Corps de l’article

Le présent article fait état d’une analyse de différentes situations humoristiques observées dans des films français et dans leurs versions espagnoles doublées. Étant donné que les principaux moyens humoristiques sont visuels et verbaux, nous nous concentrerons sur les procédés de doublage et laisserons de côté le sous-titrage. L’étude des procédés humoristiques utilisés dans les originaux et les doublages est circonscrite à trois films français très connus. Il s’agit de deux comédies, dans lesquelles abondent les situations comiques, et d’un drame, respectivement :

  • Les visiteurs : Ils ne se sont pas nés d’hier (1993)[1] ;

  • Le dîner de cons (1998)[2] ;

  • La haine (1995)[3].

Nous avons comparé deux comédies et un drame afin de mettre en relief les procédés humoristiques dans des genres différents et leur caractère universel. Les éléments humoristiques apparaissant dans différentes scènes de ces trois films ont été classés et leur traduction en espagnol a été analysée.

1. La traduction de l’humour dans les productions audiovisuelles

Bien que l’essentiel des études de traduction porte sur la traduction écrite, les trente dernières années ont vu l’apparition de nombreux travaux (articles, ouvrages, thèses) traitant de traduction audiovisuelle. Il existe, par contre, peu de travaux traitant de la traduction de l’humour dans les productions audiovisuelles (Zabalbeascoa 2001 ; Bernal Merino 2002 ; Díaz Cintas 2003), sans doute en raison des difficultés soulevées. Selon Zabalbeascoa (2001 : 251) : « Para entender la traducción del humor en los textos audiovisuales es necesario conocer los factores propios de la traducción, por un lado, del humor, por otro, y de los textos audiovisuales, por otro[4]. » En effet, la qualité des traductions de l’humour dans les productions audiovisuelles ne peut être obtenue par la seule analyse des aspects linguistiques : le traducteur devra également connaître en profondeur la culture et la société du pays dans lequel a été réalisée la version originale du film et du pays cible. Ceci, afin de reproduire les situations ou les adapter à la mentalité et à la culture du public destinataire, opérations très difficiles, car, comme on le sait, l’humour est particulièrement lié aux racines culturelles caractéristiques des différentes sociétés. Ainsi, de nombreuses productions d’Espagne ou des États-Unis n’ont pas le même succès dans les pays d’Amérique du Sud ou au Royaume-Uni, et inversement, bien que le public utilise une langue commune dans les deux cas. Pour garantir le succès de certains films européens outre-Atlantique, il n’est pas rare que des « remakes » voient le jour. Ainsi, Trois hommes et un couffin, réalisé par Coline Serreau (1985)[5] a donné lieu à Three men and a baby de Leonard Nimoy (1987)[6], et La cage aux folles, d’Édouard Molinaro (1978)[7] a donné Thebirdcage (1996)[8]. Étant donné la nature multisémiotique des documents audiovisuels, il faudra inévitablement tenir compte du fait que l’unité de sens résulte de l’union des dialogues, issus d’un texte écrit, et des images, qui « traduisent » l’interprétation des acteurs. Souvent, donc, l’image sert de support au dialogue grâce à la gestuelle des acteurs qui utilisent cette dernière pour obtenir un effet comique, comme le rappelle Díaz Cintas (2003 : 256) : « Recordemos aquí que muchas situaciones de humor se apoyan tanto en el soporte lingüístico como en la actuación gestual del personnaje[9] ». Finalement, comme nous avons limité notre analyse aux versions doublées, de nombreuses scènes exigeront une synchronie temporelle et labiale.

2. Repérage des éléments humoristiques

Tous les éléments tels que dialogues, marques culturelles, particularités de langue (variétés diatopiques, diachroniques, jeux de mots, etc.) et images, vont donc être très importants pour réaliser une bonne traduction de l’humour dans le cadre d’une production audiovisuelle. Zabalbeascoa (2001 : 258-260) propose une des classifications les plus complètes qui aient été réalisées sur le type d’humour dans la traduction audiovisuelle en relation avec les problèmes de traduction. Il distingue ainsi :

  • la blague internationale (chiste internacional) ;

  • la blague culturelle-institutionnelle (chiste cultural-institucional) ;

  • la blague nationale (chiste nacional) ;

  • la blague linguistique (chiste lingüístico-formal) ;

  • la blague non verbale (chiste no verbal) ;

  • la blague paralinguistique (chiste paralingüístico) ;

  • la blague complexe (chiste complejo).

