Corps de l’article

Les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) représentent un groupe d’affections neurodégénératives qui comprend principalement, chez l’homme, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, et, chez l’animal, la tremblante du mouton et l’encéphalopathie spongiforme bovine. Également appelées maladies à prion, ces affections peuvent avoir une origine sporadique, infectieuse ou génétique. L’agent infectieux à l’origine de ces maladies est dit non conventionnel et serait de nature protéique [1] ((→) m/s 2002, n°1, p. 62). Cette hypothèse, qui implique une transmission de l’information indépendante de tout matériel génétique, est encore très controversée. L’événement central de la pathogénie de ces maladies semble être la conversion d’une protéine appelée PrPC (forme cellulaire de la protéine du prion) en une isoforme pathogénique appelée PrPSc (forme scrapie de la PrP) [2]. Les événements qui conduisent à la transmission ou à la propagation des prions ne sont pas détaillés dans cet article. En revanche, cette synthèse se focalise sur la biologie de la PrPC dont la compréhension semble essentielle pour appréhender la fonction de la protéine et les conséquences de sa conversion en PrPSc au cours de la maladie.

Du gène à la protéine: structure et expression de la protéine prion

La PrPC est une glycoprotéine de 33 à 35 kDa codée par un gène unique localisé sur le chromosome 20 humain (PRNP) et le chromosome 2 murin (Prnp) [3]. L’analyse des séquences nucléotidiques a montré que ces gènes étaient morcelés, mais que la phase de lecture codant pour la protéine était comprise dans un seul exon (Figure 1). Le gène de la PrPC est exprimé de manière constitutive dans la plupart des tissus, avec néanmoins une expression plus importante dans le cerveau. Chez les rongeurs, l’expression du gène Prnp varie au cours du développement, avec une augmentation de son expression dès le 10e jour embryonnaire [4]. Il existe à l’heure actuelle très peu de données sur la région régulatrice du gène de la PrPC, qui a les caractéristiques générales d’un gène dit de « ménage » contrôlé par des facteurs transcriptionnels ubiquitaires [5, 6].

Figure 1

Du gène à la protéine.

Du gène à la protéine.

Le gène codant pour la PrPC est localisé sur le chromosome 20 humain au locus p12-pter. La région promotrice du gène PRNP humain est suivie par un exon 1 (E1) transcrit non traduit de 134 paires de bases (pb), d’un intron de 12 696 pb et d’un exon 2 (E2) de 2 355 pb incluant la phase ouverte de lecture de 759 pb et une région 3’ transcrite non traduite [5]. Chez la souris et chez le mouton, il existe un exon non traduit supplémentaire de 99 pb localisé 2 303 pb en aval de l’exon I [51]. Par ailleurs, le gène Prnp de souris possède deux promoteurs distincts en amont des exons non traduits en 5’ [52]. Le site d’initiation de la transcription localisé dans l’exon 1 (flèche) permet l’expression d’un ARNm qui contient une région 5’ non traduite de 168 nucléotides, un site d’initiation de la traduction (AUG) définissant la phase ouverte de lecture codant pour la PrPC et une région 3’ transcrite non traduite de 1 562 nucléotides contenant un site unique de polyadénylation.

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La structure de la PrPC est représentée sur la Figure 2A. Elle possède un peptide signal hydrophobe de 22 acides aminés dans la région amino-terminale qui permet sa translocation dans le réticulum endoplasmique (RE). Dans cette même région, on trouve une répétition de 5 octapeptides de séquence consensus PHGGGWGQ puis, dans une région plus centrale, un domaine hydrophobe très conservé dans toutes les espèces. Une séquence hydrophobe localisée dans la région carboxy-terminale contrôle l’ajout d’une ancre glycosyl-phosphatidylinositol (GPI). La PrPC des mammifères contient deux sites de glycosylation et deux résidus cystéines reliés par un pont disulfure. L’analyse par RMN (résonance magnétique nucléaire) de PrPC recombinantes de souris ou de hamster révèle que la région amino-terminale de ces protéines est très flexible et peu structurée dans les conditions expérimentales utilisées [7]. Le domaine carboxy-terminal présente une structure globulaire constituée de deux feuillets β et de trois hélices α (Figure 2, A et B) [8].

Figure 2

Structure de la PrPc.

Structure de la PrPc.

