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Instrumenta studiorum

1. René Hoven, Lexique de la prose latine de la Renaissance. Dictionary of Renaissance Latin from Prose Sources. Deuxième édition revue et considérablement augmentée, avec la collaboration de Laurent Grailet, traduction anglaise de Coen Maas, revue par Karin Renard-Jadoul. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV, 2006, lix-683 p.

Les écrivains de la Renaissance ont créé de nombreux néologismes afin de nommer les innovations artistiques, scientifiques, littéraires et juridiques de leur temps. Quiconque s’affaire à lire et à étudier la littérature de cette période est confronté à ces nombreux mots latins inconnus de la langue classique et de la langue médiévale et sent le besoin d’avoir recours à des outils de travail. L’A. de ce lexique s’est donné comme mission de pallier ce manque.

La première édition de ce lexique en 1994 avait été bien reçue dans les milieux universitaires[1]. Cette deuxième édition en améliore grandement l’utilité. La nouveauté la plus remarquable est l’inclusion d’une traduction anglaise destinée à « accroître les possibilités de rayonnement de cette deuxième édition » (p. xiv). Il s’agit donc désormais d’un lexique latin-français et latin-anglais. Si 150 auteurs avaient été dépouillés dans la première édition, la deuxième en compte maintenant plus de 230, couvrant la période de Pétrarque (1304-1374) à Juste Lipse († 1606). On note ainsi plusieurs nouveaux noms, comme Giordano Bruno, Copernic, Paracelse et Vésale. L’A. motive son choix des auteurs en affirmant qu’il a cherché à privilégier ceux dont les oeuvres ont été éditées ou rééditées ces dernières décennies et qui sont ainsi plus accessibles au public visé par ce lexique. Le nombre de notices passe de 8 500 à près de 11 000 et inclut plus de 11 600 acceptions. De plus, ces notices sont mieux ciblées que dans la première édition. En effet, Le Grand Gaffiot publié en 2000 avec son apport considérable à la langue de l’Antiquité tardive, bien que trop souvent dépendant du Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens de Blaise, a permis à l’A. et à son équipe d’éliminer quelques notices et acceptions de mots qui sont désormais bien traitées et documentées dans le dictionnaire latin-français de base consacré à l’Antiquité. L’A. mentionne tout de même que cette deuxième édition compte encore près de 1 600 mots qui sont présents dans le Gaffiot, mais qui sont employés dans des sens différents chez les auteurs de la Renaissance. Ils sont précédés du signe (.

Chacune des entrées est précise, concise et s’attache à l’essentiel : le mot latin et ses principales variantes orthographiques, le sens français et anglais, puis une ou quelques références à une oeuvre, à un ou plusieurs auteurs, ainsi que son origine étymologique. À ce sujet, un appendice intitulé « listes annexes récapitulatives » est fort utile. La première partie de cette annexe (p. 605-618) classe les mots d’origine non latine selon leur origine grecque, proche-orientale (arabe, araméen, hébreu, perse, turque), germanique, romane, slave, hongroise et même amérindienne (par exemple chicha, qui est une boisson fermentée). L’appendice se poursuit ensuite jusqu’à la page 655 avec des listes de diminutifs et de mots classés d’après divers suffixes ou terminaisons.

Enfin, l’A. offre en guise de couronnement aux pages 659-683 la réédition de son article intitulé « Essai sur le vocabulaire néo-latin de Thomas More », paru en 1998, dans Moreana, 35 (1998), p. 25-53.

Il faut féliciter et remercier René Hoven et son équipe d’avoir produit un tel instrument de travail, remarquable tant par la qualité de l’information qu’on y trouve que par celle de sa typographie et de sa mise en page. Pour ma part, je l’utilise déjà avec un grand plaisir.

Serge Cazelais

2. Cornelius Mayer, éd., Augustinus-Lexikon, vol. 3, fasc. 3/4 : Hieronymus-Institutio, institutum. Rédaction par Andreas E.J. Grote, en association avec Robert Dodaro, François Dolbeau, Volker Henning Drecoll, Therese Fuhrer, Wolfgang Hübner, Martin Klöckener, † Serge Lancel, Goulven Madec, Christof Müller, James J. O’Donnell, Alfred Schindler, Antonie Wlosok. Bâle, Schwabe AG Verlag, 2006, col. 321-640.

Ce nouveau fascicule du lexique d’Augustin, consacré à la fin de la lettre H et au début de la lettre I, rassemble cinquante-six notices, en plus de la fin de celle portant sur Jérôme et du début de l’article « Institutio, institutum ». Comme il se doit, toutes ces notices concernent Augustin d’une manière ou d’une autre, mais plusieurs d’entre elles débordent le champ des études augustiniennes et rejoindront un public plus large. Ainsi celles qui sont réservées aux « Imperatores romani » ou à l’« Imperium romanum », à « Historia », « Imago », « Idea » ou encore à des termes importants pour l’histoire de l’anthropologie chrétienne (« Homo » et « Inspiratio »). Parmi les quelques notices portant sur des écrits, notons celles de François Dolbeau sur les deux listes anciennes des oeuvres d’Augustin, l’Indiculum, dont l’existence est attestée par les Retractationes (II,41), et l’Indiculus qui figure à la fin de la Vita Augustini de Possidius. Mentionnons aussi les deux contributions du regretté Serge Lancel, sur « Hippo Diarrhytus » et surtout « Hippo Regius », le siège épiscopal d’Augustin.

Paul-Hubert Poirier

3. Volker Henning Drecoll, éd., Augustin Handbuch. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Theologen Handbücher »), 2007, xix-799 p.

Cet « Augustin » qui paraît dans une collection de manuels consacrés à des théologiens anciens et modernes, se veut une introduction à la recherche augustinienne destinée aussi bien aux spécialistes et aux étudiants qu’au large public des lecteurs d’Augustin. Le plan qui a été retenu est sensiblement le même que pour le premier volume de la collection, le Luther Handbuch. Il se compose de quatre parties. La première offre une orientation d’ensemble dans la recherche sur Augustin et son oeuvre. On y trouvera une présentation de la tradition manuscrite et des grandes entreprises éditoriales, des outils de la recherche (bibliothèques, dictionnaires et lexiques, banques de données) et des institutions spécialisées, ainsi qu’un bilan des acquis. La deuxième partie est consacrée à la personne d’Augustin : le milieu (l’Afrique romaine, Rome et Milan) et la vie ; les traditions littéraires, philosophiques, religieuses (dont le manichéisme), théologiques et ecclésiales qui ont forgé la personnalité d’Augustin ; son évolution, ses combats et les domaines où il s’est illustré. La troisième partie, qui porte sur l’oeuvre, est divisée en trois sections. La première constitue un inventaire succinct des principaux écrits d’Augustin, la seconde, une présentation des grands thèmes de sa pensée. La dernière section de cette partie, plus brève, examine quelques thèmes « transversaux » dans la pensée d’Augustin, comme le Dieu trinitaire, l’individu et la communauté humaine, l’action de Dieu dans l’histoire. La dernière partie de l’ouvrage est réservée à la Wirkungsgeschichte de l’évêque d’Hippone, à son influence et à sa survie. On y trouve des chapitres portant, entre autres, sur la Regula Augustini, Anselme, Abélard, les Sentences de Pierre Lombard, l’augustinisme médiéval, Luther, Calvin, le mouvement arminien et l’augustinisme catholique, de Baius à Jansénius. Même s’il présente toutes les caractéristiques d’un manuel, cet ouvrage, surtout dans ses troisième et quatrième parties, est plutôt une collection d’essais sur la personne d’Augustin et son oeuvre. Ce qui ne diminue en rien sa valeur ou son utilité. Il sera au contraire un bon complément à l’Augustinus-Lexikon dont la publication se poursuit à un rythme soutenu. Avec ses bibliographies et ses index, il constitue un Companion to Augustine qui rendra service à tous ceux, de plus en plus nombreux, qui fréquentent les écrits augustiniens.

Paul-Hubert Poirier

Judaïsme hellénistique

4. Andrei A. Orlov, The Enoch-Metatron Tradition. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Texts and Studies in Ancient Judaism », 107), 2005, xii-383 p.

Andrei Orlov est connu pour avoir expliqué, dans de précédents articles, l’évolution de la figure d’Hénoch à partir de l’image amplifiée qu’en donne 2 Hénoch, un pseudépigraphe conservé en slavon[2]. Avec un ouvrage entier consacré à la question, l’A. rassemble maintenant ses acquis et complète la démarche qu’il avait entreprise.

L’A. fait remonter les origines de la tradition du septième patriarche jusqu’en Mésopotamie, conformément à l’hypothèse selon laquelle la liste sumérienne des rois antédiluviens serait le témoin le plus ancien de la tradition dont la liste biblique aurait hérité. Au septième rang de différentes versions de cette liste apparaît le roi Enméduranki qui présente déjà plusieurs des compétences qui seront des siècles plus tard attribuées à Hénoch dans la littérature apocryphe.

Tout au long de la première partie du livre, l’A. dégage les rôles et les titres que l’on peut reconnaître au prophète Hénoch dans les textes où il occupe une place importante. Après s’être intéressé au roi Enméduranki, l’A. pose comme fondement représentatif de l’identité du patriarche les descriptions contenues dans 1 Hénoch, le Livre des Jubilés, l’Apocryphon de la Genèse et le Livre des Géants. Il s’en sert comme base de comparaison pour distinguer des anciens les nouveaux rôles et titres que contient le Sefer Hekhalot (3 Hénoch). L’A. termine l’analyse des rôles et des titres en étudiant le Livre des secrets d’Hénoch (2 Hénoch), dans le but de montrer que ce livre constitue une étape intermédiaire entre les facettes originales du patriarche et celles que la mystique juive attribuera plus tard à l’ange Métatron. L’A. n’exclut pas pour autant que d’autres influences, telles que les traditions concernant les anges Yahoël et Michaël, aient pu contribuer à la formation de l’identité de Métatron. Toutefois, l’A. procède en déclinant les rôles et les titres qui sont explicitement associés à Hénoch (ou à un être céleste comparable) plutôt que d’identifier dans un premier temps les personnages auxquels ces titres et ces rôles sont traditionnellement associés. Sont ainsi passées sous silence certaines occurrences de ces dénominations qui apparaissent aussi dans des textes où elles ne peuvent être reliées à la tradition d’Hénoch-Métatron. Pensons par exemple à « l’Élu de Dieu » (4Q534) ou à d’autres formulations dont les manuscrits de Qumrân rappellent le caractère messianique.

Puisque l’ouvrage traite de la transformation de l’image d’Hénoch à travers le temps, le lecteur devra s’attendre à ce qu’il porte davantage sur les récits qui décrivent une ascension ou un voyage céleste du patriarche. L’A. puise abondamment à la littérature rabbinique ainsi qu’à la littérature Hekhaloth (l’enseignement à propos de la Merkabah), incluant la tradition à propos du Shi‘ur Qomah (la mesure du corps divin). En outre, l’auteur démontre une connaissance intime de 2 Hénoch et de ses diverses influences. Par ailleurs, le lecteur francophone constatera avec étonnement que l’A. ne renvoie aucunement aux travaux de Mgr Joseph Coppens sur la figure du Fils de l’homme. Il fut pourtant le premier, avec Johannes Theisohn, à avoir présenté sous forme comparative les fonctions et les attributs des personnages de l’Élu et du Fils de l’homme dans le Livre des Paraboles, ce qui mit en évidence la grande similarité des deux titres[3]. Notons toutefois que Coppens considérait comme tardive l’association de ces deux dénominations avec le patriarche Hénoch.

Dans la deuxième partie du livre, l’A. met en relief l’aspect polémique du contenu de 2 Hénoch, polémique dirigée contre les figures d’Adam, de Noé et de Moïse. Le récit tenterait de mettre en valeur le prophète en extrapolant ses rôles antérieurs ou en reprenant à son compte les fonctions exercées par ces personnages concurrents. Fort de cette constatation, l’A. montre comment ces polémiques ont eu pour effet d’amplifier les attributs et les qualités d’Hénoch, jusqu’à le hisser au niveau de sar happanim, un ange capable de se tenir debout devant la face de Dieu pour le servir. L’A. traite de l’aspect polémique entre Hénoch et le personnage de Noé en dernier lieu. Il y trouve des indices supplémentaires pour soutenir que l’oeuvre est un écrit juif de la période du Second Temple. Cette conclusion ferme la boucle puisqu’en introduction, l’A. entendait démontrer que 2 Hénoch constituait « a bridge between the early apocalyptic Enochic accounts and the later mystical rabbinic and Hekhalot traditions » (p. 17). On déplore toutefois que l’A. reprenne sans réserve l’hypothèse selon laquelle un Livre de Noé aurait véritablement existé. D’abord formulée par Robert H. Charles, cette hypothèse centenaire est pour le moins discutable[4]. Néanmoins, la thèse générale de l’A. voulant qu’une partie importante du contenu de 2 Hénoch fût motivée par des préoccupations polémiques fournit une précieuse clé de compréhension pour l’étude de ce texte. L’A. propose de façon convaincante un nouveau cadre d’analyse que les futures études sur le sujet ne pourront ignorer.

Il est cependant dommage que l’A. n’ait pas osé aborder la question de la datation du Livre des Paraboles, ouvrage auquel il se réfère fréquemment. Le lecteur averti aurait sûrement apprécié que l’A. montre de quelle manière son approche peut contribuer à éclairer un problème encore discuté, le Livre des Paraboles étant absent des nombreuses copies du Livre d’Hénoch retrouvées à Qumrân. Après avoir relevé le traitement particulier réservé dans cette oeuvre à certains titres dont celui de Fils de l’homme, l’A. nous laisse sans conclusion sur l’époque de sa rédaction. Souhaitons qu’il traite de cette question difficile lors d’un prochain article. On doit signaler à l’attention du futur lecteur que Birger A. Pearson a fait connaître le texte de l’Apocryphon copte d’Hénoch dans un livre paru vraisemblablement trop tard pour qu’Orlov puisse en tenir compte dans le sien[5]. La lecture de ce texte constitue un complément pertinent à The Enoch-Metatron Tradition.

Pierre Cardinal

5. Étienne Nodet, La crise maccabéenne. Historiographie juive et traditions bibliques. Préface par Marie-Françoise Baslez. Paris, Les Éditions du Cerf, (coll. « Oeuvre de Flavius Josèphe et études », 6) 2005, x-446 p.

Dans cet essai, l’A. invite à une relecture subversive des sources entourant la crise maccabéenne afin de poser un regard nouveau sur la fondation du judaïsme et sur la période du Second Temple. Marie-Françoise Baslez, qui signe la préface (p. vii-x), l’exprime de belle façon en soulignant que Nodet manie volontiers le paradoxe et qu’il aime à provoquer son lecteur afin de l’inviter à remettre en cause certaines idées reçues.

Selon l’A., la crise maccabéenne ne serait pas due à une réaction conservatrice devant la menace d’invasion d’une culture étrangère, mais constituerait plutôt l’acte de fondation d’un judaïsme jérusalémitain qui se dresse devant la religion palestinienne. Il s’agirait donc avant tout du point de départ d’un ordre nouveau plutôt que la restauration d’anciennes normes religieuses. Il s’en serait suivi la création de nouvelles fêtes et l’attribution de nouvelles significations à des fêtes traditionnelles. L’A. donne en exemple la fête de Hanoukka, qui prit à partir de cette époque une ampleur significative, alors que l’événement qu’elle célèbre n’aurait peut-être pas été si important.

En plus des fêtes, cette nouvelle réalité religieuse jérusalémitaine aurait contribué à l’établissement du canon des Écritures, tel que le judaïsme rabbinique l’a reçu. Parmi les idées mises de l’avant par l’A., on note en effet la remise en question des origines du Pentateuque, qui se serait formé progressivement quelques générations seulement avant la crise. La forme finale qui se serait imposée à certains milieux de scribes serait à situer à l’époque où les Lagides contrôlaient la Judée, sous le pontificat des Oniades, avec en tête le Grand Prêtre Simon le Juste (~200 aec), à qui une tradition orale recueillie dans le traité Pirqé Avoth accorde un rôle prééminent dans la ligne de réception et de transmission de la Torah. Du même coup, l’A. invite à une nouvelle datation de la lxx, qu’il situe après 150 aec, et à une datation basse du Pentateuque Samaritain, « au plus tôt au iie siècle » (p. 206). Les Samaritains ne seraient pas non plus des schismatiques de la religion judéenne, mais plutôt les témoins d’une ancienne réalité israélite.

En conclusion, l’A. soulève deux questions. La première, qui est celle d’une possible influence grecque sur la rédaction finale de la Bible hébraïque, ressort l’ancien débat dont nous trouvons des échos chez les apologistes chrétiens et dans le Contre Apion de Josèphe, voulant que Platon se soit inspiré de Moïse. L’A. propose alors que soit examinée en sens inverse cette tradition. La seconde question se demande quelle instance aurait été en mesure de contribuer à la formation de la collection de livres bibliques qui suivent le Pentateuque. Considérant d’une part que la collection deutéronomique est nettement projudéenne et que de nombreux extraits des prophètes louent ceux qui sont en exil à Babylone, tout en fustigeant ceux qui sont restés et ceux qui ont fuit en Égypte, l’A. pose alors deux hypothèses : ou bien il s’agit de l’État asmonéen, ou bien d’une entité adverse ayant une autorité supérieure. En ce sens, on souligne que 2 M 2,14 situe l’activité littéraire judéenne après la crise sous l’autorité de Judas. Ce dernier élément n’étant probablement pas suffisant à expliquer l’importance que prit l’Écriture après ces événements, l’A. propose alors de faire intervenir les « fils de Sadoq », qui peuvent être ou bien des esséniens ou bien des sadducéens.

Le mérite de ce livre est de bien faire comprendre le caractère pluriel de l’univers religieux palestinien à l’intérieur même des multiples courants du judaïsme. Le style caractéristique d’Étienne Nodet et son écriture serrée et vive se reconnaissent tout au long du livre. Nodet a le don de tenir son lecteur en haleine et de soutenir un suspens qui le rend impatient de poursuivre sa lecture, comme s’il s’agissait d’un essai journalistique d’enquête. Mais ce trait qui me plaît personnellement peut devenir une faiblesse pour d’autres, dans la mesure où il laisse trop souvent le lecteur à lui-même. Le néophyte ou l’étudiant de premier cycle s’y perdra presque à coup sûr. Il faut en effet être déjà un bon connaisseur de la littérature juive ancienne et de la littérature classique pour suivre l’A. dans ses nombreux développements. Dans la mesure où on est prévenu, il ne s’agit alors peut-être plus d’un défaut.

