Corps de l’article

En juin 2004, l’Université Laval soulignait l’apport exceptionnel du Père Claude Geffré à la réflexion théologique en lui conférant un doctorat d’honneur. La Faculté de théologie et de sciences religieuses a voulu signifier sa reconnaissance à cet éminent théologien en organisant un colloque scientifique, qui s’est tenu le 15 juin 2004, en présence du Père Geffré qui nous a livré, pour l’occasion, une conférence-bilan sur sa carrière de théologien. Ce texte qui propose un « retour sur plus de quarante ans de pratique théologique » fait partie de ce numéro thématique du Laval théologique et philosophique, qui regroupe en outre certains textes, revus et développés, des communications présentées à l’occasion du colloque. Les auteurs de ces contributions entretiennent tous un rapport particulier au Père Geffré : Jean Richard est engagé dans un dialogue théologique avec lui depuis plusieurs années (autour des questions de la révélation et de l’herméneutique, et plus récemment autour de la théologie des religions[1]), le livre de Michel Despland sur la religion en Occident a été préfacé par Claude Geffré[2], enfin Robert Mager avait été son interlocuteur privilégié lors du colloque de la Société canadienne de théologie en 2003 autour de la question de l’action de Dieu. Il faut rappeler en outre que le Père Geffré a été professeur invité à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval en 1988, qui n’a cessé depuis lors de le compter parmi ses amis.

Le Père Claude Geffré est une figure marquante de la théologie du xxe siècle. Dans le troisième tome de sa monumentale Histoire des théologies chrétiennes, Evangelista Vilanova introduit la section sur la théologie postconciliaire par un développement consacré à l’alternative entre dogmatique et herméneutique, reprenant ainsi les termes dans lesquels Claude Geffré aura cherché à comprendre le développement de la théologie contemporaine et ses déplacements épistémologiques[3]. Avec l’Américain David Tracy et le Néerlandais Edward Schillebeeckx, Claude Geffré est reconnu comme l’un des représentants éminents de la « théologie herméneutique ». C’est d’ailleurs sous l’intitulé « Interpréter » que Jean-Pierre Jossua et Nicolas-Jean Sed ont réuni les textes d’hommage qui lui ont été remis à l’occasion de son soixantième anniversaire[4]. Véritable « passeur » de la pensée de Martin Heidegger et de Paul Ricoeur en théologie, il aura indiqué des voies de sortie d’un certain discours sur Dieu, pris dans les mailles de l’onto-théologie, et aura tracé un programme de recherche pour une théologie s’engageant dans le tournant herméneutique[5]. Il aura quitté le cadre de penser thomiste pour mieux s’attacher à dégager une posture théologique qui soit fidèle au geste de Thomas d’Aquin et qui permette de le relire, sans le répéter, et de refaire ainsi aujourd’hui ce qu’il a fait pour son temps[6].

Dans son livre d’entretiens avec Gwendoline Jarczyk, publié en 1999, Claude Geffré déplorait le « temps perdu » et « l’absence continue de temps » pour écrire[7]. Ses responsabilités d’enseignant et de directeur de programme à l’Institut Catholique de Paris, ses responsabilités au sein de l’Ordre dominicain, son travail de directeur de la prestigieuse collection Cogitatio Fidei (pendant plus de vingt-cinq ans), l’auront contraint à produire des « écrits d’occasion ». Néanmoins, il nous semble juste de parler d’une « oeuvre » de Claude Geffré. Car sous la variété de ses nombreux écrits, le lecteur se rend bien compte qu’il y a là le travail d’une pensée, qu’une théologie s’écrit, à la fois prudente et audacieuse, assumant jusqu’au bout les risques de l’interprétation, qui sont ceux-là mêmes — il nous l’aura rappelé — de l’aventure croyante.