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Déjà l’auteur d’une vingtaine de livres et par ailleurs directeur du célèbre magazine Le Monde des religions, Frédéric Lenoir propose un essai audacieux dans lequel il veut décrire les qualités intrinsèques et distinctives du christianisme, comparativement à d’autres religions. Qui plus est, l’auteur soutient que les Droits de l’homme seraient nés en Occident parce que seul l’Occident était fondamentalement inspiré de la tradition et des valeurs du christianisme, par exemple en ce qui touche à l’idée de l’amour du prochain. En cette ère d’œcuménisme et de dialogue interreligieux, ce propos apologétique pourrait peut-être surprendre ou choquer, mais la démonstration de ce philosophe et historien des religions mérite toutefois une lecture attentive, à une époque où les religions orientales (et celles qui prétendent ne pas être une religion) rencontrent un certain succès. Naturellement, l’auteur évite à tout moment les comparaisons réductrices et inélégantes du style « ma religion est meilleure que la tienne ». Au contraire, chaque chapitre tente de retrouver dans notre morale laïque les fruits dérivés de l’éthique chrétienne (p. 262).

Dans Le Christ philosophe, Frédéric Lenoir amorce une relecture originale de l’héritage chrétien en se basant essentiellement sur la Bible, mais également sur l’histoire de l’Empire romain et des premiers chrétiens. Dans des pages d’une grande érudition mais sans aucune lourdeur, l’auteur démontre brillamment que le christianisme a clairement façonné notre culture occidentale depuis deux millénaires, que ce soit dans la philosophie du siècle des lumières, dans la musique ou dans l’art. Selon la belle formule de l’auteur, les valeurs héritées du christianisme seraient « la matrice du monde moderne » (p. 197). Mais, objecteront certains sceptiques, si cette religion a souvent apporté des bienfaits, que dire alors de l’Inquisition ? Ne pouvant pas éviter ce sujet délicat qu’il aborde dès l’ouverture (p. 7), Frédéric Lenoir critiquera à maints endroits l’Inquisition et en parlera comme d’un mouvement « qui contredit pourtant tout l’enseignement du Christ » (p. 161). Il prolongera même ce questionnement en tentant de comprendre la légitimation de l’esclavage par le pape Nicolas V en 1454, puis étudiera à la fin du quatrième chapitre la fameuse « Controverse de Valladolid », à propos du débat survenu au xvie siècle entourant l’existence de « l’âme des indigènes d’Amérique » (p. 162 et 163). Afin de répondre à tous ces questionnements, l’auteur fera appel aux philosophes qui ont écrit sur le message chrétien, de Descartes à Kant (chapitre 5).

Plusieurs des sept chapitres sont excellents ; retenons en particulier le deuxième (« La philosophie du Christ »), qui se penche sur des points comme « l’éthique du Christ », mais aussi sur les paradoxes du Royaume à venir (p. 71). Dans la dernière moitié de l’ouvrage, le septième chapitre introduit un concept lumineux, le « christianisme invisible », pour expliquer les manifestations directes et indirectes de la philosophie du Christ dans des discours contemporains qui n’ont pourtant rien de religieux (p. 261).

Tout à fait pertinent, l’épilogue mérite d’être médité, à partir d’une question apparemment trop simple qui ressemblerait presque à un piège : « Quelle est la religion vraie ? » (p. 276). Afin de proposer des éléments de réponse, l’auteur veut réaffirmer l’importance du symbolique et du sacré, dans la mesure où désormais, « la première tâche des religions va donc consister à définir un espace où réside le sacré plus que partout ailleurs » (p. 278). Mais s’il est ici question de religions au pluriel, qu’en est-il de la spécificité du christianisme ? Dans les dernières pages, Frédéric Lenoir apporte des éclaircissements appropriés, en insistant sur le rôle primordial de la vie intérieure et spirituelle au sein du christianisme : « Le Christ opère une désacralisation du monde au profit de l’intériorité et de la vie spirituelle. Le cœur de l’homme est le véritable temple où a lieu la rencontre avec le divin » (p. 279). Autrement dit, le christianisme est bien plus qu’une grande religion, et suivant ce raisonnement, même l’athée ou l’agnostique devraient adopter le message profondément humaniste de Jésus et le prendre en exemple. D’ailleurs, Frédéric Lenoir ne manquera pas au passage l’occasion de critiquer le nouveau chantre de l’athéisme, Michel Onfray, en lui demandant candidement quoi faire après avoir déconstruit le christianisme (p. 263). Pour lui, la déconstruction apparaît donc comme une impasse en matière religieuse. Tout le questionnement de Frédéric Lenoir tiendra alors dans une simple formule, énoncée sous forme d’interrogation : « À tout prendre, ne vaut-il pas mieux une éthique humaniste issue du message judéo-chrétien que la barbarie ? » (p. 265).

En somme, Le Christ philosophe est une lecture conviviale qui contient un minimum de notes (regroupées à la fin de chaque chapitre). L’ouvrage pourra convenir à un large lectorat, au-delà des philosophes, des théologiens et des universitaires. Loin de vouloir alimenter une polémique ou une quelconque compétition entre les religions, il faudrait plutôt considérer ce livre important comme une apologie salutaire du message du Christ dans sa dimension la plus universelle.