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L’éducation est, depuis toujours, au centre des débats humains. Jamais sans doute n’est-elle cependant apparue aussi problématique qu’aujourd’hui. Ce livre — ou ce cours — se découpe en treize leçons rédigées en un style direct et entend tirer profit des savoirs nouveaux, des immenses richesses héritées de la tradition, afin de dégager des éléments de solution aux problèmes posés aux éducateurs contemporains.

La première leçon s’organise autour de deux thèmes principaux : le premier porte sur le rôle de la philosophie, à savoir éveiller les endormis de la cité, et le second, sur l’urgence de la philosophie de l’éducation face à la crise actuelle.

L’A. présente, par la suite, l’enjeu de l’éducation qui n’est autre que le bonheur lui-même. L’éducation doit donner un sens à la vie de chacun, permettre à tous de s’élever vers une vie proprement humaine. D’où le rôle de l’affectivité dans le monde de l’éducation. L’affectivité est, à vrai dire, ce qui donne de la couleur à l’aventure humaine, suscite les différentes expériences, engendre la joie et l’amour.

Les jeunes sont habituellement amateurs de musique, affirme l’A. Rien d’étonnant à ce que les Anciens, Platon et Aristote en tête, aient accordé la toute première place à la musique dans la formation des jeunes et cela pour un triple motif : l’éducation des passions, ses vertus thérapeutiques, et la forme, le sens, qu’elle donne au loisir. Aujourd’hui, on réaffirme avec vigueur l’importance de la musique dès l’éducation première. C’est le retour à un passé oublié.

Anciens et modernes, affirme le philosophe, ont d’emblée accordé la première importance à l’éducation des enfants. Ils insistent tous sur le rôle de l’habitude et de l’exercice comme moyen d’éducation. Trois choses sont essentielles à l’éducation morale des jeunes : la nature, la raison et l’habitude. Sans l’apprentissage, la nature est aveugle. L’apprentissage sans la nature est imparfait. La pratique sans les deux ne donne rien. L’analogie retenue est celle de l’agriculteur : il faut un bon sol (la nature humaine), un bon cultivateur (l’éducateur) et la bonne semence (les conseils, l’exemple et l’instruction transmise par le verbe oral) pour construire un être humain équilibré. La nature la plus riche est gaspillée si on la néglige. C’est pourquoi l’art de l’éducation est indispensable.

L’A. s’attarde ensuite à parler de la sagesse du corps. Le corps vivant n’est pas extérieur à l’être. Il est l’être. Il faut donc l’entraîner, l’éduquer. Toute intelligence pratique repose sur des aptitudes physiques. Malheureusement, la technologie favorise une paresse et un endormissement des facultés du corps qui ont des conséquences graves, puisque tout passe par l’attention, l’esprit alerte, l’oeil exercé et observateur, le développement des habiletés manuelles.

Une saine philosophie de l’éducation attache de l’importance aux arts et aux lettres. C’est une nécessité. La beauté sauvera le monde. Et le réel s’articule autour de cette trinité : vérité, bonté, beauté. Le jeune doit voir, toucher les grandes oeuvres (peinture, sculpture) et prendre contact avec les grands textes de l’histoire. Le jeune veut qu’on l’élève. Et en l’élevant, on l’arrache à l’ignorance, aux préjugés, aux noirceurs qui encerclent le monde.

Enseignant émérite lui-même, l’A. aborde, au chapitre 7, l’immense défi de l’enseignement. Le défi par excellence est de maintenir la connaissance vivante, l’empêcher de devenir inerte. Or, l’intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu’il y ait désir, il faut qu’il y ait plaisir et joie. La joie d’apprendre est aussi indispensable aux études que la respiration aux coureurs. Enseigner, c’est donner, offrir. L’enseignant offre l’indication qui permet à l’élève de s’élever plus haut, de prendre des routes neuves, de saisir l’occasion d’emprunter des voies inédites. La joie naît de l’acceptation de la route suggérée et non imposée par l’enseignant.