L’humour est sans aucun doute un phénomène universel, présent dans toutes les cultures, les langues et les civilisations, qui a pour objectif principal de distraire et de faire rire en soulignant le comique ou le ridicule dans la vie quotidienne. Il est très difficile de le définir en raison des différents genres humoristiques existants et des contenus culturels propres à différents groupes se distinguant sur les plans linguistiques, géographiques ou sociaux. De plus, il est souvent subjectif, car ce qui est drôle ou risible dans une culture ou un pays ne produit pas nécessairement le même effet dans une autre culture ou un autre pays, voire chez une autre personne du même groupe. Ces différents paramètres font que la traduction de l’humour est sans aucun doute des plus complexes, car le traducteur, dans sa recherche de l’équivalence, doit essayer de reproduire dans le texte cible le même effet humoristique que celui qui est véhiculé par l’original, afin que le lecteur puisse en apprécier toutes les subtilités. Mais si, en plus, la traduction d’un élément humoristique (blague, histoire drôle, mot d’esprit, jeux de mots, etc.) doit se faire dans un texte audiovisuel, la difficulté augmente considérablement, étant donné les caractéristiques et les restrictions inhérentes à ce support. En effet, il est toujours subordonné aux limitations temporelles et spatiales des scènes et des dialogues ainsi que, fréquemment, à la synchronisation labiale.

Après le visionnement des trois films et l’analyse des scènes dans lesquelles nous avons observé la présence d’aspects humoristiques, nous avons adopté une classification fondée sur le mode d’expression de l’humour par le texte ou par l’image :

  • expression visuelle ;

  • expression visuelle renforcée par le texte ;

  • expression dans le texte.

Ainsi, selon Chaume (2004 : 186), « [l]os textos audiovisuales constituyen un género paradigmático en el cual la información no verbal desempeña un papel sumamente relevante. Precisamente aquello que nos permite agrupar estos textos en un género paradigmático, o género de géneros, es que en casi todos ellos el significado emana de la interacción entre información verbal e información no verbal[10] ».

2.1. L’expression visuelle de l’humour

L’humour s’exprime visuellement lorsqu’il passe par l’image, c’est-à-dire par l’interprétation des acteurs, dans le cadre d’une situation comique par elle-même, sans l’aide des dialogues. Il est alors possible de transposer dans de nombreux pays ou de nombreuses cultures différentes les signes non verbaux, images et interprétation gestuelles des acteurs. Comme l’expression universelle bien connue le souligne, une image vaut mille mots. L’image sert, dans de nombreux cas, de catalyseur pour provoquer un sourire ou un éclat de rire, par la mise en scène de situations rocambolesques, loufoques ou ridicules, comme des chutes, ou par des regards d’incrédulité, etc. Ainsi, dans l’exemple (1) extrait du film Le dîner de cons, un homme élégamment habillé (costume, cravate) s’amuse à lancer des boomerangs dans un parc, son téléphone portable sonne. Il lance un boomerang, que sa conversation lui fait oublier, mais le boomerang revient évidemment à son point de départ et le frappe en plein visage, provoquant sa chute… et l’hilarité du spectateur !

Dans l’exemple (2) de Les visiteurs, Godefroy de Montmirail, un noble du xiie siècle envoyé par erreur dans le xxe siècle par un mage qui se trompe de formule magique, et son valet Jacquouille prennent un bain avec leurs sous-vêtements moyenâgeux, qui sont tellement sales qu’ils en noircissent l’eau. Ils jettent dans la baignoire tous les onguents (paillettes de savon, crème, savon, etc.) qu’ils peuvent trouver dans la salle de bain. Godefroy va même jusqu’à vider sur lui un énorme flacon de Chanel nº 5, ce qui suscite chez le spectateur un fou rire… ou une exclamation d’horreur !