A. Structure primaire de la protéine prion chez l’homme. La PrPC humaine possède un peptide signal (résidus 1-22) qui est clivé après l’entrée de la molécule dans le réticulum endoplasmique (RE). Par suite du clivage d’une séquence hydrophobe dans la partie C-terminale, une ancre glycosyl-phosphatidylinositol (GPI) sialylée est attachée au niveau du résidu 230. Un pont disulfure relie les deux cystéines 179 et 214. La PrPC peut être non-, mono- ou di-glycosylée au niveau des deux asparagines 183 et 199. Au cours du trafic intracellulaire, 1 à 5 % des molécules sont clivées entre les résidus 111 et 112 (α) dans une région α hydrophobe très conservée (crochet, résidus 111 à 134). Un deuxième site de clivage (β) semble exister dans une région répétée de 5 octapeptides (résidus 51 à 90). Cette région qui contient notamment des résidus histidine est capable de lier entre 4 et 6 atomes de cuivre avec une affinité croissante. L’étude en RMN de la protéine recombinante a montré que la moitié N-terminale de la molécule (résidus 23 à 120) était non structurée, alors que deux petits feuillet β (B1 et B2, résidus 128-131 et 161-164) et trois hélices α (A1, A2 et A3, résidus 144-156, 172-193 et 200-227) sont retrouvés dans la région C-terminale. B. Structure de la PrPC à la surface cellulaire. La chaîne polypeptidique de PrPC est ancrée à la membrane plasmique par son ancre GPI (violet foncé). Elle possède deux N-glycanes (violet clair) attachés dans la région C-terminale globulaire de la molécule. C. Formes topologiques de la PrPC. La maturation normale de la PrPC conduit à une protéine privé de son peptide signal N-terminal, ancrée à la surface membranaire par son ancre GPI. Les sites de glycosylation peuvent être occupés par des N-glycanes complexes. Mais la PrPc possède aussi deux séquences qui participent à la production de formes transmembranaires de la protéine: une séquence STE pour stop transfer effector (rose) et une région hydrophobe ou TMD pour trans membrane domain (vert clair). La CtmPrP a son extrémité C-terminale située dans la lumière du RE. Outre le domaine transmembranaire, elle est ancrée par une ancre GPI. Son peptide signal N-terminal n’est pas clivé et ses glycanes ne sont pas matures. La forme NtmPrP, quant à elle, a une orientation inverse et ses sites de glycosylation ne sont donc pas utilisés. Cette forme a été décrite principalement in vitro.

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Biosynthèse de la PrPC

Une protéine pour trois formes topologiques

La PrPC, glycoprotéine présente à la surface cellulaire, suit un cheminement biosynthétique classique (Figure 3). Une fois transportée dans le réticulum endoplasmique et après clivage du peptide signal amino-terminal, la protéine transite jusqu’à la membrane plasmique. Néanmoins, il a été décrit deux autres formes topologiques de la molécule (CtmPrP et NtmPrP) qui possèdent un domaine transmembranaire correspondant à la séquence hydrophobe conservée de la molécule située entre les positions 111 et 134 (Figure 2C) [9]. L’extrémité carboxy-terminale de la CtmPrP est orientée dans la lumière du réticulum endoplasmique. Outre le domaine transmembranaire, la CtmPrP est fixée par une ancre GPI et présente la particularité de conserver son peptide signal amino-terminal [10]. La forme NtmPrP présente une orientation inversée par rapport à la CtmPrP et n’est donc ni glycosylée, ni glypiée [9]. Ces formes ont été initialement observées dans un système de traduction in vitro [11]. Par la suite, la CtmPrP a pu être détectée in vivo et en culture cellulaire [9, 12, 13]. Le mécanisme précis aboutissant à ces formes est encore très largement incompris. Il pourrait impliquer trois séquences clés: le peptide signal, une séquence STE (stop transfer effector) (position 103-111) qui induit une pause dans la translocation de la protéine, et la séquence hydrophobe (TMD, trans membrane domain) (acides aminés 111-134) qui permet l’ancrage de la protéine sous une forme transmembranaire stable (Figure 2C) [9, 14]. La proportion relative des trois isoformes serait déterminée à la fois par la séquence STE et par des facteurs cytosoliques [15].

Figure 3

Cheminement cellulaire de la PrP.

Cheminement cellulaire de la PrP.

