Corps de l’article

Bible et histoire de l’exégèse

1. Michel Corbin, Résurrection et nativité. Lecture théologique de Jean 20, 1-31. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Théologies »), 2002, 356 p.

L’A. annonce dès la première ligne que ce livre se veut la suite directe de son précédent volume paru sous le titre La Trinité ou l’Excès de Dieu. Le sous-titre du livre annonce une lecture théologique, et l’introduction précise qu’il s’agit d’un ouvrage servant à nourrir la foi, à la rendre plus intelligente. Le lecteur a alors l’agréable surprise d’y trouver, au fil de sa lecture, une traduction originale de Jean 20, 1-31, accompagnée du texte grec, ainsi que d’une belle analyse littéraire qui met à profit les diverses approches modernes. Une place privilégiée est accordée à l’analyse du récit, chose que l’A. justifie en disant qu’une lecture théologique se fonde avant tout sur la structure littéraire avant l’analyse historico-critique et l’analyse structurale (sémiotique) (p. 67).

Les discussions de l’A. s’accompagnent d’un commentaire exégétique qui fait appel à la tradition de l’Église, tant patristique (Grégoire de Nysse et Origène sont particulièrement mis à profit), médiévale (Anselme et Bernard de Clairvaux sont omniprésents, ainsi que Thomas d’Aquin), que du xxe siècle, sur l’évangile johannique. Le respect que voue l’A. à Xavier-Léon Dufour est manifeste. Ses travaux sont évoqués autant dans le corps du texte que dans les notes.

Le projet de l’A. est de montrer que la résurrection de Jésus signifie la nativité du Fils de Dieu. En d’autres mots, Jésus, l’homme de Nazareth, est devenu au matin de Pâques ce qu’il était de toute éternité, c’est-à-dire « le Fils de Dieu dont le Nom passe tout Nom » (p. 11). Du même coup, il cherchera à montrer, contre certains, l’unité du chapitre 20 de l’évangile johannique. L’A. nous présente sa démarche de lecture comme un questionnement qui s’articule en trois points : l’articulation des trois points fondamentaux de la Foi chrétienne (je crois en un seul Dieu ; je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ ; je crois en l’Esprit Saint) ; le rapport entre la théologie et la lecture des saintes Écritures, où l’A. cherche à distinguer une lecture théologique d’une exégèse historico-critique ou structurale ; enfin, le lien entre la théologie et la prière conçue comme étant une « exposition et une remise de soi à Plus grand que soi » (p. 23).

Le texte qui est commenté par l’auteur est divisé en quatre grandes parties. La première commence au moment où Marie Madeleine voit le tombeau vide et court l’annoncer aux disciples, et se termine par la course du disciple bien-aimé et son arrivée au tombeau, lorsqu’il aperçoit et croit. L’A. conclut, à partir de là, à une association entre les thèmes du voir et du croire. La deuxième partie narre la rencontre entre Jésus et Marie Madeleine. Cette dernière devient la figuration de tout chercheur de Dieu, ainsi que de l’Épouse du Cantique des Cantiques sur le point d’être réunie à son Bien-aimé. L’apparition de Jésus aux disciples marque la troisième partie. Les disciples qui voient Jésus reçoivent l’Esprit. Il s’agit de faire la transition de l’événement d’une séparation dans le passé marqué par la Croix, à un avenir qui est celui de l’Église en laquelle se produit une réunification des humains avec Dieu. Finalement, la dernière partie, celle où Jésus apparaît à Thomas, signifie pour l’A. l’annonce de la continuité de la présence de Jésus parmi les siens.

Cet ouvrage ressortit beaucoup plus au genre de l’essai original qu’à celui de l’étude critique, sans que cela n’exclue, nous l’avons dit, que l’A. fasse manifestement preuve d’une érudition et d’une rigueur remarquables. Cela étant précisé, un lecteur qui s’attend à trouver dans ce livre une étude scientifique n’y trouvera pas son compte ; tel n’est pas l’objet de ce livre. Mais à celui qui veut y voir une enquête authentique, une prise de position sur l’événement résurrection, ainsi qu’un témoignage de foi, trouvera de quoi se satisfaire et s’édifier.

Signalons en terminant une petite coquille : p. 18, 12e ligne, il faut lire « au-delà de l’arbitraire ». Une mauvaise note doit malheureusement être donnée à l’index des noms propres qui est à toute fin pratique inutilisable. Quelques exemples, qui ne sont pas exhaustifs, suffiront à le démontrer : à l’article « Anselme », on renvoie à la p. 8, au lieu de la p. 9 ; à l’article « Boèce », on donne la p. 285, alors qu’il s’agit en fait de la p. 284 ; à l’article « Odes de Salomon », on renvoie à la p. 231 au lieu de la p. 227 ; à l’article « Photius », on renvoie à la p. 275, plutôt qu’à la p. 271, tandis qu’en cette p. 275, il est question de saint Basile, qui n’est pas signalé dans l’index. Ce méli-mélo est un petit irritant qui ne suffit pourtant pas à jeter une ombre sur l’entreprise de Corbin.

Serge Cazelais

2. Rainer Henke, Basilius und Ambrosius über das Sechstagewerk. Eine vergleichende Studie. Basel, Schwabe & Co. AG Verlag (coll. « Χρῆσις Chrêsis. Die Methode der Kirchenväter im Umgang mit der antiken Kultur, VII »), 2000, 500 p.

Dans une collection consacrée au bon usage de la culture classique par les Pères de l’Église, Rainer Henke présente une version augmentée de sa thèse de doctorat sur les Hexaméron de Basile et d’Ambroise. S’il s’agit bien, comme le titre l’indique, d’une étude comparative, l’A. cherche en fait à montrer comment Basile et, à sa suite, Ambroise ont utilisé la science gréco-romaine dans une perspective chrétienne. Ce sont les sciences de la nature et plus particulièrement la zoologie qui retiennent l’attention de ces deux Pères de l’Église, puisque les six jours dont il est ici question concernent évidemment les six jours de la Création décrits dans la Genèse (chap. 1, 1-26). Dans une introduction où l’A. explique que Basile, aussi bien qu’Ambroise, aurait rédigé les neuf homélies qui composent l’Hexaméron dans le cadre du Carême (p. 15-16), la question des sources de Basile (Origène, Philon, Hippolyte) est rapidement passée en revue pour laisser toute la place à l’évaluation de l’Hexaméron d’Ambroise. C’est d’ailleurs dans cette évaluation que s’exprime la thèse de l’A., qui consiste notamment à défendre l’indépendance et l’originalité d’Ambroise contre ceux qui s’emploient à rabaisser l’évêque de Milan au rang de simple imitateur (p. 30-32). L’A. ne nie pas qu’Ambroise ait pratiqué, dans la rédaction de son Hexaméron, une forme d’aemulatio, voire d’imitatio. Mais l’imitation ne s’est pas faite de manière servile, elle a au contraire procédé à des développements, des abrègements et des modifications du modèle (p. 34-35). Ambroise aurait ainsi assimilé son modèle au point d’en faire sa chose, c’est-à-dire un texte aux accents souvent plus rhétoriques et surtout plus adapté aux besoins de sa pratique pastorale (p. 35).

Au chapitre premier (« Die Nutzung der zoologischen Fachliteratur durch Basilius »), Rainer Henke cherche à montrer comment Basile, dans les Homélies 7, 8 et 9, a utilisé la littérature scientifique à sa disposition pour l’assujettir à sa prédication. Christian Gnilka, dont les travaux constituent la base théorique de Henke (p. 41), emprunte à certains Pères de l’Église la comparaison entre le travail des abeilles et l’utilisation chrétienne, la χρῆσις (chrêsis), de la culture grecque. Il s’agit, dans les deux cas, d’opérer un tri entre l’utile et l’inutile pour produire quelque chose de nouveau. Pour décrire les poissons, les oiseaux et les animaux terrestres mentionnés dans la Genèse (chapitre 1), Basile aura ainsi recours aux renseignements tirés des textes d’Aristote, Plutarque, Élien et Oppien, qu’il réorientera de manière théocentrique et intégrera à son interprétation de la Genèse (p. 47). Le comportement animal qui fournit souvent aux hommes, selon Plutarque et Élien, des modèles à imiter, permet à Basile de démontrer la providence divine, à l’oeuvre dans les moindres détails de la création. Il s’agit là, selon l’A., du point central de la conception chrétienne de la Nature : toute la création a été formée en parfaite conformité avec la providence du Créateur (p. 46). Les exemples tirés de l’Homélie 7, qui composent la deuxième partie du chapitre, en donnent d’ailleurs une minutieuse démonstration. Parmi les phénomènes décrits par les scientifiques de l’époque, Basile retient l’étonnante migration des poissons qui viennent de loin pour frayer dans la mer Noire (p. 62-63) et le comportement des oursins qui permet aux marins de prévoir les tempêtes (p. 65-66).

Le chapitre II (« Erweiterung des bas. Hexaëmeron durch Ambrosius »), le plus long de l’ouvrage, montre, de manière rigoureuse, comment Ambroise a souvent imposé au texte de Basile des développements (Erweiterungen) à des fins d’exhortation ou sur la base d’une interprétation allégorique et mystique. Une série de citations des textes de Basile et d’Ambroise, accompagnées d’une traduction, d’une annotation et d’une analyse comparative des plus fouillées, donne au chapitre sa structure. Prenons, par exemple, les passages des deux Hexaméron où il est question de la substance du ciel. Ambroise suit l’exposé de Basile jusqu’à la citation d’Is 40, 22 : « Il a tendu le ciel comme une voûte (καμάραν) », qui reste sans commentaire chez le Cappadocien mais trouve sous la plume du Milanais un développement édifiant par le rapprochement avec deux autres textes bibliques (Is 34, 4 et Lc 10, 20). Les mots du prophète Isaïe signifient ainsi, selon Ambroise, que Dieu a étendu le ciel comme le cuir d’une tente, pour qu’y habitent les saints, comme un livre, pour qu’y soient inscrits les noms des élus (p. 113-114). Ailleurs, sur le problème exégétique qui consiste à déterminer s’il faut distinguer le ciel du firmament, les deux Pères de l’Église s’accordent pour établir la distinction entre les deux termes et font du ciel (οὐρανός) l’élément visible du domaine céleste, suivant l’étymologie qui fait dériver οὐρανός du verbe ὀρᾶσθαι (voir). Mais, tandis que Basile se contente de citer l’expression biblique « les oiseaux du ciel » (Ps 8, 9 et Gn 1, 20b) pour confirmer son étymologie, Ambroise va plus loin et interprète la même expression « les oiseaux du ciel », à la lumière de Mt 6, 26 et 18, 10, pour y voir des puissances (potestates), des anges célestes (p. 134-148).

Pour s’approprier l’Hexaméron de Basile, Ambroise ne s’est pas limité à compléter certains passages de son modèle, il s’est aussi permis, ici et là, des abrègements notables. C’est l’objet du chapitre III (« Kürzung des bas. Hexaëmeron durch Ambrosius »). Les abrègements d’Ambroise s’expliquent essentiellement, d’après Henke, par le fait que le texte de Basile lui ait parfois semblé trop détaillé, trop compliqué ou encore trop abstrait (p. 233). L’A. attribue cette réserve de l’évêque milanais à une différence de mentalité entre Grecs et Romains, en vertu de laquelle la « pensée romaine » serait plutôt orientée vers la praxis et peu portée à la spéculation. En outre, il est clair, poursuit l’A., qu’au contraire de Basile, Ambroise se montre prudent, voire opposé aux hypothèses des sciences de la nature (Naturwissenschaft). Des nombreux exemples qui constituent le coeur du troisième chapitre, retenons les extraits qui concernent la substance du firmament (p. 261-262). D’un côté, Basile discute méthodiquement de la nature du firmament. S’agit-il d’un corps comparable à un corps tel que le définissent les mathématiciens ? Est-il fait d’une matière terrestre (glace, cristal, mica) ? Provient-il d’un élément ou d’un mélange d’éléments ? De l’autre, Ambroise met de côté ces questions trop abstraites et se contente plutôt de donner à la preuve de l’existence du firmament un solide fondement biblique.