L’exemple (3) est tiré de La haine, film qui dénonce la marginalisation des jeunes descendants d’immigrés qui habitent dans les cités en France. Il met en scène trois jeunes ayant des problèmes d’identité et d’intégration, Saïd, Hubert et Vinz. Après avoir passé une journée à se battre contre tout et n’importe quoi représentant la société en général, ils finissent leur journée dans une exposition d’art moderne où l’artiste colle des objets d’apparence très enfantins dans des tableaux.

Le contraste entre, d’un côté, la vie problématique des jeunes marginaux confrontés à de nombreux problèmes et à une vie sans futur et, de l’autre, ce genre d’art fait sourire, à tout le moins, le spectateur. Évidemment, il s’agit d’un autre genre d’humour, plus corrosif, moins hilarant, associé à une critique et à une dénonciation de la société, mais il s’agit quand même d’humour.

Dans cette première catégorie, illustrée par les exemples (1) à (3), ce sont des signes non verbaux qui expriment l’humour. Le dialogue n’est pas dominant, car le rire est tout d’abord produit par la situation et l’interprétation des acteurs. C’est la force des images qui exprime le contenu humoristique, lequel n’a pas nécessairement besoin de s’appuyer sur des mots. On pourrait changer une grande partie ou la totalité du dialogue, voire l’éliminer totalement sans aucun problème. La traduction des échanges verbaux sera donc, généralement, littérale et ne présentera pas de difficultés, car ce sont les gestes, les bruits, les onomatopées, les images qui expriment l’effet humoristique indépendamment du pays ou de la culture d’accueil.

2.2. L’expression visuelle de l’humour renforcée par le texte

Dans cette catégorie de situations, l’humour exprimé par les images est renforcé cette fois par un dialogue. Il s’agit, pour nous, du procédé prototypique de production audiovisuelle de l’effet humoristique, qui résulte de l’union de deux modes distincts de communication. Le résultat est une augmentation de l’expressivité du message et de la scène et, par conséquent, de l’effet recherché chez le spectateur.

Dans l’exemple (4), Godefroy de Montmirail apprend que son château n’appartient plus à sa famille. Il promet alors à sa petite-petite-petite-petite-fillotte (Béatrice) qu’il va le lui racheter et que, dans le cas contraire, il étripera son propriétaire actuel (en fait le descendant de son valet, Jacquouille…). Il chante alors avec Jacquouille une sorte de chanson cruelle, tout en s’esclaffant, tandis que les hôtes, Béatrice et son mari Pierre-Henri, restent ahuris et stupéfaits.

Dans la version espagnole, le message est rendu, mais on note de nombreuses différences de forme, d’adaptations et de naturalisation d’éléments. Une rime dans deux vers de la version française (Limousin, matin, tripes) est remplacée par une rime de trois vers (Champaña, saña, maña) ; le traducteur a changé l’origine du bailli, le Limousin, pour la Champagne (Champaña). Il faut souligner ce gain du traducteur, toutefois, la chanson française est beaucoup plus agressive que celle de la version doublée. C’est ce contenu, que nous pourrions qualifier de sanguinaire, qui, associé à l’expression des visages des deux hommes ainsi qu’à la surprise et l’effroi de Béatrice et de son époux, provoque le rire du spectateur.

L’exemple (5) met en scène Pierre Brochant, éditeur, qui se moque de ceux qu’il qualifie de cons. Ceux-ci sont invités à des soupers pour être la risée de son groupe d’amis. Il a quelques problèmes avec sa victime du moment, François Pignon (nous sommes en présence du thème bien connu du moqueur ridiculisé[11]), et attend la visite d’un ami de ce dernier, censé lui apporter l’adresse d’un homme avec lequel sa femme le trompe. L’ami en question est inspecteur des impôts, et il est à craindre que le luxe dans lequel vit Brochant attise ses soupçons. Le seul vin disponible dans la maison étant un Château Lafite Rothschild 1978, l’inspecteur des impôts pourrait soupçonner un train de vie très élevé.