Après sa synthèse, la chaîne polypeptidique de la PrPC est transloquée dans le réticulum endoplasmique (RE). Normalement, cette translocation est complète et conduit au clivage du peptide signal N-terminal et à l’attachement de l’ancre GPI (glycosylphosphatidylinositol). Dans certains cas, la translocation de la molécule n’est pas complète, engendrant ainsi des formes transmembranaires qui s’accumulent dans le RE (Figure 2C) avant d’être dégradées dans le cytoplasme par le protéasome. Ce passage de la PrP dans le cytoplasme pourrait expliquer la détection par certains auteurs de la molécule dans le noyau. La PrPc transloquée poursuit sa maturation dans l’appareil de Golgi où un second contrôle de qualité peut conduire au transport des molécules anormales vers les lysosomes. La PrPC s’associe aux DRM (detergent resistant microdomains) et se retrouve ensuite à la surface plasmique. Elle est l’objet d’un processus continu d’endocytose et de recyclage au cours duquel une fraction des molécules est clivée en deux sites dans leur partie N-terminale. TGN : trans-Golgi network.

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Il a été proposé que l’accumulation de la forme CtmPrP soit responsable de la neurodégénérescence observée dans les ESST génétiques et infectieuses [10, 12, 13]. Cependant, ce lien de causalité ne semble pas absolu car certaines mutations pathologiques de la PrP ne semblent pas favoriser la production de CtmPrP [10].

Contrôle/qualité des protéines et protéasome

Les ESST humaines ont une incidence très faible, indiquant que la formation spontanée de PrPSc est un processus rare. Une des caractéristiques de ces maladies réside dans la capacité de la PrPC d’adopter des conformations multiples, soit de manière spontanée (forme sporadique), soit à la suite de mutations (forme génétique) ou encore par conversion (forme infectieuse). Des mécanismes cellulaires assurent normalement la détection et la dégradation rapide des protéines de conformation incorrecte. Chez les eucaryotes, un des principaux points de contrôle est localisé dans le réticulum endoplasmique où les protéines anormales sont stockées avant d’être exportées dans le cytoplasme puis dégradées par le protéasome (pour revue, voir [16]). Plusieurs études ont montré récemment qu’un tel système était impliqué dans la dégradation de PrP mutées pathologiques [13, 17], mais également de la PrPC elle-même [6, 18]. Ainsi, quand l’activité du système de contrôle/qualité des protéines est altérée artificiellement, notamment par des inhibiteurs du protéasome, environ 10 % de la PrPC se retrouve dans le cytoplasme. Cette forme, qui est déglycosylée et ubiquitinylée, se présente en agrégats insolubles et résistants à la protéinase K, deux des caractéristiques de la PrPSc. Ces résultats suggèrent qu’il existe un flux constant de PrPC du réticulum endoplasmique vers le cytoplasme en situation non pathologique. Ce flux pourrait augmenter dans le cas de dysfonctionnements du protéasome dû au vieillissement ou à un stress et avoir des conséquences pathologiques. Tout d’abord, cette PrPC qui présente des caractéristiques proches de la PrPSc pourrait expliquer l’apparition des ESST sporadiques. Par ailleurs, elle pourrait rendre compte de la neurodégénérescence observée dans les formes génétiques où les PrP mutantes s’accumulent dans le réticulum endoplasmique et pourraient activer certaines voies de signalisation liées au stress du réticulum. Cette localisation cytoplasmique de la PrPc pourrait également expliquer, d’une part, l’interaction de la PrPc avec des partenaires tels que Bcl-2 ou Hsp60 (Tableau I) et, d’autre part, la présence de la protéine dans le noyau par un transport actif via un signal de localisation nucléaire présomptif situé dans la région amino-terminale [19-21]. Pour conclure, il semble exister également une deuxième étape de contrôle au niveau de l’appareil de Golgi, au cours de laquelle les PrPc possédant une conformation anormale seraient redirigées vers les lysosomes pour y être dégradées [22].

Tableau I

Protéines interagissant avec la PrP.

Protéines interagissant avec la PrP.