Rainer Henke consacre le chapitre IV (« Wortspiele des Ambrosius und Nutzung antiker Scherzrede ») à l’emploi subtil du jeu de mots (Wortspiel) dans l’Hexaméron d’Ambroise. C’est, par le fait même, toute la question du rire et de la plaisanterie chez les Anciens qui est ici abordée. Bien que Basile et Ambroise s’entendent pour refuser à la plaisanterie une justification scripturaire (p. 306) — Jésus lui-même a dit : « Malheureux, vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil » (Lc 6, 25, version T.O.B.) —, il semble toutefois qu’il ait pu être convenable, aux yeux d’Ambroise, de pratiquer une forme de plaisanterie, apparentée au jeu de mots, dans la mesure où le procédé contribue à la suauitas sermonis (p. 307-309). C’est ici un jeu de mots sur le nom de Moïse qui signifierait « eau » en égyptien : « cum de aqua nomen acceperit, non putauit tamen dicendum, quod ex aqua constarent omnia, ut Thales dicit[1] » (p. 313-314), plus loin, l’emploi du néologisme thalassometra, pour faire pendant au terme connu geometra (p. 318) et ailleurs, finalement, un jeu de mots sur le sens du verbe congrego, qui le conduit à comparer la réunion des eaux à celle du peuple : « Congregetur aqua ! dictum est, et congregata est : et frequenter dicitur “populus congregetur !”, et non congregatur[2] » (p. 329-332).

Le cinquième et dernier chapitre (« Kritik an Basilius von Seiten des Ambrosius ») porte sur les cas relativement peu nombreux où Ambroise, dans ses rapports avec son modèle grec, dépasse le stade de la simple modification pour atteindre celui de la correction et de la critique. Il est vrai, souligne l’A., que les différences entre les deux exégètes de la Genèse ne présentent aucun caractère de gravité (p. 365). Néanmoins, Ambroise corrige bel et bien, quoique discrètement, son illustre prédécesseur sur certains points. Par exemple, Basile explique le fait que la Genèse puisse dire « Et Dieu vit que cela était bon » avant même que la création ne soit achevée, en usant d’une comparaison avec la capacité de l’artiste à prévoir le résultat final d’une oeuvre dont l’exécution n’est pas terminée. Ambroise croit, au contraire, que cette sorte de prescience n’appartient qu’à Dieu (p. 368). Plus loin, en matière de critique textuelle, l’évêque de Milan n’hésite pas, là non plus, à corriger Basile et à considérer l’ajout des LXX au texte hébraïque, en Gn 1, 9[3], — une faute de manuscrit selon Basile — comme tout à fait recevable (p. 373).

Au terme d’une étude comparative, exemplaire par son érudition, Rainer Henke réussit à rétablir la réputation d’Ambroise de Milan. Son Hexaméron n’imite pas servilement celui de Basile. Il porte sa « griffe personnelle », qui passe par un caractère plus ouvertement rhétorique et pastoral, et rend témoignage à une manière bien latine d’assimiler la science des Grecs.

Dominique Côté

3. André Paul, Et l’homme créa la Bible. D’Hérodote à Flavius Josèphe. Paris, Bayard Éditions, 2000, 458 p.

Cet ouvrage est la première partie d’une vaste entreprise de l’A. qui cherche à faire la lumière sur les origines de la Bible. Cette recension ne tient pas compte du deuxième volet, intitulé Et il y eut la Bible et la Torah. De Jésus à la Kabbale.

Le titre de l’oeuvre en révèle déjà beaucoup sur les motifs et les motivations de l’A. Et l’homme créa la Bible renvoie à l’acte créateur de Dieu. Par ce titre, l’A. annonce qu’il s’attarde dans son ouvrage à faire la genèse de la Bible, c’est-à-dire celle de l’homme qui écrit la Bible, celle de l’écriture qui a fait la Bible et celle de Dieu qui intervient dans la Bible. D’Hérodote à Flavius Josèphe marque les balises chronologiques du livre. L’A. a retenu Hérodote (ve siècle a.e.c.), premier historien et inventeur de l’écriture historique nationale, parce que c’est justement par l’écriture de son passé que le Juif inaugure l’écriture de la Bible. Au bout du spectre chronologique, Flavius Josèphe (ier siècle) est le témoin privilégié du passage d’un système où le Temple est au centre du judaïsme à un autre où cette place sera occupée par la Torah.

Cette genèse de la Bible, l’A. la développe en cinq principales parties. Dans un premier temps (« Des ruines de Juda à l’avènement d’Israël »), l’A. s’attarde à la genèse du peuple à l’origine de la Bible, à savoir le peuple juif, de la chute du royaume de Juda à la naissance et au développement de la « communauté de l’Exil ». Il se penche sur la genèse de l’écriture de la Bible, de la naissance de l’histoire nationale par les Grecs à celle de la littérature juive (« De l’invention de l’histoire à la promotion de Moïse »). La troisième partie (« Du livre de la Loi au pluriel des Écritures ») s’intéresse au développement de la littérature juive, à l’aide du livre de la Loi et de ses premiers exégètes. On touche ensuite à l’histoire de l’inspiration divine, des prophètes juifs et de leurs écrits (« Des héros visionnaires au “premier jour” de Dieu »), et enfin, la dernière section (« Du pluriel textuel à la Bible en cours d’achèvement ») aborde les aléas de la constitution finale de la Bible juive. L’ouvrage se termine par des annexes (une pour chaque partie), quelques cartes et un index. L’A. explique que, pour faciliter la lecture, les références complètes aux ouvrages utilisés et les compléments d’informations ont été reportés en annexe, ce qui a pour but d’alléger la lecture des chapitres, qui sont exempts de notes en bas de page.

Il est clair que l’A. voulait présenter de façon originale les origines plutôt complexes de la Bible. C’est donc pour cette raison qu’il a cherché à s’éloigner du modèle classique des très nombreuses introductions à la Bible. Son approche apparaît d’abord comme originale. Il n’aspire pas à présenter un à un les différents livres qui composent la Bible juive, mais cherche à faire ce qu’il appelle la « genèse » de l’ouvrage en question, genèse du peuple qui l’a écrit, genèse de son écriture et genèse de Dieu qui y intervient. Le résultat de cet effort, certes louable, est cependant assez décevant. Si sa recette est en effet différente, la plupart de ses ingrédients restent toutefois les mêmes que ceux des introductions conventionnelles de la Bible. Au bout du compte, nous nous retrouvons donc avec une oeuvre assez peu originale entre les mains. Il est plutôt difficile de refaire l’histoire, et ce livre ne fait que confirmer le vieil adage. Même si cet ouvrage laissera sur sa faim le lecteur déjà initié aux études bibliques, il n’en demeure pas moins un bon point de départ pour quiconque s’interroge pour une première fois sur les origines de la Bible. En terminant, nous tenons à mettre en garde le lecteur contre le point de vue résolument chrétien de l’auteur dans sa présentation des origines de la Bible juive.

Eric Crégheur

Judaïsme hellénistique

4. Albert-Marie Denis, Introduction à la littérature religieuse judéo-hellénistique.Pseudépigraphes de l’Ancien Testament. Tomes I et II. Avec le concours de Jean-Claude Haelewyck. Turnhout, Brepols Publishers, 2000, xxi-885 p. et p. 887-1420.

Cet ouvrage, dont la préparation a exigé plus de vingt années et la collaboration d’une douzaine des meilleurs spécialistes, présente en détail plus de trois cents oeuvres que l’on range généralement sous la catégorie de littérature intertestamentaire, ou encore de pseudépigraphes ou apocryphes de l’Ancien Testament, appellations qu’on a rejetées en raison de leur ambiguïté et pour divers motifs pratiques ou traditionnels exposés dans la préface. La désignation « hellénistique » s’applique à la période chronologique allant de 200 a.e.c. à 200 e.c. et le volume englobe l’ensemble de la littérature religieuse judéenne de cette période, à l’exception des écrits qui ont été admis dans le canon des écritures juives ou chrétiennes, de même que les textes découverts à Khirbet Qumrân ou dans les environs de la mer Morte, et les oeuvres de Philon d’Alexandrie et de Flavius Josèphe.

Le judaïsme hellénisé a produit au début de notre ère une littérature extrêmement riche et variée, dont les accents théologiques étaient notablement différents de ceux des orthodoxies juives et chrétiennes qui se sont progressivement installées par la suite. Le mérite de cet ouvrage est de donner accès de plain-pied à cette documentation et de procurer au lecteur à la fois une première introduction bien documentée et toutes les références utiles à une recherche plus poussée.

L’ensemble de la matière est réparti en trois sections consacrées successivement aux écrits parallèles aux « livres historiques » des Écritures juives (p. 1-574), aux livres « prophétiques » (p. 575-885), et finalement, aux « écrits » (p. 887-1304), suivant en cela le modèle des Écritures juives qui distinguent la Torah, les Prophètes et les Écrits. Des index biblique, des textes découverts à Qumrân et Massada, des oeuvres et auteurs antiques, et finalement des auteurs modernes complètent l’ouvrage.

Pour chacune des oeuvres considérées, on donne d’abord un résumé très complet additionné de nombreuses références, puis les témoignages indirects, citations et catalogues anciens ; viennent ensuite la présentation de toutes les versions anciennes de l’oeuvre et la liste complète de leurs manuscrits connus, puis celle de toutes les éditions (principes, base manuscrite), et finalement des éditions et traductions en langue moderne. En tout, on vise l’exhaustivité et il semble bien que cet objectif soit atteint. On regrettera cependant l’absence de sous-titres pour délimiter les différents aspects de la présentation de chaque oeuvre, qui rend la consultation plus difficile.

La préface, qui délimite le corpus retenu et en discute la désignation, laisse malheureusement à désirer quant à la forme et quant au fond. On regrettera inexactitudes, impropriétés et imprécisions, sans compter quelques fautes de syntaxe qui donnent l’impression d’une rédaction rapide. Ainsi, on veut délimiter rigoureusement l’utilisation des termes judéo-rabbinique ou judéo-helléniste (sic) et juif, mais on y désigne les Écritures juives comme la « Bible », affirmant, par exemple, que les écrits les plus anciens du corpus retenu sont contemporains des « derniers livres de la Bible » (p. xii). On ne réussit pas à se détacher d’un point de vue chrétien dont un ouvrage de ce genre aurait dû pouvoir être exempt. Au reste, le corpus se limite aux oeuvres dont l’étude intéresse « directement la naissance du christianisme » (p. xiv). De même, le concept de « monde biblique », qui revient à deux reprises, n’est pas défini et demeure totalement ambigu.

Malgré ces quelques réserves, qui visent essentiellement la préface, on ne peut que féliciter cette équipe de collaborateurs et le Rév. P. Denis d’avoir produit un ouvrage de référence essentiel, qui deviendra un instrument de travail indispensable pour quiconque s’intéresse aux littératures religieuses juives, chrétiennes ou autres de la période hellénistique.

Louis Painchaud

Histoire littéraire et doctrinale

5. Patricia Cox Miller, The Poetry of Thought in Late Antiquity. Essays in Imagination and Religion. Burlington, Ashgate Publishing Company, 2001, x-287 p.

Ceux qui étudient la question des rapports entre la culture classique de l’Antiquité tardive et le christianisme des premiers siècles connaissent bien les travaux de Patricia Cox Miller. Sa monographie, Biography in Late Antiquity : A Quest for the Holy Man, publiée en 1983, constitue, à notre avis, un des meilleurs ouvrages sur le sujet. L’ouvrage, dont nous faisons ici la recension, réunit des articles parus notamment dans les revues Dionysius, Church History, Vigiliae Christianae, Anglican Theological Review, Journal of Early Christian Studies et le Journal of the American Academy of Religion, entre 1980 et 1994, qui permettent de suivre le cheminement rigoureux de l’A. sur le thème des relations, parfois subtiles, entre l’imagination et la religion. Précisons tout de suite, pour faire écho au titre, que l’imagination dont il sera question dans ce recueil concerne, en fait, la dimension poétique, c’est-à-dire créatrice, du langage. Les images et les métaphores, que la poiesis de Jérôme ou d’Origène utilise, se déploient pour exprimer une conception de la nature, une représentation du corps ou un système théologique. Ce sont, du moins, les trois sujets, la nature, le corps et la théologie, que l’A. a retenus pour regrouper les articles qui composent cette publication.

