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Jean-Michel Maldamé, dominicain, est spécialisé dans l’étude des relations entre culture scientifique et culture théologique. Il a une formation scientifique universitaire (mathématiques), philosophique (philosophie des sciences) et théologique. Il enseigne à l’Institut catholique de Toulouse dans les facultés de théologie et de philosophie. Il est aussi membre de l’Académie pontificale des sciences et il a écrit de nombreux ouvrages.

Ce livre, d’une qualité exceptionnelle, s’inscrit dans la détermination de l’Église catholique de s’engager dans une nouvelle approche entre « science et foi ». Cet ouvrage n’oppose pas frontalement « science et foi », mais met en relation « discours scientifiques et discours théologiques ».

L’ouvrage est divisé en trois grandes parties. La première traite des héritages et des fondements pour un dialogue entre les savoirs. Au terme de profondes réflexions anthropologiques sur la science, la foi et la religion, il apparaît à l’A. que la culture est une manière dynamique de lier des éléments différents, pour accéder ensuite à l’unité qui est une nécessité de la vie humaine. Cette unité, pour l’A., se fonde sur certaines exigences : vérité, effectivité, objectivité et transcendance de l’homme. Ce désir d’unité dans l’homme porte aussi le nom de Sagesse.

Une telle exigence préside au fondement de la pensée et de la culture qui s’est développée et propagée en Occident. Cette Sagesse est implicite dans la culture ambiante. Et à la racine de cette exigence, on reconnaît la valeur de la raison. C’est pourquoi, selon l’A., s’il y a une rencontre possible entre les démarches du scientifique et du croyant, ce ne peut être que dans une commune estime de la raison. Ce critère, selon l’A. est décisif et il suppose, pour être mis en oeuvre, que ni le scientifique, ni le théologien, ne peut prétendre que sa méthode a le monopole de l’usage de la raison.

La foi chrétienne est aussi source de sagesse. Enracinée dans la Révélation, elle cherche l’unité dans la référence à l’action de Dieu. Mais cette sagesse n’est pas autosuffisante. Elle accueille les données de la science, dans un dialogue dont les fondements sont présentés dans l’Écriture sous la figure exemplaire de Salomon.

La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse particulièrement aux questions liées à la modernité et à la lecture de la Bible renouvelée par la science, tout particulièrement la question théologique posée par les découvertes de Galilée. Un jeu de mots repris par l’illustre scientifique résume le débat : « […] la science apprend comment va le ciel et non comment on va au ciel ! »

Les nouvelles découvertes de la science moderne permettent de déterminer que le sens obvie des Écritures ne se trouve plus dans le concordisme, mais qu’une autre voie permet d’étudier le texte biblique en utilisant ce qu’on appelle la « méthode historique ». La théologie reconnaît aujourd’hui que si Dieu est bien l’auteur principal des Écritures, il n’a pas utilisé l’auteur biblique comme un instrument passif, inanimé, inerte. Dieu a utilisé l’écrivain en respectant sa personnalité et donc, la Bible n’est pas un livre scientifique ni un livre homogène. Le discours scientifique ne saurait se présenter comme définitif, car il y a toujours beaucoup à apprendre. A fortiori, la théologie doit rester disponible à une nouvelle lecture, à raison même de la suréminence de son objet.

Le mot « ordre » permet l’articulation des discours scientifiques et théologiques. Il joue un rôle majeur dans la pensée occidentale. L’A. montre bien que le livre de Salomon affirme que les hommes ont le pouvoir d’accéder à la connaissance de Dieu à partir de ses oeuvres. En ce sens, Dieu est accessible à la raison. L’ordre du monde manifeste l’Artisan du monde. La science entre dans cette mouvance. Les critères d’objectivité, de précision des observations, de l’analyse des faits, d’une référence à une règle universelle, du désir d’unité se retrouvent aussi dans la science moderne. Une référence commune unit le discours scientifique et théologique : la présence du Logos.

La science moderne, de plus, est née d’un refus de la sacralisation du monde. En cela, elle rejoint les données fondamentales du christianisme qui échappent à la vision hellénique d’un monde divinisé. Mais ce monde, que le scientifique et le théologien analysent, a-t-il été créé imparfait ? C’est le vieux débat du mal qui resurgit encore une autre fois. Le scandale du mal invite à nier Dieu. Le positivisme de la méthode scientifique sert alors d’allié à ce refus. Le scandale du mal ne peut être éludé. La science, à sa manière, cherche à minimiser sa présence. La théologie reconnaît la présence d’un monde où surgit l’imperfection. Elle apporte une solution dans l’ouverture sur l’avenir qui est source de salut pour l’homme accablé.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage touche les débats actuels, les discussions entre commencement du monde et création. Le nouveau discours de la science sur le monde a permis à celle-ci de se renouveler. Ainsi, dans le discours théologique, la notion de création répond à la question de l’origine du monde, en disant que Dieu fait être tout ce qui est, en lui donnant d’être selon tout ce qu’il est. La création ne se réduit pas à l’instant initial. Elle est le don de l’Être à tout ce qui a l’être. Ce don est actuel. Il est contemporain de tout ce qui advient au cours du processus. La création n’est pas une décision de Dieu, qui serait sortie de son éternité, pour poser un monde dans le cours du temps et de l’espace. La création met en lien le Créateur avec la créature repérable dans le temps et l’espace.

Le commencement est dans le cours du temps — comme l’instant initial. L’origine dit la raison d’être. L’événement créateur n’est donc pas représentable, selon l’A., sur la courbe de l’évolution de l’énergie selon le temps. La théologie ne cherche pas Dieu dans le vide du temps qui aurait précédé le temps. Elle cherche Dieu dans le présent. Le présent seul est réel, puisque le présent est le « temps » de Dieu.

Ces deux approches n’entrent pas en contradiction avec la théorie de l’évolution que l’A. aborde ensuite avec brio.

Au terme de ce magistral exposé, l’A rappelle que la sagesse humaine est liée à cette activité inlassable de l’esprit pour qui la vérité est, selon l’étymologie du terme grec, un dévoilement : l’enlèvement d’une opacité et une lumière qui pointe.

L’étude de l’interaction entre les discours scientifiques et les discours théologiques a montré que la quête de la vérité n’était pas seulement un exercice de la raison. Le désir de la vérité est le fait de la personne humaine et ne néglige aucun terrain. Ainsi, les discours, tant scientifiques que théologiques, ne sont jamais clos. En résumé, un ouvrage à ajouter, sans délai, dans la bibliothèque de tout lecteur soucieux de renouveler sa pensée et son discours théologique et scientifique.