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Cheminement intracellulaire, clivage et dégradation

Tout au long de son cheminement dans le réticulum endoplasmique puis dans l’appareil de Golgi, la PrPC va subir des modifications post-traductionnelles (glycosylation, ancrage GPI, formation d’un pont disulfure (pour revue, voir [23]). Dès son passage dans l’appareil de Golgi, la PrPC est concentrée, comme la plupart des autres protéines à ancre GPI, dans de larges domaines enrichis en cholestérol et en sphingolipides. Ces complexes correspondent à des microdomaines spécialisés de la membrane plasmique appelés raft ou DRM (detergent resistant microdomains). Outre la PrPC, ces DRM contiennent également plusieurs molécules impliquées dans des voies de signalisation comme les tyrosine kinases de la famille Src et les protéines G. En revanche, les DRM contenant la PrPC semblent avoir une composition lipidique différente de ceux contenant des molécules à ancre GPI classique comme Thy-1 [24]. Cela pourrait expliquer pourquoi la PrPC, ainsi synthétisée et exprimée à la membrane, est rapidement « endocytée » de la surface membranaire à la différence de Thy-1 qui y est très stable. Cette endocytose semble suivre principalement les puits de clathrine [25]. Cette voie nécessite une interaction directe avec la clathrine et suggère ainsi que la PrP interagisse directement ou indirectement avec des molécules transmembranaires (Figure 4). La région amino-terminale de la molécule joue un rôle crucial dans cette étape d’internalisation [26]. En effet, le clivage physiologique (voir plus loin) ou la délétion de ce domaine abolit l’endocytose. Après l’internalisation de la PrPC, la majorité des molécules va être recyclée à la surface cellulaire et un faible pourcentage est dirigé vers les lysosomes pour y être dégradé [27]. Au cours de ce cycle, 1 à 5 % des molécules vont subir un clivage dans la région centrale hydrophobe entre les acides aminés 111 et 112 (site α, Figure 2A). Ce clivage semble réglé par la protéine kinase C et implique les métalloprotéases TACE et ADAM10 [28, 29]. Il est intéressant de noter que ce clivage détruit la région hydrophobe de la PrPC qui est décrite comme neurotoxique et que la PrPSc, probablement en raison du changement conformationnel de la protéine, n’est pas clivée au site α. La molécule clivée est ensuite ré-exprimée à la surface cellulaire où elle reste jusqu’à sa dégradation. Il existe un autre site de clivage de la PrP situé en amont du site α, dans la région des octapeptides (site β, Figure 2A). Ce clivage, principalement décrit pour la PrPSc [30], semble dépendre à la fois de la présence de cuivre et de radicaux libres [31].

Figure 4

Interaction de la PrP avec d’autres protéines à la surface cellulaire.

Interaction de la PrP avec d’autres protéines à la surface cellulaire.

A. Endocytose. La PrPC (vert foncé) est endocytée rapidement à la surface cellulaire contrairement à d’autres molécules à ancre GPI telle que Thy-1. Cette endocytose s’effectue principalement dans des puits de clathrine. La PrPC ne possédant pas de domaine intracytoplamique, elle doit interagir avec une autre molécule transmembranaire (récepteur jaune) qui induira l’endocytose grâce à des protéines adaptatrices (cubes bleus). La partie N-terminale de la PrPC et la région des octapeptides (en orange) jouent un rôle prépondérant dans ce processus. En effet, la délétion de cette région entraîne une diminution de l’endocytose, alors que la fixation d’ions métalliques (cube vert) module la quantité de PrPC présente à la surface cellulaire. B. Signalisation. Plusieurs travaux ont montré que la PrPC pouvait être impliquée et dans des phénomènes de signalisation cellulaire. Différents modèles peuvent être proposés pour rendre compte d’une transduction de signal induite par la PrPC. Comme pour l’endocytose, l’intervention d’un récepteur capable de transduire un signal semble le plus probable. Ce récepteur (jaune) pourrait interagir avec la PrPC entière, ou clivée, ou encore présente à la surface cellulaire sous la forme d’un dimère. Ce récepteur pourrait faire partie d’un complexe de transduction plus large comprenant des protéines membranaires (violet clair) et cytoplasmiques (cubes bleus, sphère rouge), dont notamment des phosphoprotéines et des kinases de la famille Src.

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PrPC: une protéine multifonctionnelle?

À la recherche d’une fonction inconnue

Malgré plusieurs pistes sérieuses, la fonction de la PrPC reste encore hypothétique. Compte tenu de son ancre GPI, de son trafic intracellulaire et de son transport par le flux axonal rapide à l’extrémité pré-synaptique, il a été proposé que la PrPC pourrait contribuer à la stabilisation ou à la transmission synaptique. Néanmoins, d’autres hypothèses ont été avancées, notamment un rôle dans l’adhérence ou la reconnaissance intercellulaires, dans la transduction de signal ou encore comme récepteur.