Cette scène qui ridiculise le snobisme de certains connaisseurs a un effet humoristique garanti. Les images seules permettent certes de suivre le fil de l’action grâce à des icônes expressives comme le gros plan sur l’étiquette de la bouteille de vinaigre, mais le dialogue renforce le contenu des images, notamment par la mention d’un vin qui vaut des centaines d’euros.

Le jeu de mots original sur le prénom Juste (Solo) est renforcé par l’interprétation magistrale de Jacques Villeret (dans le rôle de Pignon), dont l’air ahuri provoque le rire du spectateur, mais n’est pas rendu directement en espagnol.

Ces deux premières situations font appel à un humour bateau, commun à de nombreux pays. Ils jouent sur un comique de situation ou de caractère plus ou moins transposables d’un pays à l’autre. Dans les deux cas, l’interprétation gestuelle et orale des acteurs est fondamentale pour susciter une bonne partie du comique de la situation, même si le talent des acteurs de doublage n’est pas toujours à la hauteur de celui des acteurs d’origine.

2.3. L’expression humoristique dans le texte

Contrairement aux exemples analysés plus haut, certaines productions audiovisuelles, comme les films de Louis de Funès, du type Le gendarme de Saint-Tropez ou La soupe aux choux, ou, en anglais, celles des Monty Python se caractérisent par des dialogues qui deviennent prédominants dans l’expression de l’humour qui est alors plus complexe, plus fin, plus élaboré que celui véhiculé par les images. Le dialogue est une source essentielle d’informations que la traduction devra rendre. De nombreux films visent à attirer un large public national, bien caractérisé linguistiquement et culturellement, en lui transmettant de nombreux messages, sociaux, ethniques, en reproduisant une culture et une expérience commune, qui leur permettra de comprendre dans le cas de l’humour, les blagues, les jeux de mots et qui donnera beaucoup de mal aux traducteurs pour transcrire ces contenus dans une autre langue. Voyons l’exemple (7), tiré des Visiteurs :

L’humour est provoqué par le double sens du verbe baiser qui, au xiie siècle, s’utilisait dans le sens : « appliquer, poser sa bouche sur le visage, la main ou sur une partie du corps de (qqn) par affection, amour, respect »[12], tandis qu’à partir du xvie siècle est apparu le sens de : « posséder sexuellement une femme ». Ce double sens est bien difficile à rendre dans une autre langue par un seul mot ou une seule expression en respectant les limites de temps et la synchronie. De fait, dans la traduction en espagnol, le jeu de mots est perdu, mais le public hispanophone comprend tout de même la réaction de Pierre-Henri.

La difficulté d’exprimer dans un doublage l’humour contenu dans un texte se retrouve dans de nombreuses situations. L’analyse de différents contextes nous a permis de déterminer plusieurs sous-catégories.

2.3.1. Humour fondé sur des modalités linguistiques

Dans Les visiteurs, l’un des ressorts de l’humour est lié à l’usage de différences linguistiques diachroniques, de nature lexicale, entre le français du Moyen-Âge et le français moderne : tensions liées à l’évolution du sens (exemple [7]), usage de formes anciennes (exemple [8]) ou reprise de mots tombés en désuétude (exemples [9] et [10]).

Ainsi, dans l’exemple (9), le film utilise les formes en -ois (anglois) de l’ancien français, qui dans de nombreux cas sont devenus -ais au xviiie siècle, d’où l’usage actuel anglais[13].

En français, au xvie siècle, le mot réussissement[14] cohabitait avec la forme réussite (logro) qui a fini par s’imposer (exemple [9]).

Le terme brossoir, « petite brosse pour nettoyer les pièces sorties des moules[15] », très peu connu du grand public, a été employé dans le film de par sa ressemblance avec brosse et sa sonorité ancienne [10]).