Les quatre articles de la première partie, « Poetic Images and Nature », nous font voir comment Jérôme, Origène et les auteurs anonymes de l’Évangile de Philippe et du Physiologue ont cherché dans la nature des traces de la sagesse divine. La nature et plus particulièrement les animaux deviennent, à leurs yeux, les indicateurs d’un processus théologique et psychologique (p. 15), les métaphores de la complexité discordante de l’âme humaine (p. 17). Le premier chapitre, « “Adam Ate From the Animal Tree” : A Bestial Poetry of Soul », trouve son point de départ dans un curieux passage de l’Évangile de Philippe. Il y avait au Paradis, selon cet écrit, deux arbres. L’un portait, en guise de fruits, des animaux et l’autre, des hommes. Adam aurait mangé de l’arbre qui portait des animaux, il serait devenu un animal engendrant des animaux et c’est pourquoi sa descendance adorerait les animaux (p. 27). Pour rendre compte de cette singulière image, l’A. fait valoir le caractère serpentin des mots, c’est-à-dire leur ambivalence (p. 20). Elle estime ainsi, au terme d’une sinueuse démonstration, qui va de Valéry à Plotin, en passant par Origène et Carl Jung, que le péché d’Adam dans l’Évangile de Philippe aura été de rendre opaques les images animales, en les adorant, alors qu’il aurait dû voir à travers elles la vérité qui vient toujours en « types et en images » (p. 27). Origène et sa poétique de la nature constituent ensuite le sujet du deuxième chapitre (« Origen on the Bestial Soul : A Poetics of Nature »). La nature ou la ϕύσις exprime, selon Origène et les Stoïciens, quelque chose de divin (p. 38). Ce divin nous apparaît cependant, si l’on s’en tient à Origène, à travers les images et les paraboles de la nature que contiennent les Écritures, de telle sorte qu’à ses yeux le monde est un texte et le texte est un monde « full of parables, dark speech and riddles » (p. 39). Ainsi, quand le texte biblique parle des animaux, il faut savoir y lire des énigmes, des images de l’âme humaine (p. 41-43). La ménagerie qu’accueille notre âme en exprime et représente les dispositions, les profondeurs, dont la prise de conscience est nécessaire pour accéder à la connaissance du divin logos (p. 53). Le Physiologue, un écrit alexandrin du iie ou du ive siècle, fait l’objet du troisième chapitre, « The Physiologus : A Poiesis of Nature ». Chacun des quelque cinquante chapitres qui composent le Physiologue présente un animal biblique dont le comportement singulier est interprété allégoriquement à la lumière de la doctrine chrétienne (p. 62). L’A. retrouve ici la même conception de la nature que chez Origène : « the reality of nature as a poetic text » (p. 71). Le dernier chapitre de la première partie, « Jerome’s Centaur : A Hyper-icon of the Desert », se sert d’un détail tiré de la Vita Sancti Pauli, Primi Eremitae pour décrire la compréhension hiéronymienne du désert. Patricia Cox Miller se demande ce qu’un centaure ou un satyre vient faire dans une biographie de saint Paul, le premier ermite (p. 80). En fait, le centaure, qui indique à saint Antoine le chemin à suivre pour trouver l’ermite, fonctionne, dans le texte de Jérôme, comme une image de son attitude ambivalente à l’égard du désert, un lieu à la fois impropre à la vie humaine et propice à la réalisation d’une nouvelle humanité par l’ascèse (p. 89).

La deuxième partie, « Poetic Images and the Body », compte quatre chapitres qui abordent le thème de la « métaphorisation » du corps et de ses désirs dans l’Antiquité tardive. Chez Plotin, Origène, Jérôme et les gnostiques, le corps n’est pas que la prison de l’âme, il devient, lorsque correctement conçu en termes poétiques, un véritable langage qui exprime des vérités cosmologiques, anthropologiques et herméneutiques (p. 103). L’auteur de l’Écrit sans titre et Plotin, comme l’explique Patricia Cox Miller au chapitre cinq, « “Plenty Sleeps There” : The Myth of Eros and Psyche in Plotinus and Gnosticism », exploitent tous deux la figure d’Éros et l’image de l’union sexuelle pour rejeter la dichotomie Créateur/Création et défendre une vision des origines qui soit plus fluide. Au commencement était le désir ou, si l’on préfère, « the essence of making […] is loving » (p. 115). À partir de la même image, celle de l’union sexuelle, qui domine le Cantique des Cantiques, Origène cherche à approfondir sa compréhension des Écritures. L’A., dans ce chapitre intitulé « “Pleasure of the Text, Text of Pleasure” : Eros and Language in Origen’s Commentary on the Song of Songs », montre bien comment Origène conjugue, à travers la notion de logos, la dimension christologique du terme et les possibilités linguistiques qui s’y rattachent (p. 123). En effet, le désir de la fiancée envers le fiancé ne traduit pas seulement le désir du chrétien envers le Christ, le Verbe divin, mais aussi celui du lecteur envers le Texte. L’originalité de Patricia Cox Miller dans sa lecture du Commentaire d’Origène passe ici, soulignons-le, par l’habile dialogue qu’elle établit entre les idées d’Origène et celles de Roland Barthes. Les deux chapitres qui suivent et concluent la deuxième partie portent sur la perception du corps dans l’ascèse monastique. Le chapitre sept, « The Blazing Body : Ascetic Desire in Jerome’s Letter to Eustochium », analyse la lettre qu’écrivit Jérôme, probablement en l’an 384 (p. 136), à Eustochium, jeune Romaine déjà vouée à la virginité perpétuelle. De manière paradoxale, c’est ce que fait valoir l’A., Jérôme met en garde sa jeune disciple contre le danger que présentent les désirs du corps, en usant de métaphores des plus sensuelles (p. 137). De même, c’est avec les images sensuelles et érotiques du Cantique des Cantiques que Jérôme décrit le désir d’union spirituelle qui devrait animer l’ascèse d’Eustochium (p. 140). Le paradoxe qu’étudie le chapitre huit, « Desert Asceticism and “The Body from Nowhere” », est tout autre. L’A. tente de comprendre pourquoi les corps émaciés et mutilés des ascètes du désert ont pu être perçus par Palladius et Théodoret, comme des corps angéliques, célestes, voire ressuscités (p. 159). La performance d’un Syméon le Stylite, par exemple, offrait au regard des curieux l’image d’un corps de plénitude, c’est-à-dire d’un corps libre des contraintes du temps et de l’espace. Ou plutôt il donnait à voir ce qui manquait au corps pour être un corps divin (p. 161).

La troisième et dernière partie du recueil, « Poetic Images and Theology », traite de la dimension poétique du discours théologique. Les trois premiers articles, consacrés à Origène — encore une fois ! — abordent le problème que pose à la philosophie et à la théologie le désir de saisir, par le langage, ce qui est par nature insaisissable, le divin. Pour décrire le voyage de l’âme à travers le visible jusqu’à l’invisible, Origène adopte la voie de la métaphore. L’âme doit traverser les différentes « demeures » qui forment le domaine du Père et dont le Fils est le fondement (κτίσμα) (p. 192). C’est le sujet du chapitre neuf, « “In My Father’s House Are Many Dwelling Places” : κτίσμα in Origen’s De Principiis ». Au chapitre dix, « Origen and the Witch of Endor : Toward an Iconoclastic Typology », l’A. démontre brillamment comment l’interprétation allégorique d’Origène ne se fait pas au détriment de la lettre du texte biblique. Au contraire, la lecture origénienne s’attache à la lettre, convaincue que chaque mot recèle l’esprit du texte. D’après Patricia Cox Miller, l’allégorie que pratique Origène est une exploration de la plénitude du texte ou, pour parler en termes plus modernes, de la polysémie du texte (p. 204). La lettre du texte repose sur une structure qui peut s’exprimer, comme dans l’épisode de la nécromancienne d’En-Dor (1 S 28), sous la forme d’une typologie. Samuel en Hadès devient ainsi un type du Christ descendu aux Enfers (p. 205). Le chapitre suivant, « Poetic Words, Abysmal Words : Reflections on Origen’s Hermeneutics », compare l’herméneutique origénienne au procédé littéraire de la « mise en abyme » (p. 216). Lorsque Origène établit une comparaison entre les mots du texte biblique et les semences, dont la nature est de se multiplier, dans la mesure où elles trouvent une terre fertile (p. 212), on peut supposer, avec l’A., qu’il conçoit les mots comme des entités vivantes, capables d’une certaine multiplication sémantique. La profondeur du texte, ses allures de mise en abyme, appellent en quelque sorte une lecture allégorique, si l’on voit à tout le moins dans l’allégorie la perspective exégétique qui affirme la possibilité d’une altérité, d’une polysémie, inhérente au texte (p. 217). On retrouve dans les textes magiques et dans certains traités gnostiques la même recherche d’une forme de langage, d’une poétique, capable d’exprimer l’indicible. Le chapitre douze, « In praise of Nonsense : A Piety of the Alphabet in Ancient Magic » examine justement une des solutions apportées au problème du langage dans ses rapports avec le divin : la déconstruction du langage. Le son du divin dans le langage fait essentiellement résonner les voyelles de l’alphabet. Voilà pourquoi les prières et les incantations, que rapportent certains textes gnostiques et magiques, associent, dans leur déconstruction du langage, le nom divin ou le divin tout court à l’énonciation des voyelles (p. 223). Cette piété de l’alphabet et, plus particulièrement, des voyelles correspond dans l’Antiquité à deux façons de penser (p. 227). La première relie le langage à l’incantation (« charm and spell ») et la seconde identifie les lettres de l’alphabet aux éléments (στοιχεῖα) de l’univers. Le dernier chapitre du recueil, « “Words With an Alien Voice” : Gnostics, Scripture and Canon », fait ressortir, en prenant appui sur les travaux d’Edmond Jabès et de Jacques Derrida, certains aspects de l’herméneutique gnostique dans le Traité tripartite et l’Évangile de vérité. Suivant l’A., Jabès et l’auteur du Traité tripartite constatent tous deux une contradiction inhérente à la nature du langage. Par son caractère insondable (« unfathomable »), le langage a quelque chose d’aliénant ; par son caractère polyvalent, le langage a quelque chose de libérateur (p. 248). Le langage est incapable de dire l’insondable, il ne peut qu’en chercher les traces, c’est-à-dire les mots qui donnent, comme l’exprime Jabès, une forme à l’absence (p. 249). L’herméneutique gnostique que l’A. tente de dégager d’un autre texte gnostique, l’Évangile de vérité, se fonde précisément sur l’idée que le langage et le texte, plus spécialement, constituent une recherche (p. 252). L’Évangile de vérité, d’après Patricia Cox Miller, laisse entendre que le texte digne d’être appelé évangile doit participer à la dynamique du « searching and finding » (p. 252). On peut comprendre qu’une telle conception du texte se soit heurtée, au iie siècle, à la notion irénéenne des Écritures en tant que canon, au sens autoritaire du terme (p. 264).

À la lecture des 13 articles du recueil, on ne peut qu’approuver l’A., lorsqu’elle dit, dès l’introduction, que sa contribution à l’étude de la religion dans l’Antiquité tardive consiste à initier un dialogue à travers les siècles entre les théoriciens post-modernes et les auteurs de l’Antiquité tardive (p. 6). C’est en cela, effectivement, que le travail de Patricia Cox Miller fait preuve d’originalité et ce dialogue est mené avec brio et finesse, donnant d’Origène, par exemple, une lecture des plus éclairantes.

Dominique Côté

6. Attila Jakab, Ecclesia alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (iie et iiie siècles). Berne, Peter Lang (coll. « Christianismes anciens », 1), 2001, xv-368 p.

Version révisée et allégée d’une thèse de doctorat soutenue à Strasbourg en 1998 et publiée ailleurs[4], cet ouvrage inaugure une collection se proposant de présenter « toutes les formes et sensibilités d’une religion souvent perçue comme monolithique […] (et) se garde de tout jugement doctrinal », orientation que respecte bien l’A. S’attaquant à un sujet pour lequel les sources n’abondent pas, l’ouvrage est divisé en 11 chapitres. Le premier présente successivement la ville d’Alexandrie, son histoire, sa topographie, son évolution démographique, et sa communauté juive. Le second, intitulé « L’émergence d’une communauté chrétienne », discute les origines des chrétiens d’Alexandrie, la légende de saint Marc et le caractère orthodoxe ou hétérodoxe de ce premier christianisme, à partir de témoignages contenus dans le Nouveau Testament (la figure d’Apollos), la Lettre de Claude aux Alexandrins et la Prédication de Pierre. Le chapitre trois, « Une communauté plurielle », distingue pour le iie siècle, un courant « gnostique » à partir des figures des maîtres, Basilide, Carpocrate, Valentin, Isidore et Épiphane, et de certains textes de Nag Hammadi, et un courant « non gnostique » à partir d’autres textes de Nag Hammadi (L’Authentikos Logos, Les Sentences de Sextus) et des Actes de Jean. Le chapitre trois, consacré à l’« école d’Alexandrie », propose une synthèse de l’histoire de cette notion et des discussions récentes qu’elle a provoquées. Les trois chapitres suivants présentent successivement Pantène, Clément et Origène, dont le portrait et le milieu sont esquissés à partir des sources indirectes et, pour les deux derniers, de leur oeuvre propre. Au-delà de ces figures elles-mêmes, c’est un état du, ou plutôt des christianismes alexandrins, qu’essaie de proposer l’A. Le chapitre 8 montre comment, de Clément à Origène, on assiste à une institutionnalisation progressive du christianisme qui passe alors, sociologiquement parlant, de communauté (secte) à église. Le chapitre 9 est consacré à l’Église d’Alexandrie, c’est-à-dire à ce stade de l’histoire de la chrétienté alexandrine où celle-ci se dote de structures institutionnelles et devient, toujours sociologiquement parlant, une « église ». Les deux derniers chapitres sont consacrés à la vie quotidienne et à la vie ecclésiastique des chrétiens. Ces deux chapitres, surtout le premier, concernent principalement la vie des chrétiens appartenant aux classes sociales supérieures, mieux documentée dans les sources, en particulier à partir de l’oeuvre de Clément.

