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Cet ouvrage collectif publié dans la sous-collection Images et sons a pour volonté de pallier le manque d’études disponibles en français dans le domaine de la traduction audiovisuelle (TAV). Il propose donc quinze articles présentés dans le cadre du colloque international « La traduction audiovisuelle : approches pluridisciplinaires » tenu en 2008 à l’Université Montpellier 3 et répartis en cinq parties de longueur inégale puisque, sans grande surprise, doublage et sous-titrage s’octroient la part du lion.

La première partie, Traduction, adaptation et réception, pose deux questions majeures et trop souvent ignorées par les chercheurs. Ainsi, Jean-François Cornu cherche à savoir quelle influence un public mieux informé pourrait avoir sur l’avenir de la TAV en termes de choix du mode (sous-titrage ou doublage) mais aussi sur qualité des traductions proposées. Teresa Tomaszkiewicz se demande plutôt « jusqu’à quelles limites l’ingérence du traducteur dans l’original est-elle acceptable » et prouve par l’exemple que le traducteur audiovisuel se doit d’être créatif s’il veut satisfaire le public polonais des films d’animation. Enfin, Eugénie Zvonkine s’intéresse au cas particulier des voice over présentés dans le cadre de festivals, lorsque les films viennent de pays à langues de faible diffusion. Plus particulièrement, elle étudie les divergences qui résultent de l’emploi d’une langue relais, souvent l’anglais, ou d’une langue interface, culturellement ou linguistiquement plus proche de la langue d’origine.

La deuxième partie, Aspects culturels du sous-titrage et du doublage, présente quatre études de cas ; chacune illustre un aspect différent du traitement des éléments culturels en TAV, dont les contraintes complexifient déjà le travail du traducteur. Dans le premier chapitre, Christian Viviani retrace rapidement l’histoire du cinéma et plus particulièrement les débuts du doublage dans les années 1930. Il s’intéresse ensuite à l’âge d’or du cinéma italien (1958-1972) durant lequel nombre de films ont été tournés, muets, avec des acteurs connus et doublés par des voix qui permettaient une certaine distanciation entre l’acteur et son personnage ; ainsi naît une « créature » cinématographique, fruit du jeu d’un acteur et du travail dans l’ombre d’un doubleur, dont le résultat est supérieur à la somme des parties. En conclusion, l’auteur affirme/pose/estime/… que le doublage « se place bien au-delà d’une nécessité technique, pragmatique ou bassement économique ». Tatiana El-Khoury dresse, quant à elle, le portrait du sous-titrage, mode de TAV dominant dans les pays de langue arabe. Le sous-titrage y a été choisi pour des raisons économiques et politico-idéologiques, mais surtout pratiques, puisque l’arabe littéraire est une forme écrite plus que parlée. El-Khoury constate l’aseptisation des dialogues traduits, en raison de contraintes linguistiques (l’arabe littéraire se prête mal à la restitution de niveaux de langue) mais aussi institutionnelles (les allusions religieuses ou sexuelles sont souvent censurées), et conclut que le sous-titreur véhicule les valeurs de son époque. Cristina Valentini présente, dans le troisième chapitre, le corpus de la base de données multimédias Forlixt 1 de l’Université de Bologne. Elle analyse ensuite la traduction de noms de personnes célèbres, de lieux, de produits culturels et commerciaux, ainsi que d’aliments et de boissons, et observe une certaine tendance à l’étrangéisation, sauf si leur présence a un rôle central à l’acte de communication (dans le cas de l’humour verbal par exemple) ou, à l’inverse, accessoire (et donc effaçable). En conclusion de cette partie, Manar Rouchdy Anwar cherche à savoir « comment la traduction sous-titrée pourrait lever les barrières de l’incompréhension d’une certaine culture » et s’attache à l’implicite culturel pour constater que le traducteur a une mission qui va bien au-delà de la simple traduction et qu’il devrait se faire « le second metteur en scène du film ».

