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À l’occasion du centenaire de la naissance d’Yves Congar (2004), Gabriel Flynn a invité plusieurs théologiens ou historiens (20), dont un seul Français, à relire l’oeuvre d’Yves Congar.

L’ouvrage se divise en cinq parties : la première, davantage protocolaire, présente de brèves contributions de quatre personnalités chrétiennes, issues respectivement du catholicisme, de l’orthodoxie, de l’anglicanisme et du luthéranisme, qui rendent hommage — dans des termes parfois assez convenus — à Yves Congar. La deuxième partie, plus substantielle, aborde en cinq chapitres l’oeuvre théologique d’Yves Congar, relisant sa contribution à la théologie de la Tradition, de la Réforme, de la pneumatologie et de la théologie du laïcat. À cela s’ajoutent deux chapitres sur le rapport de Congar au thomisme et sur le caractère ecclésial de son oeuvre théologique. La troisième partie présente en trois chapitres, dont un signé de Jean-Pierre Jossua, la contribution de Congar à l’oecuménisme. La quatrième partie, consacrée à Congar comme historien de l’ecclésiologie, est sans doute la plus fragile sur le plan systématique. À bien dire, un seul des quatre chapitres de cette partie se rapporte directement à ce thème, celui de John O’Malley. Deux autres chapitres, signés par des historiens (Scarisbrick et Melloni), relisent les journaux de Congar, sans s’intéresser spécifiquement à l’histoire de l’ecclésiologie. Enfin, un théologien et un philosophe s’intéressent à la pneumatologie et à la tradition. Une dernière partie est dédiée à la contribution de Congar au dialogue interreligieux. Certes, le salut des non-chrétiens et la manière suivant laquelle la grâce du Christ leur est offerte sont des thèmes bien présents dans l’oeuvre de Congar, même s’ils ne sont pas centraux. Toutefois, la question du dialogue interreligieux, elle, ne fait pas partie des préoccupations de Congar, ni des théologiens de son époque, du reste, et il est donc anachronique de la traiter ici ou de vouloir la trouver dans l’oeuvre de Congar. Pas surprenant que la première contribution de cette partie, celle du cardinal Cottier — une réflexion à partir du décret conciliaire Nostra Aetate — si elle se présente comme une « réflexion en hommage à Yves Congar », ne se réfère d’aucune manière à la pensée de Congar sur cette question.

Je me demande si ce découpage systématique en quatre parties de l’oeuvre de Congar la respecte réellement. Congar l’a répété souvent, sa vocation ecclésiologique et oecuménique, c’est une seule et même chose et non deux questions que l’on peut distinguer. Pour lui, l’oecuménisme n’est pas un traité à part, mais une dimension de tout son travail théologique. Il n’est pas théologien et oecuméniste, mais un théologien oecuménique ou un théologien qui intègre la dimension oecuménique à toute sa recherche théologique. De même, chez Congar, théologie et histoire ne sont pas deux disciplines que l’on pratique tour à tour, John O’Malley l’a bien saisi. C’est comme théologien qu’il est historien des doctrines ecclésiologiques, dans le respect de la discipline historique ou dans la distinction des méthodes, comme aurait dit son maître Chenu.

La majorité des auteurs invités ici à relire l’oeuvre de Congar ne sont pas des experts, ni de fins connaisseurs de la pensée ou de l’oeuvre de Congar. Cela donne parfois de curieux et décevants résultats (appliquer la réflexion de Congar sur la réforme dans l’Église aux évolutions actuelles en matière liturgique) à côté de véritables trouvailles, je pense en particulier ici au chapitre de John W. O’Malley qui associe deux ouvrages de Congar consacrés à l’histoire des doctrines ecclésiologiques ou à celui de F. Kerr qui relit l’article « Théologie » de Congar dans le DTC avec, comme grille de lecture, Congar et le thomisme.

Malgré le caractère composite de l’ouvrage et une systématique parfois déficiente, malgré aussi des relectures surprenantes de Congar parce que les auteurs ne sont pas suffisamment familiers avec son oeuvre, malgré aussi certaines erreurs de faits (Flynn présente Jean XXIII « comme nonce à Paris durant la difficile période de la Seconde Guerre mondiale » où « il manoeuvra excellemment avec le gouvernement français tout en venant en aide aux Juifs », alors qu’il n’arrive à Paris qu’en 1945). Quelques lignes plus loin (p. 96), il écrit que Congar « a joué un rôle décisif dans l’ébauche de textes durant la phase préparatoire […] du concile », disons plutôt que son rôle — et celui des consulteurs — était insignifiant au cours de la période préparatoire. Malgré tout, cet ouvrage témoigne de l’influence du théologien dominicain bien au-delà de l’aire linguistique francophone et de la pérennité de sa pensée au-delà de sa disparition. Du reste, Congar mérite bien l’hommage de la communauté théologique.