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Au cours des dernières décennies, la plupart des pays de l’OCDE ont introduit de nombreux changements dans la gestion de leur secteur public, rapprochant celle-ci du management des entreprises. Ces réformes, plus ou moins radicales, s’appuyant sur une critique de la bureaucratie peuvent pour la plupart être rattachées à la nouvelle gestion publique ou nouveau management public. Elles ont ainsi poursuivi des objectifs convergents : décentraliser les pouvoirs de décision, améliorer les performances et l’attractivité du secteur public, réduire les coûts... Se dessine désormais le contour d’une « nouvelle gestion publique des ressources humaines », construite en grande partie en contrepied du modèle bureaucratique et caractérisée par la contractualisation des relations d’emploi, la flexibilisation des rémunérations et notamment la généralisation de la rémunération des performances, l’accent sur la professionnalisation plus que sur l’indépendance vis-à-vis du politique.... Cependant, cette vision univoque masque d’importantes différences de degré dans les réformes engagées : le principe de la fonction publique de carrière demeure présent dans de nombreux pays européens : à quelques exceptions notables, la nomination unilatérale des agents publics demeure la règle dans un grand nombre de pays. Les pays ayant engagé des réformes extrêmes sont finalement une minorité. Les réformes engagées sont finalement diverses d’un pays à l’autre, tant il faut bien constater qu’au-delà de certaines convergences managériales, les changements en termes de gestion des personnels publics demeurent très fortement contingents aux conditions institutionnelles, à la culture et aux traditions administratives propres à chaque pays, voire même à chaque niveau de gouvernance.

Presque trente ans après ses premières mises en oeuvre, et malgré les apports incontestables des réformes engagées, le modèle du nouveau management public subit un ensemble croissant de critiques, portant sur ses fondements mais aussi sur les applications dont il a fait l’objet : perte d’efficacité liée à la primauté de l’efficience, généralisée au risque de négliger la réponse aux besoins de société (Bozeman, 2007), effets pervers de la gestion par les indicateurs (Talbot, 2010)… De même, le bilan des changements apportés à la GRH dans le secteur public n’est pas exclusivement positif. Il n’est pas rare que les réformes de gestion des ressources humaines ne produisent pas les effets escomptés en termes d’efficacité, voire demeurent de pure forme. Mais au-delà de la difficulté à transformer durablement les pratiques, les réformes de la GRH sont également porteuses de paradoxes et de tensions que les agents publics subissent et avec lesquels ils doivent composer (Emery et Giauque, 2007). Les analyses mettent également l’accent sur les défauts de cohérences des changements impulsés et l’inadaptation aux contextes. Les changements introduits sont également accusés d’alimenter une crise des valeurs et de l’éthos publics.

Dans ce contexte, les nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines dans le secteur public, se doivent aussi d’être analysées pour en mesurer les incidences. L’objectif de ce dossier est ainsi de tirer un bilan des réformes menées, dans une perspective internationale, en se focalisant sur les dimensions ayant trait à la gestion des personnels publics. Plus précisément, il s’articule autour de quatre recherches empiriques et, ensuite, fait la place à deux textes de réflexion plus synthétique.

Ce dossier est introduit par un texte portant sur les effets de changements dans le secteur public. Emmanuel Abord de Chatillon et Céline Desmarais (Université de Savoie), dans un texte intitulé « Le Nouveau Management Public est-il pathogène ? » s’interrogent sur les effets des changements liés au nouveau management public sur les risques psychosociaux. Si les effets négatifs du nouveau management public en termes de charge de travail et de pression pour les agents ont été évoqués par la littérature reposant sur des données qualitatives, cette étude innove en analysant de manière quantitative l’impact de ces changements sur la souffrance au travail, notamment l’épuisement professionnel, au sein d’une collectivité territoriale française. L’analyse, réalisée sur un échantillon de 1118 agents publics, permet d’indiquer que le Nouveau Management Public présente un impact sur l’épuisement professionnel par l’intermédiaire de ses effets sur la charge de travail perçue par les agents et sur le climat de violence psychologique.

La seconde recherche présentée se penche sur la conduite du changement dans le secteur public et, plus précisément, sur les rôles et la construction identitaire des cadres intermédiaires dans le processus de changement des collectivités publiques. Valérie Fergelot et David Alis (Université de Rennes 1) montrent comment les cadres intermédiaires sont à la fois acteurs et objets des transformations induites par les réformes qui sont adoptées dans les services publics. Cette recherche qualitative, menée dans deux collectivités publiques françaises, décrit et modélise le rôle des cadres dans le développement du sens (« sensemaking ») et son partage (« sensegiving »), en vue de la légitimation, la réalisation et l’appropriation d’un changement. Après avoir analysé ces deux dimensions du rôle des cadres dans le contexte et le processus de changement, le texte propose des avenues de recherche à explorer.