Serge Cazelais

Histoire littéraire et doctrinale

6. John Behr, The Way to Nicaea. Crestwood, New York, St. Vladimir’s Seminary Press (coll. « Formation of Christian Theology », 1), 2001, xii-261 p. ; et Id., The Nicene Faith. Part One. True God of True God. Part Two. One of the Holy Trinity. Crestwood, New York, St. Vladimir’s Seminary Press (coll. « Formation of Christian Theology », 2), 2004, xvii-259 p. et xi-245 p.

Philosophe de formation, John Behr étudie la théologie à Oxford avec comme centre d’intérêt la formation de la pensée chrétienne primitive. Il a obtenu un doctorat en théologie patristique[6] avec des approches anthropologiques et sociologiques. Dans les ouvrages qui font l’objet de cette recension, l’A. consacre peu d’espace au contexte historique, institutionnel, culturel ou intellectuel, afin de se concentrer sur les questions théologiques qui ont contribué à la formation de la théologie chrétienne. La question de départ de ses recherches est : « Qui dites-vous que je suis ? (Mt 15,15) », question que Jésus lui-même a posée aux disciples à Césarée de Philippe. À travers sa compréhension d’Irénée, l’A. présente soigneusement les réponses apostoliques, postapostoliques et des deux premiers conciles oecuméniques à cette question évangélique. Ainsi, il nous introduit au coeur de la foi chrétienne quant à l’identité de Jésus Christ et nous fait découvrir le point de départ de la théologie dogmatique des quatre premiers siècles du christianisme. Cependant, l’A. lui-même reconnaît que ses recherches ne représentent pas une entreprise archéologique, ni une histoire complète des dogmes chrétiens, ni un survol narratif du développement théologique, ni non plus un manuel de la théologie patristique (vol. I, p. 3-5). De plus, les titres de ces volumes, The Way to Nicaea et The Nicene Faith, ne sont pas à prendre dans le sens que Nicée serait le moment décisif où toute la réflexion théologique antérieure et postérieure aurait trouvé son aboutissement. L’intention de l’A. est plutôt de nous aider à mieux comprendre pourquoi Nicée est devenu un événement clé dans l’histoire des dogmes chrétiens. La tradition dans laquelle ces volumes ont été écrits est celle de l’Église orthodoxe, par conséquent, certains théologiens ont été choisis en fonction de cette tradition et des sensibilités christologiques et trinitaires spécifiques aux byzantins.

Le premier volume, The Way to Nicaea, traite des trois premiers siècles de l’ère chrétienne. Ce faisant, le lecteur est amené à mieux comprendre comment les éléments de base du projet théologique se sont développés ensemble et comment certaines questions, plutôt que d’autres, ont retenu l’attention des théologiens. La première partie est consacrée à la tradition apostolique et nous fait découvrir comment se sont établis le canon des Écritures, la succession apostolique et la proclamation du kérygme chrétien. Dans la deuxième partie, nous pénétrons déjà dans la pensée des premiers Pères postapostoliques : Ignace d’Antioche, Justin le Martyr et Irénée de Lyon. Le point commun qui les unit est leur compréhension du Christ comme Logos de Dieu et le caractère salvifique de son incarnation, de sa mort et de sa résurrection. Enfin, la troisième partie nous conduit de Rome à Alexandrie et d’Alexandrie à Antioche, afin de découvrir les débats christologiques dans ces grands centres de réflexion théologique. Nous sommes également sensibilisés à la pensée de leurs protagonistes, à savoir Hippolyte de Rome, Origène et Paul de Samosate. La question centrale qui préoccupe ces théologiens est, d’une part, celle de l’éternité et de la subsistance propre du Logos, et, d’autre part, la vraie humanité et la vraie divinité de Jésus Christ, Fils de Dieu incarné pour notre salut.

Le second volume, The Nicene Faith, explore en deux parties la réflexion théologique du quatrième siècle, période où le christianisme devient « christianisme nicéen » (vol. II, p. xv). La première partie, intitulée True God of True God, analyse tout particulièrement les débats théologiques pré- et postathanasiens. L’objectif de l’A. est de nous présenter la réflexion théologique de ceux qui ont préparé d’une façon incontournable la voie des conciles de Nicée et de Constantinople et qui ont contribué, par leurs travaux, à expliquer le contexte propre du Credo de Nicée-Constantinople et son interprétation. Pour ce faire, il commence par nous présenter une vision d’ensemble des controverses du quatrième siècle (ch. 1), quelques figures clés qui se situent à la fin du troisième et au début du quatrième siècle, comme Méthode d’Olympe, Lucien d’Antioche et Eusèbe de Césarée (ch. 2), une brève vue d’ensemble de l’histoire des nombreux synodes réunis entre 318-382 (ch. 3), les débuts de la « crise arienne » et la confrontation théologique qui opposa Arius à son évêque Alexandre d’Alexandrie et au premier concile oecuménique tenue à Nicée en 325 (ch. 4). Il présente ensuite le personnage d’Athanase et la contribution théologique qu’il a apportée à l’intérieur même du débat doctrinal antiarien (ch. 5). Dans une centaine de pages, Behr nous offre l’essence même de la doctrine athanasienne en réaction à l’arianisme à travers ses oeuvres fondamentales : Contre les Païens et Sur l’incarnation du Verbe, Trois discours contre les Ariens, Lettre à Marcellin et Vie d’Antoine.

La seconde partie, intitulée One of the Holy Trinity, est consacrée à l’étude des Cappadociens Basile de Césarée (ch. 6), Grégoire de Nysse (ch. 7) et Grégoire de Nazianze (ch. 8), ainsi que de leurs opposants : Marcel d’Ancyre, Aetius, Eunome et Apollinaire de Laodicée. Tout en défendant la foi nicéenne, les Cappadociens ont contribué à jeter les bases de la formulation de la foi trinitaire à travers l’expression : « μία οὐσία, τρεῖς ὐποστάσεις » (Basile de Césarée, Lettre 38,1). Le Père, le Fils et le Saint Esprit sont trois réalités distinctes et subsistantes constituant l’unique Dieu vrai, vivant et tout-puissant. La personne et l’oeuvre du Christ contemplé, « théologisé », conduit à le confesser vrai Fils de Dieu et vrai Fils de l’homme, Dieu de la substance même du Père, coéternel et coglorifié avec lui. L’Esprit-Saint est également confessé, implicitement par Nicée et explicitement par Constantinople, pleinement divin comme le Fils et le Père. La distinction des personnes divines n’est pas seulement économique, comme le voulait Marcel d’Ancyre, mais aussi théologique. Bref, Jésus Christ, en tant que vrai Fils de Dieu, et l’Esprit-Saint, en tant qu’Esprit de Dieu, ne partagent pas la vie divine comme des êtres ayant une origine extérieure à Dieu, mais ils sont des êtres constitutifs de l’unique divinité confessée comme Père, Fils et Saint Esprit.

Deux points ressortent à la lecture de ces volumes. D’une part, la réponse à la question « Qui dites-vous que je suis ? » implique deux affirmations corrélatives : le Christ est le Christ crucifié et ressuscité, personne du mystère pascal, et le Christ est le Logos de Dieu, c’est-à-dire pleinement Dieu. Ces deux affirmations empêchent la théologie de se détacher de la prière dans laquelle le Christ est rencontré comme le crucifié et le Seigneur ressuscité. De plus, ces deux affirmations empêchent aussi la théologie de se détacher de la liturgie où le peuple se trouve devant Dieu en tant que Corps du Christ. D’autre part, ce travail intéresse tout particulièrement les penseurs chrétiens qui font l’effort de rendre intelligible la confession apostolique sur le Christ, mais aussi tout fidèle qui veut s’approprier d’une façon adulte sa foi au Christ mort et ressuscité pour le salut du monde et pour la divinisation de l’homme. Les lecteurs chrétiens qui n’ont jamais eu accès à une connaissance approfondie de la foi nicéenne seront bien servis par cet excellent livre. Behr nous fournit une série d’essais originaux, compréhensibles et perspicaces de la théologie des protagonistes clés de la foi nicéenne. Il nous présente une vision accessible de la théologie chrétienne centrée sur le Christ, à la fois dans son mystère pascal et comme révélateur de la Trinité en tant que seconde personne de la divinité. En ce sens, le chercheur nous offre une étude académique bien documentée et de grand calibre.

Lucian Dînca

7. Astérios Argyriou, coord., Chemins de la christologie orthodoxe. Textes réunis. Paris, Desclée (coll. « Jésus et Jésus-Christ », 91), 2005, 395 p.

La collection « Jésus et Jésus-Christ » s’enrichit en publiant ces textes de grands théologiens orthodoxes contemporains réunis par Argyriou sous le titre Chemins de la christologie orthodoxe. Comme le souligne Mgr Joseph Doré dans la présentation qu’il fait de l’ouvrage, il était plus qu’urgent que la collection consacre au moins un de ses volumes à « un panorama de la christologie orthodoxe » parce qu’elle n’avait encore pu honorer qu’une part fort limitée de ce vaste champ. Les théologiens qui ont contribué à ce volume sont représentatifs de la géographie des Églises orthodoxes, qui ont en commun l’« orthodoxie » de la foi au Christ mort et ressuscité pour le salut du monde. Ils nous présentent une christologie très cohérente qui se fonde principalement sur les affirmations dogmatiques des premiers conciles oecuméniques, sur la tradition théologique patristique et sur l’Écriture, assise de toute doctrine christologique. Du point de vue de la méthode théologique, l’orthodoxie ne distingue ni ne traite à part le Jésus historique et le Christ professé par la foi des premiers croyants. Mais « l’orthodoxie confesse le Christ comme vrai Dieu et vrai homme, comme le Sauveur divin et le Seigneur du monde. Cette foi dans le Christ théanthropique est la véritable lumière pour toute lecture orthodoxe de la Sainte Écriture » (p. 157). C’est pourquoi l’occidental pourra voir des coups de griffes contre la méthode exégétique trop critique, voire soupçonneuse allant jusqu’à développer une christologie qui n’a plus rien à faire avec la doctrine de l’Église (cf. p. 163-165).

Une fois les articles recueillis, M. Argyriou et Mgr Joseph Doré ont eu pour tâche de les mettre dans un ordre cohérent en fonction des diverses sphères de la christologie orthodoxe dont provenaient les contributions. Ils ont ainsi établi le plan du livre en quatre parties. L’ouvrage s’ouvre avec l’homélie du patriarche Ignace IV d’Antioche prononcée en Allemagne à l’occasion de la fête de l’« Exaltation de la Croix ». Ensuite, la première série d’articles est regroupée sous le titre « Le Christ dans le mystère de la Trinité ». Le Dieu incompréhensible et inaccessible en son essence nous est révélé par Jésus Christ, Fils et Verbe de Dieu incarné, dans la pluralité des personnes du Père, du Fils et du Saint Esprit. Les orientaux portent en eux la certitude inébranlable que tous les hommes naissent avec le désir de Dieu, et que la foi au Christ comble ce désir en offrant à l’humanité la grâce de participer à la vie même de Dieu. L’adage des Pères grecs : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu » est le fondement de toute doctrine christologique orthodoxe, qui est inséparable de la doctrine trinitaire. Du coup, le mystère de l’incarnation du Christ, seconde personne de la Trinité, est la clé de toute interprétation biblique orthodoxe parce qu’il est lié directement et nécessairement avec les mystères fondamentaux de la vie chrétienne : la Trinité, le salut, l’Église.

La seconde série d’articles porte comme titre « Le Christ dans son mystère de l’incarnation ». La confession de foi orthodoxe en l’incarnation est profondément liée à l’économie du salut divin, qui trouve son sommet dans la mort et la résurrection du Christ pour la vie du monde (p. 115-130). Dans cette économie, les personnes divines travaillent ensemble pour la création, le salut et la sanctification de l’homme. De là vient la nécessité, pour les orthodoxes, de faire le lien entre le Christ et les autres personnes de la Trinité, afin d’éviter de tomber dans les pièges doctrinaux contre lesquels l’Église des premiers siècles a dû lutter, à savoir patripassianisme, monarchianisme, arianisme, etc. Selon la foi orthodoxe, il y a quatre façons de parler du Christ, selon les différentes étapes de l’oeuvre salvifique : avant l’incarnation, où le Christ est préexistant avec le Père et est de la même substance que lui ; au moment de l’incarnation, pour indiquer l’appauvrissement de Dieu et la déification de l’homme ; après l’incarnation, afin de montrer l’union hypostatique entre le Verbe de Dieu et notre nature humaine ; et enfin après la résurrection, en lien avec la destinée eschatologique de l’homme, vivre éternellement en Dieu (cf. p. 174-175).

La troisième partie regroupe des textes touchant au « Christ dans le mystère de sa résurrection ». La méditation orthodoxe de la passion et de la mort du Christ sur la croix ouvre la foi en l’espérance de la résurrection. Le Christ n’a pas revêtu la nature angélique, mais il a voulu prendre la nature humaine, c’est-à-dire mortelle, afin de la conduire à son accomplissement ultime : la divinisation. Le baptême est ce bain sacramentel de régénération de l’homme qui le fait participer à la mort du Christ afin d’avoir part, avec lui, à sa résurrection. Les textes chantés par la liturgie orthodoxe, hymne acathiste, épitaphios thrénos, octoèque, pentecostaire, ne font qu’exprimer le mystère de l’incarnation et celui de la rédemption apportée par la résurrection du Christ. Devenu homme dans l’histoire, Dieu n’a pas recours à une démonstration empirique de sa résurrection, mais il opte pour l’absence du témoignage oculaire, sacrifiant le prestige de l’objectivité historique à la foi des premiers croyants.

Enfin, la quatrième partie porte le titre « Le Christ dans le mystère de l’Église ». La liturgie de l’Église orthodoxe, inspirée de la lecture biblique, des réflexions patristiques et de la mystique monacale des hésychastes, est le lieu par excellence de la christologie. Dans la liturgie, sous toutes ses formes, les fidèles participent à la vie même du Christ en se rendant identiques au Christ selon la grâce. Siméon le Nouveau Théologien disait cela avec beaucoup d’audace dans une de ses hymnes : « Nous sommes membres du Christ, et le Christ est nos membres, main est le Christ, pied est le Christ pour le pauvre de moi, et main du Christ et pied du Christ je suis, moi le misérable » (p. 314). Dans l’Église et dans la vie liturgique, dont le sommet est « la Divine Liturgie », a lieu notre « christification », nous devenons un seul corps et un seul sang avec le Christ, nous devenons, par la similitude à Dieu, des dieux par la grâce en progressant sur la voie de la célébration des mystères (cf. p. 381-389).

La lecture de ces articles nous permet, à nous les occidentaux, trop marqués par la théologie de saint Augustin et par la philosophie cartésienne, de constater principalement deux choses. Premièrement, le discours orthodoxe sur le Christ n’est jamais séparé de la théologie trinitaire, ecclésiologique et sotériologique et s’impose avec insistance comme une christologie purement confessante. Selon Mgr Doré, cela peut constituer à la fois « sa grande richesse et sa limite » (p. 13). Deuxièmement, pour appuyer leurs affirmations, les théologiens orthodoxes puisent leur argumentation uniquement au patrimoine patristique grec sans aucune référence aux grands noms latins : Tertullien, Cyprien, Ambroise ou, encore moins, Augustin.

Lucian Dînca

8. Michel Fédou, La voie du Christ. Genèses de la christologie dans le contexte religieux de l’Antiquité du iie siècle au début du ive siècle. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Cogitatio Fidei », 253), 2006, 553 p.

La confession de foi au Christ ressuscité par les premiers chrétiens s’est fait dans un milieu marqué par une grande diversité de pratiques, de croyances, de sagesses et de spiritualités. C’est pourquoi, dès l’origine, les chrétiens ont dû rendre compte de leur foi au Christ et de sa signification universelle. Aux premiers siècles du christianisme, comme aujourd’hui, la même question traverse la pensée des théologiens : comment tenir ensemble à la fois l’affirmation de la révélation biblique confessant le Christ seul Sauveur du monde et reconnaître d’autres voies conduisant à une expérience du divin ? Dans ce livre, Michel Fédou se propose d’étudier la littérature du christianisme ancien sous cet angle afin de nous offrir une synthèse de haut niveau de sa lecture de nombreux textes patristiques qui vont du deuxième au début du quatrième siècle. Son objectif est de nous présenter la réponse des théologiens de cette période à la question, tout en sachant que pour eux l’autorité suprême et légitime était l’Écriture inspirée. Pour mieux encore situer l’originalité de son travail, l’A. mentionne dans l’introduction trois chercheurs qui, d’une façon ou d’une autre, ont abordé la question de la confession des premiers chrétiens au Christ et celle de leur originalité dans le monde de leur temps : L. Capéran avec son ouvrage Le problème du salut des infidèles, J. Daniélou et sa trilogie Théologie du judéo-christianisme, Message évangélique et culture hellénistique au iie et iiie siècles, Les origines du christianisme latin, et A. Grillmeier avec son classique Le Christ dans la tradition chrétienne. Dans ses recherches, l’A. s’interroge également sur les racines antijuives qu’on peut discerner dans la littérature patristique. Une des pistes de réflexion qui nous est proposée est d’éliminer la tendance que nous avons trop souvent d’appliquer à ces théologiens des concepts modernes, pour plutôt faire ressortir l’intérêt que les Pères ont eu pour le sens de l’Alliance entre Dieu et le peuple d’Israël, et pour la reconnaissance du rôle unique joué par ce peuple dans l’histoire de l’humanité.

Situées dans le contexte d’une grande diversité culturelle et religieuse, ces recherches tentent de présenter la singularité du christianisme parmi les religions et les cultes qui se sont développés dans le monde méditerranéen. Justifiant leur croyance en Jésus de Nazareth, confessé comme Fils Monogène de Dieu, les Pères de l’Église du deuxième jusqu’au début du quatrième siècle ont apporté une contribution essentielle à la réflexion théologique sur la christologie, la sotériologie et la doctrine trinitaire. Ainsi, à travers débats et disputes théologiques, ils ont su privilégier la singularité de « la voie du Christ » en conformité avec la révélation biblique et avec la tradition ecclésiastique en train de se mettre en place. Pour faire ressortir avec plus de clarté à la fois les débats portant sur le Christ et la voie privilégiée par les Pères pour dire leur attachement et leur foi au Verbe de Dieu incarné pour notre salut et notre divinisation, l’A. nous propose un parcours en sept étapes constituant les sept chapitres de l’ouvrage.