Bien que, dans certains dialogues, le traducteur soit parvenu à utiliser des tours linguistiques en espagnol rappelant le Moyen-Âge, le procédé n’est cependant pas généralisé. Très fréquemment, comme dans les exemples (8) à (10), la référence a été perdue, ce qui entraîne une perte d’effet humoristique.

Certains effets humoristiques s’appuient, chez certains personnages, sur des différences de niveau de langue liées à une appartenance socioculturelle particulière, qui se traduisent par de nombreuses incorrections linguistiques. Dans l’exemple (11), le jeune Saïd utilise une concordance de temps incorrecte, l’indicatif au lieu du subjonctif qu’il vienne me voir.

Dans l’exemple (12), Ginette (la clocharde dont Jacquouille tombe amoureux) fait le même genre d’erreur :

Ce type d’erreur marque une absence d’éducation suscitant l’hilarité. Dans les deux cas, le traducteur n’a pas reproduit ces erreurs, qui deviennent alors imperceptibles pour le public hispanophone. L’incorrection de l’exemple (12) aurait pourtant pu être reproduit par si podieséis aconseguirme.

2.3.2. Humour culturel

Toute production audiovisuelle comprend de nombreuses références extralinguistiques connues et utilisées par le public d’origine. Ces références culturelles font partie de la vie quotidienne et peuvent se rapporter à une infinité de sujets (vie culturelle, musique, cinéma, télé, gastronomie, religion, goûts, coutumes, marques commerciales, etc.), d’autant plus difficiles à rendre dans la traduction qu’ils sont éloignés de la culture à laquelle appartient le traducteur.

De nombreux gags se fondent sur les références culturelles nationales, par exemple le football, le vin (voir l’exemple [5]), des personnalités connues.

2.3.2.1. Le football

L’exemple (13) contient de nombreuses références culturelles, rendues de façon variable en espagnol.

L’apostrophe Monsieur l’Auxerrois fait référence au fait que François Pignon est un supporter de l’équipe de football relativement modeste de la ville d’Auxerres, moins connue que l’Olympique de Marseille (l’OM). Cette équipe n’étant pas très connue en Espagne, le traducteur a utilisé le terme hincha qui fait référence aux supporters en général. Aux chiottes l’OM, aux chiottes l’OM, aux chiottes ! est chanté sur l’air bien connu en France pour, entre autres, encourager la sélection nationale de football : Allez les bleus… Tous les Français savent que l’OM est l’Olympique de Marseille. En traduisant par Olimpic, le traducteur a tenté de compenser la perte par une appellation plus générique. Enfin, le français est beaucoup plus vulgaire (et expressif) que la traduction espagnole : Abajo Olimpic (À bas l’Olympique).

2.3.2.2. Célébrités

Les références à des personnalités très connues dans une culture donnée constituent un moyen humoristique fréquemment utilisé, comme dans les deux exemples suivants (14, 15).

Le dialogue évoque Eddie Barclay, chanteur puis producteur très connu en France, Stéphanie de Monaco (qui se lança dans la chanson en 1986, et qui était familièrement appelée Stéph’ de Monac’ à l’époque) et Michel Drucker (présentateur célèbre d’émissions de variétés). Ces références spécifiques à la culture populaire française, utilisées dans un but humoristique, ne sont généralement pas connues ailleurs. Elles donnent beaucoup de fil à retordre aux traducteurs. Aussi, les allusions à Eddie Barclay et à Michel Druker, personnages inconnus pour le grand public espagnol, ont été remplacées respectivement par productor et par tele. Par contre, comme Stéphanie de Monaco est ou a été connue du grand public en Espagne, l’appellation familière a été adaptée et utilise la forme connue en Espagne (Stefi de Mónaco).

Cependant, les nombreuses références culturelles présentes dans les films ne correspondent pas toujours à un humour bateau. Parfois, elles représentent un humour beaucoup plus caustique, moins accessible d’emblée et plus difficile à comprendre par tous les spectateurs (exemple [16]).