Le diagnostic que pose Thomas De Koninck sur la crise de la connaissance en Occident est fort pertinent. Le monde de l’éducation est en désarroi. Depuis des décennies, les réformes successives en éducation se multiplient mais donnent peu de résultats. Le philosophe pointe du doigt la spécialisation à outrance, cause première de la crise actuelle. La faille centrale se trouvant dans le fait de prendre l’abstrait pour le concret. Il accuse le manque de culture qui se traduit toujours par un manque de jugement. Il reprend à son compte les mots de V. Havel qui affirme qu’on y a substitué ce qui apparaît comme l’illusion la plus dangereuse qui ait jamais existé : la fiction d’une objectivité détachée de l’humanité concrète. Il importe donc de susciter et de cultiver le discernement des élèves dans toutes les matières quant aux limites des savoirs, aux contraintes qu’imposent les méthodologies, aux questions qui se posent toujours. La double ignorance fait toujours des progrès. Elle est et demeurera toujours, et avec raison, le pire ennemi.

Pour corriger la crise de la connaissance actuelle, le philosophe De Koninck propose un meilleur enseignement des sciences. Il dénonce, dans un premier temps, la réduction simpliste du matérialisme du xixe siècle et suggère de se mettre à l’écoute des grands scientifiques de l’époque contemporaine qui, comme Einstein, s’extasient devant l’harmonie des lois de la nature dévoilant une intelligence si supérieure que toutes les pensées humaines ne peuvent la révéler. Il convient de célébrer l’ignorance où l’homme est parvenu grâce aux neurosciences, à l’astrophysique, mais grâce aussi à la psychologie des profondeurs.

L’éducation passe par une solide formation éthique qui n’admet pas d’avance de solution toute faite. La multiplication des lois caractérisant nos sociétés est le résultat obligé d’un déficit éthique. Plus la chose publique est corrompue, disaient les Anciens, plus il y a surabondance de lois. Devant l’infinie variété des actions particulières et de leurs circonstances, l’éducateur a le devoir de transmettre les valeurs morales fondamentales. Cependant, une seule valeur peut rassembler tous les humains, en vue de créer une éthique commune : la dignité de la personne humaine. La transmission de cette notion de base ne doit pas être aléatoire dans la pratique de tous les éducateurs et éducatrices. L’être humain est une fin et ne doit jamais être réductible à un moyen.

L’A. note par la suite un écart important entre l’ordre économique et l’ordre éthique. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 pose la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables. En d’autres mots, l’être humain est au-dessus de tout prix. La mondialisation des marchés est en train d’éclipser ce grand principe. De nouvelles inégalités naissent, de nouvelles marginalisations apparaissent ; de nouvelles situations d’extrême pauvreté surgissent. L’éthique montre que ces situations d’injustice si flagrante, source de grands profits pour quelques-uns, privent des millions d’êtres humains de l’essentiel : boire, manger et dormir. Comment changer l’ordre des choses présentes ? Il faudra un long travail intérieur, dans chaque communauté, en vue de former des citoyens responsables.

Le cours se termine par un appel à la responsabilité de tous les éducateurs. Il invite chacun à retrouver la demeure de l’homme qui est le champ de l’éthique. Cette discipline, selon le mot d’Heidegger, est le séjour de l’homme. Le premier lieu où il habite et qu’il lui est impossible de quitter. Il faut sans cesse en tenir compte.

La conclusion de ce cours surgit tout naturellement. Il convient en permanence, selon le mot de Saint-Exupéry, de tenir réveillé en l’homme ce qui est grand et donc de le convertir à sa propre grandeur. Le ministère de l’Éducation du Québec devrait se faire un devoir d’encourager les enseignants à se mettre à l’écoute de cette philosophie profondément humaniste. Cela pourrait nous éviter une énième réforme scolaire qui, le temps d’une décennie d’essai, conduit toujours le monde scolaire dans un cul-de-sac.