Tout d’abord, il commence par évoquer les principaux écrits qui ont marqué les débuts de la littérature patristique. Il s’agit des Pères dits apostoliques en raison de leur proximité chronologique avec les Apôtres : Clément de Rome, Ignace d’Antioche et Polycarpe de Smyrne. Nous y trouvons également d’autres écrits fondamentaux du début du christianisme, tels que le Symbole des Apôtres et la Didachè, des écrits apocryphes nés simultanément ou tout juste après les écrits canoniques, des récits des premiers martyrs et des poésies chrétiennes, comme les Odes de Salomon et les Oracles sibyllins. Ensuite, la place est faite à la littérature apologétique chrétienne du deuxième siècle. Ce genre littéraire, qui est né afin de réfuter les accusations souvent portées contre les chrétiens, a permis de développer toute une réflexion sur les énoncés centraux de la foi chrétienne, son rite et son culte. La troisième étape nous introduit à l’intérieur même du contexte gnostique de la fin du deuxième et du début du troisième siècle, afin de suivre la méthode théologique d’Irénée de Lyon, qui a élaboré une pensée christologique sur le Logos de Dieu en opposition aux gnostiques marcionites. Tout le quatrième chapitre est consacré à Clément d’Alexandrie, analysé sous l’angle bien particulier de sa réflexion théologique sur le Christ en rapport avec d’autres traditions culturelles et religieuses du christianisme ancien. Au cinquième chapitre, l’A. aborde les positions christologiques et trinitaires de quatre théologiens du début du troisième siècle, à savoir Tertullien, en opposition à Marcion et à Praxéas ; Hippolyte de Rome et sa lutte « antimodaliste » et « antipatripassienne », dont les représentants de marque étaient Noët et Sabellius ; Novatien qui, à cause de son rigorisme chrétien intransigeant, est allé jusqu’à fonder à Rome une Église schismatique ; et Cyprien, surtout connu par son adage qui a traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui : « Hors de l’Église point de salut[7] ». L’avant-dernier chapitre est consacré à l’incontournable Origène, « l’une des plus grandes figures du christianisme ancien » (p. 375). L’A., un spécialiste du maître alexandrin[8], nous introduit dans l’âme de la théologie origénienne à la fois apologétique dans le ContreCelse et dogmatique dans le Péri Archôn. L’angle sous lequel Origène est envisagé est celui de la réponse qu’il propose au développement de sa théologie du Christ face aux divers débats et traditions présents dans l’Alexandrie de son temps. Enfin, l’ouvrage se termine par une analyse, qui n’est pas exhaustive, de la littérature patristique de la seconde moitié du troisième et début du quatrième siècle. Nous rencontrons deux auteurs de langue latine, Arnobe et Lactance, et un auteur de langue grecque, Méthode d’Olympe. La seconde partie de ce même chapitre est consacrée à la réflexion sur l’expérience monastique qui prit naissance dans le désert d’Égypte à cette époque. Ici, Fédou se sent obligé de dépasser un peu la limite qu’il avait imposée à ses recherches en faisant appel à un écrit de la seconde moitié du quatrième siècle, la Vie d’Antoine d’Athanase d’Alexandrie. L’A. justifie ce choix en affirmant qu’il permet « de voir comment la relation avec le Christ éclaire la destinée de saint Antoine et comment l’expérience ainsi vécue suscite par là même un renouvellement du langage christologique » (p. 514). Par contre, l’A. choisit intentionnellement de ne pas avoir recours à l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée pour exposer les faits historiques de son exposé, en raison de sa rédaction au début du quatrième siècle et parce que cela demanderait un examen plus élargi de l’arianisme et de la réaction de Nicée.

Le lecteur, qu’il soit apprenti théologien ou tout simplement intéressé par les débats théologiques du début du christianisme, trouvera dans cet ouvrage une réflexion intellectuelle rigoureuse et accessible qui lui permettra de mieux comprendre, ou du moins de saisir, les raisons qui ont conduit les premiers théologiens à privilégier « la voie du Christ » dans un contexte pluriculturel et plurireligieux. La singularité de ce choix trouve sa raison ultime dans la révélation biblique interprétée dans la tradition de l’Église qui se met en place progressivement. L’A. exprime sa conviction que les réponses décelées chez les Pères de l’Église quant à leur pensée théologie sur le Christ « ne seront pas seulement instructives pour notre connaissance de la christologie ancienne, mais qu’elles contribueront pour leur part à éclairer notre propre réflexion sur la voie du Christ parmi les diverses traditions de l’humanité » (p. 30).

Lucian Dînca

9. Philippe Henne, Introduction à Hilaire de Poitiers suivie d’une Anthologie. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Initiation aux Pères de l’Église »), 2006, 238 p.

Après avoir consacré un précédent ouvrage à Origène[9], Philippe Henne en publie un second, portant sur Hilaire de Poitiers, « avec lequel commence la grande théologie latine » (p. 13), construit sur le même modèle : une présentation de l’homme et de sa théologie suivie d’une anthologie de ses textes. La préface du livre a été rédigée par Mgr Albert Rouet, l’actuel archevêque de Poitiers. Parce qu’il a contribué, au quatrième siècle, à stopper l’expansion de l’arianisme et à promouvoir le Symbole nicéen, on a fait d’Hilaire l’« Athanase de l’Occident », à savoir l’incarnation de la foi nicéenne. « Non seulement il écrit, mais il se bat, pour la foi et pour l’évangélisation. Seul au milieu d’un épiscopat sans courage, il affirme la foi de Nicée » (p. 14).

L’ouvrage est structuré en trois parties. Dans la première partie, nous sommes d’abord introduits au milieu politique, social et religieux qui a vu naître le futur évêque de Poitiers et qui a influencé le développement sa pensée théologique. Les événements majeurs à retenir de cette période sont l’arrivée au pouvoir de Constantin, et avec lui la fin des persécutions contre les chrétiens, de même que la quasi-imposition du christianisme comme religion officielle de l’Empire. L’A. suit ensuite Hilaire dans sa formation intellectuelle et sa conversion, jusqu’à son élection sur le siège épiscopal de Poitiers. Sa recherche d’absolu et d’un principe unique et indivisible le conduit à rencontrer le christianisme et à recevoir le baptême de régénération vers 345. L’épiscopat lui fut accordé vers 353. Enfin, nous sommes sensibilisés aux premiers combats de cet évêque occidental qui, comme Athanase en Orient, n’a pas échappé à la condamnation et à l’exil pour sa défense de la foi nicéenne. La deuxième partie nous fait découvrir en profondeur un évêque qui se bat pour la vérité et qui défend la vraie divinité du Verbe de Dieu fait homme pour notre salut. Exilé en Phrygie, Hilaire poursuit son combat théologique et démontre la fausseté de la doctrine arienne et l’impiété qu’elle entraîne envers notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme. De cette période, nous gardons ses grands écrits dogmatiques : Sur les Synodes et Sur la Trinité. Le premier ouvrage est la constitution d’un dossier faisant le point sur toute la querelle arienne depuis ses débuts, vers 318, jusqu’en 358, date de la composition de l’ouvrage. Le second est une première pour la théologie occidentale sur une question aussi vaste et difficile : « Hilaire s’élève au-dessus des querelles et des disputes et essaie d’embrasser le sujet dans toute son étendue » (p. 79). Enfin, la troisième partie trace les étapes qui ont conduit à la décadence de l’arianisme après ses années de gloire. Hilaire revient à Poitiers et contribue de toutes ses forces au rétablissement de l’orthodoxie en Gaule. Plusieurs ouvrages écrits dans la dernière période de sa vie nous font connaître en Hilaire un homme de foi nourri de l’Écriture et un pasteur d’âmes avec lesquelles il veut partager sa passion et son amour pour le Christ, le Verbe de Dieu fait chair pour nous.

L’Anthologie qui suit cette introduction à la vie et à la pensée d’Hilaire de Poitiers retrace, à partir des textes, son cheminement spirituel, le développement de sa pensée théologique et les combats qui furent siens pour la défense de la foi nicéenne. La lecture de ces textes nous permet de mieux situer Hilaire dans l’histoire de l’Église du quatrième siècle, en relation avec des théologiens et leur pensée christologique et trinitaire. Sans prétendre à l’exhaustivité, cet exposé empreint de clarté et de rigueur scientifique permet, même aux lecteurs moins familiers avec les débats théologiques du grand siècle patristique, de saisir l’apport et l’influence de l’évêque de Poitiers pour l’annonce de la vérité sur le Christ confessé par les chrétiens après Nicée, consubstantiel au Père.

Lucian Dînca

10. Bernard Meunier, dir., La personne et le christianisme ancien. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Patrimoines », série « Christianisme »), 2006, 360 p.

L’ouvrage qui fait l’objet de cette recension n’est pas un regroupement de plusieurs articles, mais est plutôt un travail collectif sur un même sujet. En effet, ce livre est le fruit de la collaboration de plusieurs chercheurs de la Faculté de Théologie de Lyon, qui ont travaillé pendant trois ans, sous la direction de Bernard Meunier, à l’élaboration d’une étude commune. Les recherches historiques, philosophiques et théologiques ont conduit le groupe d’étude à répondre à la question : quelle fut la contribution de la notion de « persona » en latin, « prosôpon » et « hypostasis » en grec, à l’émergence progressive du sujet moderne ? Pour ce faire, les auteurs se sont intéressés aux débats théologiques autour de la Trinité, un Dieu en trois personnes, et du Christ, Dieu et homme en une seule personne. Ils sont arrivés au constat que c’est à cause de la théologie chrétienne que « le destin des deux premiers s’est trouvé réuni à celui du troisième, et cette interférence a pu influer sur leur propre évolution » (p. 15). Selon le récit de Gn 1,26, Dieu a créé l’homme personnel, à son image, et le christianisme nous enseigne que l’homme, en regardant la Trinité, découvre la notion de personne pour se penser lui-même. Les auteurs de l’ouvrage ont voulu soumettre cette « thèse séduisante » (p. 11) à l’épreuve des textes philosophiques et théologiques de l’Antiquité chrétienne afin de voir si c’est bien le christianisme antique qui a engendré la notion de « personne ». Une des précautions méthodologiques a été de ne pas remonter dans l’histoire à partir de la conception moderne de « personne » pour en chercher des ébauches dans la littérature patristique. Le choix des chercheurs a plutôt été de privilégier quelques mots clés, « persona », « prosôpon », « hypostasis », et de suivre leur destinée dans des textes chrétiens de Tertullien, au deuxième siècle, à Jean Damascène, au huitième siècle. D’autres termes avoisinants font surface dans ces recherches : « substance », « nature », « subsistance » et « individu ». La structure du travail se laisse découvrir d’elle-même et constitue quatre dossiers.

Le premier, consacré au terme « persona », ouvre le cycle de ces recherches. Le choix de ce terme pour commencer l’analyse s’explique, d’une part, par la continuité lexicale entre le terme latin « persona » et sa traduction française « personne », et, d’autre part, par le fait que ce terme offre une base solide pour penser l’individualité. Ce dossier nous fait découvrir l’usage du terme « persona » que Tertullien, Hilaire et Augustin font dans leurs écrits, considérés comme représentatifs des théologiens latins. La continuité sémantique a de quoi frapper le lecteur. Les théologiens mentionnés nous font découvrir que « persona » n’est pas un concept et qu’il ne le devient pas non plus dans la littérature chrétienne tardive, « malgré son passage par la théologie trinitaire et la christologie » (p. 101). Le deuxième dossier, qui analyse le mot grec « prosôpon », nous fait découvrir l’évolution de ce terme des origines jusqu’à la fin de l’Antiquité. Des auteurs païens, Aristophane, Platon et Plutarque, et des auteurs chrétiens, Ignace d’Antioche, Justin, Origène, Marcel d’Ancyre, Eusèbe de Césarée, Athanase et les Cappadociens, sont analysés afin d’extraire l’essentiel de leur pensée quant à l’emploi du terme « prosôpon ». De plus, la traduction grecque de la Bible (lxx) et des auteurs juifs hellénisés font l’objet d’enquête dans ce dossier. Les auteurs concluent de leur analyse que la théologie chrétienne, à partir du troisième siècle, fixe son attention sur le mot « prosôpon », fait de lui l’équivalent latin « persona » et l’applique à la doctrine trinitaire et christologique. Par ce processus, « prosôpon » devient ainsi un terme théologique technique. Le but sous-jacent des auteurs est de voir si l’emploi théologique du terme, trois personnes dans la Trinité et l’unique personne du Christ en deux natures, conduit à l’engendrement de l’expression anthropologique de « personne humaine ». Le troisième dossier enquête sur « hypostasis », terme déjà effleuré dans les deux premiers dossiers. Nous sommes ici familiarisés avec les données théologiques de ce terme à travers les débats trinitaires, une ou trois hypostases en Dieu, et christologiques, une ou deux hypostases en Christ. Bien que ce terme ne puisse être détaché des deux autres, l’« hypostasis » joue tout de même un rôle qui lui est propre et connaît sa propre évolution. Les auteurs portent leur attention sur les premiers emplois du terme dans la littérature classique grecque, dans la Bible de la lxx et dans la théologie trinitaire et christologique. Les résultats de cette enquête sont surprenants et très révélateurs. Le sens concret, « dépôt », « sédiment », « fondement », devient sens abstrait dans les premiers siècles du christianisme, « une sorte de concept ontologique (“existence”, “subsistance”) » (p. 235). Ce sens se prolongera dans la philosophie tardive. C’est avec les débats trinitaires du quatrième siècle que le terme retrouve son sens premier et en vient à désigner les trois dans la Trinité. Enfin, le quatrième et dernier dossier pose la question : La « personne » est-elle un concept ontologique ? Pour y répondre, les chercheurs font tout d’abord appel à la définition boétienne de « persona », en essayant d’en dégager à la fois les influences, Augustin et Marius Victorinus, et l’originalité. Il s’ensuit une enquête sur « hypostasis » dans la controverse christologique aux sixième-septième siècles, notamment dans les écrits de Jean de Césarée, Léonce de Byzance, Léonce de Jérusalem et Maxime le Confesseur. On en arrive au constat que la littérature patristique tardive, avec ses controverses trinitaires et christologiques, a joué un rôle très fécond dans l’histoire de la pensée. Enfin, le quatrième dossier se clôt sur l’analyse des termes « hypostasis » et « prosôpon » dans les Dialectica de Jean Damascène. On s’interroge plus particulièrement sur sa façon de comprendre et d’utiliser les deux termes dans ses développements théologiques. Chez ce Père byzantin, on découvre une façon originale d’unir « hypostasis » et « prosôpon » qui conduit à conférer un appui plus fort aux dogmes sur la Trinité et sur le Christ. Cette étude pourrait être également « utile aux recherches théologiques actuelles » (p. 331) et à l’anthropologie.

L’ouvrage en lui-même n’a pas la prétention d’être un exposé suivi et détaillé de l’anthropologie philosophique ou théologique. Il ne veut pas être non plus une histoire des dogmes sur la Trinité et sur le Christ vus à travers le prisme du terme technique « personne ». Le but de l’étude est beaucoup plus précis : « Examiner les mots et les concepts qui, à un moment ou à un autre dans les débats théologiques anciens, ont été amenés à exprimer l’individualité en Dieu ou dans l’humanité et sont susceptibles d’avoir permis ensuite, à long terme, une pensée de la personne » (p. 16). C’est pourquoi même le lecteur moins initié aux grands débats patristiques autour des dogmes fondamentaux du christianisme trouvera dans les pages de ce livre des synthèses et des monographies accessibles, qui lui permettront de se familiariser avec le rôle qu’aurait joué le christianisme dans l’émergence de l’individu au sein d’une culture antique qui raisonnait surtout en termes collectifs.

Lucian Dînca

11. Xavier Morales, La théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie. Paris, Institut d’Études Augustiniennes (coll. « Études Augustiniennes », série « Antiquité », 180), 2006, 609 p.

Dans l’histoire des dogmes chrétiens, Athanase d’Alexandrie (298-373) est connu comme le défenseur acharné, devant la crise arienne, de la foi nicéenne en la pleine divinité et humanité du Verbe de Dieu fait chair par philanthropie pour notre divinisation : « Le Verbe de Dieu s’est fait homme pour que nous devenions Dieu » (Sur l’incarnation 54,3). Si cette conviction de foi lui a valu les plus grands honneurs, par exemple ceux de Grégoire de Nazianze, qui voit en lui le « pilier de l’Église alexandrine », et ceux de Basile de Césarée, qui le compare au « Médecin capable de guérir les maladies dont souffre l’Église », son intransigeance face aux hérétiques fut par contre la cause de plusieurs bannissements loin de son siège épiscopal. Les dernières décennies ont été marquées par un désir de la part des chercheurs de faire connaître davantage ce Père de l’Église. Avec l’ouvrage de Xavier Morales, présenté d’abord comme thèse de doctorat à Paris en 2003, nous avons pour la première fois une vue d’ensemble de la pensée trinitaire d’Athanase, « restée largement inexplorée » (p. 9) jusqu’ici. Lui-même auteur de textes théologiquement denses sur la Trinité et sur chacune des personnes divines, Athanase est celui qui ouvrit la porte aux trois théologiens cappadociens, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse, que la postérité considère comme les premiers grands théologiens de la Trinité.

Avec cet ouvrage, Morales se propose de relever le langage théologique employé par Athanase pour exprimer à la fois la diversité et l’unité de la divinité. Avec cette intention, l’A. divise tout naturellement son travail en deux parties. Dans la première partie, il tente de répondre à la question « Comment Athanase parle-t-il de la distinction réelle entre les personnes divines ? » ; tandis que, dans la seconde, il cherche à savoir « Comment Athanase parle-t-il de l’unité des personnes divines entre elles, voire de l’unicité du Dieu trinitaire ? » (p. 11). Ces deux parties sont structurées autour de deux termes techniques en théologie trinitaire : ὑπόστασις, pour exprimer la diversité réelle des personnes, et οὐσία, pour indiquer l’unité de la divinité.