Il faut créditer cet ouvrage de ne pas porter de jugement doctrinal sur les différents christianismes qui se sont côtoyés et affrontés dans la grande métropole au cours de la période visée, et de mettre en oeuvre aussi bien les sources apocryphes et hétérodoxes que les sources « canoniques ». Une bibliographie complète utilement le volume.

On reprochera à cet ouvrage, outre de trop nombreuses coquilles, une certaine faiblesse de langue qui se traduit par nombre de fautes de syntaxe, et parfois des impropriétés regrettables, par exemple à propos de l’enseignement de Pantène, qui aurait été plutôt oral que « scripturaire ».

Louis Painchaud

7. Christian Nadeau, Le vocabulaire de saint Augustin. Paris, Ellipses (coll. « Vocabulaire de… »), 2001, 63 p.

La collection intitulée « Vocabulaire de… » se consacre à l’examen des principaux termes utilisés par différents philosophes occidentaux, d’Aristote à Suarez, en passant par Heidegger et Marx. La difficulté d’étudier le vocabulaire de n’importe quel philosophe dans un si petit volume devient énorme lorsqu’il s’agit d’Augustin, qui a si profondément influencé la pensée occidentale. Les 37 termes retenus, parmi lesquels on retrouve âme, amour, autorité, béatitude, beau, bien, sont traités d’une façon plus philosophique que théologique. Cela s’explique en partie par l’intérêt de l’A., dont les principaux champs de recherche sont la philosophie politique et l’augustinisme de la Renaissance.

Ce livre présente de façon pertinente quelques termes utilisés par Augustin et fournira des éléments de réflexion à quiconque s’intéresse aux rapprochements entre philosophie et théologie. Avec cet ouvrage, l’A. cible principalement les étudiants débutants ou ceux qui ont une certaine connaissance d’Augustin. Toutefois, il soutient également qu’un tel lexique intéressera les spécialistes de l’antiquité tardive, dans la mesure où il peut leur procurer un guide pour circuler dans l’oeuvre du théologien. La mise en page de la collection rend bien compte des trois publics visés : le premier paragraphe est destiné aux débutants, le second aux étudiants plus avancés, tandis que le dernier se présente comme « une approche plus libre, permettant une interprétation plus large, comme par exemple la résonance de la notion au sein du système » (quatrième de couverture). Ce troisième niveau permet, en effet, une meilleure compréhension des termes dans le contexte des oeuvres d’Augustin.

Soulignons que, par une malencontreuse erreur de reliure, la table des matières s’arrête brusquement au terme « philosophie ».

Jennifer Wees

8. Bernard Pouderon et Yves-Marie Duval, dir., L’historiographie de l’Église des premiers siècles. Paris, Beauchesne Éditeur (coll. « Théologie historique », 114), 2001, xvi-586 p.

Du 11 au 13 septembre 2000, Bernard Pouderon, de l’Université de Tours, Yves-Marie Duval et Michel Quesnel, de l’Institut catholique de Paris, ont dirigé les travaux du IIe colloque international d’Études Patristiques. L’ouvrage, dont nous faisons ici le compte rendu, rassemble les actes de ce colloque. Comme le note Michel Quesnel, dans la préface, les diverses études du recueil (36 au total) trouvent leur unité autour d’une discipline, « à savoir l’historiographie ; une époque, les débuts du premier millénaire ; un milieu, le monde chrétien antique, toutes origines et toutes tendances mêlées » (p. xiv).

La première partie regroupe des études sur la « mémoire des origines et l’historiographie ». De Luc à Eusèbe, les auteurs chrétiens des premiers siècles ont ordonné la mémoire des origines selon les catégories de l’historiographie grecque contemporaine. Voilà l’idée maîtresse que développent les textes de cette section. Les contributions de M. Quesnel et S.C. Mimouni se signalent par l’intérêt qu’elles portent à l’oeuvre de Luc. Dans son étude intitulée « Luc, historien de Jésus et de Paul », M. Quesnel fait valoir qu’il est juste, dans un sens, de dire que Luc a été le « premier historien chrétien » (p. 57), puisque son écriture a manifestement suivi le modèle de certains historiens grecs. C’est le cas pour les parallélismes qu’il établit entre les figures de Jésus et du Baptiste, entre celles de Jésus et de Paul, entre celles également de Pierre et de Paul, à la manière des Vies parallèles de Plutarque (p. 59). S.C. Mimouni (« Les représentations historiographiques du christianisme au Ier siècle »), pour sa part, bien qu’il défende la valeur historique des Actes des Apôtres, ne considère toutefois pas Luc comme un historien « au sens moderne du terme, mais plutôt un historiographe, voire un mémorialiste » (p. 85). Le caractère historien de Luc devrait se comprendre, propose-t-il, à la lumière du traité Comment il faut écrire l’histoire de Lucien de Samosate, rédigé entre 166 et 168 (p. 85 à 88). François Paschoud, de manière plus générale, aborde avec humour et originalité la question délicate de la fiction en historiographie, alors qu’Enrico Norelli, « La mémoire des origines chrétiennes : Papias et Hégésippe chez Eusèbe », Gilles Dorival, « L’argument de la réussite historique du christianisme », et François Blanchetière, « De l’importance de l’an 135 dans l’évolution respective de la synagogue et du christianisme », complètent cette partie du recueil.

La deuxième partie, avec des textes d’Éric Junod, Hervé Inglebert, Charles Kannengiesser, Günther Christian Hansen, Marie-Anne Vannier et Patrick Laurence, s’intéresse au fait que l’historiographie chrétienne, par l’attention qu’elle accorde aux phénomènes de l’hérésie et du monachisme, s’est trouvée à pratiquer une « histoire militante ». Hervé Inglebert, par exemple, estime que l’hérésiologie, bien que redevable dans sa structure à la « doxographie philosophique grecque », constitue une « manière historienne d’écrire l’histoire chrétienne » (p. 111). Cette histoire militante, par l’utilisation du « critère hérésiologique comme moyen de définir une histoire universelle » (p. 124), serait, selon lui, la « première histoire chrétienne » (p. 123). Patrick Laurence, dans l’étude qu’il consacre à la Vie de sainte Mélanie, montre bien comment l’historiographie chrétienne, qui devient ici hagiographie, dépasse ses modèles grecs (roman et biographie) pour mieux subordonner les faits à une finalité, celle de la foi chrétienne (p. 171).

La troisième partie du recueil présente l’oeuvre d’Eusèbe de Césarée et de ses continuateurs. D. Gonnet, « L’acte de citer dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe » et D. Mendels, « The Sources of the Ecclesiastical History of Eusebius : The Case of Josephus », insistent sur l’originalité de l’entreprise d’Eusèbe. À la différence d’un Suétone ou d’un Polybe, Eusèbe ne se contente pas de produire un récit des événements, il innove résolument par l’utilisation systématique de documents (p. 181) qu’il recopie directement pour constituer la trame de son histoire. Selon D. Gonnet, Eusèbe inaugure, jusqu’à un certain point, « une manière contemporaine de pratiquer l’histoire » (p. 181). D. Mendels abonde dans le même sens et ajoute que la « technique » d’écriture d’Eusèbe s’apparente à celle d’un journaliste moderne (p. 195). L’historien de Césarée ne compose pas, en effet, sa séquence d’événements, comme l’ont fait Thucydide ou même Flavius Josèphe, en suivant uniquement un ordre chronologique. Eusèbe pratique une histoire « compartimentée », c’est-à-dire, qui s’attache à certains thèmes : les martyrs, les Juifs, les hérésies, qui constituent autant de « media channels », selon l’expression de D. Mendels (p. 196-197). L’Histoire ecclésiastique aurait été écrite pour faire la promotion du christianisme, à la manière d’un « efficient medium », ce qui fait dire à Mendels qu’Eusèbe pratique une « media historiography » (p. 195). L’article de Françoise Thélamon analyse les grands thèmes de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe et le travail tout en continuité de son traducteur, Rufin d’Aquilée. Pier Franco Beatrice décrit ensuite l’itinéraire de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe en Occident : sa réception par Jérôme et Rufin, son utilisation par Augustin et son intégration à l’Histoire tripartite de Cassiodore. Georges Tugene conclut cette section sur Eusèbe et ses continuateurs en attirant notre attention sur l’intéressante confusion qui existe dans l’Historia ecclesiastica gentis Anglorum de Bède le Vénérable, entre l’histoire nationale, celle des Angles, et l’histoire ecclésiastique, celle des martyrs et des évêques.

Les contributions de la quatrième partie portent sur les historiens ecclésiastiques grecs du ve siècle. Michel Fédou prend l’exemple de la controverse origéniste du ive siècle pour montrer comment l’historien Socrate, dans son jugement sévère sur Théophile d’Alexandrie et son parti pris pour la position origéniste (p. 274 et 277), interprète parfois les faits à la manière d’un théologien. Un théologien, note Fédou, dont la conception de l’histoire ecclésiastique se fonde sur un pessimisme radical : l’histoire de l’Église trouve sa matière dans cela même qui est source de division et violence (p. 276-277). Pierre Maraval éclaire d’ailleurs cette conception de l’histoire ecclésiastique d’un autre jour, avec un article qui met en évidence l’importance de la culture grecque chez Socrate. Selon cet auteur, Socrate n’aurait pas mérité le titre de scholasticos parce qu’il avait été juriste, mais parce qu’il était issu des écoles et qu’il avait pris part à la paideia (p. 281-282). Maraval relève ainsi dans l’oeuvre de Socrate de nombreux signes d’une « appréciation positive » de la culture grecque (p. 282). Non seulement est-elle utile à l’argumentation contre les païens, mais la paideia sert aussi, chez Socrate, de critère pour juger la valeur d’un chrétien et de sa doctrine. Nestorius et Aèce se voient, par exemple, stigmatisés pour leur absence de culture ou leur culture mal assimilée (p. 282-283). Un seul texte dans cette section concerne l’Histoire ecclésiastique de Sozomène, celui de Guy Sabbah. L’auteur, par ailleurs éditeur des livres XXIX-XXXI d’Ammien Marcellin dans la Collection des Universités de France, souligne l’originalité de Sozomène dans son traitement de la politique religieuse des Valentiniens (p. 293). La thèse que défend Sozomène, au livre VI de son Histoire ecclésiastique, repose, suivant Sabbah, sur l’opposition entre la politique religieuse de Valentinien en Occident, et celle de son frère Valens en Orient (p. 295). Les trois contributions suivantes sont consacrées à Théodoret, évêque de Cyr. Jean Bouffartigue, dans le cadre d’un projet qui vise essentiellement à offrir au public une traduction française de l’Histoire ecclésiastique, pose le problème du texte de Théodoret et des documents qu’il y cite. Jean-Noël Guinot évalue la place de l’histoire dans l’oeuvre exégétique de Théodoret, par exemple dans son Commentaire sur Daniel et Annick Martin analyse la version que nous donne l’évêque de Cyr des origines de l’arianisme. Les études de Martin Wallraff et Luce Pieri examinent respectivement le traitement accordé par les historiens ecclésiastiques à des événements comme le conflit de Jean Chrysostome avec la cour et les travaux entrepris sur le Golgotha par Constantin et sa mère Hélène.

