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Cet ouvrage retrace les principales péripéties de l’aventure de l’athéisme et de ses contradictions. L’Être divin incréé, pour la théologie chrétienne, a créé l’homme à son image. La conscience humaine, mesurant l’infinie distance entre l’image créée et son Principe, perçoit le désir d’une union parfaite avec lui. Elle commande l’attitude d’adoration et d’obéissance. Accueillant la voix du Tentateur, l’homme tente de se faire l’égal de Dieu et devient son rival. Il revendique pour lui une totale autonomie, indépendante et souveraine. Le besoin religieux d’adoration le fait alors osciller entre l’athéisme et l’idolâtrie. Il existe certes d’autres formes d’athéisme que celles qui ont retenu l’attention de l’auteur. Cependant, pour lui, les formes qui aujourd’hui présentent les plus grands défis ressortissent au matérialisme et au positivisme.

Le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants » sert de point de départ de la réflexion du théologien. Qui sont les philosophes et les savants auxquels pense Pascal et qui sont les ennemis de la foi ? L’auteur en retient trois. L’adversaire principal est Descartes, représentant de l’esprit rationaliste. Ce dernier aurait bien voulu pouvoir se passer de Dieu ; mais il n’a pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après il n’a plus que faire de Dieu. Suit ensuite Spinoza pour qui la Révélation est sans objet, parce qu’à son degré suprême la connaissance philosophique atteint l’Absolu lui-même, et s’il en va de la sorte, c’est parce qu’ontologiquement la raison du philosophe s’identifie à cet Absolu. Le troisième et dernier penseur est Hegel. Pour le philosophe allemand, c’est la connaissance philosophique qui constitue la connaissance suprême. Elle porte indissociablement sur Dieu et sur le développement immanent de son autoposition, et dans son esprit, c’est Dieu lui-même qui accède par étapes dialectiquement articulées à la connaissance de soi.

À partir de cette mouvance, la raison individuelle devient comme le magistère ultime et la liberté religieuse se présente comme une conséquence du libre arbitre. L’humanisme s’engage sur la voie du moralisme adogmatique, dont le déisme sera l’aboutissement. Les doctrines de la religion naturelle ne feront que prolonger cette problématique : à défaut de pouvoir convenir sur des vérités fondamentales contenues dans l’Écriture et dont l’interprétation serait évidente, on proposera un consensus portant sur les vérités naturelles touchant la divinité et la félicité humaine. Bientôt la religion naturelle se présentera comme une requête de la société civile elle-même et comme la base de la tolérance qu’elle exerce à l’égard des diverses religions. La religion chrétienne passe pour être une fable, juste bonne à séduire les « petits esprits ». La seule divinité acceptable est la Nature qu’il faut contenter en toutes choses. La saine philosophie écarte alors toutes les questions insolubles : péché, au-delà, enfer, ciel, immortalité de l’âme. La nouvelle philosophie affirme l’incapacité de la raison à saisir la réalité dans sa densité ontologique. Elle offre à la connaissance une explication purement subjectiviste ou sensualiste. Elle ne s’élève pas au-dessus de l’horizon du matérialisme. Le terrain est prêt pour accueillir l’athéisme sous ses formes modernes : le matérialisme et le positivisme.

L’athéisme moderne est une aventure métaphysique, par laquelle l’esprit humain se pose comme véritablement causa sui. L’homme se pense comme totalement indépendant et libre, ne devant son être qu’à lui-même et rejetant toute dépendance à l’égard du Dieu de la Transcendance comme une aliénation et une offense intolérable à une autonomie farouchement revendiquée. Tout ce que l’homme est et tout ce qu’il a, il le tire de lui-même. Cette analyse conduit à la conclusion que la liberté humaine est une liberté absolue.

L’humanisme athée repose sur la revendication d’immanence totale à soi de l’homme, « être suprême ». Mais qui est cet homme ? La réponse peut se résumer ainsi : du moment que l’homme est le vrai dieu de l’homme, il suffit de récupérer les attributs divins faussement attribués à ce sujet imaginaire qu’est le Dieu de la transcendance pour les transférer à leur vrai propriétaire. L’homme créé à l’image et ressemblance de Dieu est renversé ainsi : Dieu image de l’homme. L’homme devient la mesure première. L’homme, cependant, dont il est question, ne saurait être l’individu, limité et éphémère. Il s’agit de l’Essence humaine, du Genre humain, pris dans la totalité de son histoire. L’auteur développe cette thèse en divisant, par la suite, l’histoire de l’athéisme moderne en quatre périodes.

