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Le parcours du sens : d’une langue à l’autre est un florilège de réflexions menées par les amis d’André Clas, ses collègues et ses disciples pour lui rendre hommage au moment où il passe le flambeau à une nouvelle équipe de Meta coordonnée par Sylvie Vandaele. À cette occasion, plusieurs de ses amis ont voulu saluer l’immense travail qu’il a fait pour la linguistique en général et pour la traduction en particulier. Quoi de mieux qu’un numéro spécial de Meta pour lui rendre hommage à cette occasion !

Toutes les contributions font écho au parcours très riche d’André Clas, qui a jeté des ponts entre différentes communautés scientifiques en créant des réseaux à travers le monde, en mettant en place des synergies et en faisant émerger des projets novateurs. Elles constituent un parcours du sens, d’une langue à l’autre, du terme au concept, d’un mot à un autre, du signifiant au signifié, etc. Elles renvoient d’une certaine façon aux pérégrinations d’André Clas par continents et par mots, et toujours avec une touche d’humour et de classe !

Le parcours du sens : d’une langue à l’autre retrace l’essentiel des problématiques posées par la traduction où s’interpénètrent réflexion épistémologique, subjectivité de certains discours considérés comme scientifiques, objets intraduisibles, énoncés obliques, dialogue homme-machine, humour et variation de paradigmes. Jean-René Ladmiral ouvre le bal par une réflexion à la fois épistémologique et didactique dont l’objectif est de dresser un tableau critique synthétisant les quatre principales approches traductologiques : la prescriptive ou normative, la descriptive, l’inductive ou scientifique et la productive qui est orientée du côté de la production. Si le texte de Ladmiral fournit un cadre général, les autres contributions se focalisent sur certains aspects particuliers. Christian Balliu, qui s’intéresse à la traduction des textes médicaux, réputés être objectifs, montre comment la subjectivité y est omniprésente, ce qui remet en question le caractère objectif de ces textes. Il souligne particulièrement la mise en avant du patient et la réhabilitation du sujet à la première personne. La conséquence logique de ces caractéristiques est que la terminologie ne pose plus de problèmes au traducteur et que les vraies difficultés se déplacent du côté des mots de la langue générale.

Il arrive que l’opération de traduction atteigne ses limites, notamment avec des objets particuliers dont le transfert d’une langue à une autre est difficile à assurer. Cela se vérifie notamment avec les objets intraduisibles comme le démontre Christine Durieux. Il s’agit de tout ce qui est bien ancré dans des cultures bien déterminées. Le traducteur n’a le plus souvent de choix que de négocier des compromis et de jouer le rôle d’intermédiateur.

L’ancrage des textes peut se faire également dans la langue. C’est ce qui relève de la fixité linguistique que Salah Mejri définit comme étant une forme de la substance ou du contenu spécifique à un idiome. Une telle spécificité est tellement idiomatiquement prégnante qu’elle représente une source inépuisable d’emplois obliques de la langue, comme c’est le cas dans les textes poétiques et humoristiques. Plus les fixités sont stratifiées dans un discours, plus la négociation des traductions est complexe.

La complexité de la traduction se fait ressentir davantage quand il s’agit de traduction automatique. Puisqu’il s’agit de la création de dictionnaires électroniques, c’est-à-dire de ressources linguistiques automatisables, on est censé fournir à la machine des descriptions détaillées de l’ensemble des transformations unaires nécessitées par la prédication élémentaire. En plus de l’alternance des traits syntactico-sémantiques pour une position argumentale, des prépositions et des diathèses, Xavier Blanco passe en revue un ensemble de transformations comme l’insertion de déterminants, la pronominalisation, l’effacement, la permutation, etc. La traduction français-espagnol lui sert d’illustration. Avec Pierre-André Buvet et Laurent Tromeur, c’est le dialogue homme-machine qui est privilégié. Il s’agit en réalité d’une problématique de traduction qui ne se fait pas d’une langue naturelle à une autre, mais d’une langue naturelle, celle des hommes, à une langue artificielle, celle des machines. Les auteurs exposent dans leur contribution un ensemble d’éléments qui explicitent les difficultés rencontrées dans ce domaine.

Si la complexité de la traduction telle qu’elle est présentée dans les articles précédents relève des spécificités de nature linguistique, celle qui est retenue par Pedro Mogorrón Huerta concerne le croisement des spécificités linguistiques et sémiotiques dans le sous-titrage des films humoristiques. Les contraintes qui pèsent sur la traduction doivent tenir compte de plusieurs paramètres, notamment le mouvement des lèvres, les images de la scène concernée, etc.

Cette partie réservée à la traduction est close par la contribution de Fernando Navarro Domínguez qui, à l’instar de Jean-René Ladmiral, fait le point sur la réflexion traductologique en Espagne en dressant un tableau assez complet des principaux courants et en les rattachant à la dynamique de la recherche internationale.