L’approche classique consistant à invalider le gène de la PrP chez la souris (PrP-/-) a fourni des résultats contrastés. Ces souris dont le gène de la PrP a été invalidé ont permis de montrer que la protéine du prion était nécessaire au développement et à la transmission des ESST [32], mais n’ont en revanche pas permis de donner une réponse satisfaisante quant à sa fonction. En effet, sur trois lignées transgéniques indépendantes, deux présentent un phénotype quasi normal et sont parfaitement viables [33, 34] et la dernière présente des symptômes neurologiques de type ataxie ainsi qu’une dégénérescence des cellules de Purkinje [35]. Ce dernier phénotype résulte en fait de l’expression ectopique dans le cerveau d’un gène codant pour une protéine appelée Doppel, localisée juste en aval du gène de la PrPc [36]. Doppel présente des analogies avec la PrPC, notamment au niveau structural. La réexpression de la PrPC dans le cerveau de ces souris est capable d’inverser la dégénérescence induite par Doppel, suggérant que les deux molécules pourraient avoir des effets antagonistes et interagir avec un récepteur commun. Pour les autres souris PrP-/-, il existe toujours des controverses concernant des anomalies phénotypiques mineures, notamment électrophysiologiques. Il reste que la délétion du gène de la PrPc n’entrave pas le développement et n’altère pas significativement le comportement des souris. Cette absence évidente de phénotype suggère que la PrPC n’exerce pas de fonction vitale pour l’organisme et/ou que les fonctions assurées par cette protéine peuvent être compensés par d’autres molécules.

La région amino-terminale: domaine clé de la PrPc

De nombreux arguments aussi bien génétiques, biochimiques que structuraux montrent l’importance de la région N-terminale de la PrPC dans la physiologie cellulaire et la pathologie des ESST. Cette région contient notamment une série d’octapeptides capables de se lier à des ions métalliques bivalents, en particulier le cuivre et avec des affinités moindres au zinc et au manganèse (Figure 2A) [37]. La PrPC pourrait ainsi lier, de façon coopérative, quatre à six atomes de cuivre avec des affinités de l’ordre du micromolaire jusqu’au femtomolaire [38, 39]. De telles affinités suggèrent que le cuivre est effectivement lié à la PrPCin vivo. Les résidus histidines des octapeptides, ainsi que ceux situés plus en amont, notamment en position 96, pourraient être impliqués dans la coordination des ions. La signification physiologique de l’interaction PrPC/cuivre peut-être interprétée de diverses manières. Tout d’abord, le cuivre pourrait contribuer à l’acquisition d’une structure tridimensionnelle fonctionnelle de la PrPC [40]. L’association du cuivre et de la PrPC a conduit à l’hypothèse d’un rôle de la protéine dans le transport et le métabolisme de cet ion. Cette hypothèse repose sur l’observation d’une endocytose de la PrPC dépendante d’ions métalliques (cuivre et zinc essentiellement) et sur une étude montrant une réduction de 10 à 15 fois de la concentration en cuivre dans le cerveau de souris transgéniques PrP-/- par rapport aux animaux témoins [41, 42]. Cependant, une deuxième étude n’a pas permis de retrouver une telle différence ni de trancher quant au rôle de la PrPC comme protéine majeure de liaison et de transport du cuivre [43]. De nombreux résultats impliquent cependant la PrPC dans les mécanismes de défense cellulaire contre le stress oxydant, probablement en relation avec les ions métalliques. Il est en effet établi que les métaux de transition comme le cuivre, le zinc ou le fer peuvent être impliqués dans des réactions oxydantes au niveau cellulaire. De telles réactions jouent un rôle prépondérant dans les processus aboutissant à la mort cellulaire dans de nombreuses maladies neurodégénératives telles que les maladies de Parkinson, d’Alzheimer et de Charcot. Dans plusieurs modèles expérimentaux d’ESST, le niveau d’expression de la PrPC a pu être lié à la résistance cellulaire au stress induit par des radicaux libres ou des ions métalliques, et à l’augmentation de l’activité d’une enzyme clé du système de défense cellulaire contre le stress, la superoxyde dismutase (SOD) [44]. Ces observations seraient dues à une activation de l’enzyme SOD dépendante du cuivre et du zinc via la PrPC [44] et/ou à une activité SOD-like de la PrPC [45]. L’étude de cellules et d’animaux infectés par les prions a montré par ailleurs que la réplication de l’agent infectieux altérait également la réponse cellulaire au stress oxydant, l’activité d’enzymes anti-oxydantes et le métabolisme des ions métalliques (pour revue, voir [46]).