La troisième partie, intitulée Traduire les émotions, regroupe deux articles qui n’ont comme seul point commun que leur sujet. Valeria Franzelli décrit la colère comme une entité de sens filmique dans laquelle les signes audiovisuels ajoutent aux ressources verbales du film. Cristina Varga s’intéresse plutôt au rire, en prenant l’exemple de la série Kaamelott. Elle illustre que « traduire pour rire » implique le transfert du message, mais aussi de sa fonction communicative.

Les deux dernières parties de l’ouvrage, Enjeux et défis du surtitrage et Traduction audiovisuelle et accessibilité aux médias, se concentrent sur deux aspects moins « classiques » de la TAV, soit le surtitrage et les besoins des personnes sourdes et malentendantes. Dans la quatrième partie, Bruno Péran constate que le surtitrage est une activité relativement récente (datant des années 1990) qui demeure à définir. Il souligne que, dans le cas des opéras, il s’agit d’une traduction contrainte d’un texte lacunaire, qui se doit d’être complété par les choix de mise en scène, mais que sa dimension esthétique demeure méconnue. Yvonne Griesel s’intéresse plutôt aux pièces de théâtre jouées en langue étrangère et surtitrées mais rejoint Péran, en ce qu’elle appelle les traducteurs à ne pas prendre uniquement en considération les transferts linguistiques. Enfin, Agnès Surbezy, ajoutant à la problématique des transferts linguistiques et culturels, présente l’adaptation d’une oeuvre classique (Don Quichotte) en version hip-hop et l’affrontement de deux époques et de deux genres.

La dernière partie encourage la prise de conscience par tout traducteur de l’existence d’une tranche de son public aux besoins particuliers. Paméla Grignon et Nathalie Blanc débutent par un constat : si la population sourde et malentendante ne peut appréhender un film que par le biais des sous-titres, l’apprentissage de la lecture est, pour elle, plus difficile et environ le tiers des étudiants sourds quittent l’école fonctionnellement illettrés. Cette étude démontre que la population sourde ou malentendante, si elle n’a pas de problème majeur à comprendre l’intrigue du film et la succession des événements, se distingue du reste de la population par ses difficultés à saisir les émotions des personnages qui sont apparentes dans les dialogues, mais non dans les images. En effet, quelles que soient leurs aptitudes en lecture, les personnes sourdes ou malentendantes comptent plus que les autres spectateurs sur les informations disponibles dans l’image. Pierre Guitteny retrace quant à lui rapidement l’histoire des personnages sourds au cinéma puis établit un parallèle entre langue des signes et scénario avant de lancer un appel à une plus grande présence de la langue des signes à la télévision (en remplacement du sous-titrage pour sourds et malentendants). Enfin, Yola Le Caïnec et Roselyne Quéméner analysent un court-métrage destiné, dès sa conception, aux handicapés visuels et auditifs et les décisions prises à chaque étape qui tiennent compte davantage de la spécificité du public que du scénario.

En conclusion, apprécier pleinement cet ouvrage, qui présente plusieurs études de cas, exige une connaissance préalable du domaine. Il ne sera donc pas d’un grand secours aux chercheurs débutants voulant acquérir ou asseoir des connaissances théoriques. Par contre, les articles devraient aiguillonner la curiosité de chercheurs plus expérimentés intéressés par les domaines connexes à leur champ de spécialisation. Les études de cas, d’une qualité inégale, soulèvent en conclusion de nouvelles questions, pour qui voudrait connaître les enjeux actuels. Un tiers des études proposées se démarquent, notamment l’étude de Teresa Tomaszkiewicz qui mériterait d’être reproduite dans d’autres langues ; l’article de Christian Viviani que l’on souhaiterait voir appliquer aux doublages modernes ; la préoccupation de Bruno Péran et Yvonne Griesel quant au rôle esthétique du surtitrage, qui pourrait s’avérer pertinentes aux autres modes de TAV ; et, enfin, dans la mesure où les sous-titres interlinguistiques sont souvent le seul moyen pour la population sourde et malentendante de profiter d’une oeuvre filmique ou télévisuelle, l’étude de Paméla Grignon et Nathalie Blanc devrait être diffusée plus largement, afin que les traducteurs débutants comprennent mieux la diversité de leur public cible et leurs obligations.

Une lecture à recommander aux chercheurs en quête de nouvelles voies à explorer.