« Athanase est-il un théologien des trois hypostases ? », voilà la question de fond qui traverse toute la première partie du livre. Le chercheur constate qu’un regard rapide jeté sur les oeuvres athanasiennes entraîne une réponse négative. C’est pourquoi il se propose, dans un premier temps, de relever les occurrences du terme ὑπόστασις dans le corpus athanasien afin de confirmer ce préjugé et d’apporter des éléments de réflexion permettant d’insérer le langage théologique d’Athanase à l’intérieur même des débats théologiques et dogmatiques qui ont fait le renom du quatrième siècle. À Nicée, en 325, les termes ὑπόστασις et οὐσία sont pris pour des synonymes, synonymie présente également sous la plume d’Athanase jusqu’en 362, date de la rédaction de la synodale d’Alexandrie, le Tome aux Antiochiens. Cependant, l’évêque alexandrin ne dément jamais dans ses écrits sa croyance en la Trinité des personnes divines et en la subsistance propre de chacune d’entre elles sans confusion, comme le voulaient les sabelliens, et sans hiérarchisation, comme le soutenaient les ariens. La doctrine de la corrélation divine veut que le Père soit Père éternellement. En tant que Père éternel, il doit donc nécessairement avoir un Fils éternel et il doit y avoir un Esprit-Saint éternel qui unit le Père au Fils depuis toute éternité. La doctrine des processions dans la divinité est également un argument biblique solide qui permet à Athanase d’exposer la distinction personnelle dans la Trinité sans « faire appel à la technicité des termes trinitaires développée par la théologie orientale et cappadocienne » (p. 231). Le terme οὐσία constitue le centre d’intérêt du chercheur pour la seconde partie de son travail. Le terme est fréquent chez Athanase, surtout dans les oeuvres polémiques contre les ariens, divisés en différents partis : homéens, homoiousiens, anoméens. À la base de cette diversité parmi les ariens se trouve le terme technique « consubstantiel », qui constitue l’originalité du premier concile oecuménique réuni à Nicée en 325. Dans l’élaboration de sa théologie trinitaire, l’évêque d’Alexandrie doit confronter sa propre conception de ce terme face aux extrémismes des anoméens et chercher des compromis avec les homoiousiens et les homéens. Le Père, le Fils et l’Esprit Saint doivent nécessairement partager l’unique substance divine afin d’éviter à la fois le polythéisme et la hiérarchie ontologique en Dieu. Dans des mots simples, mais argumentés en s’appuyant constamment sur l’Écriture, Athanase laisse à la postérité l’image d’un évêque théologien qui a su offrir à ses ouailles la nourriture catéchétique nécessaire pour garder l’intégrité de la foi héritée de la prédication des Apôtres envoyés par le Christ sur toute la terre en leur ordonnant d’aller et de faire « des disciples de toutes les nations les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28,19).

Le dogme de la Trinité ne fait plus problème parmi les chrétiens d’aujourd’hui. Le Catéchisme, les manuels de théologie, les formules dogmatiques sont là pour maintenir et soutenir notre confession de foi trinitaire. Le grand mérite de cet ouvrage est de nous faire découvrir qu’il n’en a pas été toujours ainsi, mais que d’incessantes luttes théologiques ont dû avoir lieu afin que l’Église puisse cristalliser, au fil des événements, sa croyance en Dieu Un et Trine à la fois. Le lecteur assoiffé de connaître les débats qui ont conduit à la cristallisation du dogme de la Trinité sera bien servi en lisant cet ouvrage. C’est pourquoi il peut être une base solide pour les apprentis théologiens qui s’intéressent à la théologie patristique orientale en particulier. Nous déplorons toutefois le fait que l’A. n’ait pas investi davantage dans une mise en forme simplifiée de ses recherches doctorales, afin de rendre l’ouvrage accessible au plus grand nombre.

Lucian Dînca

12. Sara Parvis, Marcellus of Ancyra and the Lost Years of the Arian Controversy 325-345. New York, Oxford University Press (coll. « Oxford Early Christian Studies »), 2006, xi-291 p.

Présenté d’abord comme thèse de doctorat défendue à l’Université d’Édimbourg, cet ouvrage a été enrichi par trois années supplémentaires de recherches postdoctorales avant d’arriver à sa publication. Le principal objectif de Sara Parvis dans cette étude méticuleuse et savante est de nous montrer que les deux partis en opposition, ariens, sous la tutelle d’Arius, et nicéens, sous la tutelle d’Alexandre d’Alexandrie et de son successeur Athanase, ont continué leurs disputes christologiques même après la dogmatisation des expressions « de la substance du Père » et « consubstantiel au Père » par le premier concile oecuménique réuni à Nicée en 325. Le personnage clé autour duquel ces recherches sont concentrées est le controversé évêque d’Ancyre, Marcel. Présent au concile, il soutient Athanase en 335 au synode de Tyr, alors qu’il est déjà assez âgé. Déposé en 336, il fut condamné en Orient dès 341 et en Occident à partir de 345 comme proche de la doctrine de Sabellius. À travers l’étude de ce personnage, l’A. poursuit un double but : d’une part, nous familiariser avec les positions doctrinales de Marcel souvent décrit « comme ayant introduit des doctrines révolutionnaires[10] » dans l’Église et, d’autre part, nous sensibiliser avec le contenu dogmatique et doctrinal des débats interconciliaires, Nicée 325 et Constantinople 381, en lien avec la crise arienne. En effet, le Symbole de foi signé à Nicée n’a pas calmé les esprits des opposants. Au contraire, se sont succédées des périodes entremêlées d’excommunications et de rétablissements, tantôt des nicéens, Athanase et Marcel, tantôt des ariens, Arius et Astérius. Il faut savoir aussi que tout cela se produisait avec le concours du pouvoir impérial en place.

L’A. nous propose un plan en cinq chapitres. Le premier chapitre est consacré à une vue d’ensemble de la figure de Marcel : sa formation, son épiscopat et sa théologie. Les ouvrages majeurs qui nous permettent de reconstituer et reconsidérer la doctrine de Marcel sont le Contre Astérius, écrit vers 330 et dont d’importants fragments ont survécu, et la Lettre à Jules de Rome, écrite vers 341. L’A. nous donne des traductions inédites de différents autres textes, disséminés surtout chez des Pères de l’Église qui ont combattu sa théologie, comme Eusèbe et Basile, deux évêques de Césarée. Au deuxième chapitre, nous découvrons un Marcel qui se veut défenseur rigoureux de la foi de Nicée. Ce rigorisme le fait tomber dans l’autre extrême doctrinal condamné déjà quelques décennies auparavant dans la personne de Sabellius. Il s’agit principalement de la négation d’une subsistance propre accordée au Verbe de Dieu et, par conséquent, de la négation de l’existence individuelle des personnes trinitaires. Si Nicée est très clair sur le fait que le Père, le Fils et l’Esprit sont trois « subsistants », une certaine confusion peut tout de même exister en raison de la synonymie entre les deux termes techniques « ousia » et « upostasis ». Apparemment, Marcel n’a pas signé le Symbole nicéen, une des anciennes listes des signataires présentant plutôt un certain Pancharius d’Ancyre, peut-être un prêtre ou un diacre accompagnant son évêque (p. 91). Le troisième chapitre nous fait suivre le débat sur la divinité du Christ, de Nicée (325) à la mort de Constantin (336). Les événements marquants de cette période sont minutieusement analysés : déposition d’Eustathe d’Antioche comme sabellianisant et retour d’Eusèbe de Césarée ; polémique de Marcel contre Astérius le Sophiste ; deux synodes tenus à Tyr et à Constantinople qui ont condamné Athanase et Marcel en 335 ; mort d’Arius, juste avant sa réhabilitation, et mort de Constantin en 337. L’avant-dernier chapitre est consacré à la période qui va du retour de Marcel d’exil au synode d’Antioche dit « de la Dédicace », probablement tenu le 6 janvier 341 (p. 160-162). En effet, le synode d’Antioche marque un point tournant dans la controverse arienne, la théologie de Marcel devenant le point sur lequel se focalisent les forces du parti d’Eusèbe. Le dernier chapitre nous fait voyager avec Marcel du synode de Rome, en mars 341, où il est réhabilité par le pape Jules (p. 192), au synode de Sardique, en 342 ou 343 (p. 210-218) qui semblait être la victoire définitive des ariens, mais qui, selon Athanase, Tome aux Antiochiens 5 écrit en 362, n’avait produit aucun document officiel (p. 236). Après ce dernier synode, Marcel disparaît de la scène théologique du quatrième siècle. Il devient une personna non grata tant pour l’Orient que pour l’Occident. Seul Athanase, pour l’étonnement de tous, surtout de Basile de Césarée, ne se prononce jamais explicitement contre la doctrine de l’évêque d’Ancyre.

Ce livre fourmille des renseignements historiques et théologiques sur une période fondamentale et productive au niveau théologique. L’ouvrage contient également plusieurs annexes qui permettent au lecteur de se familiariser avec les noms des lieux et des personnes dont ont fait l’objet plusieurs synodes mentionnés au fil du livre. De plus, une bibliographie assez fournie permet aux intéressés de poursuivre plus en profondeur leur intérêt pour les débats traités par l’A. Nous soulignons enfin la mine de renseignements et les prises des positions solidement argumentées que l’A. nous offre sur cet évêque d’Ancyre, disparu aussi vite qu’il était apparu sur la scène théologique du quatrième siècle.

Lucian Dînca

13. Jean-Marc Prieur, La croix chez les Pères (du iie au début du ive siècle). Strasbourg, Université Marc Bloch (coll. « Cahiers de Biblia Patristica », 8), 2006, 228 p.

La croix était reconnue comme un instrument de torture « tenu pour exceptionnellement cruel, repoussant et humiliant » (p. 5) dans l’Antiquité romaine pré- et postchrétienne. C’est avec Constantin, au quatrième siècle, que nous assistons à l’abolition de ce supplice (p. 10). C’est pourquoi le christianisme du premier siècle a eu besoin d’un Paul, rabbin juif zélé ayant fait une expérience forte du Crucifié ressuscité sur la route de Damas, pour prêcher aux nations païennes un Messie crucifié : « Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, il est puissance de Dieu. […] Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1,18-24). La tradition chrétienne, dès le début, a donc tenu la croix comme partie importante de son héritage. Ainsi, la croix du Christ se voit très vite attribuer une interprétation théologique des plus profondes : la barre verticale unit le ciel et la terre, Dieu et l’homme, tandis que la barre horizontale unit les humains entre eux. Le Christ étendu sur le bois de la croix nous offre la clé de lecture pour comprendre le dessein d’amour de Dieu pour l’homme, sa créature qu’il appelle à participer à sa vie intradivine.

L’A. de ce livre se propose de collectionner et de commenter des textes qui expliquent la manière dont les chrétiens ont reçu, interprété et transmis la signification de la croix du Christ du deuxième au début quatrième siècle. Le choix des textes est limité à la croix elle-même et non pas au supplice ou à la crucifixion en général, ni à la résurrection. La limite chronologique est également voulue par l’auteur pour deux raisons principales : premièrement, par souci pratique, l’extension aux siècles suivants nécessitant un travail beaucoup plus volumineux, et deuxièmement, par souci d’intérêt, car selon l’A. la période choisie produit des textes apologétiques qui défendent la pratique chrétienne et sa croyance en un Crucifié ressuscité. Les textes retenus au début du livre tentent de présenter le Christ accompagné de la croix à trois moments clés de l’histoire du salut : à son retour glorieux, à sa sortie du tombeau et au moment de sa montée vers le ciel (p. 11). L’A. nous présente ensuite des perles de la littérature chrétienne sur : la signification typologique de la croix chez Ignace d’Antioche, Polycarpe de Smyrne, le Pseudo-Barnabé, Justin et dans trois écrits apocryphes de la première moitié du deuxième siècle (Prédication de Pierre, Ascension d’Isaïe, Odes de Salomon) ; la Croix-limite, « la notion de limite étant d’ailleurs prioritaire par rapport à celle de croix » (p. 67), dans les écrits de Valentin et de ses disciples ; le paradoxe et le scandale de la crucifixion du Christ chez Méliton de Sardes ; des préfigurations vétérotestamentaires de la croix chez Irénée de Lyon ; différentes visions de la croix dans les Actes apocryphes de Pierre, d’André, de Paul et de Thomas ; le souci de présenter la croix du Christ comme l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament chez Hippolyte de Rome ; le développement de la theologia crucis au troisième siècle dans la tradition alexandrine chez Clément et Origène et dans le monde latin chez Tertullien, Cyprien, Lactance, etc. L’ouvrage se conclut par une brève sélection de textes de Nag Hammadi présentant deux points de vue opposés : le Christ crucifié dans l’Évangile de Vérité, l’Interprétation de la Gnose, l’Épître apocryphe de Jacques, l’Évangile selon Thomas et la Lettre de Pierre à Philippe ; et le Christ non crucifié dans l’Évangile des Égyptiens, la PrôtennoiaTrimorphe, l’Apocalypse de Pierre et le Deuxième traité du grand Seth. Une riche bibliographie sur le sujet permet au lecteur d’approfondir ses connaissances sur la mise en place d’une théologie de la croix dans les premiers siècles du christianisme et de se familiariser avec les enjeux et les défis d’une telle entreprise. Plusieurs index nous aident à mieux nous repérer dans le livre et, éventuellement, éveille notre désir d’aller chercher les textes proposés par l’A. dans leur contexte.

M. Prieur présente un livre facilement accessible tant au novice en théologie qu’au lecteur en général grâce à un langage volontairement simple. Chaque texte cité est présenté par des commentaires et par des renvois à des notes bibliographiques plus approfondies. La compréhension du livre est également facilitée par des détails sur la position générale de tel ou tel texte cité ou auteur présenté, ce qui fait ressortir avec plus de clarté la pensée dominante quant à la croix du Christ.

Lucian Dînca

14. Christoph Auffarth, Loren T. Stuckenbruck, éd., The Fall of the Angels. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Themes in Biblical Narrative », « Jewish and Christian Traditions », VI), 2004, ix-302 p.

Christoph Auffarth, professeur à l’Université de Bremen, et Loren T. Stuckenbruck, professeur à l’Université de Durham, sont les éditeurs de ce sixième volume de la collection Themes in Biblical Narrative. Ce volume recueille douze articles qui sont le résultat des travaux effectués sur le thème de la chute des anges lors d’un séminaire tenu à Tübingen, du 19 au 21 janvier 2001. Les articles qui composent le présent recueil sont rédigés en anglais, à l’exception de trois articles, qui sont en allemand. Les différentes contributions s’intéressent principalement à l’origine, à l’évolution et à la réception du mythe de la chute des anges. Puisque ce mythe exerça une influence considérable dans la pensée juive, chrétienne et musulmane, de l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge, les contributions sont diversifiées, ce qui a comme avantage de donner un portrait d’ensemble plutôt intéressant.

Les trois premiers articles s’intéressent à la question de l’origine du mythe de la chute des anges en explorant la mythologie du Moyen-Orient. Ronald Hendel explore les parallèles possibles entre le récit biblique de Gn 6,1-4 et les traditions cananéennes, phéniciennes, mésopotamiennes et grecques. Selon lui, le récit biblique de Gn 6,1-4 n’incorpore qu’une petite partie d’un mythe israélite plus développé. Jan N. Bremmer postule que le mythe des titans était connu des Juifs et qu’il fut une source d’inspiration pour eux. Certains passages bibliques (2 S 5,18.22 ; Jdt 16,6 ; 1 Ch 11,15) et 1 Énoch 9,9 font d’ailleurs directement référence aux titans. Les récits de l’enchaînement des anges déchus au Tartare de Jubilées, de 1 Énoch, de Jude 6 et de 2 P 2,4 constituent aussi un parallèle frappant avec le mythe des titans. Selon Matthias Albani, Is 14,12-13 ne reflète pas le mythe de Helel, mais plutôt une critique de la notion royale de l’apothéose des rois défunts très répandue chez les Cananéens, les Égyptiens et les Babyloniens. L’auteur d’Is nous dit que ces rois qui deviennent des étoiles après leur mort ne surpasseront jamais le Dieu d’Israël ! C’est l’arrogance royale qui est dénoncée, le désir des rois de devenir supérieur à Dieu. Selon l’auteur d’Is, cette apothéose est plutôt une chute. Le texte d’Is 14,12-13 fut ensuite interprété comme un récit de la chute de Satan, ou Lucifer, par sa conjonction avec le mythe de la chute des anges (Vie d’Adam et Ève 15 ; 2 Énoch 29,4-5).

Les quatrième et cinquième contributions analysent le mythe de la chute des anges dans la littérature apocalyptique. Loren T. Stuckenbruck s’attarde à l’interprétation de Gn 6,1-4 que font les auteurs de la littérature apocalyptique juive. Selon lui, le texte biblique n’autorise pas à conclure que les « fils de Dieu » de Gn 6,1 sont maléfiques, comme le conclut l’auteur de 1 Énoch par exemple. Certaines sources semblent démontrer que les géants ont survécu au déluge (Gn 10,8-11 ; Nb 13,32-33). Par exemple, les fragments du Pseudo-Eupolème conservés par Eusèbe de Césarée (Préparation évangélique 9,17,2-9) démontrent non seulement que les géants ont survécu au déluge, mais qu’ils auraient aussi joué un rôle déterminant dans la propagation de la culture jusqu’à Abraham. Ainsi, les auteurs des écrits apocalyptiques tels que 1 Énoch présentent simplement une autre lecture du mythe de Gn 6,1-4. Pour eux, les géants ne jouent aucun rôle dans la propagation du savoir. Ce sont plutôt des êtres maléfiques qui n’ont survécu au déluge que sous la forme d’esprit mauvais. Hermann Lichtenberger se penche quant à lui sur les relations qu’entretient le mythe de la chute des anges avec le chapitre 12 de l’Ap. Selon lui, le mythe de la chute des anges présenté dans l’Ap 12 sous la forme d’une bataille entre les anges et le récit de la chute du dragon ne servent qu’à exprimer la notion répandue de la chute des ennemis de Dieu. Par conséquent, le motif de la chute des anges a pour fonction de prédire la chute de l’Empire romain et d’affirmer la victoire du Christ.

Le sixième article propose une petite excursion au coeur de la mythologie gnostique. Gerard P. Luttikhuizen veut démontrer comment les gnostiques attribuent l’origine du mal au Démiurge. En réalité, cet article donne un résumé du mythe de l’Apocryphon de Jean du codex de Berlin, en mettant en lumière le caractère démoniaque du Dieu qui exerce son gouvernement sur le monde matériel. Ce Dieu est le fils de la Sophia déchue, le Dieu des Écritures qui se proclame à tort le seul Dieu. Les actions de ce Dieu et de ses acolytes sont toujours dirigées à l’encontre de l’humanité qu’ils cherchent à garder dans l’ignorance du Dieu véritable. Ainsi, selon Luttikhuizen, le Dieu créateur de l’Apocryphon de Jean est une figure dont la malice surpasse celle du Satan de l’apocalyptique juive et chrétienne.