La cinquième partie porte sur le genre particulier de la chronique, tel que l’ont pratiqué des auteurs latins de la fin du ive siècle, par exemple Jérôme et Sulpice, et d’autres plus tardifs du vie siècle, comme Marcellin. Yves-Marie Duval et Benoit Jeanjean passent en revue l’oeuvre de Jérôme pour bien établir le rôle qu’y joue l’histoire ecclésiastique. On sait que Jérôme a bel et bien eu l’intention d’écrire une histoire de l’Église, qui aurait notamment insisté sur la décadence de l’institution depuis la fin des persécutions (p. 381), mais qu’il s’est contenté, pour ainsi dire, de traduire la Chronique d’Eusèbe de Césarée et de composer sa propre Chronique des « événements marquants pour les années 326 à 378 » (p. 409). Il faut dire que B. Jeanjean se penche plus précisément sur la « mutation de la matière historique » à travers l’oeuvre hiéronymienne, alors que Yves-Marie Duval aborde la question de manière plus générale. Un texte, aux accents presque polémiques, de Stéphane Ratti sur les sources de la Chronique pour les années 357 à 364 complète l’étude du genre de la chronique chez Jérôme, du moins dans le cadre limité du recueil. Dominique Bertrand nous propose ensuite une contribution des plus intéressantes sur l’originalité de Sulpice Sévère et de sa Chronique. Il y a en effet, remarque D. Bertrand, une originalité certaine à rédiger une chronique aussi peu eusébienne par sa minceur et son refus de l’interprétation allégorique des événements « selon les théophanies du Verbe préparant l’Incarnation » (p. 458). L’orientation que Sulpice donne à sa Chronique, où les références au Christ se limitent au strict minimum, est on ne peut plus « humanisante, moralisante et psychologisante », à la manière d’un Salluste, le modèle littéraire de Sulpice (p. 466). Le texte de Bertrand Lançon, « La contribution à l’histoire de l’Église de la Chronique de Marcellin d’Illyricum » clôt cette section intitulée Chronique et Histoire.

Les auteurs de la sixième partie du recueil — nettement plus brève que les précédentes — retracent les emplois parfois subtils de l’historiographie chez des auteurs qui ne manifestent, à prime abord, qu’une préoccupation secondaire de l’Histoire. Marie-Ange Calvet-Sébasti démontre habilement comment Grégoire de Nazianze, en écrivant sa propre histoire, procure tout de même des « documents de valeur » aux historiens (p. 496). Emmanuel Soler, pour sa part, nous montre un Jean Chrysostome qui émaille ses homélies de références à l’histoire de l’Église d’Antioche au ive siècle pour mieux établir l’autorité et la légitimité de l’Église chrétienne sur Antioche « face à ses ennemis de l’extérieur : les Grecs et les Juifs » (p. 509). Alain Le Boulluec, finalement, fait voir avec quel doigté l’empereur Justinien sait jouer de l’historiographie (recours aux archives, critique de l’authenticité) pour fonder ses conceptions théologiques et juridiques (p. 529).

La dernière section de l’ouvrage, qui ne fait que 26 pages, porte sur les traditions historiographiques de l’Église éthiopienne. Il n’y a évidemment pas dans la littérature éthiopienne l’équivalent d’un Eusèbe de Césarée qui permettrait à l’historien de saisir directement la conception que l’Église d’Éthiopie avait de ses origines. C’est pourquoi Jacques-Noël Pérès cherche dans la liturgie, « par essence conservatrice » (p. 531), les traces d’une activité historienne, d’une « réécriture de l’histoire » (p. 538). C’est pourquoi aussi, Gianfrancesco Lusini, « L’Église axoumite et ses traditions historiographiques », ne peut qu’émettre l’hypothèse que les auteurs de la littérature éthiopienne du Moyen Âge disposaient de sources plus anciennes (ive-viie), et se contente d’un maigre butin composé, par exemple, d’un fragment de texte ajouté à un manuscrit du xviiie siècle (p. 556-557).

Soulignons, en conclusion, la qualité d’ensemble de l’ouvrage qui tient non seulement à l’intérêt que peuvent susciter les diverses études qu’il réunit mais aussi à la direction compétente qu’assurent ici Bernard Pouderon et Yves-Marie Duval.

Dominique Côté

Gnose et manichéisme

9. Jan N. Bremmer, ed., The Apocryphal Acts of Thomas. Leuven, Peeters Publishers (coll. “Studies on Early Christian Apocrypha”, 6), 2001, xii-189 p.

This volume is the sixth and last in a series of books presenting articles on the various Apocryphal Acts, and arose out of a conference on the Acts of Thomas held at the Rijkuniversiteit Groningen in 1998. It contains 10 articles dealing with various aspects of this work, as well as a concluding article by the editor, J. Bremmer, addressing the datation and readership of all five of the Apocryphal Acts, and touching on their possible links with the Greek novels.

Of particular interest is the essay by Philip Sellew, “Thomas Christianity : Scholars in Quest of a Community” (p. 11-35). Sellew examines and critiques the various hypotheses put forth in favour of a distinct group of “Thomas Christians”, especially those of G.J. Riley (Resurrection Reconsidered : Thomas and John in Controversy, Minneapolis, Fortress, 1995) and S. Patterson (The Gospel of Thomas and Jesus, Sonoma, Polebridge Press, 1993). Sellew considers that the general tendency to imagine that there is a community responsible for every distinct strain of the early Christian literary tradition is quite possibly mistaken : “we sometimes jump from the rather well-attested communal concerns visible to us in letters like First Corinthians to the assumption that similar issues must be in view in the gospels and acts” (p. 24). Instead, “a more promising task would be to construct a probable readership […]” (p. 32, italics Sellew) of such texts, and specifically in this case the Acts of Thomas and other “Thomasite” literature. As well, he emphasizes the fact that texts are, after all, literary documents produced by individuals, and urges that more attention be paid to both these aspects : “Rather than reduce the achievement of the artist behind this masterly romance [the Acts of Thomas] […] to the archival level of community records, we should be grateful for his inspiration and applaud his creative genius”. His case, it seems to me, is both well-argued and necessary.

Janos Bolyki’s paper on “Human Nature and Character as Moving Factors of Plot in the Acts of Thomas” is also quite interesting. He argues that “the plot of ATh is motivated by human nature and human character as influenced by the Platonic Christians of the period” (p. 91). While the individual characters of the work introduce dramatic and novelistic elements in the work, its primary function is to provide an allegorical presentation of the necessity to overcome nature and the material world — a Christian Platonist Pilgrim’s Progress, if you like. It is a pity that the paper is so short, as the idea is not adequately developed. Nonetheless, it is quite suggestive, and worthy of a longer, more elaborated article.

Also interesting is Lourens P. van den Bosch’s article, “India and the Apostolate of St. Thomas”. He argues that the Acts of Thomas themselves show that their author had at best “a vague general knowledge of India and its former kings” (p. 136). But “by claiming India as the missionary field for Thomas, he [the author] implicitly made his [Syrian or Parthian] readers responsible for a successful follow up of the missions in the region” (p. 143). Thus the Acts of Thomas stand at the beginning of a Parthian missionary movement into India, one which would eventually displace the Egyptian-derived churches associated with the apostle Bartholomew.

Finally, it should be noted that the bibliography, while limited to more recent literature, is quite useful as a point of departure for the reader who is interested in learning more about the Acts of Thomas or the Apocryphal Acts in general.

But unfortunately, the volume as a whole is not as impressive as one might wish. It is true that the subjects of the articles address some of the most important issues for the understanding of the Acts of Thomas (Thomas Christianity, India, the role of women, the hymn of the Pearl, the motifs of slavery and twinship, the figure of the serpent, the “demon lover” motif), but this comprehensiveness is not borne out in the book’s contents. One could say that overall, the volume gives the impression of being well organized thematically, but lacking in execution. A number of the articles are perfunctory or inconclusive, while several more are simply extremely unconvincing, drawing conclusions from very slim evidence. All the articles are in English : the quality of the language is in general quite high, but it is not perfect, and some articles are in fact difficult to read because of this.

To sum up, this book will be useful to those interested in the current state of research on the Acts of Thomas, but it cannot be unreservedly recommended.

Michael Kaler

Éditions et traductions

10. Bernard de Clairvaux, Le précepte et la dispense et La conversion. Texte latin des Sancti Bernardi Opera (SBO) par Jean Leclercq, Henri Rochais et Charles H. Talbot. Introduction, traduction et notes par Françoise Callerot, Jürgen Miethke et Christiane Jaquinod. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 457), 2000, 466 p.

La publication des oeuvres de Bernard de Clairvaux dans la collection « Sources Chrétiennes » avance à bon train ; il s’agit ici du 9e volume paru dans une série qui en comptera 32. Notons qu’au catalogue, il porte le numéro XXI.

La notice donnée ci-haut ne rend pas entièrement justice à l’ensemble des contributeurs. En plus de ceux dont les noms apparaissent, nous croyons qu’il est important de souligner l’apport des personnes suivantes : Colette Friedlander, Anne Courbon-Kösters, Jean Figuet, Marie-Imelda Huile, Agnès Lemaire, Gaetano Raciti, Joël Regnard, Aimé Solignac et Maur Standaert, qui tous ont contribué aux notes, ou encore à des parties de l’introduction et du commentaire. Chacune de leurs interventions, ainsi qu’il est clairement expliqué dans l’avant-propos, est signalée par une initiale ou des astérisques. Le texte latin des SBO est reproduit sans apparat. Seules les variantes les plus importantes, selon l’avis de l’équipe de production, sont signalées dans les notes. Une liste des corrections apportées au texte dans cette édition est donnée à la page 137.

Nous n’avons que des bons mots concernant la langue des deux introductions, ainsi que des notes. Tout a été mis en oeuvre afin que le lecteur néophyte puisse profiter de ce livre, et ainsi entrer directement dans l’oeuvre de Bernard. On y trouve un bon état de la question sur la composition, les sources et la postérité de ces traités, ainsi que des discussions sur le contexte historique du xiie siècle, et ses nombreux acteurs, par exemple, Abélard et Yves de Chartres. On évoque aussi d’autres oeuvres littéraires d’importance qui ont circulé, et qui ont pu jouer sur la formation des esprits du xiie siècle.

Le premier traité présenté ici est le De praecepto et dispensatione. Il est daté par les éditeurs des années 1140-1141. Il fut rédigé par Bernard à la demande de deux moines qui s’interrogeaient sur certains points de la Règle de saint Benoît, au sujet de l’observance monastique, l’obéissance, l’ordre et l’autorité. Ces deux moines ayant agi à l’insu de leur abbé, Bernard, soucieux de garder l’ordre, et à notre avis, afin de donner encore plus de poids et de crédibilité à sa réponse, adresse son traité à l’abbé de Coulombs, lui demandant, dans une lettre incluse dans le corps du texte, de le remettre en main propre à l’abbé bénédictin des deux destinataires à Chartres. Ce traité eut une grande fortune tout au long du Moyen Âge, surtout chez les bénédictins qui l’ont souvent utilisé comme un véritable commentaire de la Règle.

Il s’agit pour Bernard de montrer que le droit tient son fondement et sa force d’obligation de normes objectives de vérité et de justice, et non pas, comme il devait sembler aux deux moines, d’une volonté subjective d’un législateur. Transposant cette situation dans l’ordre monastique, Bernard précise que le moine qui s’engage à l’obéissance s’engage « selon la Règle » à laquelle est aussi soumis le supérieur. L’abbé, en aucun cas, ne dicte ses propres préceptes, ni n’impose une obéissance à sa volonté individuelle. Son pouvoir consiste uniquement à veiller à l’observance d’une norme à laquelle il est le premier à se soumettre. Il est à la fois l’exemple à suivre et le gardien de la Règle (Praec. 9-10).

Parmi les nombreuses belles images littéraires que Bernard emploie, nous aimerions en signaler une qui a particulièrement retenu notre attention. Il s’agit de la conception de la vie monastique comme « second baptême ». Ce second baptême ne se limite pas au moment de la prononciation des voeux, mais consiste en la vie entière, qui, lorsqu’elle est entièrement consacrée, « reforme en l’homme l’image de Dieu » (Praec. 54).

Le second traité est le De conversione. L’introduction discute de l’authenticité, de l’occasion et de la date du traité, trois points qui posent problème. Il semble que, dans un premier temps, Bernard ait prononcé un sermon pour la Toussaint à Paris en novembre 1139. Ce sermon aurait ensuite été reformulé, récrit, et il s’agirait du traité sur la conversion. La question demeure ouverte.

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un texte édifiant dans lequel Bernard expose les diverses étapes du cheminement de l’âme, en route vers la conversion à Dieu et le salut. Bernard s’inspire grandement des Écritures, principalement des Béatitudes. Cette conversion de l’âme est en fait une image de la conversion du clerc, homme consacré à Dieu, qui doit agir en gardien du troupeau qui lui a été confié afin qu’il ne se détourne pas des « pâturages de la justice et de la vérité » (Conv. 39).

