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À ne pas confondre avec le Dictionnaire de philosophie (paru dans la même collection chez le même éditeur) et tant d’autres ouvrages avec un titre similaire, cet excellent Dictionnaire des philosophes présente par ordre alphabétique plus de 140 penseurs de toutes les époques, de Theodor Adorno à Wittgenstein, ainsi que quelques termes collectifs comme l’École de Francfort, les Cyniques, les Présocratiques, les Stoïques, ou encore le Cercle de Vienne. De plus, une quinzaine de nouvelles notices (sur Walter Benjamin, Bouddha, Confucius, Diderot, Voltaire, etc.) ont été ajoutées à cette troisième édition (p. 405).

Le point fort de ce livre de référence se situe dans sa volonté pédagogique : chaque notice couvre environ trois pages en précisant la pensée d’un auteur avec quelques idées-phares et une courte bibliographie. Ce procédé n’est jamais réducteur et garantit l’équilibre entre un nombre adéquat de notices et un certain degré d’approfondissement. Ainsi, pour Adorno, on présente trois traits principaux : sa critique du marxisme contenue dans La dialectique de la raison, sa « Dialectique négative », ses écrits sur l’art et l’esthétique (p. 8). Par la suite, dans une notice sur Gaston Bachelard, on revoit quatre de ses thèmes essentiels : la rupture épistémologique nécessaire pour parvenir au savoir nouveau, son axiome voulant que « rien n’est donné, tout est construit », sa poétique et enfin sa réflexion sur l’imagination (p. 43). Plus loin, à propos de Michel Foucault, on retient trois dimensions : ses conceptions épistémologiques (L’archéologie du savoir), la relation entre le savoir et le pouvoir, et ce qu’il nomme « le souci de soi » (p. 151). Dans une nouvelle notice consacrée à Francis Hutcheson, on évoque son « subjectivisme moral » et son « utilitarisme secondaire », non sans discuter de l’actualité de sa pensée dans des écrits récents (p. 199). Mais sur Platon, les thèmes privilégiés sont évidemment beaucoup plus nombreux : « la réalité des idées », « l’allégorie de la caverne », « l’éternité de l’âme », mais aussi la vertu, la justice, la politique (p. 295). En revanche, la brève notice consacrée au philosophe néo-marxiste Louis Althusser fait l’économie de son concept fondamental des « appareils idéologiques d’État » (exposé dans son livre Positions, non cité en bibliographie), ce qui est éminemment regrettable (p. 11).

En plus de réunir tous les « grands philosophes » de l’histoire (Aristote, Descartes, Hegel, Heidegger, Kant, Socrate, et tant d’autres), plusieurs penseurs « en marge » de la philosophie ou ayant adopté des approches interdisciplinaires ou transdisciplinaires sont également inclus : par exemple Sigmund Freud, Claude Lévi-Strauss, Jean Piaget, Alexis de Tocqueville, mais aussi certains sociologues souvent considérés comme des philosophes ou ayant reçu une formation philosophique : Raymond Aron, Pierre Bourdieu, Raymond Boudon, Émile Durkheim, Marcel Mauss, Edgar Morin, Georg Simmel, Max Weber. Certaines notices, comme celle consacrée à Raymond Aron, sont lumineuses, car elles expliquent bien la perspicacité de ce « spectateur engagé » (selon sa propre expression) qui voit monter le nazisme entre 1928 et 1933  ce que confirment plusieurs de ses articles d’avant 1933 ; son livre L’opium des intellectuels fustigeait la mode marxiste des années 1950 conçue comme une sorte de culte profane et stigmatisait l’aveuglement de sa génération face au totalitarisme soviétique (p. 25).

Parmi les découvertes dans ce livre pleinement réussi, on retiendra une notice sur Maine de Biran (1766-1824), présenté comme « l’initiateur de la tradition spiritualiste française », le « philosophe du Moi », admiré de Bergson (p. 249). Par contre, quelques absents sont à signaler : Érasme, Gabriel Marcel, le philosophe hongrois Georg Lukács, ou encore Oswald Spengler (l’auteur du livre Le déclin de l’Occident). On peut espérer les trouver dans une éventuelle réédition de ce livre.

Une erreur de date subsiste dans la notice consacrée à Friedrich Nietzsche (1844-1900), on indique que le philosophe aurait brusquement sombré dans la folie « un matin de 1882 » (p. 281), en réalité, ce jour malheureux où tout a basculé est survenu quelques années plus tard, le 3 janvier 1889.

Ce Dictionnaire des philosophes de Mesdames Noëlla Baraquin et Jacqueline Laffitte me semble indispensable pour les étudiants, du baccalauréat au doctorat, non seulement pour sa clarté, mais aussi parce qu’il rend la paternité des idées à leurs auteurs respectifs, ce qui est le propre d’un ouvrage de référence centré sur les auteurs plutôt que sur les concepts. Pour les non-philosophes, ce livre sera à la fois accessible et utile. Les bibliothèques publiques et universitaires devraient le posséder.