Les trois contributions suivantes discutent de la réception du mythe de la chute des anges dans la littérature médiévale, qui tente de délimiter les frontières entre l’orthodoxie et l’hérésie. Bärbel Beinhauer-Köhler analyse certaines parties du récit cosmogonique du Umm al-Kitāb, livre d’un groupe musulman du huitième siècle. Dans ce texte, le motif de la chute des anges a pour fonction de départager le monde et l’humanité en deux parties. D’un côté, les sunnites, le groupe majoritaire, qui sont perçus comme des infidèles qui n’échapperont pas à la damnation, de l’autre côté, les shiites, qui seront potentiellement sauvés grâce à leur connaissance du monde véritable, caché aux sunnites. Quant à Bernd-Ulrich Hergemöller, il montre comment le mythe de la chute des anges a été utilisé pour créer un rituel fictif destiné à accuser les cathares de célébrer des messes sataniques. La première contribution des deux contributions de Christoph Auffarth tente d’ailleurs de reconstruire les discussions derrière cette controverse entre les cathares et les autres chrétiens. Les cathares se considéraient comme des anges, tandis qu’ils considéraient les autres chrétiens comme les anges déchus. Ainsi, les cathares se servaient eux aussi du mythe de la chute des anges dans leur polémique contre l’Église. Ceci est particulièrement clair dans l’InterrogatioIohannis où Énoch est transformé en serviteur du Diable !

Les deux articles suivants ne s’intéressent pas au mythe de la chute des anges d’un point de vue historique, mais adoptent plutôt une approche théologique. C’est le questionnement sur l’origine du mal qui est au coeur des contributions de Burkhard Gladigow et d’Eilert Herms. Le premier discute de la tension qui existe entre le motif de la chute des anges et le concept de monothéisme. Comment concilier ces deux conceptions contradictoires ? Le second tente d’expliquer l’origine du mal à partir de la prémisse que tout ce qui arrive dans le monde provient de Dieu, qui a créé volontairement le monde. Selon lui, l’humain est la seule créature qui peut faire des choix. Il peut choisir le bien ou le mal, sans que le mal ait pour autant une existence ontologique.

Le dernier article du recueil est signé par Christoph Auffarth et il constitue une conclusion qui prend la forme d’un commentaire de différentes représentations iconographiques de la chute des anges, ce qui contraste avec l’approche très théorique des autres contributions. Le recueil se termine par un index des textes anciens utilisés. La parution de cet ouvrage manifeste encore une fois l’extrême complexité, mais aussi toute la fécondité de l’analyse du motif de la chute des anges. Même si ce livre n’apporte rien de vraiment nouveau sur la question, les articles qui le composent sont de bonne qualité et chaque lecteur devrait y trouver son compte. Ces contributions s’ajoutent donc à l’immense dossier sur ce récit intriguant qui continue de frapper notre imaginaire.

Steve Johnston

15. Barbara Aland, Frühe direkte Auseinandersetzung zwischen Christen, Heiden und Häretikern. Berlin, Walter de Gruyter (coll. « Hans-Lietzmann-Vorlesungen », 8), 2005, xi-48 p.

Ce petit volume offre les textes de la dixième série des « Conférences Hans-Lietzmann », présentées les 15 et 16 décembre 2004 aux universités de Jena et de Berlin. Tenues sous l’égide de l’Académie des sciences de Berlin-Brandenburg, en l’honneur du grand philologue et historien du christianisme ancien Hans Lietzmann (1875-1942), ces conférences sont confiées à des spécialistes qui, d’une manière ou d’une autre, ont une relation avec la personne ou l’oeuvre de celui qu’elles veulent honorer. Dans son « Vorwort », le prof. Christoph Markschies, recteur de l’Université de Berlin, présente la carrière scientifique de Barbara Aland en mettant en lumière les domaines où elle s’est illustrée, dans la foulée de Lietzmann : la philologie classique, le christianisme oriental, la critique textuelle et la lexicographie du Nouveau Testament, la recherche sur la gnose et le travail éditorial. Barbara Aland avait choisi comme thème commun à ses trois conférences celui des premiers affrontements directs entre chrétiens, païens et hérétiques. D’où les trois titres retenus : Celse et Origène, Irénée et les gnostiques, Plotin et les gnostiques. Dans le premier essai, l’auteur cherche essentiellement à comprendre pourquoi Celse, vers 180, s’est donné la peine d’entreprendre une réfutation aussi détaillée du christianisme, une religion que, pourtant, il méprisait et considérait comme n’ayant aucune valeur sur le plan intellectuel et proprement religieux. Mme Aland retient trois éléments qui, à ses yeux, constitue le coeur de « l’inquiétude » de Celse par rapport au christianisme : le grand nombre des chrétiens et l’attrait exercé par leur éthique et leur mépris de la mort ; la capacité des chrétiens à attirer toutes les catégories d’hommes et à leur donner accès à une formation appropriée, alors que la παιδεία des philosophes était réservée à une élite ; leur doctrine de la connaissance de Dieu, de sa possibilité et de sa nécessaire conjonction avec un comportement moral adéquat. Sur ce dernier point, Barbara Aland observe très justement que Celse et Origène se rejoignent dans la mesure où l’un et l’autre reconnaissent la nécessité, pour accéder à la connaissance du divin, d’une sorte d’illumination ou de grâce. Pour Celse, qui reprend la doctrine de la Lettre VII de Platon (341c-d), la vérité jaillit dans l’âme, au terme d’une longue fréquentation (ἐκ πολλῆς συνουσίας), « comme la lumière jaillit de l’étincelle », « soudainement (ἐξαίφνης) », alors que, pour Origène, c’est l’incarnation du Logos qui permet l’accès à la vérité. Dans l’un et l’autre cas, on retrouve une certaine « passivité » au terme de la démarche. La seconde conférence, consacrée au duel entre Irénée et les gnostiques, oppose la présentation que l’évêque de Lyon fait de ceux-ci et ce que nous en révèlent les écrits gnostiques, notamment trois traités retrouvés à Nag Hammadi et étudiés par Klaus Koschorke, l’Apocalypse de Pierre (NH VII,3), le Témoignage véritable (NH IX,3) et l’Interprétation de la gnose (NH XI,1). Il ressort de cette comparaison, entre autres choses, que le portrait qu’Irénée trace des gnostiques comme des gens prétentieux et pleins d’eux-mêmes n’est nullement corroboré par les sources directes. À vrai dire, Irénée ne cherche pas à établir un véritable dialogue avec ses adversaires, contrairement à ce que l’on peut entrevoir chez Clément d’Alexandrie ou Origène. La troisième contribution repose en bonne partie sur la monographie de Karin Alt (Philosophie gegen Gnosis, Mainz, Stuttgart, Franz Steiner, 1990) et elle met en lumière les deux thèmes qui définissent l’affrontement entre Plotin et les gnostiques : le cosmos, son origine et sa signification ; l’honneur à rendre au cosmos et aux dieux. Destinées à un public de non-spécialistes, ces trois conférences reposent sur une longue fréquentation des textes et recèlent nombre d’observations intéressantes.

Paul-Hubert Poirier

16. Derek Krueger, Writing and Holiness. The Practice of Authorship in the Early Christian East. Philadelphia, The University of Pennsylvania Press (coll. “Divinations : Rereading Late Ancient Religion”), 2004, 296 p.

All writing serves a purpose, a purpose informed by the bias(es) of the writer, whether it is a poem, a letter, a romance, or, as in this book, hagiography. The end result, however, does not always reflect the reason for writing. Krueger contends that writing about a holy person, ascribing authority and power to him or her, and the aim of humility of the subject created a tension in the portrayal of that person, i.e. it violated “the saintly practices that hagiographers sought to promote” (p. 2). The act of writing itself became, of necessity, a holy activity, an act of piety.

Krueger explores this activity through the examination of various aspects of hagiography in 9 chapters : 1) Literary Composition as a Religious Activity ; 2) Typology and Hagiography : Theodoret of Cyrrhus’s Religious History ; 3) Biblical Authors : The Evangelists as Saints ; 4) Hagiography as Devotion : Writing in the Cult of the Saints ; 5) Hagiography as Asceticism : Humility as Authorial Practice ; 6) Hagiography as Liturgy : Writing and Memory in Gregory of Nyssa’s Life of Macrina ; 7) Textual Bodies : Plotinus, Syncletica, and the Teaching of Addai ; 8) Textuality and Redemption : The Hymns of Romanos the Melodist ; 9) Hagiographical Practice and the Formation of Identity : Genre and Discipline. The book ends with a list of abbreviations, 57 pages of endnotes (rather extensive, so one must flip back and forth on occasion, but very well marked for easy lookup), and a 30-page bibliography with a large selection of Acts and Lives in the Primary Sources section, as well as, but of course not restricted to, various Letters and Homilies.

Chapter one functions as a kind of introduction, discussing the Christian negotiation of “a distinct relationship between writing and the religious life” (p. 1), and the use of writing toward the edification of both the writer and the audience, be they readers or listeners. Chapter two looks at the links between hagiography and scripture, using Theodoret of Cyrrhus’s Religious History as an example, and whether or not those links were implicit or explicit. Chapter three deals with the association of miracle workers and saints with the evangelists’ compositions of the life of Jesus, and the adaptation of evangelists to the standards associated with holy men in late antiquity. Chapters four, five, and six move into the domain of the writing of the gospels and hagiographies lauding other holy individuals, male and female, and how the very act of writing these texts came to be interpreted as devotional, liturgical, or ascetic. Chapter seven deals with texts as substitutions for the bodies, the presence of the individuals praised within the texts, and its pre-Christian origin, with the example of Plato’s Phaedrus : “Every discourse must be organized like a living being, with a body of its own, as it were, so as not to be headless or footless, but to have a middle and members, composed in fitting relation to each other and the whole” (246c, trans. p. 133). Other Neo-Platonic examples, such as Plotinus, are discussed. Chapter eight deals with redemption, how the texts are not just devotional, liturgical, and ascetic, but the completion can lead to further redemption. They are both the means and the end. Chapter nine rounds out the path taken by writers in terms of establishment of identity via the text, or the writing of the text. Authors wrote from a particular perspective, as “disciple, monk, priest, deacon, devotee, pilgrim, prophet and evangelist, and even sinner” (p. 191). After they had passed on, the Church sometimes established identities for them as well, such as “saint.”

Krueger’s book is well organized, with diverse examples, some well known, others less so, of hagiography, dealing with both writers and subjects. Lacking in explicatory back-story of most of the cast of characters, it is not for newcomers to the subject, and as such is aimed at scholars, although it is not so abstruse as to appeal only to specialists of subject or locale. Any academic with an interest in late antique Christianity will find something of interest here.

Jennifer K. Wees

Éditions et traductions

17. A. Graeme Auld, Joshua. Jesus Son of Nauē in Codex Vaticanus. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Septuagint Commentary Series », 1), 2005, xxix-236 p.

N. Clayton Croy, 3 Maccabees. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Septuagint Commentary Series », 2), 2006, xxii-143 p.

David A. deSilva, 4 Maccabees. Introduction and Commentary on the Greek Text in Codex Sinaiticus. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Septuagint Commentary Series », 3), 2006, xliv-303 p.

Ces trois ouvrages sont les premiers volumes d’une nouvelle collection chez Brill : la Septuagint Commentary Series. L’approche de cette nouvelle série se distingue de celle partagée par ses équivalents français[11], allemands, ou autres. En effet, le but de la Septuagint Commentary Series n’est pas la reconstruction artificielle et hypothétique d’une « unique » traduction grecque de la Septante, mais plutôt l’édition, la traduction et le commentaire d’un seul témoin manuscrit de chacun des textes de la Septante. Le choix de ce manuscrit est laissé à la discrétion du chercheur auquel est confié le travail.

Le premier volume de la collection est consacré au livre de Josué. L’édition, la traduction et le commentaire de ce texte furent confiés à A. Graeme Auld, professeur et spécialiste de la Bible hébraïque à l’Université d’Édimbourg. Pour son édition de Josué, l’A. a choisi le texte grec du Codex Vaticanus, un des plus anciens grands codices (quatrième siècle de notre ère). Cette traduction grecque fut produite à partir d’une version hébraïque de Josué qui diffère beaucoup du texte hébreu avec lequel nous sommes aujourd’hui familiers. L’A. se réjouit d’ailleurs d’avoir enfin la chance d’étudier ce texte pour lui-même et non pas seulement comme témoin de l’évolution de la tradition hébraïque de ce livre. Dans une courte introduction, l’A. aborde la question de l’origine du Codex Vaticanus, puis celle de la division du texte, qu’il considère comme une interprétation en soi. Il est intéressant de noter que le texte grec de Josué du Codex Vaticanus comporte quatre systèmes de division marqués à même le manuscrit. Le plus récent est notre division moderne en vingt-quatre chapitres (sans l’indication des versets). Ensuite viennent deux systèmes plus anciens, qui divisaient respectivement le texte en cinquante-cinq et quarante-huit sections. Enfin, le manuscrit porte encore la trace de la division originale de Josué par le scribe en cent trois sections, de longueurs variables, système qu’a retenu l’A. pour son édition et sa traduction. Fort utile, un tableau des correspondances entre ces quatre systèmes a été réalisé par l’A. Auld passe ensuite à la présentation de son édition du texte grec de Josué, en notant au passage quelques particularités du grec trouvé dans le Codex Vaticanus. Puis, il présente sa traduction, qu’il annonce assez littérale. Auld n’a pas prêté attention à ce qu’aurait pu être le texte original avant sa traduction en grec, mais aux caractéristiques propres à la traduction. Il s’est efforcé de traduire le grec « standard » en anglais « standard » et le grec « non standard » en anglais « non standard ». Cette méthode a nécessairement des répercussions sur la traduction de certains noms propres et expressions consacrées. Ainsi, les noms hébraïques qui ont été grécisés sont traduits par la forme dans laquelle ils sont connus en anglais : Jesus, Moses, etc., et non Iēsous, Moyses, etc. Cependant, pour la grande majorité des noms propres que le traducteur n’a que translittérés en grec, Auld applique une translittération en anglais à partir d’un tableau d’équivalences entre les lettres grecques, hébraïques et latines. Une traduction plus littérale, l’A. nous avertit-il, résulte inexorablement dans la perte de certains points de repère très familiers. Par exemple, « ark of the convenant » devient poétiquement « the chest of the disposition ». L’A. termine son introduction en traitant rapidement de l’histoire de la recherche sur le Josué des Septante, des liens entre Josué et le Pentateuque et sur le vocabulaire de Josué. Une courte bibliographie clôt l’introduction. Le texte grec et la traduction anglaise de Josué se font face, ce qui facilite grandement les sondages dans le texte original. Chacune des cent trois sections qui divisent le texte est précédée d’un titre qui agrémente une lecture parfois difficile en raison de la lourdeur d’une traduction littérale. Un commentaire très étoffé suit les cent trois sections. Il s’ouvre généralement sur des remarques d’ordre linguistique et philologique, pour ensuite s’attarder aux éléments davantage historiques, doctrinaux ou littéraires. Un index des références bibliques et un court index général concluent le volume.

Le deuxième volume de la série est quant à lui consacré au troisième Livre des Maccabées, un des apocryphes vétérotestamentaires les plus négligés par les chercheurs. La tâche d’éditer, de traduire et de commenter ce texte fut confiée à N. Clayton Croy, professeur associé au Trinity Lutheran Seminary. L’A. divise l’introduction à son édition, sa traduction et son commentaire en neuf parties. Il commence d’abord par présenter brièvement le contenu de 3 Maccabées et sa trame narrative en trois épisodes : la bataille de Raphia ; la visite de Jérusalem par Ptolémée IV Philopator ; et la persécutions des Juifs d’Alexandrie par Ptolémée. L’A. traite ensuite des questions relatives au titre donné à l’oeuvre (singulier, dans la mesure où le texte ne renvoie à aucun des membres de la famille maccabéenne, ni ne se soucie de l’époque de la révolte des Maccabées), à son statut « canonique » (dans les trois grands codices onciaux, 3 Maccabées ne se trouve que dans l’Alexandrinus) et à ses autres témoins textuels (plus de deux douzaines de manuscrits contiennent 3 Maccabées en entier ou en partie). L’A. se penche ensuite sur l’auteur de 3 Maccabées (anonyme), la date de sa composition (entre le deuxième siècle aec et le premier siècle de notre ère) et sa provenance (d’Égypte, probablement d’Alexandrie) ; sur sa langue (le grec) et sur son style (que Croy qualifie de « négligent ») ; sur son genre (classé par l’A. comme une historical romance), son historicité (plausible pour certains faits) et ses liens littéraires (Esther, 2 Maccabées et la Lettre d’Aristée). Pour ce qui est de l’intégrité du texte, l’A., comme plusieurs autres avant lui, soutient et explique qu’il est fort probable que le début de 3 Maccabées, tel qu’il nous est parvenu, manque aujourd’hui. Au septième point, l’A. discute de la théologie de 3 Maccabées, qui reflète selon lui un judaïsme orthodoxe (le caractère sacré de la Loi, l’inviolabilité du Temple, l’importance des traditions anciennes et le statut unique d’Israël sont des thèmes chers à l’auteur), et de ses objectifs (3 Maccabées est un texte exhortatif, apologétique, polémique et étiologique). L’A. traite ensuite de l’influence de 3 Maccabées, qui est minime (3 Maccabées fut traduit en syriaque et en arménien) et de son impact sur le développement du christianisme ancien, qui est peu significatif (3 Maccabées est peu connu des auteurs chrétiens). Enfin, l’A. présente les particularités du texte grec de 3 Maccabées retenu pour l’édition (celui de l’Alexandrinus) et celles de sa traduction (plus littérale que littéraire). Comme pour l’édition de Josué, l’introduction est suivie du texte grec de 3 Maccabées présenté en regard de la traduction anglaise. Un commentaire détaillé de 3 Maccabées suit l’édition et la traduction. Une importante bibliographie, un index thématique et un index des textes anciens ferment l’ouvrage.

