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Le stoïcisme fut fondé par Zénon de Citium, en Chypre (336-264). Celui-ci vint à Athènes, et après avoir entendu plusieurs maîtres, fonda lui-même une école sous le portique du Pécile. De là le nom de philosophie du Portique. Avancé en âge, selon ses principes, il se suicida.

L’A. de ce splendide ouvrage commence d’abord par énumérer les grands noms de cette école qui traverse plusieurs siècles d’histoire grecque et romaine : Cléanthe (300-232), successeur de Zénon à l’École d’Athènes ; Chrysippe (282-204), puissant dialecticien et souvent appelé le second fondateur du stoïcisme ; Posidonius (135-51) ; Sénèque (4-73), précepteur de Néron ; Épictète (mort en 117 ap. J.-C.) ; et l’empereur Marc-Aurèle (121-180), auteur des Pensées pour moi-même.

Le point de vue moral est ce qui unifie toutes les spéculations des stoïciens. Tous s’efforcent de fonder leurs normes de conduite sur une théorie générale de la nature et du monde. La source du bonheur, selon eux, se trouve dans la manière de comprendre la vie selon la raison en un sens panthéiste. Cette vision panthéistique est un effet de leur vision matérialiste qui cherche à expliquer l’ordre du monde. Le principe stoïcien, selon l’A., est enraciné dans une physique qui s’applique ensuite, soit dans l’ordre intellectuel, soit dans l’ordre moral.

Dans le deuxième chapitre du volume, l’A. explique longuement la source du principe stoïcien, à savoir sa conception panthéiste et matérialiste de la nature. « Suivre la nature » : telle est la voie pour atteindre le bonheur. Pour saisir en profondeur le sens de cet adage, l’A. nous convie à étudier la nature universelle dont l’homme n’est qu’une partie. Celle-ci est animée d’un Logos divin, unifiant les êtres en une parfaite hiérarchie. L’A. rappelle que les stoïciens ont repris dans leur physique, grosso modo, la théorie des anciens. Ils usent des mêmes mots mais en font une interprétation matérialiste. Ils affirment que l’ordre de l’univers exige l’action d’une intelligence. Ils l’appellent le Logos Spermaticos, c’est-à-dire la Raison génératrice d’ordre, de beauté et de bonté. Mais ce dieu doit être corporel pour jouer son rôle d’organisateur. Pour les stoïciens, il est inconcevable que l’esprit agisse sur la matière. La causalité exige, non seulement que le patient soit privé de la perfection qu’il reçoit et ainsi soit différent de l’agent, mais aussi qu’il ait une certaine similitude de nature avec l’agent afin de recevoir son contact. Tous les êtres de l’univers agissent les uns sur les autres. Ils sont tous, sans exception, corporels et matériels. C’est la thèse du mélange total. Ils affirment l’identité absolue de Dieu, conçu comme l’Âme universelle, avec chaque être de la nature, conçu comme une partie ou un membre particulier du corps divin.

L’A. consacre ensuite le troisième chapitre à la logique stoïcienne. Celle-ci se présente comme un empirisme sensualiste. Si toute la réalité est corporelle, la seule connaissance possible est celle de la sensation. L’abstraction aristotélicienne est abandonnée. Le concept n’exprime plus une nature universelle mais devient un simple nom commun, résumant un ensemble de sensation.

Les stoïciens, en se référant à leur théorie de la science, sont les précurseurs de nos modernes positivistes. Les faits l’emportent sur l’étude des essences. Bien qu’ils admettent l’influence d’une faculté spirituelle, ils rejettent toute métaphysique et s’en remettent au postulat du déterminisme universel, auquel ils soumettent la nature, la vie humaine individuelle et sociale.

Le chapitre quatrième aborde la morale stoïcienne. Le bonheur ne consiste pas uniquement dans la connaissance de l’identité de la nature avec le Logos. Le bonheur est dans l’acceptation consciente de son métier d’homme. « Hominem agere », disait Sénèque. L’homme est citoyen du monde mais son universalisme reste théorique. Son effort pour le changer demeure inutile, puisque tout arrive pour le mieux dans l’immense corps ordonné par la sagesse du Logos. Le sage ne doit pas essayer de changer l’ordre du monde. Il doit travailler uniquement sur sa conduite personnelle pour essayer de la conformer au rythme universel. La vertu morale n’est que la soumission à l’ordre universel des choses. Le vice, son contraire, n’est que la révolte contre les décrets du Logos-Providence. Ainsi toute réforme morale, selon la pensée stoïcienne, devient une réforme intellectuelle. La morale stoïcienne se rapproche de la notion socratique qui identifie vertu et sagesse. L’ascétisme stoïcien invite à discerner les faux et les vrais biens. La vertu devient ainsi un jugement et ce jugement n’est rien d’autre qu’un acte de la volonté libre.

L’A. laisse à son lecteur le soin de chercher les carences de la pensée stoïcienne. Il aurait été intéressant de savoir son point de vue personnel à la fin de ce splendide ouvrage. Quoi qu’il en soit, il demeure que le vice radical du stoïcisme est son panthéisme matérialiste. Dieu étant l’intelligence organisatrice de la matière, la cause devant ressembler à son effet, les stoïciens en arrivent à la conclusion que Dieu est une intelligence corporelle, identique au monde. Ils se montrent ainsi incapables de s’élever aux notions métaphysiques qui permettent de concevoir l’être comme tel réalisable à l’infini, distinct de l’être corporel, objet d’expérience. De plus la soumission parfaite au Logos supprime aussi toute vraie liberté, comme toute obligation et responsabilité.

Le professeur de Nantes a commis un livre d’une beauté exceptionnelle. La recommandation d’en faire la lecture est superflue.