La troisième recherche, menée par Denis Bernardeau Moreau (Université Paris Est Marne la Vallée), François Grima (Université Paris Est-RMS) et Pascal Paillé (Université de Laval), se penche sur un phénomène en émergence : l’impact des partenariats entre les secteurs public et privé sur les comportements et le positionnement des agents, qui se retrouvent chargés de la gestion de services publics dans un cadre juridique strictement privé et marchand. Plus précisément, cette étude analyse comment des managers du privé gérant des piscines publiques développent diverses formes de compromis et d’arrangements. Les résultats montrent que les partenariats public-privé génèrent des épreuves qui résultent d’abord en une stratégie d’exclusion des agents les plus récalcitrants, pour ensuite inciter les managers à chercher un compromis permettant de rapprocher le monde marchand propre au secteur privé avec le monde civique spécifique au service public, « un service public marchand ». Ainsi, une politique de développement d’un management de proximité peut déboucher sur un métissage des valeurs, favorable à la satisfaction des usagers.

La dernière étude, qui analyse l’introduction d’une logique de compétences dans le secteur public, a été menée par Anissa Ben Hassine (Université de Tunis), Olfa Zeribi et Salma Baouab (Université de Carthage). Le texte propose une démarche visant précisément à établir un profil des compétences des gestionnaires dans ce secteur en Tunisie. Les résultats montrent qu’il existe une tension entre des compétences « bureaucratiques », associées à une tendance à la verticalité des relations et au respect des procédures administratives, et des compétences managériales liées à la recherche d’un meilleur partage des informations, un accent sur l’éthique et sur le développement des capacités de gestion, de vision et de pilotage des politiques publiques. Ainsi, il semble que l’administration publique tunisienne souhaite trouver en son sein les moyens de réinventer les solutions bureaucratiques tout en les adaptant aux défis du nouveau management public.

Le dossier se clôt sur deux textes de réflexion sur la rémunération de la performance dans le secteur public. Le premier de ces textes analyse les effets de l’individualisation des modes de rémunération dans un secteur en particulier, le secteur public hospitalier français. En France, l’adoption d’une « rémunération à la performance » pour les chirurgiens hospitaliers et son extension probable à l’ensemble des médecins du secteur public représente un changement majeur. Les auteurs, Virginie Forest (Université de Lyon – IUT Lyon) et Alban Verchère (Université de St-Etienne), analysent tout d’abord les fondements de la rémunération à la performance dans le cadre de la théorie de l’agence. Ils traitent ensuite des difficultés pratiques de mise en oeuvre d’un tel système dans le contexte hospitalier ainsi que des limites d’une gestion individualisée des rémunérations dans le secteur public.

Le second texte de réflexion, écrit par Sylvie St-Onge (HEC Montréal) et Marie-Laure Buisson (Université unique d’Aix-Marseille) propose un bilan des connaissances sur la rémunération au mérite dans le secteur public. Après avoir décrit ce que le secteur public des États-Unis, de l’Angleterre et de la France font en matière de rémunération basée sur la performance individuelle, l’article présente une synthèse des résultats des études ayant analysé les incidences de la rémunération au mérite dans le secteur public. Les auteures constatent ensuite que la rémunération au mérite dans le secteur public comporte des limites semblables à celles qui ont été identifiées dans le secteur privé mais qu’en sus, le secteur public présente des contraintes particulières additionnelles. Se pose alors la question : pourquoi de nombreux États persistent-ils à adopter et à maintenir la rémunération au mérite ? Pour expliquer ce paradoxe, les auteures s’appuient sur les perspectives des théories institutionnelle et conventionnaliste qui montrent que l’adoption d’une pratique de gestion ne relève pas uniquement de sa performance « technique » présumée ou objective. Le texte se termine en proposant des avenues de recherche prometteuses pour mieux comprendre les enjeux et les défis de la rémunération au mérite dans le secteur public.

Les mutations en cours et à venir de la GRH dans les organisations publiques font de ces questions un domaine de recherche émergent en sciences de gestion. Le présent dossier témoigne de la diversité des problématiques et des enjeux que suscitent ces transformations. Au-delà de l’analyse des effets des nouvelles pratiques, la recherche s’oriente désormais vers une analyse de l’hybridation des pratiques de gestion des ressources humaines qui émergent suite à la juxtaposition de modèles bureaucratiques et managériaux et vers la définition de modèles de gestion post NPM.