À la suite de ce traité, se trouve une note de Solignac consacrée aux trois thèmes mémoire, raison et volonté (memoria, ratio, voluntas). Des index scripturaires et des index thématiques terminent ce volume.

Ce volume témoigne encore une fois de la qualité exceptionnelle de la collection « Sources Chrétiennes » et fait honneur à l’équipe éditoriale qui s’est chargée de sa mise en oeuvre. Spécialistes, enseignants, étudiants et autres qui s’intéressent au xiie siècle ne peuvent que s’en réjouir.

Serge Cazelais

11. Bernard de Clairvaux, Sermons sur le Cantique, tome 2, Sermons 16 à 32, tome 3, Sermons 33 à 50. Texte latin des Sancti Bernardi Opera (SBO) par Jean Leclercq, Henri Rochais et Charles H. Talbot. Introduction, traduction et notes par Paul Verdeyen et Raffaele Fassetta. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes » 431 et 452), 1998 et 2000, 495 et 407 p.

Saint Bernard de Clairvaux laisse à la postérité une oeuvre mystique d’une grande richesse spirituelle avec la collection des Sermons sur le Cantique. Après avoir édité le premier volume (SC, 414), Paul Verdeyen et Raffaele Fassetta publient deux autres tomes contenant les homélies 16 à 50. Cette oeuvre, d’une grande densité spirituelle et d’une haute qualité littéraire est le résultat de deux événements marquants de la vie du moine cistercien. Tout d’abord, lorsqu’il était tout jeune, Bernard fit un rêve pendant la nuit de Noël. La Vierge lui est apparue, qui enfanta le Verbe-Enfant. Pendant ce temps, les cloches de l’Église sonnaient et sa mère le réveilla pour aller à l’Église. Suite à ce rêve, Bernard fut convaincu qu’il s’agissait de l’heure même de la naissance du Sauveur dans notre monde, venu « épouser » notre condition pécheresse. L’autre événement plus marquant encore est constitué par sa rencontre avec Guillaume de Saint-Thiery à l’infirmerie de Clairvaux vers 1128. Pendant leur maladie, ils entretenaient des « dialogues spirituels » ayant comme support le langage du livre biblique Cantique des Cantiques. Dans ces dialogues, ils s’inspiraient du commentaire fait par Origène, d’où de nombreuses idées origéniennes dans les sermons bernardins. Dans le Cantique des Cantiques, Bernard trouve le langage approprié pour parler de son expérience spirituelle. Il est en pleine maturité et ses amis lui réclament un commentaire spirituel de ce livre trop souvent oublié. Pour les raisons évoquées plus haut, on a voulu dater les 23 premiers Sermons sur le Cantique de l’Avent de l’année 1135[5]. Puis, en 1138, après son troisième voyage en Italie, Bernard reprend le fil de ses sermons et consacre le sermon 26 au décès de son frère Gérard, cellérier du monastère à Clairvaux[6].

Les thèmes centraux de cette oeuvre sont les significations symbolique et spirituelle de l’époux et de l’épouse du Cantique des Cantiques. Dans l’époux, saint Bernard voit le Christ, le Roi des rois, Seigneur des seigneurs, véritablement homme et véritablement Dieu, le Verbe de Dieu venu « épouser » notre condition d’homme. L’épouse signifie l’Église entière pour laquelle le Christ a donné sa vie mais aussi toute âme individuelle appelée à vivre une relation « amoureuse » intime avec le Christ. Parmi les autres thèmes bernardins abordés, on retrouve le baiser des pieds, prémices de notre conversion ; baiser des mains, pour ceux qui progressent dans la vie spirituelle ; baiser de la bouche, pour le petit nombre des parfaits. Les saints sont aussi un exemple à imiter pour toute âme parce qu’ils ont « exalté le parfum de miséricorde ». L’Église et la Synagogue sont aussi des thèmes qu’on rencontre souvent dans les commentaires des textes bibliques. La Synagogue s’est opposée à l’entrée des païens dans la communauté, tandis que l’Église s’est montrée plus ouverte, prenant ainsi la place laissée vacante par la Synagogue. Bref, tous les thèmes développés par saint Bernard dans les Sermons sur le Cantique nous font découvrir un grand « directeur spirituel » des âmes assoiffées de Dieu. Dans le dialogue de l’Épouse et de l’Époux, Bernard voit ce grand désir de l’âme de s’unir totalement à son Époux, le Christ. L’amour est exalté et l’emporte sur toutes les difficultés de la vie. Autrement dit, l’interprétation de ce livre biblique ne trouve toute sa richesse qu’en se référant au Christ :

Tes écrits n’ont pour moi aucune saveur, si je n’y lis le nom de Jésus. Tes entretiens ou tes conférences n’ont pour moi aucune saveur, si le nom de Jésus n’y retentit pas. Jésus : miel dans la bouche, mélodie dans l’oreille, jubilation dans le coeur[7].

À la question de savoir si ces sermons ont été écrits comme ils ont été prononcés, J. Leclercq répond que le moine cistercien n’a probablement pas prononcé les sermons devant un public, et qu’il s’agit d’une oeuvre strictement littéraire. Cependant, P. Verdeyen est convaincu que saint Bernard a dû parler souvent aux moines pendant les exhortations capitulaires. Selon lui, les sermons ne sont pas une exégèse pointue du fameux livre biblique, mais l’abbé de Clairvaux emprunte des symboles de ce livre pour évoquer une expérience personnelle destinée à l’édification de ses moines. Le texte s’adresse à un public qui a quitté le monde : « À vous frères, il faut dire autre chose qu’aux gens vivant dans le monde, ou du moins d’une autre manière[8] ». Désormais, le Cantique des Cantiques devient la référence pour l’instruction spirituelle des moines. Et dans ces sermons, Bernard utilise les quatre sens de l’Écriture formulés au Moyen Âge dans un fameux distique latin facile à retenir : « littera gesta docet, quid credas allegoria, moralis quid agas, quo tendas anagogia[9] ». Mais souvent, saint Bernard s’intéresse surtout aux sens moral et spirituel parce qu’ils nourrissent l’âme des moines.

Les Sermons sur le Cantique sont une belle création artistique qui eut une grande influence sur la spiritualité médiévale occidentale et sur les siècles à venir. Les traducteurs nous offrent un texte en un français soigné, clair et qui transpose bien la richesse spirituelle et la beauté littéraire de l’oeuvre bernardine. L’amour de Dieu pour l’homme et le désir de l’homme de vivre une relation intime avec Dieu sont décrits en utilisant le langage amoureux du livre biblique Cantique des Cantiques. Saint Bernard quitte la voie des grands commentateurs, tels Origène, Ambroise, Grégoire le Grand, et se présente comme le « directeur spirituel » des âmes assoiffées de Dieu.

Lucian Dînca

12. Bernard de Clairvaux, Lettres, tome 2, Lettres 42-91. Texte latin des Sancti Bernardi Opera (SBO) par Jean Leclercq et Henri Rochais. Traduction par Henri Rochais. Introduction et notes par Monique Duchet-Suchaux. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 458), 2001, 532 p.

L’imposant corpus de lettres de Bernard de Clairvaux a été compilé de son vivant et revu par l’auteur. Les lettres s’y présentent le plus souvent en ordre chronologique, bien que certaines soient difficiles à dater. Ce deuxième tome rassemble des lettres écrites entre 1120 et 1135, soit dès la cinquième année de la nomination de Bernard comme abbé de Clairvaux. Les destinataires sont fort variés : le roi de France, le chancelier du Latran, des archevêques et évêques de France, l’évêque de Lincoln en Angleterre, divers abbés (dont Hugues de Saint-Victor) et moines. L’influence de Bernard (et parfois son impertinence ; il avoue lui-même parler « ea praesumptione qua soleo », Ep. 79, 3) ne connaît pas de frontières : on lui demande conseil en toute situation, lorsque ce n’est pas de sa propre initiative qu’il fait ses recommandations. Il distribue conseils et leçons de morale même aux plus grands, en se retranchant toujours derrière une humilité servie par une habileté rhétorique indéniable. L’exemple le plus frappant en est certainement la lettre 42, à l’archevêque de Sens, où Bernard glisse sans cesse du « vous » de politesse, lorsque le discours est personnel, et donc plus conciliant, au « tu » indéfini latin, lorsqu’il semonce l’évêque en laissant croire à une sorte de « mise en situation ». L’effet en est un à la fois de discours général et d’apostrophe familière des plus percutantes, qui lui donne une liberté qu’il ne saurait se permettre s’il s’adressait directement à l’Éminence.

Au fil des lettres, on obtient non seulement un portrait quelque peu anecdotique de la vie monastique au xiie siècle (la correspondance de Bernard a, à juste titre, été qualifiée de speculum ecclesiae), mais également un tableau des préoccupations morales de Bernard. Il expose notamment sa hiérarchie des trois vertus capitales (Ep. 42, 7-9) : la chasteté, la charité et l’humilité. La chasteté n’a, à son sens, ni la valeur ni le mérite de la charité, sans laquelle elle est une lampe sans huile (Mt 25,3). Cependant, sans l’humilité, la chasteté et la charité même ne semblent pas être des vertus.

Sa rhétorique est ponctuée de figures d’un style parfois à la limite du bon goût, on y trouve notamment beaucoup de paronomases et d’assonances. Le fait que le texte soit tissé de citations scripturaires ne tempère en rien l’artifice, mais force l’admiration par la facilité avec laquelle ces citations se glissent sous sa plume.

La traduction, d’une excellente qualité, rend très bien le style souple de Bernard, malgré quelques petites impropriétés qui sont passées inaperçues du correcteur[10].

L’introduction situe brièvement le contexte et les personnages, mais les détails sont réservés pour les notes de bas de page dans la traduction. Ces notes fournissent tous les éléments nécessaires à la compréhension du contexte, sans être toutefois trop chargées. Elles sont cependant parfois redondantes, lorsqu’elles n’offrent qu’une périphrase de l’argumentation de la lettre, et, dans ce cas, fatiguent plus qu’elles ne guident (par exemple : Ep. 69, p. 266, n. 3 ; Ep. 74, p. 298, n. 1 ; Ep. 77, 3, p. 320, n. 1).

L’apparat scripturaire est le plus minutieux et exhaustif qu’il m’ait été donné de voir, on y précise la source de chaque citation (Vieilles Latines, Vulgate, origine patristique, lectionnaires) et la fidélité à la source. Je n’y ai décelé qu’un petit problème, dû à la similitude des termes : p. 87, n. 2, il faut lire « la huitième occurrence a maiora, texte de l’édition critique de Vg », plutôt que meliora. Une liste des oeuvres de Bernard, ainsi que des index scripturaire, de noms de personnes et de lieux complètent avantageusement cet ouvrage d’excellente qualité.

Marie-Pierre Bussières

13. Césaire d’Arles, Sermons sur l’Écriture, tome I, Sermons 81-105. Texte critique par Germain Morin. Introduction, traduction et notes par Joël Courreau. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes » 447), 2000, 456 p.

En 1937, dom Morin avait publié une première édition des sermons de Césaire d’Arles. Il les avait ainsi répartis en cinq catégories : Admonitiones, 1 à 80 ; Sur l’Écriture, 81 à 186 ; DeTempore, 187 à 213 ; De Sanctis, 214 à 232 ; Ad Monachos, 233 à 238. Ces « homélies[11] » ont été rééditées en 1953 dans la collection « Corpus Christianorum, Series Latina », volumes CII et CIV, sous la direction de dom Cyrille Lambot. Dans le présent volume, l’édition et l’apparat critique sont ceux de Germain Morin et la traduction, une bonne introduction et les notes sont le travail de Joël Courreau[12].

Les Pères de l’Église ont une préoccupation commune : commenter la Bible afin de la rendre accessible aux fidèles de leur temps. C’est le cas aussi de l’évêque Césaire d’Arles, qui vécut entre la fin du ve et le milieu du vie siècle. Il écrit 238 sermons dont 105 portant sur l’Écriture. La présente édition présente 24 de ces sermons sur l’Écriture.