Le troisième volume de la collection est consacré au quatrième Livre des Maccabées. C’est à David A. deSilva, qui enseigne le grec et le Nouveau Testament au Ashland Theological Seminary, que fut confiée la tâche d’éditer, de traduire et de commenter ce texte. Pour ce faire, il a choisi le Codex Sinaiticus (quatrième siècle). Dans l’introduction, l’A. aborde les questions relatives aux principaux témoins (Codex Sinaiticus et Alexandrinus), à l’auteur de 4 Maccabées (l’attribution à Flavius Josèphe par les anciens ne tient plus aujourd’hui) et au titre (qui reflète le désir de l’auteur de regrouper son écrit avec les traditions maccabéennes, même si le texte ne fait en aucun endroit mention de la famille de Judas Maccabée ou de ses exploits). L’A. s’intéresse ensuite à la datation de 4 Maccabées (entre le tournant de l’ère chrétienne et le début du deuxième siècle), à son origine (si les premières recherches liaient 4 Maccabées et le judaïsme alexandrin, notre A. penche plutôt pour une origine quelque part entre l’Asie mineure et Antioche de Syrie) et au public visé (des Juifs, assez hellénisés pour lire du grec littéraire, qui cherchent d’un côté à conserver leur héritage, mais qui de l’autre désirent entrer en relation avec le milieu culturel grec dans lequel ils évoluent). L’A. traite également du genre littéraire de 4 Maccabées (un mélange entre le discours philosophique et l’encomium), de sa stratégie rhétorique (stimuler une adhésion aux traditions juives dans un environnement qui est propice aux accommodements et même favorable à l’abandon de la foi juive) et de ses sources (la traduction grecque des écritures juives et 2 Maccabées). L’A. se penche ensuite sur les influences exercées par 4 Maccabées. Pour deSilva, 4 Maccabées n’a eu que peu d’impact sur le judaïsme au deuxième siècle, la plus importante influence s’étant exercée sur l’auteur des Lamentations du Midrash Rabbah. Par contre, l’influence de 4 Maccabées sur le christianisme primitif fut beaucoup plus importante, notamment sur le Nouveau Testament (Épître aux Hébreux et les épitres pastorales) et très fortement sur la littérature hagiographique (Ignace d’Antioche, le Martyre de Polycarpe, l’Exhortation au martyre d’Origène, la Passion de Perpétue et de Félicité, etc.). Avant de passer au texte et à la traduction de 4 Maccabées, l’A. précise les particularités du texte dans le Codex Sinaiticus (les aspects matériels, les divisions du textes, les abréviations, etc.). Le lecteur du texte de 4 Maccabées tel qu’il se trouve dans le Codex Sinaiticus fera, dit-il, l’expérience d’un texte plus vif et plus dynamique que celui d’une édition critique, principalement en raison du choix des verbes, du vocabulaire et de la précision de détails plus spécifiques. Comme pour l’édition de Josué et de 3 Maccabées, le texte grec de 4 Maccabées est ensuite présenté en regard de la traduction anglaise. L’édition et la traduction sont suivies par un commentaire détaillé, dont les préoccupations sont autant d’ordre linguistique et philologique, que doctrinale, historique et littéraire. Une bibliographie étoffée, de même qu’un index des auteurs modernes et des textes anciens cités concluent le volume.

Ces trois ouvrages comblent un besoin évident de la recherche, à savoir celui de l’étude des textes non plus comme témoins d’un texte original unique, qui sera toujours hypothétique, mais plutôt comme objet reçu et lu à part entière par une communauté. Nous nous devons de souligner la qualité de ces études et de les recommander à quiconque s’intéresse à l’histoire des différents textes dont se compose la Septante.

Eric Crégheur

18. Fulgence de Ruspe, La règle de la foi (De Fide ad Petrum). Introduction, traduction, notes, guide thématique, glossaire et index par M. Olivier Cosma. Paris, Migne (coll. « Les Pères dans la foi », 93), 2006, 137 p.

La règle de foi, en latin De fide ad Petrum, est destinée à un certain Pierre, inconnu par les prosopographies anciennes. Celui-ci aurait demandé à l’évêque Fulgence, disciple d’Augustin, de rédiger un manuel de la foi catholique qui lui permettrait de se préserver contre toute hérésie éventuelle dans son voyage à Jérusalem. Le genre littéraire choisi pour répondre à une telle demande est celui de la « règle », le rapprochant ainsi du célèbre ouvrage de Tyconius, Liber regularum. La caractéristique principale de ce genre littéraire est l’énumération des règles de foi à suivre (« Tiens pour très certain, sans en douter le moins du monde ») afin d’éviter toute dérive dogmatique ou théologique. L’exposé des quarante règles de foi est articulé en quatre parties principales, la foi, la Trinité, le Fils et la Création, précédées d’un long prologue et suivies d’une brève conclusion.

Le présent ouvrage se veut donc une « règle de la foi catholique » contre les doctrines étrangères à l’Église. L’arianisme est la première doctrine visée par Fulgence. Selon cette doctrine, la Trinité ne jouit pas de l’égalité substantielle des personnes qui la composent, car le Père est plus grand que le Fils (cf. Jn 14,28). L’auteur se propose donc de démontrer, argumentation biblique à l’appui, l’égalité du Fils avec le Père et, par conséquent, la consubstantialité de la Trinité. Le pélagianisme est une autre doctrine que Fulgence combat dans son écrit. La volonté et le libre arbitre humains, tant exaltés par Pélage, sont secondaires par rapport à la grâce que Dieu offre à l’homme en Jésus Christ mort et ressuscité. Augustin vient au secours de son disciple afin de combattre à la fois l’arianisme et le pélagianisme. D’autres doctrines sont combattues dans cet ouvrage : l’apollinarisme niant l’existence d’une âme raisonnable dans le Christ ; l’encratisme et ses dérivés, l’adamisme et l’apostolisme, qui mettaient l’accent sur un ascétisme extrême allant jusqu’à la condamnation des unions conjugales ; le macédonianisme qui niait la divinité de l’Esprit-Saint ; le nestorianisme qui ne reconnaît ni la double nature dans l’unique personne du Christ ni le titre Théotokos que le concile d’Éphèse, en 431, avait accordé à Marie ; le monophysisme postchalcédonien favorisé par la femme de l’empereur Justinien, Théodora, après la mort de Fulgence ; le sabellianisme qui resurgit encore parmi ses contemporains.

La lecture de cet ouvrage pose deux difficultés majeures au lecteur initié aux débats théologiques des cinquième et sixième siècles. D’une part, on se posera la question : Fulgence défend-il un augustinisme radical ? D’autre part : quelle position Fulgence prend-il devant le Filioque ? L’auteur de La règle de la foi vit à une époque où on constate une tension entre la promotion d’un augustinisme radical, dans lequel la prédestination est rigoureusement défendue, et un augustinisme mitigé, dans lequel tous les peuples sont appelés au salut. « Fulgence en représente le courant radical, dont les tenants réaffirment — voire durcissent encore — les positions les plus dures d’Augustin, et qui aboutira au jansénisme » (p. 20-21). Quant au Filioque, Fulgence ne fait que reprendre les arguments développés par Augustin en faveur de la procession éternelle de l’Esprit-Saint du Père et du Fils. Ainsi, il apporte une pierre de plus au débat filioquiste opposant l’Orient et l’Occident chrétien après lui, et qui ira jusqu’à la séparation des deux Églises, en 1054.

L’érudition et la personnalité de Fulgence en ont impressionné plus d’un à son époque et dans la postérité. Au dix-huitième siècle, Bossuet le désignait comme « le plus grand théologien et le plus saint évêque de son temps » (p. 24). Son attachement aux vérités fondamentales de la foi chrétienne a fait de lui un pilier de l’orthodoxie contre lequel toutes les hérésies s’effondrent. Cependant, les chercheurs modernes sont plus nuancés lorsqu’ils découvrent l’augustinisme radical qui se dégage de son oeuvre. La propagation des idées de son maître a fait de lui le maillon par lequel l’augustinisme extrême a été transmis aux médiévaux, contribuant ainsi à l’élargissement du fossé entre l’Église orientale et l’Église occidentale.

La traduction offre la possibilité au lecteur moins familier avec les arguties du latin de sentir la capacité inouïe de Fulgence de jouer avec les mots, les concepts et les expressions, faisant de lui un digne disciple d’Augustin. L’introduction, les notes, le guide thématique, le glossaire et l’index sont également autant d’outils mis à la disposition du lecteur afin de l’introduire dans le contexte historique, social et théologique qui a vu naître un homme d’une grande culture et d’un grand désir de perfection de vie chrétienne, et un grand évêque, qui a su mettre ses dons, intellectuels et spirituels, au service du peuple de Dieu.

Lucian Dînca

19. St. Peter Chrysologus, Selected Sermons, Volume 3. Translated by William B. Palardy. Washington, The Catholic University of America Press (coll. “The Fathers of the Church”, 110), 2005, xviii-372 p.

This volume represents all of Chrysologus’s sermons now available in the English language. The translation as noted in the Preface is based upon the text edited by Dom Alejandro Olivar in CCL 24A and 24B. Palardy makes use of Olivar’s extensive notes in the CCL edition which he cross-references with terms found in the Chrysologus corpus to point out the parallels in the patristic and classical texts in order to underscore contemporary works. As in Volume 2, he also makes use of the Opere di San Pietro Crisologo by Gabriele Banterle (Scrittori dell’area santambrosiana series) that corrects and provides helpful notes to the CCL text. This monograph completes the collection of sermons from 72A through to 179. The Hebrew Bible citations follow the Vetus Latina and Septuagint in numbering. It should be kept in mind that the main collection of Chrysologus’s sermons is the Felician collection, arranged in the eighth-century ; a few of these have not been translated in this volume because they are judged to be spurious. A detailed study on the textual history and authenticity on some of the sermons in the CCL has been undertaken by A. Olivar in his Los sermons de san Pedro Crisólogo : Estudio crítico (Montserrat, Abadía de Montserrat, 1962). Sermons previously designated in the CCL as “bis” and “ter” (e.g., Sermon 99bis is designated as “99a”) are designated respectively “a” and “b”, in keeping with Palardy’s previous volume (FOTC 109). The following symbols “[  ]” and “<  >” respectively indicate additions made to the sermon text or titles by Palardy and Olivar. From these sermons one can discern issues that were first and foremost on the minds of his listeners ; the religious debates, political climate, belief and practice in fifth-century Ravena, and everyday concerns. The Gospel texts are of course the basis of the homilies he delivered during important liturgical seasons, Lent, Easter, Pentecost, the period prior to Christmas, Christmas and Epiphany cycle. Of note is the most ancient witness to a Roman practice, the Pascha annotinum (one-year anniversary of Baptism for initiates from the previous Easter) found in Sermon 73, an observation advanced by Franco Sottocornola in L’anno liturgico nei sermoni di Pietro Crisologo (p. 83-84 ; 188-190). Sermon 142, <A Second> on the Annunciation of the Lord, most likely preached before Christmas (and as Palardy states, seems to be a continuation of another sermon, no longer extant, which concluded with a comment on Lk 1:30) is a good example of the depth and breadth of the Scriptural pool from which Chrysologus typically draws for each sermon — in this case, he makes use of Genesis, Isaiah, Romans, Luke and John. More importantly, Palardy alerts us to observations such as the allusion in the same sermon, that Mary is the new Eve (142.9 ; see also Sermons 74.3, 140.4, and 148.5). In Sermon 146.7 Chrysologus finds significance in the Latin name for Mary, maria, a reference to the seas that are the source of life. It is of note that Jacques de Voragine (Iacopo da Varagine) revives this theme eight centuries later in his celebrated Légende dorée (Legenda Aurea, initially titled, Legenda Sanctorum). Chrysologus’s use of the term misceri (142.1) may be mistaken as a monophysite view of Christ, however Palardy translates this as “mingled” and explains that Leo the Great uses the same term to indicate the union of the human and divine in Christ (CCL 138.103). Chrysologus’s language is rich in meaning and theological significance ; one can discern a shift in meaning when we compare his earlier Sermon 40.3 (FOTC 17.87) in which he states that Christ decided and had the power to offer his own life, in Sermon 110.3, Christ is the agent of his own Resurrection. Sermon 126.10 underscores Chrysologus’s wordplay when he refers to the gentiles as elect (electi) and to the Jews as derelict (relicti). Similarly, in Sermon 142.2 he makes use of in virgine … virga, an allusion to the Virgin as a thin twig that ought not be broken under the full weight “of the construction from heaven”. In Sermons 164.3, 106.7 and 137.1, he employs farming imagery to makes the Jews stand in sharp contrast to the gentiles. Sermon 157, A Second on Epiphany, reveals how some words held theological meanings that transcended traditions of the East and the Occident ; in his interpretation of Epiphany, Chrysologus makes use of the phrase “the day of his Illumination…”, which Palardy notes is a direct drawing of his knowledge of the Eastern tradition. Many of the sermons are interspersed with expositions of Paul’s letters. Throughout this volume Palardy provides the reader with first rate insight (e.g., Sermon 72b, he gives a valuable reference to the modern work of Benericetti, Il Cristo nei Sermoni di S. Pier Crisologo ; at other times he references ancient authors such as the first-century ce writer M. Manilius, Sermon 164.5) making this final collection of sermons by Chrysologus truly an important addition to the study of Patristics.

Jonathan Ignatius von Kodar

20. Didymus the Blind, Commentary on Zechariah. Translated by Robert C. Hill. Washington, The Catholic University of America Press (coll. “The Fathers of the Church”, 111), 2006, xi-372 p.

This monograph is quite unique as it is the only complete commentary by Didymus extant in Greek on a biblical book where authenticity is confirmed, it comes to us by direct manuscript tradition, and the work has been critically edited by L. Doutreleau[12]. This volume is its first appearance in English. It was not until 1941 that this work was discovered in Tura, Egypt. We know from Jerome that in 386 he embarked on a trip to Alexandria to visit with the “Seer” so that he may gain insight to the obscure book of Zechariah (in particular chapters 9 through 14, often referred to as Deutero-Zechariah, echoing other protoapocalyptic texts such as Joel 2.28-3.21 and Isaiah 24-27). Didymus was admired by both Athanasius and Antony the hermit. He was alive when the ecumenical councils of Nicea and Constantinople I were convened. Among his pupils and guests were Rufinus, Palladius the historian (who refers to him as a συγγραφεύς), Jerome and Paula. He also had support of the church historians Socrates and Theodoret. Being a follower of Origen may have contributed to the absence of his work throughout the ages. When Jerome took aim at Origenism and quarrelled with Rufinus, he no longer claimed to have been a disciple of Didymus and regretted the praises he had given him in the past. The works of Didymus were first condemned in 553 at the fifth ecumenical council. Eutychus of Constantinople subsequently issued a decree that would anathematize both Didymus and Evagrius Ponticus in the condemnation of Origenists by the sixth and seventh councils. This censure was not applied to his person but to his doctrine. The commentary looks at the biblical text allegorically, common to the Alexandrian tradition. His work is imbued with layers of theological meaning, often requiring reflection on etymological and numerological symbolism to appreciate the hermeneutical presentation. In Jerome’s De viris illustribus the commentary is mentioned and Doutreleau suggests 387 as the date of composition. Commentaries by the Antiochenes Theodore and Theodoret, as well as by the Alexandrian Cyril, offers a broader context to what Jerome refers to as this obscurissimus liber Zachariae prophetae. Even though Jerome states that Hippolytus also composed a commentary on Zechariah, Doutreleau is adamant that Didymus “ne doit rien à Hippolyte”. His work clearly follows Alexandrian hermeneutical principles, often referring to the now deceased Athanasius as the διδάσκαλος of the church of Alexandria, to Peter as the mentor of Mark, and affords Mary a level of prominence not equalled by the Antiochenes (9.9). It appears that he targeted a learned audience, people who are able to reference and chose different interpretations. In 1.20, he suggests that the “four craftsmen” are the four evangelists, but also advances the idea that this same passage could be referring to “angels sent to gather God’s elect from the four winds”. In 12.10, Didymus admits he is not versed in Hebrew. Hill points out that Didymus does not regularly check his lxx version against the Hebrew text in Origen’s Hexapla, nor against the ancient versions associated with Theodotian and Aquila. Even Simonetti complains about, “la scarsezza di riferimenti agli altri traduttori del testo ebraico […]” in his article in Vetera Christianorum (1983), 20, p. 346. However Fernández Marcos (The Septuagint in Context) feels that Didymus is remarkably faithful to the Alexandrian group in his commentary on Zachariah. We do know from Jerome (praef. in Paralipp.) that during his time there existed three forms of the lxx, namely, those from Alexandria, Constantinople-Antioch, and “the provinces in-between”. That being said, it is not reasonable to expect of a blind man what scholars with vision would consider diligent textual criticism as visual gymnastics. Didymus not only makes ample reference to Isaiah, Psalms, Song of Songs and Paul, but also to the deuterocanonical books of the Hebrew Bible, such as Judith, Tobit, and the additions to Daniel. Like the Antiochenes, he avoids the use of the book of Esther. He also cites some of the early Christian texts such as the Shepherd of Hermas, the Acts of John and the Epistle of Barnabas. In 8.4-5, Didymus dismisses what is said in Joel 2.28, namely, “your sons and your daughters shall prophesy” and suggests that the reference applies to “old men holding sticks in their hands” and not really to old women. In 7.5-7, Didymus makes use of Joel 1.15 not from the viewpoint of Zechariah’s penitential practices of a restored community but one that reinforces his argument about good and bad fasting ; in the case of the latter, he refers to those who abstain from the bread of life and the flesh of Jesus (Cf. John 6:33, 35). Of course he does not always stray from the original message contained in the Hebrew Bible. In 7.9-10, he remains true to the prophet’s message and expounds in detail the theme of ethical transgression. It is interesting to note that the Antiochenes have little to say about this verse. Here we see why this volume is an interesting read — Hill’s keen eye for detail ; he notes accurately that Didymus seems to erroneously attribute the phrase, “Hold no grudge in your hearts, each of you against your neighbour”, to Jeremiah, and by Jerome repeating this incorrect reference, underscores his close dependence on Didymus (see also 8.13-15 where Didymus replaces the word “hands” with “hearts” and Jerome once again adopts an error). Hill also notes that Didymus (and the Antiochene commentators) is at a complete loss in interpreting the opening versus of Chapter 12 (Cf. Ralph L. Smith, Michah to Malachi, p. 225, and Paul D. Hanson, The Dawn of Apocalyptic, p. 369). Didymus seems to be unaware that the book is actually comprised of two separate works. Hill describes Didymus’ hermeneutical style as interpretation-by-association ; a case in point is Hill’s humorous note on 8.13-15 where Didymus references in the following order, Genesis, 2 Timothy, Numbers, Galatians, Matthew, Acts, Daniel, Amos, Luke, 2 Corinthians, John, Ecclesiastes and 1 Samuel — Hill refers to this as a “concatenation of texts” and a “Kaleidoscopic exercise”. Didymus apologizes for straying not from the Zechariah text but from the Genesis subtext. Hill sates that unlike the Antiochenes who are adept in rhetoric (Cf. C. Schäublin, Untersuchungen zu Methode und Herkunft der antiochenischen Exegese), Didymus excels in philosophical terms and categories of the Stoics, Epicureans, and Pythagoreans. It is clear that Didymus is not concerned with the story of the exiles and the restored community. While he does tackle literal/historical issues, he is more inclined to the spiritual and Christological interpretation, which Hill identifies as his discernment (θεωρία) process, a process clearly abhorred by Diodore, who according to P. Ternant (La θεωρία d’Antioche dans le cadre de sens de l’Écriture, Biblica 34 [1953]) is deliberately skewing the Alexandrian position ; Diodore does find θεωρία acceptable providing the literal sense progresses to an “elevated sense” based on the literal. To Didymus, the literal sense to a text may sometimes be inappropriate and he invites his readers to seek other interpretations. Hill states that Didymus is actually following Origen’s three-fold pattern and two different variations of this pattern with the factual, moral and (Christ and the Church) mystical, and mystical (soul as spouse of the Word) and spiritual (see H. de Lubac on Le triple sens de l’Écriture and the Deux façons in Histoire et Esprit : l’intelligence de l’Écriture d’après Origène, Paris, Aubier [coll. “Théologie”, 16], 1950). For Theodore, any spiritual sense that distorted ἱστορία is unsubstantiated. The hermeneutical devices of etymology and number symbolism employed by Didymus did not sit well with the Antiochenes ; neither side under stood Hebrew well enough to avoid errors (1.7) and his etymology seemed at times hard to accept. At any given opportunity, he is able to insert comments against those professing heretical Trinitarian and Christological views. In 12.8 he attacks the docetists, Paul of Samosata, Photinus the Galatian, Artemas, Theodotus and adds Apollinaris and Marcellus of Ancyra. In 11.13 he attacks the Manicheans and Gnostics. The importance of this commentary for Hill is that Didymus offers a mirror for his readers “in which they can see reference to their own lives” and as Didymus states in 3.8-9, “the person who understands it is a seer”.

