, la vérité des vaincus. Il exhibe des monuments qui matérialisent une certaine représentation (le regard unique) de l’Histoire. Ces symboles instituent des modèles qui régissent nos vies, définissent notre identité.

GAC, 2007 : 212

Peut-être le GAC s’éloigne-t-il ici de la position défendue par Etcétera… (souvenons-nous que ces derniers n’hésitaient pas à qualifier leur travail d’art politique). Mais il faut savoir que ce qui était identifié comme « politique » dans les discours des membres d’Etcétera… ne répond pas à une définition « classique » de la politique – politique de partis, jeux de pouvoirs, etc. L’inspiration surréaliste, de laquelle le groupe se réclame, amène plutôt à placer la lutte politique sur un autre terrain : celui de la confrontation de la réalité par l’imagination (ExArgentina, 2004 : 240).

C’est ainsi que ces deux collectifs proposent une véritable résistance culturelle dont l’enjeu, la « politique », dans les mots du GAC, tournerait autour du symbolique :

Cette lutte, c’est la lutte du symbolique, qui ne se propose pas seulement de nommer les oubliés et les victimes de la violence du pouvoir, mais encore : de restituer pour nous-mêmes et face aux autres, le pouvoir de construire une identité autonome face à ce qui apparaît comme inévitable, lutte qui rencontre la liberté dans ce processus vital qui émane des utopies.

GAC, 2007 : 214

Mémoire : entre culture et politique

Le pouvoir laisse derrière lui un arsenal symbolique, véritables lieux de mémoire qui proposent un certain regard, une certaine lecture de l’histoire. Ce n’est pas ou pas seulement le GAC qui nous en informe, mais Pierre Nora, historien Français dont l’ouvrage Les lieux de mémoire a créé un véritable microséisme dans les milieux intellectuels de langue française (Nora, 1984). Il n’y a effectivement rien de surprenant à ce que la thématique mémorielle occupe une place centrale en Argentine, où l’on a longtemps vécu au rythme des mensonges d’une dictature qui proposait d’écrire l’histoire sans trop se salir. Nous croyons cependant que l’importance de considérer la mémoire dans son rapport à l’histoire, donc dans sa fonction politique, répond à des transformations dans nos sociétés, et va au-delà du seul contexte argentin. On ne saurait trop, sinon, d’où vient l’intérêt, en France comme au Québec, pour des ouvrages comme celui de Nora ou plusieurs autres publiés par la suite et qui s’inscrivirent dans des problématiques semblables. C’est qu’à notre avis, la mémoire, l’effort de mémoire doit être saisi comme un effort de et par l’imagination qui confronte le présent réel, vécu, avec des formes possibles, des présents possibles. Entre la mémoire et l’histoire, dans le passage de l’une à l’autre : une dimension politique indéniable dont l’enjeu, il nous semble, se rapproche de ce que Jacques Rancière définit comme le partage du sensible :

J’appelle partage du sensible ce système d’évidences sensibles qui donne à voir en même temps l’existence d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives. Un partage du sensible fixe donc en même temps un commun partagé et des parts exclusives […]. Le partage du sensible fait voir qui peut avoir part au commun en fonction de ce qu’il fait, du temps et de l’espace dans lesquels cette activité s’exerce. Avoir telle ou telle « occupation » définit ainsi des compétences ou des incompétences au commun. Cela définit le fait d’être ou non visible dans un espace commun, doué d’une parole commune, etc.

Rancière, 2000 : 12

Ce qui est en jeu, dans et par l’effort de mémoire, c’est précisément ce partage du sensible, dont la mémoire cherche à redéfinir les termes : rendre visibles les sans-parts, les exclus, les innomés de l’histoire ; redéfinir la carte du sensible.

C’est en ce sens que l’effort de mémoire se rapproche de l’imagination, en tant que celle-ci « rend présent ce qui est absent ». La mémoire, quand elle scrute les marges de l’histoire, nous instruit des oublis, des absences de l’histoire ; elle permet un autre regard sur le passé, présentifie ces absences. Mais, comme le dit Leonor Arfuch, « ce “rendre présent ce qui est absent”, ne doit pas supposer un retour au passé pour le “ramener” comme un fantôme vivant […] mais plutôt comme une présence instructive pour l’avenir » (Arfuch, 2007 : 175).

Et voilà qui constitue précisément le fil conducteur entre les différentes pratiques et interventions des collectifs culturels sur lesquels nous nous sommes attardés : rendre présent ce qui est absent, ou pour le dire autrement : rendre visible ce qui est rendu invisible. Mais non seulement en portant notre regard sur les « oublis » et « oubliés » du passé : rendre visibles, aussi, ceux qui vivent en marge de politiques économiques « exclusives » et « excluantes » (Svampa, 2005). Ou encore, comme on l’a vu dans le cas de certaines interventions du collectif Etcétera : rendre visibles des produits de la culture qui évoluent en marge des principales institutions, des principaux événements culturels.

Médiation culturelle, culture médiatrice

Ce « rendre visible » est fortement imprégné de culturel. Mais doit-on rappeler que ce « partage du sensible » auquel nous faisions référence représente le véritable enjeu du politique (Rancière, 2000) ? Ainsi, il nous paraît tout à fait indiqué de parler, dans le cas des pratiques mises de l’avant par les collectifs culturels comme le GAC et Etcétera, de médiation culturelle. Mais en ce sens bien précis que c’est la culture qui est sollicitée en tant que médiatrice. Dans les cas relevés – et il faudrait recenser les nombreuses pratiques artistiques, au Québec comme en France, qui agissent dans le même sens –, la culture sert donc à « amortir » une situation de conflit, à déplacer une lutte économique, politique ou sociale dans le champ culturel.

Ainsi comprise, la notion de médiation culturelle nous épargne bien des chimères : on évite, d’un côté, l’éviction du politique décriée par Fontan, forte tendance, nous disait-il, dans la littérature autour de la médiation culturelle. Puis, cet « acteur neutre » auquel plusieurs tentent de s’accrocher perd ici de son attrait. On peut difficilement parler de l’intervention d’un médiateur neutre et impartial quand c’est précisément la culture qui interpelle et fait médiation…