Dans son exégèse biblique, l’évêque d’Arles emprunte beaucoup à Origène, à Augustin et dans une moindre mesure à Ambroise. Il retravaille ses sources afin de rendre plus accessible son message auprès de son auditoire qui, sans être savant, connaît bon nombre de passages bibliques. Adepte de l’exégèse allégorique, Césaire explique la Bible en faisant appel à la Bible. Les citations viennent se compléter les unes les autres. Il accorde un souci tout particulier à la clarté et à la précision de son exposé. En commentant plusieurs passages bibliques verset par verset, l’auteur développe plusieurs thèmes qui lui sont chers : vie chrétienne et volonté de Dieu, la pratique de la justice et de la charité par les chrétiens, l’importance accordée aux prophéties qui annoncent le Christ, conservation de l’orthodoxie de la foi chrétienne contre les manichéens et les ariens, lesquels étaient assez présents à Arles à la fin du ve et au début du vie siècle.

Origène distinguait trois sens de l’Écriture, en fonction de son anthropologie tripartite : le corps, le sens littéral ou historique ; l’âme, le sens moral ; l’esprit, le sens allégorique. Augustin voit quatre sens dans l’Écriture, littéral, étiologique, anagogique, allégorique, ou, selon Henri de Lubac[13], quatre sortes de sujets dont parle la Bible tour à tour. Quant à Césaire, il utilise ces distinctions à sa manière en les réduisant à deux sens : littéral, ou historique, auquel il n’accorde pas une grande importance, et spirituel qu’il divise en deux : se rapportant soit aux mystères de la foi (l’allégorie), soit à la vie chrétienne (la morale). En utilisant cette distinction des sens bibliques, l’évêque d’Arles veut faire référence aux trois étapes de l’histoire du salut : la préfiguration dans l’Ancien Testament, la réalisation dans le Christ, l’actualisation dans la vie chrétienne. Pour lui, l’Écriture n’a de sens que si on la lit à la lumière du Christ, mort et ressuscité pour le salut de l’humanité. L’Ancien Testament est inspiré au même titre que le Nouveau. Ainsi, il veut convaincre à la fois les juifs et les païens de l’unité et de la cohérence de l’économie du salut chez les chrétiens contenue dans les deux Testaments.

En lisant ces pages de Césaire d’Arles nous découvrons un pasteur qui cherche à comprendre la Parole de Dieu et à la communiquer aux autres. Pour ce faire, il utilise les méthodes rhétoriques traditionnelles : la « similitudo » pour faire comprendre à ses auditeurs les vérités de la foi et de la morale chrétienne ; l’« exemplum » pour donner aux chrétiens des modèles à imiter parmi les personnages bibliques ; les « testimonia » pour convaincre ses fidèles de la véracité de ses affirmations grâce au témoignage des Écritures. La catéchèse reste le grand souci de l’évêque : la préparation des catéchumènes au baptême et la préparation des fidèles à la grande fête pascale. C’est pourquoi les figures du baptême et de la croix reviennent sans cesse sous sa plume. Tous les passages bibliques où il est question de l’eau, de l’huile, de bâtons, de morceaux de bois sont des préfigurations du baptême et de la croix rédemptrice du Sauveur.

Césaire d’Arles, sans apporter de nouveauté dans le domaine de l’exégèse biblique, est intéressant dans la mesure où il parle en tant que pasteur qui veut transmettre son message aux fidèles de son Église en s’appuyant sur la Bible. Il veut aussi donner à ses prêtres des matériaux homilétiques d’inspiration patristique sur différents sujets bibliques. Son principal but est de mettre à la portée de tous les fidèles les enseignements de la tradition en les rendant plus accessibles et plus actuels. Par le baptême, le chrétien est incorporé au salut apporté par le Christ sur la croix. D’où le devoir de tout chrétien, devant un si grand don de Dieu, le salut, de prier, pratiquer la justice et la charité envers le prochain par amour et en imitant le seul véritable modèle, Jésus-Christ.

Lucian Dînca

14. Cyrille d’Alexandrie, Lettres festales XII-XVII. Texte grec par William H. Burns. Traduction et annotation par Marie-Odile Boulnois et Bernard Meunier. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 434), 1998, 313 p.

Né en 370, Cyrille succéda à son oncle Théophile sur le siège d’Alexandrie en 412. Animé par un goût marqué du pouvoir et un tempérament ambitieux et énergique, il fut dur et sans scrupule dans les conflits politiques qui l’opposèrent à Jean Chrysostome, dont son oncle obtint le bannissement en 403. C’est également sous son patriarcat que la philosophe néo-platonicienne Hypatie, le maître à penser de Synésius de Cyrène, fut assassinée par fanatisme à Alexandrie en 415. Sur le plan dogmatique, il joua un rôle capital dans la controverse arienne, puis dans la lutte contre Nestorius.

Les lettres festales publiées dans ce volume, qui annoncent la date de Pâques pour les années 424 et 429, se situent à une époque charnière des luttes théologiques de leur auteur, au point de passage de la controverse arienne à la controverse nestorienne, précédant immédiatement le fameux concile d’Éphèse en 431. Outre leur intérêt doctrinal, à la fois trinitaire et christologique, ces lettres révèlent le souci que se fait Cyrille à propos du culte des anges qui prend une grande importance dans la population égyptienne, et dans lequel il voit une menace pour le monothéisme et un retour au paganisme. On y trouve également de remarquables exemples de démonisation des cultes « païens » (XVI, 6). Quelques passages d’une belle envolée poétique mériteraient de figurer parmi les anthologies de poésie printanière (XVI, 2-3).

Ce volume poursuit la publication des Lettres Festales (SC, 372 et 392). Les introductions, la traduction et l’annotation sont de M.-O. Boulnois pour les lettres XII à XIV et de B. Meunier pour les lettres XV à XVII. La traduction, élégante, rend justice au style de Cyrille. On s’étonnera, en XIII, 1, 25, de la traduction de καὶ ἐπλάτυνεν ὁ ἅδης τὴν ψυχὴν αὐτοῦ καὶ διήνοιξε τὸ στόμα αὐτοῦ… par « l’Hadès a élargi son âme et a ouvert sa bouche » (Is 5, 13-14), alors qu’il s’agit d’un des cas où, dans la LXX, ψυχή signifie précisément l’estomac ou les entrailles (cf. aussi Is 32, 6 ; Pr 8, 18). Un index scripturaire et un index des noms propres complètent utilement le volume.

Louis Painchaud

15. Éphrem de Nisibe, Hymnes sur la Nativité. Introduction par François Graffin. Traduction du syriaque et notes par François Cassingena-Trévedy. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 459), 2001, 344 p.

Ce volume nous donne la première traduction complète en français de ces 28 hymnes sur la Nativité du célèbre poète et théologien Éphrem de Nisibe (ca. 306-373). Elle est faite d’après l’édition fondamentale de dom Edmund Beck[14]. Les hymnes sont précédées d’une courte introduction de 13 pages qui traite, brièvement mais de façon claire, de l’histoire des hymnes, de leur caractère poétique et liturgique, de leur Sitz im Leben et des personnages et symboles qu’on y trouve.

Les hymnes se divisent en trois groupes. Le « noyau central » (p. 9) comprend les hymnes V à XX. Dans le manuscrit Vat. syr. 112, ce groupe est appelé « Berceuses de Mar Éphrem » : Graffin nous dit que cette collection « fut très vraisemblablement composée par Éphrem lui-même, à usage liturgique, pour la fête de la manifestation du Christ, c’est-à-dire le 6 janvier » (ibid.). Les quatre premières hymnes (I-IV), qui n’ont pas l’uniformité métrique et littéraire du « noyau », sont aussi authentiques, mais ont été ajoutées à la collection au vie siècle. Les 8 dernières sont « d’origine plus douteuse, étant peut-être une compilation de strophes provenant d’hymnes authentiques », mais, comme je le montrerai plus bas, l’hymne XXI possède une cohésion structurelle très forte.

À propos des hymnes elles-mêmes, je me dois de dire qu’après une première lecture, je n’avais perçu qu’une effusion de motifs et d’idées, se succédant de façon vertigineuse. Franchement, je me suis demandé comment il serait possible de faire le compte rendu d’un tel texte. Mais après une lecture plus approfondie, un certain ordre se révèle. Puis cet ordre se complexifie, jusqu’au point où l’on se sent devant une pensée étrange, mais très belle et bien organisée.

Éphrem joue rigoureusement avec ses motifs et ses thèmes. Chaque strophe a toujours quelques éléments, et les éléments individuels se développent et changent (ou disparaissent et réapparaissent) pendant la succession des strophes. Cependant, ces éléments ne changent pas uniformément, mais plutôt à des vitesses et dans des directions variables. L’écriture d’Éphrem laisse une impression à la fois de continuité et de nouveauté. Cette nouveauté n’est cependant jamais laissée au hasard : les thèmes et les motifs se succèdent pour faire une unité qui est toujours active, qui ne s’arrête jamais, et qui se définit seulement par sa totalité.

Évidemment, Éphrem organise également ses hymnes à un niveau plus vaste. Prenons par exemple l’hymne XXI, qui est une « célébration enthousiaste de la Nuit où les anges fraternisent avec les hommes », la nuit de la fête de la manifestation du Christ. Le thème général de cette hymne est la réconciliation entre le monde spirituel et le monde matériel, réconciliation dont la naissance de Jésus est l’antitype.

On perçoit tout d’abord une simple structure A-B-A’-B’ : A) nouveauté de réconciliation : contraste entre fête impure et fête pure, B) donc soyez vigilant, A’) descente des anges/Veilleurs (réalisation de la réconciliation), blasphèmes mondiaux contre la joie céleste, B’) les vigilants deviennent partenaires des anges. Puis les strophes 5 à 8 traitent la nature et le paradoxe de cette réconciliation. C’est la fin de la première partie.

La strophe 9 parle encore des anges, ce qui établit un lien entre les strophes 4 et 9. Mais cette strophe est également le début d’un grand chiasme qui s’étend jusqu’à la fin de l’hymne. Le thème de ce chiasme est le contraste qui existe entre une réconciliation (entre Dieu et les chrétiens, par l’intermédiaire de Marie) et un manque de réconciliation (réconciliation inachevée entre Dieu et les choses fausses du monde, ici symbolisées par le mal, les Juifs et le Diable, implicitement liés). La réconciliation louée à la strophe 9 est donc décrite spécifiquement à la strophe 19. La strophe 10 identifie le judaïsme avec le monde non réconcilié ; les strophes 16 à 18 l’expliquent par une comparaison (un peu forcée) entre Marie et Élisabeth, mère de Jean le Baptiste. Éphrem introduit le diable et réintroduit les anges pour parler du triomphe final en strophe 11, puis, en strophe 15, les anges deviennent les séraphins, le diable devient le serpent et le triomphe est décrit. La strophe 12 nous décrit la stratégie de Dieu pour sauver le monde, c’est-à-dire l’incarnation, décrite à la strophe 14. Le centre de l’hymne se trouve donc à la strophe 13 : une louange passionnée de l’abaissement de Dieu. Ici, je ne suis pas en accord avec Graffin, p. 244, qui place cette louange à la strophe 12, car il n’a apparemment pas vu la structure en chiasme de l’hymne.

L’espace nous manque ici pour faire une analyse plus complète ou pour décrire les particularités structurelles des autres hymnes. Mais le lecteur avisé sera frappé non seulement par la maîtrise rhétorique et poétique dont fait preuve Éphrem, mais aussi par la façon dont il utilise cette maîtrise pour exprimer et nous faire sentir la joyeuse nouveauté de la naissance du Christ.

Malheureusement, mais nécessairement, il ne faut pas s’attendre à ce qu’un auteur ancien, presque toujours engagé politiquement, soit juste et éclairé. Cependant, on espère qu’un éditeur moderne le sera, et qu’il nous donnera une vue plus juste que l’auteur. Et parce que les éditeurs ne le font pas toujours (personne n’est parfait), il nous faut être prudent. À ce titre, lorsque F. Graffin affirme : « quand Éphrem implore “la paix” (IV, 59), on peut supposer qu’il aspire à la fin des hérésies qui ont mis si gravement en péril le monde chrétien de l’époque » (p. 13), il faut nous méfier. Notons premièrement qu’Éphrem lui-même ne parle pas d’hérésie en cet endroit. La tendance, dans les hymnes, va plutôt dans le sens contraire, lorsqu’il dit par exemple en IV, 56 : « De nos murmures, ô mon Maître, ne nous tiens pas rigueur ». L’interprétation de M. Graffin nous semble donc inappropriée. En outre, la notion d’hérésie ici est anachronique : au ive siècle à Nisibe, il n’existait aucun consensus à propos de l’orthodoxie et de l’hérésie.

Michael Kaler

16. Isidore de Péluse, Lettres, tome II, Lettres 1414-1700. Texte critique, traduction et notes par Pierre Évieux. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 454), 2000, 521 p.