En conclusion, bien que la relation entre la PrPC, le cuivre et les radicaux libres reste à éclaircir, la fonction de la PrPC pourrait être liée aux mécanismes de défense cellulaire contre le stress oxydant. Dans ce contexte, le clivage de la PrPC au niveau du site β pourrait intervenir dans le métabolisme du cuivre en permettant notamment le relargage de l’ion dans un compartiment intracellulaire, ou encore être impliqué dans l’activation d’une voie de signalisation aboutissant à une réponse cellulaire de défense contre le stress oxydant. Dans cette hypothèse, le clivage subséquent au niveau du site α pourrait permettre l’inactivation de la PrPC.

Les partenaires de la PrPC

De nombreuses stratégies, principalement de double hybride, ont été mises en place pour identifier des protéines susceptibles d’interagir avec la PrPC. Plus de douze partenaires ont été identifiés et sont donc supposés participer à la fonction de la PrPC ou aux mécanismes moléculaires aboutissant à la neurodégénérescence observée dans les ESST (Tableau I). Pour la plupart de ces protéines, la réalité physiologique de ces interactions reste à démontrer. Cependant, les récents résultats sur la localisation cytoplasmique et nucléaire de la PrPC suggèrent que certaines de ces interactions, notamment avec les acides nucléiques, ne sont pas fortuites [47]. Parmi les candidats les plus sérieux, on peut citer les molécules d’adhérence cellulaire neuronales (N-CAM), le précurseur du récepteur de la laminine (LRP), le récepteur de la laminine (LR) et la laminine elle-même (Tableau I). La laminine, protéine de la matrice extracellulaire, joue un rôle central, tout comme les N-CAM, dans la régulation de la prolifération et de la différenciation cellulaires et dans la mort neuronale. On peut donc supposer que l’interaction entre la PrPC et ces molécules puisse avoir des conséquences directes sur la survie neuronale, l’extension des neurites ou la différenciation. Par ailleurs, l’interaction entre la PrPC et les protéines membranaires LRP/LR induit l’internalisation de la PrPC, processus qui pourrait être lié aussi à l’activation d’une voie de signalisation [48]. L’implication potentielle de la PrPC dans une cascade de signalisation via la tyrosine kinase de la famille Src, p59Fyn, a été décrite dans un modèle cellulaire neuronal [49]. Récemment, une autre étude est venue renforcer ces données en montrant que la PrPC est capable d’interagir in vitro et in vivo avec deux molécules impliquées dans des processus de signalisation neuronale: la synapsine Ib et Grb2 (Tableau I). Bien qu’encore parcellaires, toutes ces données concordent avec la localisation de la PrPC dans les DRM qui sont connus pour concentrer tous les acteurs de la transduction du signal. Dans le cadre des ESST, ces mécanismes pourraient être altérés et induire des effets délétères sur la cellule. Des données très récentes montrent ainsi que l’infection de cultures cellulaires neuronales par des prions affecte les voies de signalisation activées par le récepteur de l’insuline et augmente de façon importante le niveau de la kinase Erk2 sous sa forme phosphorylée [50]. Ce dysfonctionnement induit par la PrPSc pourrait être une cause de la neurodégénérescence observée dans les ESST.

Conclusions

En dépit d’avancées significatives en biologie cellulaire et moléculaire de la PrPC, nos connaissances sont encore parcellaires. Cette protéine étant le précurseur de la forme anormale PrPSc, la compréhension de la physiopathologie des ESST passe par l’étude complète de la biologie de la PrPC. À l’heure actuelle, il manque une vision globale de la fonction normale de la PrPC dont l’altération pourrait jouer un rôle majeur dans la neuropathologie des ESST. Cet article fournit une vue générale de la biologie de la PrPC, et en particulier de ses nouveaux aspects. Plusieurs champs de recherche découlent de ces données, notamment concernant le rôle du système ubiquitine/protéasome dans les ESST, les mécanismes d’endocytose de la PrPC, les interactions de la PrPC avec le cuivre ou ses protéines partenaires, ou encore le lien entre la PrPC et les systèmes cellulaires de défense contre le stress oxydant.