Jonathan Ignatius von Kodar

21. A Syriac Encyclopaedia of Aristotelian Philosophy. Barhebraeus (13th c.), Butyrum sapientiae, Books of Ethics, Economy and Politics. A critical edition, with introduction, translation, commentary and glossaries, by P. Joosse. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Aristoteles Semitico-Latinus », 16), 2004, viii-289 p.

Aristotelian Rhetoric in Syriac. Barhebraeus, Butyrum sapientiae, Book of Rhetoric. By John W. Watt, with Assistance of Daniel Isaac, Julian Faultless, and Ayman Shihadeh. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Aristoteles Semitico-Latinus », 18), 2005, x-484 p.

Presque un exact contemporain de Thomas d’Aquin (1225 ?-1274), Grégoire Abū ’l-Farağ dit Barhebraeus, né en 1225 ou 1226 et décédé en 1286, fut « maphrien de l’Orient » ou primat de l’Église syrienne orthodoxe (jacobite) pour les provinces orientales, avec son siège près de Mossoul (aujourd’hui en Irak), au couvent de Mar Mattaï. Un des derniers grands écrivains syriaques, Barhebraeus fut, de son temps, un esprit universel. Ses oeuvres couvrent à peu près tous les domaines de la connaissance, théologie, philosophie, médecine, grammaire, astronomie, mathématiques, histoire, liturgie. On lui doit même un « livre des contes amusants », recueils de sentences et de memorabilia de philosophes, sages et ascètes. Ce qui nous est livré dans ces deux volumes de l’Aristote sémitico-latin, est une tranche importante d’une vaste encyclopédie de philosophie aristotélicienne intitulée par Barhebraeus Le livre de la crème de la science (forme: 018539aro001n.png), qui couvre tous les champs de la philosophie à la manière d’une véritable somme, comme l’Occident médiéval en connaît à la même époque. L’intérêt de ce monumental ouvrage dépasse largement le domaine des études syriaques et c’est pour l’histoire de l’aristotélisme médiéval et de sa transmission au monde arabe qu’il revêt la plus grande importance. On comprend dès lors que les éditeurs de l’Aristoteles semitico-latinus lui aient réservé une place de choix dans le programme de cette collection. Outre les deux volumes que nous présentons maintenant, un troisième avait paru en 2004, qui portait sur la « météorologie aristotélicienne en syriaque » et donnait l’édition des livres de la Crème de la science consacrés à la minéralogie et à la météorologie (H. Takahashi, vol. 15 de la collection). Les volumes édités par P. Joosse, pour le premier, et par J.W. Watt et ses collaborateurs, pour le second, suivent tous deux le même plan : introduction, texte critique et traduction, commentaire, glossaires. Les introductions accordent une attention particulière aux sources de Barhebraeus. Pour les trois livres portant sur la « philosophie pratique », soit l’éthique, l’économique et la politique, l’encyclopédiste syriaque est surtout redevable au savant persan al-Ṭūsī. Pour la rhétorique, il a paraphrasé deux sources, la Rhétorique d’Ibn Sīnā et celle d’Aristote. Les commentaires des éditeurs permettent de prendre la mesure de la dette de Barhebraeus à l’endroit de ses sources comme aussi de son originalité. Particulièrement précieux sont les glossaires qui accompagnent ces éditions : syriaque-persan/arabe, dans le premier cas, syriaque-grec-arabe (Barhebraeus-Aristote-Ibn Sīnā), grec-syriaque (Aristote-Barhebraeus) et arabe-syriaque (Ibn Sīnā-Barhebraeus), dans le second. Ces lexiques rendront service non seulement aux spécialistes de l’aristotélisme mais aussi à tous ceux qui s’intéressent aux problèmes de traduction du grec, de l’arabe ou du persan en syriaque. Les deux volumes ont été préparés avec beaucoup de soin, même si l’édition de Watt, qui dispose l’apparat critique en bas de page, sous le texte, est plus facile à utiliser que celle de Joosse, qui le reporte à la suite de l’édition.

Paul-Hubert Poirier

22. Eusebius, Onomasticon. The Place Names of Divine Scripture. Including the Latin edition of Jerome, translated into English and with topographical commentary by R. Steven Notley and Ze’ev Safrai. Leiden, Koninklijke Brill NV (coll. « Jewish and Christian Perspectives Series », IX), 2005, xxxvii-212 p.

Ce que l’on appelle l’Onomasticon d’Eusèbe de Césarée et dont le titre exact est « Au sujet des noms de lieux qui se trouvent dans la divine Écriture » (περὶ τῶν τοπικῶν ὀνομάτων τῶν ἐν τῇ θείᾳ γραφῇ), est un lexique explicatif de tous les toponymes, noms de fleuves ou de montagnes que l’on trouve dans les Écritures. L’ouvrage est organisé selon l’ordre des vingt-quatre lettres de l’alphabet grec et, à l’intérieur de chaque section alphabétique, les lemmes sont classés selon les livres bibliques, en commençant par la Genèse (ou le Pentateuque) pour finir par les Évangiles. Au total, on compte 983 notices dont un certain nombre sont toutefois des doublons. Le contenu des notices est le plus souvent tiré des passages bibliques où les noms sont cités, mais on y retrouve aussi quantité d’informations toponymiques, géographiques ou administratives qui font de l’Onomasticon une source essentielle pour la connaissance de la Palestine à l’époque romaine et spécialement au quatrième siècle. D’où l’intérêt qu’il a toujours suscité non seulement chez les biblistes mais aussi auprès des historiens et des archéologues. Dans l’Antiquité, l’ouvrage jouissait déjà d’une grande popularité, comme en témoignent la traduction-adaptation que Jérôme en fit en latin et l’existence d’une version syriaque partielle récemment publiée[13]. Le texte grec et la version latine ont pour leur part fait l’objet d’une édition critique synoptique au début du vingtième siècle[14], qui a définitivement remplacé les précédentes, y compris celle de Paul de Lagarde[15]. Une traduction anglaise de l’Onomasticon dans ses deux versions, accompagnée d’un index annoté, d’études et de cartes a également paru récemment[16]. Par rapport à celle-ci, l’édition de Notley et Safrai se distingue par le fait qu’elle réimprime en synopse, sans les apparats, les textes grec et latin d’Erich Klostermann, en les accompagnant d’une traduction anglaise du seul texte grec, d’où le qualificatif de « triglotte » que l’on lit dans le titre. Cette traduction donne également, entre parenthèses, la forme que prennent les lemmes dans la Septante (en principe identique à ceux du texte eusébien) et dans le texte massorétique, des références bibliques additionnelles ainsi que les renvois internes, en particulier dans le cas des lemmes doubles ou triples. Une annotation infrapaginale parfois assez développée et portant sur la plupart des lemmes fournit des indications topographiques, historiques et archéologiques visant à identifier et à situer, chaque fois que la chose est possible, les toponymes répertoriés par Eusèbe. Les références aux auteurs anciens, dont Flavius Josèphe, et à la littérature rabbinique sont indiquées lorsqu’elles permettent d’éclairer le texte d’Eusèbe. Un tableau comparatif des noms, sur six colonnes (le nom [1] en traduction anglaise, tel que le donnent [2] Eusèbe et [3] le texte massorétique, sa forme ou son équivalent [4] byzantin et [5] moderne, ainsi que, le cas échéant, [6] des notes), reprend, selon l’ordre de leur occurrence, la totalité des lemmes. Deux index, toponymique et des sources citées dans l’annotation, terminent l’ouvrage. Insérée dans le plat inférieur de la reliure, on trouvera une très belle carte en couleur (90 ( 60 cm) de la « Palestine biblique selon Eusèbe », qui situe les routes mentionnées par Eusèbe (y compris celles qui n’ont pas encore été identifiées), les frontières administratives, les villes et les villages (en distinguant les sites juifs et les sites chrétiens, et ceux qui sont signalés comme abandonnés), les lieux saints, les garnisons et les montagnes. Une introduction substantielle présente l’Onomasticon et examine les problèmes posés par les doubles entrées et la localisation des sites mentionnés par Eusèbe. Les éditeurs concluent que celui-ci possédait une bonne connaissance de la terre d’Israël. Le caractère unique de l’Onomasticon au sein de la littérature chrétienne ancienne, rédigé avant que l’Empire ne devînt chrétien et que ne se développât un intérêt prononcé pour la Terre Sainte, les amènent en outre à formuler l’hypothèse qu’Eusèbe a utilisé des sources juives pour construire sa compilation. Si une telle hypothèse est vraisemblable, les auteurs sont loin d’en faire la démonstration. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage bien conçu permet un accès facile à l’Onomasticon sous sa double forme tout en fournissant au lecteur une information bibliographique à jour. Les auteurs auraient dû se méfier de leur traitement de texte car, à tous les endroits, dans la traduction anglaise, où un toponyme hébraïque composé de deux mots est partagé entre la fin d’une ligne et le début de la ligne suivante, les deux parties du mot se retrouvent disposées à l’envers[17].

Paul-Hubert Poirier

23. Bède le vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais (Historia ecclesiastica gentis Anglorum). Tome II (Livres III-IIII) et Tome III (Livre V). Introduction et notes par André Crépin, texte critique par Michael Lapidge, traduction par Pierre Monat et Philippe Robin. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 490 et 491), 2005, 423 p. et 251 p.

À la suite du tome I, paru en 2005 (« Sources Chrétiennes », 489) et qui comportait l’introduction générale et les livres I et II de l’Histoire ecclésiastique de Bède le vénérable (673-735), voici les tomes II et III qui mènent à son terme cette remarquable édition d’une oeuvre marquante de l’historiographie chrétienne, à la jonction de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. L’histoire du texte de l’Histoire a été faite au t. I (p. 49-69), et les principes de la nouvelle édition y ont été exposés (p. 69-72). Rappelons que celle-ci repose sur trois manuscrits du huitième siècle, qui dérivent d’un même original, proche du manuscrit autographe de Bède. Il a été tenu compte de la traduction vieil-anglaise qui nous est parvenue en quatre manuscrits du dixième siècle. Les livres III à V couvrent la période allant de 633 à 731, année de l’achèvement de l’Histoire ecclésiastique. Ils exposent les progrès du christianisme dans les royaumes de Northumbrie, de Wessex, de Kent, d’Est-Anglie, de Mercie et d’Essex (livre III), décrivent l’organisation de l’Église d’Angleterre sous Théodore, archevêque de Canterbury de 668 à 690 (livre IV), et racontent les événements marquants survenus depuis la mort de saint Cuthbert, abbé de Lindisfarne, en 687, jusqu’en 731. Ces livres accordent une grande attention aux divergences dans les usages liturgiques, relatifs au comput pascal et à la forme de la tonsure. Les miracles des saints évêques et abbés tiennent aussi une place prépondérante. De nombreux documents sont cités, dont des textes synodaux, des hymnes et des épitaphes. L’annotation qui accompagne la traduction vise surtout à expliquer les noms de lieux — dont les équivalents modernes sont signalés lorsqu’ils sont connus — et ceux des nombreux personnages qui peuplent le récit de Bède[18]. Le tome III se termine par trois index (scripturaire, onomastique et analytique) qui récapitulent ceux des deux tomes précédents. Chacun des volumes reproduit en finale une très utile carte de l’Angleterre telle que la fait connaître l’Histoire ecclésiastique. Cette belle édition s’inscrit dans l’effort des « Sources Chrétiennes » pour rendre disponible l’ensemble de la littérature historiographique de l’Antiquité chrétienne, depuis Eusèbe de Césarée jusqu’à Théodoret de Cyr, en passant par Socrate de Constantinople et Sozomène.

Paul-Hubert Poirier

24. Les Apophtegmes des Pères. Tome III. Collection systématique. Chapitres XVII-XXI. Texte critique, traduction, et notes par † Jean-Claude Guy, s.j. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 498), 2005, 470 p.

Avec ce volume s’achève l’édition de la collection systématique des Apophtegmes entreprise par le Père Jean-Claude Guy et presque menée à son terme par lui avant son décès survenu en janvier 1986. Le premier volume a paru en 1993 (« Sources Chrétiennes », 387), la mise au point de l’édition ayant été assurée par Bernard Flusin ; le deuxième volume devait suivre en 2003 (« Sources Chrétiennes », 474), sous la responsabilité de Bernard Meunier, qui s’est également chargé de préparer le troisième. L’introduction du premier volume exposait le genre littéraire, la typologie et la genèse des collections d’apophtegmes, présentait le centre monastique de Scétée, dressait la prosopographie des moines scétiotes et formulait quelques hypothèses sur la date et le lieu de composition des grandes collections d’apophtegmes. Elle rappelait les conclusions de l’étude de la tradition manuscrite grecque de la collection systématique menée par J.-C. Guy dans ses Recherches sur la tradition grecque des Apophthegmata Patrum (Bruxelles, Société des Bollandistes, 1962, 19842), conclusions sur lesquelles repose la présente édition et que B. Flusin avait légèrement infléchies, pour le premier volume, en accordant plus de poids à la traduction latine de la collection systématique. Pour les deuxième et troisième volumes, B. Meunier a cependant cru bon de ne pas privilégier à tout coup l’accord de l’ancienne version latine avec tel ou tel manuscrit grec. Comme l’essentiel avait été dit dans le premier volume, le troisième ne comporte pas d’introduction propre, mais, ainsi que cela avait été annoncé en 1993, se termine, sur plus de 250 pages, par une concordance entre les collections alphabétique et systématique des Apophtegmes, des index scripturaire, des noms de lieux et de personnes, et des mots grecs, la concordance et les index portant sur les trois volumes. Une liste d’errata pour les volumes 1 et 2 termine l’ouvrage. Avec l’achèvement posthume du travail du P. Guy, on dispose enfin d’une édition scientifique de l’intégralité de la collection systématique, ce qui n’est pas encore le cas pour sa voisine, la collection alphabétique, même si les traductions françaises de Solesmes permettent d’avoir accès à la totalité de son contenu. Rappelons que la collection systématique exploite en bonne partie des matériaux qu’elle a en commun avec l’alphabétique et la collection anonyme, mais en disposant les pièces selon un ordre (plus ou moins) systématique ou raisonné, en 21 chapitres. Le troisième volume contient les derniers chapitres, sur la charité, les vieillards clairvoyants, les vieillards thaumaturges, la conduite vertueuse des différents pères et, en conclusion, les « apophtegmes des pères qui vieillirent dans l’ascèse, montrant comme en résumé leur éminente vertu ». Comme c’était le cas pour les volumes 1 et 2, l’annotation de la traduction est réduite à l’essentiel, mais des références marginales signalent tous les parallèles dans la collection alphabético-anonyme et dans les autres sources monastiques. Il convient de souligner le mérite des personnes qui ont permis à l’oeuvre du P. Guy de voir le jour dans d’aussi excellentes conditions.

Paul-Hubert Poirier

25. Faustin et Marcellin, Supplique aux empereurs (Libellus precum et Lex augusta), précédé de Faustin,Confession de foi. Introduction, texte critique, traduction et notes par Aline Canellis. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 504), 2006, 261 p.

Le quatrième siècle chrétien, considéré comme « l’âge d’or des Pères de l’Église », fut surtout une période de crise et de querelles ecclésiastiques et dogmatiques, à la suite du concile de Nicée. Un tel état de choses ne peut être mieux illustré que par les deux documents édités et traduits dans ce livre, une supplique (libellus) adressée aux empereurs Théodose I et ses collègues par deux prêtres « ultra-nicéens », Faustin et Marcelin, en faveur des partisans de Lucifer de Cagliari qui s’étaient séparés de l’Église d’Occident après le double synode de Rimini et Séleucie de 359, et le rescrit impérial (lex) édicté en réponse à leur requête. Celle-ci fut présentée officiellement entre le 25 août 383 et le 11 décembre 384, et le rescrit fut promulgué vers la fin de cette période, au plus tôt en janvier 384. Ces deux textes sont précédés, dans la présente édition, de la confession de foi produite par Faustin à la demande de l’empereur Théodose. Avec le Débat entre un Luciférien et un Orthodoxe de Jérôme, qu’elle a éditée dans les « Sources Chrétiennes » au volume 473, Aline Canellis, professeur à l’Université de Reims-Champagne Ardenne, nous procure maintenant l’essentiel du dossier sur le schisme luciférien qui a troublé l’Occident entre 360 et 400. L’introduction de l’ouvrage restitue de façon claire et richement documentée le contexte historique dans lequel se situent le libellus et la lex impériale, celui des séquelles de la crise arienne en Occident et de la réaction des nicéens intransigeants mobilisés autour de Lucifer de Cagliari. Suit une analyse du libellus, à la fois document juridique, plaidoyer et oeuvre de combat, qui campe un monde « en noir et blanc » et met de l’avant une « partition simplificatrice de l’Église, voire du monde, où les “bons” sont magnifiés et les “méchants” punis par Dieu » (p. 58). Tout en observant strictement les conventions du genre de la requête à l’autorité impériale, Faustin déploie dans sa supplique une rhétorique de facture classique, avec un exorde, une argumentation et une péroraison. Cette composition « se double d’une progression chronologique, d’une réécriture de l’histoire de l’Église, en sept étapes, relatant les faits depuis le concile de Nicée jusqu’aux événements contemporains du scripteur » (p. 48). Une telle reconstruction personnelle des faits a surtout pour but de montrer que les lucifériens, qui refusent d’ailleurs d’être ainsi désignés, sont les seuls « vrais catholiques » et qu’ils sont injustement traités, au mépris des lois des empereurs chrétiens. Le libellus exprime aussi une certaine idée de l’empire — qui devient même tactique d’intimidation — selon laquelle il ne peut que courir à sa perte s’il ne veut pas reconnaître et protéger les « vrais catholiques ». La lecture de ce dossier, éclairée par l’introduction et l’annotation, fait voir la crise arienne en Occident du point de vue de l’un de ses protagonistes. Dans le cas de Faustin (Marcellin joue tout au plus le rôle de cosignataire), il s’agit d’un acteur plein de zèle et de talent, et remarquablement informé, même s’il met cette information au service de la cause qu’il défend avec vigueur. L’édition de Mme Canellis, présentée comme une « editio maior », remplacera avantageusement toutes celles qui ont précédé, y compris la plus récente, de M. Simonetti, dans le Corpus Christianorum.

