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Habituellement, le nom d’Auguste Comte est précédé d’une réputation détestable. Le but de l’ouvrage est de réhabiliter, en quelque sorte, la réputation du fondateur de la philosophie positiviste. De montrer l’accueil plus que favorable qu’il a reçu, il y a cent cinquante ans, par des esprits aussi grands que Stuart Mill et Littré.

L’A. prévient le lecteur. L’ouvrage vise essentiellement à donner quelques repères pouvant aider à aborder une oeuvre philosophique à la fois difficile et déroutante. Pour lui, une fois débarrassée des nombreuses scories qui l’encombrent, l’oeuvre de Comte est d’une singulière actualité. Le projet comtien part d’une méditation sur le temps présent et propose la naissance d’un nouveau type de société.

L’oeuvre d’Auguste Comte est comme faite de deux strates superposées : la plus apparente correspond à l’idée que l’on se fait communément de la philosophie positive, l’autre comprenant les divers aspects qui continuent à ne pas être assimilés.

Pour atteindre cet objectif, le livre traite, dans la première partie, de la loi des trois états en tant qu’elle sert de base à toute la suite. Elle s’intéresse aux principales objections qui lui sont adressées et s’interroge sur son statut, en particulier sur sa dépendance à l’égard d’une philosophie de l’histoire dans laquelle il est difficile de nous reconnaître. Plus loin, l’A. détermine de quel lieu parle le polytechnicien. Il le met dans celui des sociologues, tout en précisant que le mot n’a pas la connotation qu’on lui donne aujourd’hui.

Ces questions de méthode réglées, le domaine circonscrit par l’A. est étudié en deux temps. Les trois chapitres suivants sont consacrés à l’un des concepts mis en cause dans la loi des trois états. L’A. montre qu’Auguste Comte est le premier épistémologue au sens moderne du mot. Avec lui, il y a incompatibilité entre science et théologie. Il reconnaît que la théologie a joué un rôle positif, mais avec le temps, elle s’est transformée en obstacle au progrès des connaissances. Si celle-ci s’est maintenue, c’est en raison de sa fonction sociale et non de sa fonction spéculative. La métaphysique a été une forme de transition vers les sciences. Elle continue à chercher les causes finales, mais elle ne les trouve plus dans des agents surnaturels, plutôt dans des entités abstraites. Mais la métaphysique prépare l’avènement de la science puisqu’elle passe aussi par l’abstraction.

La deuxième partie du volume aborde ces pans dans l’oeuvre de Comte qui, tombés dans un oubli presque total, n’en sont pas pour autant dénués d’intérêt. Si l’épistémologie n’interroge la science que dans son rapport à la vérité, une oeuvre comme les Considérations philosophiques sur les sciences et les savants ne relève pas immédiatement d’elle. Il n’est plus question ici de traiter uniquement de la science, mais des rapports de la science à la société et la politique.

La science a une fonction sociale. Pour l’essentiel, il revient à la science de prendre le pouvoir spirituel laissé vacant par la décomposition de la théologie. De nos jours, la science n’est en vue que des applications techniques qu’on peut en faire. Pour Comte, sans nier un instant ce rôle de base de l’action de l’homme sur la nature, la science est destinée à servir de base spirituelle à l’ordre social. L’état normal de l’intelligence est une forme de dogmatisme. Il est normal de passer du dogmatisme théologique au dogmatisme scientifique.

Dans la religion positiviste, l’Humanité occupe une place jusqu’alors réservée à Dieu. Le Grand Être est à la fois objet de culte et de dogme. L’attribut le plus caractéristique du nouveau sacerdoce est l’éducation universelle. La matière du nouveau programme d’enseignement n’est autre que les lois scientifiques.

Dans cette perspective, l’approche comtienne peut se résumer ainsi : nous sommes tous des êtres sociaux et autrui intervient le plus souvent dans la fixation de nos croyances. Il ne suffit pas que les convictions soient stables ; nous avons également besoin de convictions communes. La théorie du consensus se trouve ainsi au centre de la politique positive.