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De 1987 à 2006, les Éditions Flammarion ont publié tous les dialogues de Platon dans de nouvelles traductions françaises, avec introductions et notes explicatives. Cette réalisation, à laquelle participèrent de nombreux spécialistes francophones de haut niveau, reçut les éloges qu’elle méritait. C’était une entreprise ambitieuse qui rendait accessible, à prix modique, d’excellentes traductions des vingt-huit dialogues considérés comme authentiques et des lettres attribuées à Platon. Flammarion met la touche finale à ce projet avec la publication des œuvres complètes de Platon, en un seul volume, sous la direction de Luc Brisson.

Le recueil compte quarante-cinq dialogues, car aux vingt-neuf déjà publiés par GF s’ajoutent neuf dialogues apocryphes et sept dialogues douteux qui paraissent pour la première fois en traduction française chez Flammarion. Ces Œuvres complètes ne sont pas, à plusieurs égards, une réimpression pure et simple des dialogues parus chez GF. La philosophie qui préside à cette édition est de mettre en valeur le texte même de Platon, en le délestant du lourd appareil critique qu’y ajoutent les commentateurs modernes. Les dialogues ne sont introduits que par une présentation d’une ou deux pages. Les traductions ne s’accompagnent que de rares notes de bas de page, dont le but est de rendre intelligible un passage que le lecteur non spécialiste ne pourra comprendre par lui-même. Chaque dialogue se voit donc dégagé des longues introductions, des plans du dialogue, des modifications aux textes grecs et des centaines de notes qui accompagnent normalement la publication d’un dialogue chez GF.

Les Œuvres complètes proposent tout de même une introduction générale à Platon. En une douzaine de pages, Luc Brisson évoque la vie de Platon, ses écrits, les éditions modernes, les dialogues douteux et apocryphes, la chronologie des dialogues et les principales doctrines. Il s’agit encore une fois de donner les informations strictement nécessaires pour qu’un lecteur non spécialiste puisse aborder par lui-même le texte platonicien. Il ne s’agit pas d’une étude dans laquelle les spécialistes feront des découvertes. L’introduction mentionne un point éditorial important, à savoir que la chronologie des dialogues de Platon est trop incertaine pour que les Œuvres complètes adoptent un ordre « chronologique » des dialogues. C’est pourquoi ceux-ci sont publiés par ordre alphabétique, sans distinguer entre une période de jeunesse, de transition, de maturité ou de vieillesse dans la production littéraire de Platon. Les dialogues inauthentiques sont en outre insérés entre les œuvres authentiques, selon l’ordre alphabétique. Des symboles ou des explications s’assurent à tout moment que le lecteur sait qu’il lira un dialogue sans doute inauthentique. Il demeure toutefois difficile, pour un spécialiste, de ne pas penser aux œuvres platoniciennes en termes chronologiques, comme le montre Luc Brisson lorsqu’il explique, dans l’introduction, que c’est dans le Phèdre que Platon mentionne « pour la première fois » une définition de l’âme (p. xviii).

Une page de remarques préliminaires apporte quelques précisions sur le texte traduit et sur la présentation de cette édition. Le texte grec généralement traduit est celui des œuvres de Platon parus aux Belles Lettres, mais l’édition de John Burnet a aussi été prise en compte. Les variantes dans le texte grec sont rarement évoquées en notes à la traduction. On invite le lecteur qui s’intéresse au texte grec à se reporter aux volumes de la collection GF. Les traductions sont reprises de la collection GF, à l’exception des Épigrammes, que Luc Brisson a traduit dans Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Paris, La Pochothèque, 1999. Quinze dialogues apocryphes et douteux sont traduits par Luc Brisson pour la présente édition. La pagination d’Henri Estienne est imprimée en marge de la traduction des dialogues, sauf pour l’Alcyon et pour les Épigrammes, qui ne figuraient pas dans l’édition Estienne.

À la fin du volume, suite aux traductions, se trouvent trente annexes qui sont tirées des annexes publiées dans les volumes GF. Des notes de bas de page, dans la traduction, font référence à ces annexes. Viennent ensuite deux volumineux index, l’un sur les thèmes et les noms propres, l’autre sur les citations de personnes. L’index des citations est adapté du Word Index to Plato (p. 991-1 003) de L. Brandwood, Leeds, Maney and Son, 1976.

On peut dire bien peu de choses contre ces Œuvrescomplètes. Ce ne sont que des points de détail que les mérites et l’ampleur d’une telle publication contrebalancent avec facilité. On peut se demander, par exemple, pourquoi les planches qui présentent des photographies de pages de manuscrits sont insérées au milieu de l’Alcibiade. Elles ne sont pas non plus numérotées. L’introduction, lorsqu’elle les évoque, renvoie à la page xxiv, alors qu’il s’agit de la page 24 (car les planches ne font pas partie de l’introduction). Or, elles ne sont pas à la page 24, mais bien insérées entre les pages 24 et 25. Dans l’introduction, on remarque que la première et la seule annexe qui soit mentionnée porte le numéro trois, alors qu’on s’attendrait à ce que ce soit l’annexe un. Les annexes auraient pu, de surcroît, inclure la chronologie de la vie de Platon, qui est systématiquement imprimée dans les volumes GF. Au point de vue de l’impression du volume, on s’étonne de l’apparence douteuse de certaines pages, entre autres de la page titre et de certaines annexes. L’éditeur semble avoir photocopié certaines pages et les avoir agrandies ; il en résulte une perte de précision des caractères, qui deviennent flous et baveux. C’est d’autant plus étonnant lorsqu’il s’agit de pages de texte sans image, puisque l’éditeur possède sûrement une copie informatique du contenu.

Cet ouvrage est plus que sous la direction de Luc Brisson. Il a lui-même traduit vingt-six des dialogues, il a écrit une présentation pour chacun (à l’exception de celle du Phédon, qui a été faite, sans qu’on sache pourquoi, par Monique Dixsaut) et il a rédigé l’introduction. On se doute qu’il a aussi relu l’ensemble et participé à la confection des index. C’est donc le couronnement, en quelque sorte, d’une vie consacrée à l’œuvre de Platon.

On ne peut que se réjouir que des chercheurs et des éditeurs travaillent si fort pour rendre Platon accessible à un large public et qu’ils donnent préséance au texte du philosophe plutôt qu’à ce que les spécialistes modernes pensent de lui.