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L’actuel dossier sur la théologie pratique émane d’une demande faite par les rédacteurs de la revue Laval théologique et philosophique de rendre compte d’un domaine encore largement méconnu dans certains milieux. Malgré les regroupements internationaux qui lui sont associés (Société internationale de théologie pratique, International Academy of Practical Theology), ses revues scientifiques (International Journal of Practical Theology, Journal of Empirical Theology), ses dictionnaires (Dictionary of Pastoral Care, Blackwell Reader in Pastoral and Practical Theology, Précis de théologie pratique), ses programmes de formation (le doctorat en théologie pratique de l’Université Laval), la théologie pratique reste encore confinée à un cercle plus ou moins restreint de spécialistes et d’initiés. L’objectif de ce dossier est de présenter un portrait partiel (d’aucuns diraient partial) de la situation. En effet, ce portrait ressemble davantage à un Seurat pointilliste qu’à un David monumental. Bien sûr, il y a des inconvénients manifestes à ce genre de démonstration, particulièrement lorsqu’on vise un domaine si foisonnant et éclectique : lacune sur le plan des sous-domaines touchés, absence de consensus sur la matière abordée, variété parfois contradictoire des orientations, etc. Toutefois, les sujets proposés, bien que diversifiés, s’unifient sous la même préoccupation de prendre au sérieux la pratique en théologie. Par conséquent, le lecteur gagnera sans doute en couleurs et en nuance ce qu’il perdra en cohésion.

Une première impression que la lecture de ce dossier nous laisse, c’est la variété des perspectives qui fondent la théologie pratique. Ricoeur, Habermas et Searle (Nadeau), Taylor et Dumont (Lefebvre), Assmann (Carrier), Wittgenstein (Viau) sont tous convoqués à éclairer les bases d’un discours qui cherche encore ses marques philosophiques et théologiques. Pourtant, les projets de chacun des auteurs de ce dossier semblent reliés par un fil invisible, soit la nécessité de reconnaître la valeur du rapport entre le discours théologique et la culture. Pas étonnant dès lors que les sources invoquées s’identifient à des auteurs qui se sont colletés à la relation difficile et parfois ambiguë du langage à la société. Cette ambiguïté se reflète spécialement dans le spectre épistémologique adopté par les auteurs : de l’herméneutique (Nadeau) aux sciences de la communication (Fossion, Lefebvre) en passant par la philosophie politique (Carrier) et la philosophie du langage (Viau). À cet égard, aucune prise de position hégémonique ne préside à ce domaine si proche des particularismes culturels et régionaux.

Sur le plan proprement théologique, la diversité prend la forme de distinctions confessionnelles avec une forte saveur oecuménique. Toutefois, les identités sont plus prononcées lorsqu’il est question de se situer d’une manière pratique par rapport à l’Église. La théologie pratique peut être vue alors comme un discours fortement sollicité par les requêtes d’une Église (Grellier) ou, à l’opposé, concerné à plus d’un titre par son ancrage dans la culture séculière ambiante (Nadeau, Fossion). L’Église peut être, pour la théologie pratique, un outil de transformation sociale (Carrier) ou un frein au développement (Lefebvre).

La théologie pratique reste et restera toujours marquée par le lieu même où s’accomplit son activité. On ne produit pas la même théologie pratique en France (Grellier), en Belgique (Fossion), au Québec (Nadeau, Lefebvre, Viau) ou en Amérique latine (Carrier) ; cela est certain. Elle reste et restera aussi marquée par les différentes langues et cultures qui la véhiculent. Il en est ainsi des théologies pratiques qui ne sont pas représentées dans ces pages, en particulier celles qui se font en Amérique anglo-saxonne et en Allemagne. Que dire enfin de celles qui s’activent en Afrique ou en Asie ? Comment alors croire que la théologie pratique pourra un jour chanter à l’unisson ? Évidemment, il y a loin de la coupe aux lèvres à la lecture du présent dossier. Mais il me semble qu’après avoir conclu avec d’autres à la fin des grandes idéologies, après avoir constaté que de nombreux peuples ayant langue commune divergent sur tant de points, il n’y a pas à se surprendre que la théologie pratique soit le reflet fidèle de la diversité d’un monde composite. Après tout, ne faut-il pas craindre, plus que jamais d’ailleurs, qu’un monde meilleur unitaire et consensuel ne se transforme un jour en meilleur des mondes ?