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Nous avions déjà vanté dans les pages de cette revue l’excellent livre de Pierre Chavot, Églises de Paris, paru en 2002[1]. Un nouvel ouvrage de choix, au titre similaire, vient de paraître aux Éditions Massin. À la fois livre historique, religieux, patrimonial et esthétique, Paris d’église en église présente 130 édifices religieux de la région parisienne, ce qui en fait l’ouvrage le plus complet à ce jour en ce domaine, surpassant même les publications précédentes que nous avions déjà recensées et encensées[2]. Dans sa belle préface, l’académicien Pierre Rosenberg — longtemps directeur du Musée du Louvre — nous fait part de quelques idées fondamentales sur l’état actuel du patrimoine religieux, comparant la splendeur des églises dans les grandes villes italiennes, pour la plupart parfaitement bien entretenues, et celles de France, qu’il juge trop souvent laissées à l’abandon ou négligées. Il déplore le fait que plusieurs églises parisiennes « sont sales, mal éclairées […], rares sont les tableaux ou les fresques accompagnés d’un cartel qui précise l’auteur de l’oeuvre, sa date et son sujet » (p. 5). En outre, M. Rosenberg rappelle également que les églises ne sont pas des musées, que celles-ci sont faites « pour la prière, pour consoler, pour aider, pour encourager, pour le recueillement », mais il ajoute en revanche que « claire et bien tenue, accueillante et aimée, en instruisant le visiteur, elle aiderait le croyant » (p. 5). Évidemment, ces remarques — tout à fait justes — sur le manque de ressources et de volonté politique pour sauvegarder le patrimoine chrétien de France pourraient naturellement s’appliquer à plusieurs de nos églises québécoises.

Le théologien Jean-Marie Beaurent affirme dès les premières pages qu’il existe des liens unissant l’architecture et la théologie, principalement au niveau de la symbolique et des représentations, précisant que même « l’architecture exprime un acte de foi, incarné non seulement dans un langage, mais dans une “écriture” d’actions et de signes matériels » (p. 9). Dans un souci oecuménique, l’ouvrage comprend aussi deux courtes présentations rédigées par une protestante (pasteur Florence Taubmann) et une orthodoxe (la catéchète Sophie Lossky) : toutes deux évoquent successivement quelques distinctions entre leur religion et le catholicisme entourant le sens même de l’église, comprise en tant que lieu physique mais aussi espace de rassemblement spirituel.

La présentation systématique organisée par arrondissements (donc selon les quartiers) de Paris d’église en église fournit pour chaque église un historique sur les origines du temple, sa raison d’être, une étude sur l’originalité de son architecture, une présentation des oeuvres religieuses qui la caractérisent, des données techniques sur son orgue, et quelques informations pratiques. Plusieurs photographies en couleurs de Saydou-Bernard Tall montrent avec éclat l’extérieur et l’intérieur de chaque église, avec au passage la reproduction d’une toile ou d’un vitrail. Les commentaires précis et pertinents touchent à la fois la valeur symbolique et patrimoniale de la décoration, et fournissent de nombreuses indications quant aux récits bibliques qui y sont mis en scène (toiles, murailles, vitraux, fresques). De plus, on raconte des événements historiques non contenus dans la Bible, auxquels la décoration d’une église particulière ferait écho. Par exemple, l’église Saint-Ambroise, dans le 11e arrondissement, contient une toile du peintre Jules-Eugène Lenepveu, montrant précisément une scène fondatrice : saint Ambroise (339-397) interdisant l’entrée de l’église à l’empereur Théodose (p. 229).

Naturellement, toutes les églises célèbres de Paris sont incluses dans ce beau livre d’art, de la Sainte-Chapelle (p. 38-41) à la Madeleine (« Église Sainte-Marie-Madeleine », p. 195-200), sans oublier l’incontournable Cathédrale Notre-Dame de Paris (p. 92-101). Le commentaire à propos de la Sainte-Chapelle précise d’ailleurs les circonstances entourant l’acquisition par le Roi de France de la Sainte Couronne d’épines et d’un fragment de la Vraie Croix, vestiges provenant tous deux de la Passion du Christ (p. 39). Mais on appréciera particulièrement dans un ouvrage aussi exhaustif les trésors méconnus, souvent situés hors des circuits touristiques, révélés ici à partir d’une centaine d’exemples d’églises parisiennes. Même l’historien de l’art Pierre Rosenberg avoue ne pas les connaître toutes, bien qu’il vive à Paris depuis plus d’un demi-siècle (p. 5). La visite proposée débute par la gigantesque église Saint-Eustache, dans le quartier des Halles (dans le 1er arrondissement) ; mais les auteurs oublient toutefois de souligner la rareté de son orgue à cinq claviers et la présence hebdomadaire du grand organiste et compositeur Jean Guillou, qui accompagne de ses improvisations éblouissantes les célébrations religieuses de chaque dimanche (p. 14-20).

Cet ouvrage soigné demeure instructif et éblouissant à maints égards. Je reste encore étonné en observant l’impressionnant haut-relief évoquant la vie de saint Christophe, à l’intérieur de l’Église Saint-Christophe-de-Javel, dans le 15e arrondissement (p. 275), mais aussi face à l’énorme clocher de l’église Sainte-Odile, dans le 17e arrondissement (p. 319). Je demeure tout aussi admiratif devant la longue façade de l’église Saint-Jean-de-Montmartre, que je découvre dans le 18e arrondissement (p. 332-334). Par moments, on pourrait reprocher aux auteurs le fait que certaines églises relativement plus jeunes n’aient pas droit à davantage d’espace, comme l’église Saint-Martin-des-Champs, dans le 10e arrondissement (p. 219-220). J’aurais également été curieux de mieux voir l’intérieur de l’église Saint-Joseph-des-Épinettes, dans le 17e arrondissement, dont on n’aperçoit ici qu’une partie de la façade et un détail du Crucifix (p. 314). Mais je ne reprocherai certainement pas au magnifique livre d’Aline Dumoulin, Alexandra Ardisson, Jérôme Maingard et Murielle Antonello d’être trop court ; ce sont plutôt nos séjours à Paris qui me paraîtront trop brefs. À défaut de pouvoir visiter sur place chacune des 130 églises parisiennes, ce beau livre nous fournit la possibilité d’opérer à l’avance un choix établi selon leur valeur patrimoniale, les secrets révélés par leur histoire souvent méconnue et les aléas de nos propres goûts.