Les trois jeunes protagonistes du film essaient de rendre visite à un ami de Saïd qui lui doit de l’argent. La concierge de l’édifice ne veut pas les laisser passer et les interpelle avec un accent portugais. Saïd l’apostrophe en l’appelant Linda de Suza, faisant ainsi référence au fait que, dans les années 60 et 70, nombre de Portugais et d’Espagnols immigrèrent en France et beaucoup y travaillèrent comme concierges. L’humour est sombre, teinté d’un racisme, jusqu’à un certain point paradoxal (Saïd est d’origine maghrébine et a un jeune Noir et un jeune Juif pour amis). La traduction de Linda de Suza par vieja bruja en espagnol, qui équivaut à vieille sorcière, fait perdre la référence culturelle ainsi que l’humour caustique. Dans les deux exemples, les références trop lointaines ont fait l’objet d’une naturalisation (domestication ; Venuti 1995).

2.3.3. Variations diastratiques et diatopiques

L’accent, l’inflexion et le ton de voix, donc l’interprétation des acteurs, constituent les éléments clés de la manifestation de l’humour et donc de la transmission de la culture. Il est fréquent que ces marques n’apparaissent pas dans les versions doublées, ce qui constitue une grande perte, car les valeurs et les connotations qui leur sont associées disparaissent alors pour les spectateurs espagnols. Ainsi, dans Les visiteurs, les variantes diastratiques sont tournées en dérision dans de nombreuses scènes de façon à susciter la moquerie à l’égard des classes sociales. Les manières, les accents et les manies de langage sont représentatifs de toutes les classes sociales.

Dans les exemples (17) et (18), le facteur culturel est essentiellement lexical et phonétique (accent).

Le facteur lexical ici correspond à l’emploi de certains mots typiques (hyper, hyper mal ; hyper chargée), mais c’est surtout l’accent qui est caractéristique. Cependant, la version doublée ne rend aucun des deux en espagnol : le traducteur n’emploie pas ces mots typiques ce qui constitue encore une perte pour le public cible. En Espagne aussi, nous pouvons retrouver cette dichotomie et de nombreux humoristes ou films reproduisent également ces accents si particuliers. La version doublée en espagnol n’emploie pas ces mots clés qui existent également et les voix des doubleurs ne reproduisent pas ces accents caractéristiques. Or, les snobs espagnols (dits pijos) ont un accent particulier et emploient de nombreux préfixes du genre super. Le doublage aurait donc pu y avoir recours.

Les variations d’accent en fonction des régions ou des pays (diatopie) sont également un procédé humoristique. L’exemple (19), tiré du Dîner de cons, met en scène la victime, François Pignon, qui imite l’accent et les tournures belges.

Les particularités lexicales (n’est-ce pas, une fois) et l’accent belge exagéré dans la scène, font classiquement rire les Français. Dans la version espagnole, on a remplacé l’accent belge par un accent français qui peut parfois également faire rire les Espagnols. Il y a cependant une petite incohérence, car la traduction conserve les mots belga et Bélgica.

2.3.4. Blagues et jeux de mots

Il est parfois possible de traduire des blagues tout en préservant l’effet humoristique et sans que l’adaptation soit nécessaire, comme dans l’exemple (20) :

Par contre, les jeux de mots demandent généralement à être adaptés pour rendre l’effet comique (exemple [21]) :

2.3.5. Humour à caractère sexuel

L’humour connoté sexuellement, notamment en ce qui concerne l’infidélité, est fréquent partout. Se comprenant facilement dans tous les pays, il est très utilisé par les humoristes.

L’exemple (22) évoque une situation d’autant plus comique que Pierre Brochant entend la conversation entre sa victime, François Pignon, et son interlocuteur, l’inspecteur des impôts Cheval, ce qui lui confirme qu’il est trompé par sa femme.

La situation deviendra encore plus loufoque lorsque l’inspecteur des impôts, archétype du personnage antipathique, apprend que c’est lui que sa femme trompe avec Meneaux. La traduction est ici toute naturelle et littérale et ne nécessite alors aucune adaptation particulière.