Dans l’histoire de l’athéisme, on rencontre à plusieurs reprises la volonté exprimée de joindre à un athéisme professé l’attitude religieuse. On peut parler alors d’athéisme religieux. Cette perspective vise à subordonner totalement la religion à la judicature de la raison. Elle s’opère à travers trois attitudes : on élimine la religion pour aboutir à un humanisme irréligieux ou areligieux. Puis on réduit la religion à la philosophie. Et enfin, on procède à une réinterprétation de la religion. En utilisant cette approche, l’humanité accède à une nouvelle religion, la religion du Grand-Être ou de l’Humanité. Le but de cette nouvelle religion est de créer une humanocratie, puisque l’Humanité est la nouvelle divinité. La religion devient un indispensable facteur de moralité et de cohésion de l’ordre social. Dès que l’on rejette la distinction évangélique entre le spirituel et le temporel, on est tenté de transférer au service des projets temporels les énergies qui, de soi, sont orientées vers l’attente du Royaume de Dieu. Le messianisme devient un messianisme temporel.

L’auteur s’attarde à démontrer par la suite que l’athéisme est au coeur de la pensée marxiste et qu’il en est indissociable. L’idée d’aliénation telle que Feuerbach l’a formulée, inspire directement Marx. Il ne s’agit pas de réfuter la religion sur le plan théorique. On ne la supprimera qu’en supprimant les causes. La solution est pratique : en détruisant l’aliénation profane, on détruit du même coup l’aliénation religieuse. Quand l’homme sera heureux ici-bas, il cessera d’imaginer Dieu, représentation devenue inutile. La religion est l’expression pathologique d’un mal économique. En guérissant ce mal, on se guérit du besoin, aberrant, de Dieu.

La dernière partie de l’ouvrage est entièrement consacrée à la crise de la raison. Nul des philosophes et des penseurs rencontrés jusqu’ici n’avait contesté le primat de la raison. Schopenhauer opère ce renversement, suivi de Nietzsche. Le primat appartient maintenant à la volonté et la raison devient en quelque sorte l’instrument de la volonté. La voie est ouverte à l’irrationalisme. Le principe du vouloir-être, comme fondement de toute réalité, en nous et dans l’univers, devient la base de toute la philosophie de Nietzsche, disciple de Schopenhauer. Loin de renoncer à l’être, il faut le réaliser dans sa plénitude, en mettant à la place de la conscience morale, de ses préjugés et de ses scrupules, la volonté de puissance qui seule permet d’atteindre le plus haut degré de puissance et de splendeur du type homme. C’est par l’exaltation de la volonté que s’affirmera dans toute sa puissance, chez le surhomme, la volonté d’être qui est le fond de tout et qui, en la mettant en question, réduit à néant la volonté de vérité et le mensonge qui a le plus duré : Dieu. Si Nietzsche aboutit au nihilisme athée, c’est d’abord qu’il ne fait aucune distinction entre le vrai Dieu de la foi chrétienne et les formes dégradées de Dieu et du divin forgées par la philosophie rationaliste en fonction de sa visée immanentiste, qui ne conçoit Dieu que selon un gabarit humain.

Le théologien termine ce magistral ouvrage en abordant le thème de la lutte contre les idoles qui est un de ceux qui revient le plus souvent dans les Écritures. Tout bien créé qui prend la place de Dieu dans le coeur de l’homme est une idole. Le fait de l’abdication de la raison métaphysique dans la civilisation technique actuelle a conduit l’homme moderne à penser qu’en s’assurant la domination du monde matériel, il pouvait contrôler l’ensemble des problèmes humains. La raison s’étant détournée de sa vocation la plus haute, est devenue, par une sorte de revanche, le jouet des mythes. Penser Dieu signifie s’en forger une image, l’enfermer dans des catégories purement humaines, bref en faire une idole. En conséquence, la prétention d’ouvrir un accès apophatique vers Dieu risque de s’accompagner d’une tolérance, d’une indulgence extrême à l’égard des faux dieux familiers. En terminant, devant le drame de l’humanisme athée, l’auteur réclame la nécessité urgente d’une vraie métaphysique de la personne.