Isidore, prêtre et moine de Péluse au début du ve siècle, est surtout connu par sa correspondance. Quelque 2 000 lettres ont été conservées, adressées à pas moins de 489 destinataires : prêtres de Péluse, diacres, moines, sophistes, enseignants, hauts fonctionnaires de l’empire, militaires et autres. L’autorité d’Isidore s’explique par la notoriété qu’il s’était acquise comme professeur de rhétorique à Alexandrie. Il a en effet exercé cette profession avant d’embrasser la vocation, ce qui lui a valu sa crédibilité auprès des païens. En excellent rhéteur, il peut citer sans effort Homère, Platon, Euripide, Démosthène, Choirilos de Samos, Isocrate, Sophocle ou Thucydide. Par ailleurs, sa vaste connaissance des Écritures et son mode de vie ascétique l’ont distingué auprès des chrétiens.

Il s’agit ici du deuxième tome de lettres d’Isidore publié aux Sources Chrétiennes (premier tome, SC, 422) par Pierre Évieux, qui a également consacré une monographie à cet auteur méconnu (Beauchesne, 1995). Le contenu de ces lettres 1414 à 1700 est des plus varié : on y trouve pêle-mêle des commentaires sur les Écritures, un modèle de texte rhétorique, des traités sur les pouvoirs de la vertu et contre les spectacles, une admonition au clergé de Péluse, et des conseils à des professeurs ou à des lecteurs. Les lettres sont plutôt courtes, la plus longue fait cinq pages et la plus brève est de quatre lignes. La grande diversité de leur contenu intéressera tous ceux qui cherchent à mieux connaître les conceptions de la religion chrétienne dans l’Empire romain au ive siècle.

Jean Labrecque

17. Jerome, On Illustrious Men. Translated by Thomas P. Halton. Washington, The Catholic University of America Press (coll. « The Fathers of the Church », 100), 1999, xxiii-211 p.

Allant de Simon Pierre à Jérôme lui-même, le De uiris illustribus compte 135 notices consacrées aux auteurs chrétiens orthodoxes ou hétérodoxes connus de Jérôme et à leurs oeuvres, ainsi qu’à certains auteurs non chrétiens (Philon, Flavius Josèphe, Sénèque). Il constitue donc une source d’information biographique et bibliographique de première importance pour la littérature et l’histoire du christianisme des quatre premiers siècles de notre ère. Centième ouvrage publié dans la collection « The Fathers of the Church », celui-ci se distingue des autres volumes de la collection en ce qu’il propose une annotation, principalement bibliographique, beaucoup plus développée, continuant ainsi, d’une manière plus conforme aux usages scientifiques modernes, l’entreprise de Jérôme lui-même. L’ouvrage est complété par une introduction consacrée à la vie de Jérôme, de plusieurs appendices contenant les données bibliographiques relatives aux oeuvres d’Origène, de Tertullien, de Cyprien, d’Ambroise, ainsi qu’à une chronologie des quatre premiers siècles et à une liste alphabétique des auteurs répertoriés. Des index des noms propres, des termes grecs et de la collection « The Fathers of the Church » complètent le volume.

Bien que le but de la collection en soit davantage un de haute vulgarisation que d’érudition critique, on pourra déplorer l’absence de toute information sur le texte ayant servi de base à la traduction proposée. Quoi qu’il en soit, tel qu’il se présente, ce petit volume constitue un outil de travail d’une grande utilité.

Louis Painchaud

18. Origen, Commentary on the Epistle to the Romans. Books 1-5 and Books 6-10. Text from the Latin version of Rufinus. Introduction, translation, notes and index by Thomas P. Scheck. Washington, The Catholic University of America Press (coll. “The Fathers of the Church”, 103 and 104), 2001 and 2002, xiii-411 and xvi-340 p.

I have a shameful confession to make : I read Origen for pleasure, and frequently in the bathtub. He is, of all the Church fathers, the one most suited to this sort of reading — he leaps from passage to passage with flair and an ever-startling grace, and yet at the same time his insights are always grounded by his keen sense of practicality. For Origen the Bible was a dazzling, intricate dwelling-place, constructed with a logic that could be minutely analyzed or asserted in the most straight-forward way. In his books, and particularly his commentaries, he offers a guided tour of his world, and it seems to me that one learns most from these tours when one simply relaxes (hence the bathtub) and allows the tour-guide to take charge.

These particular volumes are especially welcome because they present the first English translation of this work (which, written in 246, is the oldest surviving commentary on Romans). Or rather, of half his work. In his peevish yet charming introduction, Rufinus complains to Heraclius (who commissioned him in 406/407 to translate the commentary into Latin) : “And yet, lest I be spared any labours, you add that I am supposed to abridge this entire fifteen volume work […] and, if possible, compress it to half the space” (volume 103, p. 51-52). The Greek text is now almost completely lost, and thus all that remains is Rufinus’ abridged version.

Several recent volumes of the Fathers of the Church series have suffered from the presence of translations which, in their efforts to be faithful to the phrasing and organization of the Greek or Latin originals, have been inelegant to the point of unreadability. I am pleased to say that these volumes escape this trap. The English is at times cumbersome, but never worse. The footnotes, while they could be more detailed (they are mostly references to Biblical passages cited in the text), are clear and informative. The introduction gives biographical information on Origen and Rufinus as well as a discussion of the commentary’s use by Pelagius in his conflict with Augustine, a brief history of the “hereticization” of Origen, and an analysis of Origen’s conception of the works / faith continuum and its reception over the years since his death. There is a strong anti-Protestant tinge to the introduction — for example, one finds this gem on page 21 : “For Marcion, as for Luther, the Bible contained a ‘canon within a canon’. It centered around his arbitrary interpretation of Paul’s writings […]” — but since Scheck has the courage to make his biases visible, the reader is thereby forewarned and can take or leave them as he pleases.

And as to the content ? Why, it sparkles. Especially noteworthy are Origen’s own introduction, where he psychologically analyzes Paul’s assessment of his nearness to God in his various letters to show that “the Apostle seems to have been more perfect in this letter than in others” (first volume, p. 54) ; his exegesis of Romans 8:30 (“And those whom he predestined, these he also called […]”) with its meticulous discussion of the distinction between those who are predestined, called, justified or glorified ; his attack against those such as Marcion who claim that the Law was the cause of sin (referring to Romans 5:20-21), taking the common-sense approach of simply cataloguing sins and sinners which preceded Moses’ reception of the Law on Sinai ; and his discussion of the need to “rise from sleep” (Romans 13:11-13) with its eerie and certainly entirely coincidental similarity to Mani’s discussion of the role of the sun (Keph. 65 and 66).

While this commentary is not among the most essential of Origen’s writings, such as On First Principles, the Contra Celsus, or the commentary on John’s Gospel, nonetheless it is well worth reading. Especially in the tub.

Michael Kaler

19. Richard de Saint-Victor, Les Douze Patriarches(Beniamin Minor). Texte critique et traduction par Jean Châtillon et Monique Duchet-Suchaux. Introduction, notes et index par Jean Longère. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 419), 1997, 380 p.

Dans le traité Les Douze Patriarches (Beniamin Minor), Richard de Saint-Victor, surnommé parfois le « docteur de la contemplation[15] », veut expliquer l’itinéraire spirituel de l’âme dans sa quête de Dieu. Pour ce faire il utilise des passages du livre de la Genèse, et en particulier l’histoire de la famille de Jacob, de ses femmes, ses servantes, et de ses fils (29,15-35,29). Les personnages de ces textes ont beaucoup inspiré les commentaires bibliques depuis les débuts du christianisme. Jusqu’au début du xiie siècle, les interprètes faisaient généralement une division entre Jacob et ses épouses, d’un côté, et ses douze fils, de l’autre. Déjà avec Justin (†166), les Pères de l’Église ont commencé à faire une lecture typologique et allégorique de ces passages bibliques. Souvent ils ont vu en Lia, la fille aînée de Laban et la première femme de Jacob, qui avait les yeux malades, la Synagogue qui n’a pas pu voir et reconnaître le Christ. Elle n’est pas aimée de Jacob. En Rachel, la fille cadette et la seconde épouse de Jacob, qui était belle et aimée du grand Patriarche, ils ont vu l’Église, l’Épouse bien-aimée du Christ pour laquelle il a souffert. Avec Augustin et Grégoire le Grand, dans les deux femmes de Jacob, on voit les deux formes de vie chrétienne : la vie active dont les fruits sont immédiats (Lia et ses sept enfants) et la vie contemplative dont les fruits sont plus tardifs et difficiles à obtenir (Rachel et ses deux fils nés en douleurs). L’attente de Jacob, sept ans, pour prendre Rachel comme épouse, est souvent interprétée par les Pères comme étant le symbole de la patience et de la persévérance de celui qui aspire à la beauté de la vie contemplative, le degré le plus élevé de l’âme pour connaître Dieu. Jacob prend comme épouse les deux soeurs, Lia et Rachel, signe que la vie laborieuse doit être nourrie par la contemplation, et la contemplation doit trouver sa forme concrète d’expression dans l’action. Concernant les bénédictions, mais aussi les menaces de Jacob à ses fils, les Pères se sont arrêtés surtout sur la bénédiction donnée à Judas où ils ont facilement vu la prophétie de la mort et de la résurrection du Christ.

Le Chanoine régulier de Saint-Victor reçoit toute cette tradition. Il la retravaille et lui imprime sa touche originale. Sans négliger le sens littéral des textes bibliques, Richard s’attache à expliquer surtout le sens symbolique ou tropologique et le sens moral qui doit être le moteur de l’agir chrétien. Pour faire ressortir avec plus de clarté son enseignement spirituel, l’auteur utilise l’ouvrage de Jérôme Liber interpretationis hebraicorum nominum, devenu déjà classique dans la manière d’interpréter les noms bibliques. Le but de Richard est double, d’où aussi son originalité. Tout d’abord, il veut composer un traité sans isoler, comme les Pères l’ont fait jusqu’à lui, Lia et Rachel d’un côté et les douze Patriarches de l’autre. Il se propose de traiter de l’ensemble de la famille de Jacob, y compris ses servantes, Zelpha et Bala. Pour lui, chaque personnage joue un rôle unique et privilégié, et représente les étapes nécessaires par lesquelles l’âme humaine doit passer pour arriver à la contemplation parfaite sur la montagne de la Transfiguration. Ainsi, l’âme pourra jouir, comme Pierre, Jacques et Jean, d’être en présence du Christ en gloire et des deux grands prophètes de l’Ancien Testament, Moïse et Élie. Pour cette ascension de l’âme, le seul guide et modèle à imiter est le Christ lui-même. À travers les personnages bibliques, l’auteur veut également faire passer son message spirituel : la manière dont l’homme doit se comporter pour que son âme puisse arriver à la contemplation la plus haute. C’est pourquoi il rassemble tous les personnages de la famille de Jacob, masculins et féminins, épouses et servantes, et les intègre dans une vision d’ensemble de la vie morale et de la vie spirituelle de tout chrétien.

Cet ouvrage de Richard de Saint-Victor est son traité qui a connu le plus grand succès. La preuve en est les quelque 150 manuscrits qui nous sont parvenus. Jean Châtillon, grand spécialiste des Victorins et de l’histoire canoniale, explique que le traité nous est parvenu sous deux formes différentes : une tradition ancienne divise l’ouvrage en paragraphes de longueur inégale et sans titres ; les manuscrits plus récents divisent le traité en 86 ou 87 chapitres précédés d’un titre précisant le contenu. Les deux versions sont de Richard, c’est pourquoi J. Châtillon a retenu la seconde division. La maladie puis la mort ne lui ont pas permis de terminer son travail, qui fut parachevé par Monique Duchet-Suchaux et Jean Longère, qui ont ainsi voulu lui rendre hommage.

Pour le lecteur contemporain, une telle interprétation des textes bibliques peut paraître à première vue arbitraire et sans intérêt. Le fait de recourir à des personnages de l’Ancien Testament pour symboliser les temps forts et le cheminement spirituel de l’âme humaine nous est moins familier. Cependant, le lecteur pourra découvrir dans l’ouvrage de Richard de Saint-Victor un message original et riche d’enseignement concernant le plus haut degré de la contemplation de l’âme en utilisant des textes bibliques. À partir de l’Écriture, il veut réfléchir sur l’homme et sur Dieu, sur l’homme et sa quête de Dieu. La lecture tropologique de l’épisode biblique de Jacob peut permettre au chrétien d’aujourd’hui de se rendre compte de l’aventure spirituelle de l’homme intérieur toujours désireux de s’ajuster à la volonté de Dieu.

Lucian Dînca