Dans l’exemple (23), les trois protagonistes rebelles cherchent à draguer des jeunes filles dans l’exposition qu’ils n’apprécient pas (voir exemple [3]). Hubert va engager la conversation avec deux jeunes filles pour les présenter à Saïd. Il le fait assez facilement, car il se montre aimable et charmeur. Mais Saïd est trop direct et choque les jeunes filles. Finalement, la présence de Vinz, qui est le plus agressif des trois, fait qu’au lieu de draguer et de discuter gentiment, tout se termine en une altercation. La tension monte et Vinz demande à une des deux filles si elle se prend pour la fille du Wonderbra (une marque de sous-vêtements féminins). Le film utilise ici l’humour pour faire baisser la tension.

Étant donné que les produits de marque Wonderbra sont commercialisés internationalement, l’adaptation n’est pas nécessaire.

5. Conclusion

Le traducteur devrait être capable de comprendre toute l’information (linguistique et extralinguistique) présente dans les dialogues et les images d’un texte audiovisuel, car c’est de cette somme de signifiés que naîtra l’humour. Il devrait être également capable de transmettre cet humour dans la version traduite puis doublée ou du moins de produire le même effet humoristique. Cependant, les éléments linguistiques et extralinguistiques ne sont pas toujours transposables dans une autre langue ou culture.

Si nous résumons les résultats de l’analyse, nous observons qu’en aucun cas la version doublée ne produit un effet humoristique supérieur à celui de la version originale. Dans la première situation (exemples 1 à 3), l’expression uniquement visuelle de l’humour à travers les images n’entraîne pas de difficulté de traduction puisque la perception de l’humour est très similaire.

L’expression de l’humour à travers les images renforcées cette fois par un dialogue (exemples 4, 5, 6) s’appuie également sur l’aspect comique de certaines situations qui sont généralement plus ou moins transposables ou compréhensibles d’un pays à l’autre. Ceci sera généralement le cas, à l’exception de gestes, de conventions culturelles propres à un seul pays (Chaume 2004)[16]. Les images transmettent à elles seules le comique de la situation, cependant le dialogue renforce l’humour. La présence du dialogue implique une traduction qui sera selon le contenu et les langues concernées :

  • totalement littérale ;

  • partiellement littérale avec un renforcement du caractère étranger de la production audiovisuelle ;

  • non littérale avec une naturalisation des références culturelles.

L’humour présent dans le texte et les dialogues est beaucoup plus recherché et complexe et sa réception en traduction est inférieure dans tous les cas, excepté dans les exemples (20), (22) et (23) qui utilisent un humour commun à toutes les sociétés (sexuel, économique) sans jeux de mots ni références culturelles. Les procédés adoptés sont :

  • la traduction littérale dans le cas de jeux de mots ou blagues qui transmet le même genre d’humour ;

  • la traduction littérale qui fait perdre une partie du ou des sens ;

  • la traduction littérale qui oublie ou laisse de côté une phrase à contenu humoristique ;

  • la traduction qui ne tient pas compte du contenu diachronique de certains mots ;

  • la traduction-adaptation qui naturalise des contenus.

La présence de texte implique nécessairement la traduction. Selon les éléments linguistiques et extralinguistiques en présence, il peut ne pas y avoir de possibilité de recourir à une correspondance littérale, car celle-ci impliquerait automatiquement la non-compréhension de certains éléments par le public. Cette difficulté oblige alors le traducteur à rechercher une équivalence fonctionnelle (Nida 1964).

Dans les trois films analysés, le traducteur a adopté différentes solutions pour transférer ces éléments (traduction littérale, renforcement du caractère étranger du dialogue, naturalisation des références culturelles). Cependant, dans plus de 90 % des cas où il n’y a pas de traduction littérale, la solution adoptée par le traducteur pour transférer ces éléments a été de les naturaliser. Le traducteur a donc réalisé une traduction communicative, car son objectif principal a été de reproduire le même effet ou, du moins, le plus similaire à l’original.