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Forgé il y a plus de quatre décennies, le néologisme « traductologie » et la discipline qu’il recouvre font toujours l’objet d’approches multiples, souvent divergentes. La discipline souffre d’un statut controversé. La question fondamentale « Qu’est-ce que la traductologie ? » méritait donc d’être posée (et osée !). Des chercheurs venus d’horizons différents dressent ici un état des lieux sur les dernières avancées d’ordre épistémologique enregistrées. La discipline se développe de façon anarchique, à preuve l’inflation foisonnante des publications, qui donnent le tournis et restent émiettées, parcellaires, voire anarchiques. Un grand débat s’imposait, auquel le colloque d’Artois allait tenter de répondre. Applaudissons à l’initiative de Michel Ballard. Et d’abord une petite note d’érudition sur les origines du terme traductologie.

À l’inverse de ce qu’on affirme communément, ce n’est pas Brian Harris qui, en 1972, a créé le terme. Ce dernier le reconnaît lui-même. Le terme est usité sous une forme un peu différente pour la première fois par trois chercheurs belges : R. Goffin, P. Hurbin et J.-M. Van der Merschen dans la revue Babel et l’article de R. Goffin la même année dans Linguistica Antverpiensis, II, 1968 (La terminologie multilingue et la syntagmatique comparée, p. 189-271). Dans un article plus récent intitulé « Aux origines du néologisme traductologie », j’ai retracé les avatars et les vicissitudes du terme depuis 1968 ainsi que sa réception dans le cénacle des spécialistes (Voir « Des arbres et des mots », Hommage à D. Blampain, Bruxelles, Éditions du Hazard, 2006, p. 97-107).

Le présent volume, qui rassemble vingt-trois communications présentées à un colloque dans le cadre de CERTA, permet de recomposer les grandes orientations de la traductologie, sa préhistoire et son histoire (C. Bocquet). À l’origine, c’était l’approche linguistique qui a prévalu, sinon dominé (voir mon article « La science de la traduction 1955-1983 », dans Communiquer et traduire. Hommages à J. Dierickx, Bruxelles, 1985, sans pour autant faire l’unanimité, comme l’ont montré les tenants de la théorie interprétative (M. Lederer et C. Durieux). Plus tard, on a mis en lumière les relations fécondes jeux et limites entre la traductologie, limitrophe et transdisciplinaire (D. Gile) et les autres disciplines, que M. Ballard appelle les dérivations à partir des disciplines mères (M.-F. Delport et J.-C. Chevalier). D’autres contributions tentent d’ancrer la traductologie dans le champ de l’herméneutique (A. Dussart), la doctrine fonctionnelle ou le skopos (J. Gallagher), la composante sociologique (J.-M. Gouanvic), la formulation d’hypothèses, enfin la démarche dérivée des philosophes K. Popper et I. Lakatos (A. Chesterman), le protocole de verbalisation, l’analyse conversationnelle appliquée à la didactique. Manquent les sciences cognitives et les mécanismes sociolinguistiques mis en jeu.

Plusieurs communications reprennent l’analyse des deux grands courants, protagonistes, qu’il s’agit de faire converger : l’un, universitaire, nourri par les apports des sciences humaines, et l’autre, professionnalisant, nourri par les expériences du monde de la traduction (notamment E. Lavault et F. Plassard). Une mosaïque ambitieuse, plus directement tournée vers les publications en français, sans négliger les autres langues.