La vision globale caractérise également les contributions qui portent sur la terminologie. En effet, Philippe Thoiron et Henri Béjoint privilégient les deux mouvements qui ont présidé à l’évolution des études terminologiques : à un premier mouvement où prédominait l’approche onomasiologique succède un second qui se veut sémasiologique et qui favorise l’observation de corpus. Loin de voir dans ces deux tendances une quelconque contradiction, les auteurs pensent qu’elles sont complémentaires, permettant ainsi à la terminologie d’embrasser son objet d’étude sous deux angles différents. Roger Goffin s’inscrit dans la même perspective évaluative. Il dresse un état des lieux dans le domaine de la terminologie. Optant pour une approche rétrospective, il établit un bilan de cette discipline frontière en soulignant les discordances, les blocages et les lacunes qui aboutissent à des projections d’ordre pratique, praxéologique et de recherche fondamentale. Quant à Leila Messaoudi, elle mène une réflexion relative à la relation entre langues de spécialité et technolectes pour montrer que l’emploi de ces derniers présente l’avantage d’être plus générique que celui des premières.

La partie traitant du lexique est également englobante à plus d’un titre : le lexique y est abordé sous l’angle des quatre niveaux d’analyse : le morphème, le mot, le syntagme et la phrase. C’est par le biais des énoncés phrastiques que Georges Kleiber aborde la problématique de la transparence des proverbes. Après avoir discuté les analyses de Jean-Claude Anscombre et d’Irène Tamba des énoncés proverbiaux et en optant pour une approche hiérarchique des proverbes, il montre comment le statut superordonné des proverbes a pour corollaire le maintien de la transparence du sens littéral ou compositionnel, s’opposant en cela aux expressions idiomatiques. Anna Anastassiadis-Syméonidis s’intéresse aux suffixes empruntés. Elle étudie particulièrement l’emprunt des suffixes par le grec au latin pour vérifier si un tel emprunt est justifié quand les équivalents existent dans la langue emprunteuse. Après la description d’un certain nombre de suffixes empruntés, elle aboutit à la conclusion que les suffixes empruntés au latin se spécialisent dans un certain niveau de langue, par opposition à leurs équivalents grecs marqués de niveau soutenu. Inès Sfar situe sa réflexion au niveau de l’unité intermédiaire, le mot. Elle s’y intéresse sous l’angle de l’incorporation morphologique. Après avoir opposé la formation synthétique des unités lexicales à la formation analytique qui privilégie la polylexicalité, elle expose la problématique de la formation de concordanciers français / arabe exploitables dans le domaine de la traduction.

La dernière partie clôt le numéro par des réflexions ayant trait à des questions de syntaxe, de sémantique et de linguistique générale. Lidija Iordanskaja et Igor Mel’čuk traitent de la coordination des adjectifs modificateurs en russe et en français en analysant les contraintes sémantiques qui pèsent sur cette opération. Gaston Gross analyse la notion de contexte et son rôle d’outil discriminant les emplois des prédicats. Il montre que « la notion de contexte ne constitue […] pas une délimitation mécanique que l’on peut effectuer en sélectionnant un nombre déterminé de mots à gauche et à droite, mais relève d’une analyse qui met en jeu la totalité des informations syntaxiques ».

Quant à André Roman, il montre comment « la langue arabe a construit son système de nomination sur des arrangements de consonnes, les racines de ses unités de nomination » et « a fait de ses voyelles désinentielles les signifiants de ses fonctionnels primitifs, ses cas ».

Le parcours du sens se fait d’une langue à une autre. Les amis, collègues et disciples d’André Clas ont voulu lui offrir à travers ce numéro de Meta, en plus des études portant sur les L(exiques), T(raductions), T(erminologie), S(yntaxe) et S(émantique), un bouquet de langues revisitées à cette occasion : l’anglais, l’arabe, l’espagnol, le français, le grec et le russe. Comme on le constate, ces couleurs linguistiques sont à dominante méditerranéenne. Ce ne doit pas être un hasard : André Clas est l’un des fondateurs de Rencontres linguistiques méditerranéennes qui servent depuis une dizaine d’années de cadre de rencontres scientifiques fructueuses.

Polyglotte d’origine, académicien dans son pays, grand animateur de rencontres internationales, grand voyageur, il nous a invités avec Meta à dialoguer pendant des décennies avec la communauté scientifique en lui offrant un outil de publication de très haute qualité, il nous invite encore une fois, avec la nouvelle équipe de Meta, à un nouveau voyage toujours aussi agréable que les précédents, que ses amis ont voulu colorier, à la manière d’André Clas, de touches d’humour.