Paul-Hubert Poirier

26. Cyprien de Carthage,L’unité de l’Église (De Ecclesiae catholicae unitate). Texte critique du CCL 3 (M. Bévenot), introduction par Paolo Siniscalco et Paul Mattei, traduction par Michel Poirier, apparats, notes, appendices et index par Paul Mattei. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 500), 2006, xviii-334 p.

On ne pouvait mieux célébrer la constante progression de la collection des « Sources Chrétiennes » qu’en réservant sa 500e parution au De Ecclesiae catholicae unitate de Cyprien de Carthage, une des oeuvres majeures de l’Antiquité chrétienne, dont la pertinence théologique, réaffirmée par le concile Vatican II, ne s’est jamais démentie. Cet opuscule n’est toutefois pas un traité d’ecclésiologie, comme le soulignent à juste titre le préfacier et les éditeurs. Il s’agit plutôt d’un écrit engagé, avant tout pastoral, « un cri d’alarme et un appel passionné à l’unité de l’Église auquel l’évêque Cyprien a probablement donné un retentissement public à l’occasion du synode provincial qui s’est tenu à Carthage vers la fin de l’année 251 » (p. vi), au moment où il s’agissait de s’entendre sur les mesures à prendre à l’égard des chrétiens qui avaient renié leur foi durant la persécution de Dèce, en 249, ceux qui avaient « failli » durant le combat et que l’on appellera lapsi. La possibilité et les conditions de leur réintégration dans la communion de l’Église constituait alors un problème pastoral inédit qui allait avoir de graves répercussion dans l’Église d’Afrique et jusqu’à Rome. Il n’était pas facile de proposer une nouvelle édition de L’unité de l’Église de Cyprien quand on considère l’ample littérature auquel ce traité a donné lieu et même les controverses qu’il a suscitées en raison de la double rédaction des chapitres 4 et 5 portant sur le primat de l’apôtre Pierre. On en admirera que davantage la maîtrise avec laquelle les éditeurs se sont acquittés de leur tâche. L’introduction des prof. Siniscalco et Mattei commence par camper l’époque et le milieu dans lesquels se situe le De unitate, l’Empire du troisième siècle aux prises avec une crise aux divers aspects, militaire, politique, institutionnel, économique et démographique, qui favorisera, sous Dèce, l’émergence d’une politique religieuse conservatrice dont les chrétiens feront les frais. Les « circonstances et objectifs du De unitate » (chap. 2) sont déterminés par ce contexte. La rédaction du traité peut être située « à la fin du printemps ou au début de l’été 251, alors que le concile carthaginois était achevé » (p. 24). Élu évêque dans les premiers mois de 249, Cyprien avait dû s’éloigner de sa cité au début de 250 et demeurer caché jusqu’à la fin du printemps de 251, en raison de la persécution. Exil volontaire que d’aucuns lui reprocheront et qui le mettra « en porte-à-faux par rapport à sa communauté, qu’il doit continuer de gouverner, et plus encore par rapport aux confesseurs qui souffrent pour l’Église » (p. 27). Il doit même faire face au schisme de ceux qui trouvent à redire aux conditions de son élection — Cyprien a été promu par acclamation populaire — et au fait qu’il ait apparemment abandonné son troupeau. À cela s’ajoute la question de la réintégration de ceux qui avaient sacrifié, les sacrificati, excommuniés par l’évêque et, pour certains d’entre eux, réadmis par l’intervention des confesseurs. Ainsi donc, « à son retour d’exil, Cyprien se trouve dans l’obligation de reconstruire l’identité même d’une fraction de son Église : il lui faut trouver un point d’équilibre entre laxistes et rigoristes, en réadmettant les lapsi repentants, après une période de pénitence, et en excluant les rebelles » (p. 32). Les chapitres 3 et 4 de l’introduction sont consacrés aux aspects littéraires et théologiques de De unitate. Sur le plan du genre, l’opuscule est défini comme une epistula exhortatoria, qui recourt à la terminologie technique de la parénèse et qui, fidèle à la tradition classique et cicéronienne, « adhère aux modes d’un style “philosophique” qui dédaigne les artifices rhétoriques » (p. 41). Mais c’est néanmoins « un style converti du monde à Dieu » (p. 43), dont l’Écriture est la norme. Même si le De unitate n’est pas un traité d’ecclésiologie, on y trouve néanmoins les grandes lignes de la pensée ecclésiologique de Cyprien, en ce qui concerne notamment la réalité des Églises particulières ou locales, les synodes ou la collégialité, les rapports entre l’Église de Carthage et celle de Rome. Le chapitre 5 est tout entier consacré au problème de la « double rédaction » du traité, dans le fameux passage (4,9-5,10) sur le rôle reconnu au Siège romain. Après avoir rappelé l’histoire de la question et le résultat des travaux de Maurice Bévenot, P. Siniscalco procède à une comparaison minutieuse des deux rédactions, le « Primacy Text » (PT) et le « Textus Receptus » (TR), pour reprendre la terminologie de Bévenot, et il conclut, d’une part, que Cyprien connaît et utilise le terme primatus avant et après de De unitate, et qu’il lui donne le sens d’« une “primogéniture”, une antériorité chronologique [de Pierre] par rapport aux autres apôtres » (p. 112), et, d’autre part, que, du PT au TR, la doctrine de base est absolument identique et rejoint celle de la correspondance. Dès lors, même si la question de l’authenticité reste ouverte, il semble bien que les deux rédactions soient attribuables à Cyprien et que le PT est antérieur au TR : « la rédaction du premier daterait du printemps 251, celle du second de la controverse baptismale » (p. 115), c’est-à-dire de 256, à un moment où Cyprien doit affirmer son autorité face à l’Église de Rome. Dans la « note sur le texte latin », Paul Mattei effectue un retour sur les travaux de Bévenot consacrés à la tradition manuscrite et à la transmission des traités de Cyprien, dont les résultats sont généralement admis. Le texte latin qui est imprimé et traduit dans la présente édition est en conséquence celui de Bévenot paru dans la series latina du Corpus Christianorum (vol. 3, 1972), après un réexamen des données d’un Veronensis deperditus. Le texte latin s’accompagne d’un apparat sélectif, qui fournit toutes les variantes du Veronensis et situe le texte de Bévenot face à celui de ses prédécesseurs, ainsi que d’un apparat des « lieux parallèles » chez Cyprien et dans la tradition indirecte. La traduction française a été confiée à un spécialiste reconnu de Cyprien, Michel Poirier. L’annotation de P. Mattei se prolonge dans des notes critiques (Appendice 1) et des notes complémentaires portant sur quelques termes et notions clés de l’ecclésiologie de Cyprien (Appendice 2). L’Appendice 3 rassemble les testimonia au De unitate, chez une douzaine d’auteurs, depuis Optat de Milève jusqu’à l’Anonymus Antigregorianus de la fin du onzième siècle. Avec ses quatre index, dont un précieux index analytique, cette édition met à la disposition de tous un des chefs-d’oeuvre de la littérature latine chrétienne et de la théologie ancienne.

Paul-Hubert Poirier

27. Justin,Apologie pour les chrétiens. Introduction, texte critique, traduction et notes par Charles Munier. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 507), 2006, 390 p.

Professeur honoraire de la Faculté de théologie catholique de l’Université Marc-Bloch de Strasbourg, Charles Munier s’intéresse depuis longtemps aux Apologies de Justin. On lui doit en effet une étude d’ensemble de celles-ci, dans laquelle il expose sa thèse de l’unité de l’Apologie de Justin, à savoir que ce qu’on appelle communément la Deuxième Apologie constituerait en fait la suite et la fin de la Première apologie, l’une et l’autre formant une oeuvre unique que la tradition manuscrite — essentiellement le codex Parisinus graecus 450, seul témoin indépendant des deux écrits — aurait indûment partagée en deux[19]. Une première réédition par C. Munier tirait les conséquences de la thèse de l’unité en donnant, l’une à la suite de l’autre, les deux apologies, sans aucune marque de division et avec une numérotation continue des chapitres de 1 à 68 pour la Première et de 69 à 83 pour la Deuxième Apologie[20]. La présente édition repose sur les mêmes principes, tout en gardant, pour des raisons pratiques, le référencement traditionnel de I,1-68 et II,1-15. Autre particularité de l’édition de Munier : il renonce à la façon de faire instaurée par Dom P. Maran, dans son édition de 1742, qui transposait le chapitre 8 de l’Apologie II après le chapitre 2, ce qui produisait un décalage dans la numérotation des chapitres 3 à 7. Sur ce dernier point, on donnera volontiers raison à Munier de s’en tenir aux données de la tradition manuscrite. Si la chose est plus difficile à trancher en ce qui concerne l’unité de l’Apologie, la thèse de Munier, fondée sur une solide analyse rhétorique de l’oeuvre, me semble emporter la conviction. À tout le moins permet-elle de lire les deux Apologies d’une seule venue, sans solution de continuité. Quant à l’édition elle-même, elle repose sur une nouvelle lecture du manuscrit parisien et de sa copie du seizième siècle, conservée à Londres (British Library, Loan 36/13), et elle tient compte de la tradition indirecte, représentée par les citations d’Eusèbe de Césarée dans l’Histoire ecclésiastique et de Jean Damascène dans les Sacra Parallela. L’édition de Munier se veut « la plus fidèle possible à la tradition manuscrite, tout en réservant le meilleur accueil aux conjectures les mieux éprouvées des anciens philologues » (p. 93). Elle se distingue ainsi radicalement et heureusement de celle de M. Marcovich[21], qui corrige à outrance un texte somme toute attesté par un seul témoin.

L’édition et la traduction de l’Apologie sont précédées d’une introduction qui aborde les points suivants : 1) l’apologiste Justin : sa vie et son oeuvre ; 2) l’Apologie de Justin (datation de l’ouvrage en 153-154) ; 3) la structure littéraire de l’Apologie ; 4) la démarche apologétique de Justin ; 5) christianisme et philosophie ; 6) les écrits judéo-chrétiens (les sources utilisées par Justin, bibliques ou autres) ; 7) la tradition manuscrite ; 8) les principes de l’édition. La traduction est accompagnée d’une annotation qui fournit des indications bibliographiques et des parallèles, essentiellement sur les thèmes abordés par Justin dans l’Apologie. Cette annotation est tirée d’un commentaire que Munier destinait à l’édition des « Sources Chrétiennes » mais qui n’a pu y trouver place. Il a fort heureusement été publié ailleurs dans son intégralité[22], mettant ainsi à la disposition du lecteur une abondante documentation comparative et bibliographique. Grâce au travail de Charles Munier, nous disposons maintenant d’une édition moderne de l’Apologie de Justin qui repose sur de sains principes critiques. Pour le lecteur francophone, elle remplace celle de Louis Pautigny[23], qui a rendu des services méritoires et qui demeure encore utile. La présente traduction repose sur celle que Munier a fait paraître en 1995, tout en s’en écartant à plusieurs endroits, dans un souci de plus grande exactitude[24]. L’annotation est en général pertinente et elle éclaire le vocabulaire rhétorique, juridique et doctrinal de Justin. En I,18,3, le renvoi à Socrate de Constantinople (Histoire ecclésiastique III,13) comme témoin de « la pratique païenne de l’immolation d’enfants aux fins de divination » (p. 179, n. 7) est anachronique, sans compter que, sur ce point, l’historien est considéré comme peu crédible par les récents traducteurs de l’Histoire[25]. Le commentaire sur le κόρος de I,57,2, selon lequel « Justin reflète bien ici l’espèce de lassitude générale, de vide moral et spirituel, qui taraude la société romaine sous le Haut-Empire » (p. 281, n. 3) relève du cliché. En I,61,10 (p. 292-293), l’affirmation de Justin à l’effet que le baptême nous permet « de ne point demeurer des enfants de la nécessité et de l’ignorance, mais de devenir au contraire des enfants de la liberté et de la science », mérite d’être mise en parallèle avec celle de Théodote (Extraits 78,1-2), qui reconnait lui aussi que « le bain » délivre de la « fatalité », mais ajoute que « ce n’est d’ailleurs pas le bain seul qui est libérateur, mais c’est aussi la gnose » ; on a sans doute là, de Justin à Théodote, une même affirmation, déjà traditionnelle, du pouvoir du baptême sur la fatalité astrale.

Paul-Hubert Poirier

28. Les lois religieuses des empereurs romains, de Constantin à Théodose II (312-438). Volume I. Code Théodosien, livre XVI. Texte latin par Theodor Mommsen, traduction par † Jean Rougé, introduction et notes par Roland Delmaire, avec la collaboration de François Richard et d’une équipe du GRD 2135. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 497), 2005, 524 p.

Publié en 438 par l’empereur d’Orient Théodose II, le recueil officiel du droit romain qui porte son nom a conservé quelque 320 lois concernant directement la religion et promulguées entre 313 et 438, auxquelles il faut ajouter une quinzaine de lois émises pendant la même période et qui ne figurent pas dans le Code Théodosien mais ne sont attestées que par le Code Justinien. La plus grande partie de ces lois sont regroupées au livre XVI du Code Théodosien. Ce sont celles-ci qui font l’objet de la présente publication, un second volume devant regrouper les autres. Le texte latin reproduit celui de l’édition de Theodor Mommsen, Paul Meyer et Paul Krüger, parue en 1904-1905. Pour le reste, introduction, traduction, notes, glossaire et index, l’ouvrage représente le résultat du travail du regretté Jean Rougé, poursuivi dans le cadre d’une équipe de recherche du CNRS, sous la direction de François Richard. L’introduction d’une centaine de pages présente tout d’abord « le Code Théodosien et ses problèmes » (historique du Code, types de constitutions ou de lois, destinataires, difficultés posées par des erreurs sur le nom de l’empereur ou des empereurs, sur le nom et le titre des destinataires, dans le formulaire de souscription, sur le lieu d’émission ou sur la datation), puis fournit une vue d’ensemble de la législation sur la religion connue par le Code. On y trouvera un tableau recensant sur seize pages la totalité des lois contenues dans le Code Théodosien — plus celles attestées uniquement par le Code Justinien — avec l’indication de leur date, de leur auteur et de leur objet, selon qu’elles visent le christianisme, le paganisme ou le judaïsme. Suivent des présentations synthétiques des mesures visant la « vraie religion », les privilèges des Églises et des clercs, les hérétiques et les schismatiques (incluant les manichéens et les astrologues), les païens et les apostats, les Juifs. La législation conservée par le Code Théodosien montre la succession de deux phases dans la politique des empereurs des quatrième et cinquième siècles à l’endroit de la religion : de 312 à 379, la législation est inspirée de la politique constantinienne, visant à accorder aux chrétiens des droits identiques à ceux dont jouissaient les cultes publics romains et les Juifs ; à partir de 379, avec l’avènement de Théodose, le premier empereur à ne pas prendre le titre de pontifex maximus, les choses changent radicalement, dans la mesure où le christianisme est désormais considéré comme religion officielle (lois du 28 février 380, Code Théodosien XVI,1,2). L’édition et la traduction présentent les lois dans l’ordre où elles se suivent dans le livre XVI, chacune étant accompagnée d’une notice sur la date et le destinataire, d’une bibliographie et d’une annotation. Quatre annexes facilitent la lecture de ces textes parfois très techniques : I. un index des hérésies et schismes mentionnés dans le livre XVI ; on y trouvera aussi bien des personnages historiques que les noms connus par les hérésiologues ; les notices de cet index ne prétendent pas faire le point sur la réalité historique de tous ces groupuscules mais plutôt synthétiser ce qu’en disent les sources anciennes, références à l’appui ; II. la date des lois sur les Juifs adressées à Évagrius (probablement le 18 octobre 329) ; III. les lois contre les donatistes (17 juin 141 et 30 janvier 415) ; IV. des notes sur Code Théodosien XVI,20,20, à propos des sacerdotales paganae superstitionis, les prêtres du culte impérial. Les annexes sont suivies d’un répertoire des empereurs de 313 à 438 et d’un très précieux glossaire des termes du vocabulaire juridique qui apparaissent dans les textes ainsi que des titres des divers responsables civils ou militaires. L’ouvrage se termine par trois index, nominum, géographique et thématique sélectif. Le livre XVI du Code Théodosien constitue un témoignage unique non seulement de l’ascension et de l’affirmation progressive de la « vraie religion », mais aussi de la diversité religieuse qui subsiste malgré la reconnaissance du christianisme comme religion officielle en 380. On y voit les efforts répétés des empereurs pour favoriser l’Église chrétienne mais aussi pour la contrôler, comme en témoignent, entre autres, les nombreuses dispositions concernant les héritages et leur appropriation par les clercs. Comme l’écrit Roland Delmaire, « le rêve de Théodose de voir tous les sujets réunis dans la religion chrétienne définie à Nicée restera un voeu pieux : les hérésies et les schismes nés au ive siècle finiront par s’éteindre, d’autres ne tarderont pas à apparaître, qui diviseront tout autant une chrétienté incapable de faire son unité, même avec l’appui du bras séculier » (p. 107).

Paul-Hubert Poirier