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Les effets vasodilatateurs, natriurétiques et pro-inflammatoires de la bradykinine sont connus de longue date. Des travaux effectués à la fois dans des modèles expérimentaux et chez l’homme suggèrent qu’une diminution de la synthèse de bradykinine favoriserait le développement de l’hypertension artérielle. Dans ce cas, l’activation de ses récepteurs se traduirait par des effets bénéfiques (baisse de la pression artérielle et diminution de l’hypertrophie cardiaque). À l’inverse, une surproduction de bradykinine est observée au cours des états inflammatoires et le blocage de ses récepteurs permettrait de réduire l’intensité de la réaction inflammatoire et de la douleur. La littérature récente met en lumière de «nouveaux effets » de la bradykinine dans le contrôle de la prolifération cellulaire et de la synthèse des protéines matricielles. Par ailleurs, les actions centrales, longtemps ignorées, de la bradykinine sont souvent opposées à celles observées en périphérie. Cette revue se limitera aux données sur ces « nouveaux effets » périphériques et centraux de la bradykinine, données qui peuvent conduire à de nouvelles stratégies thérapeutiques, en particulier dans les maladies cardiovasculaires et le diabète.

Un récepteur constitutif, un récepteur inductible, un réseau de voies de signalisation classiques et moins classiques…

L’hydrolyse des kininogènes par les kallicréines libère, selon les espèces, la bradykinine ou la kallidine (Lys-bradykinine), peptides actifs du système kinine/kallicréine [1]. Ces peptides sont inactivés par l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ou kininase II) et l’endopeptidase neutre. La bradykinine peut activer deux récepteurs à sept domaines trans-membranaires couplés aux protéines G [1]. Ces deux types de récepteurs ont des caractéristiques distinctes [2]. Le récepteur de type B2 (RB2), activé sélectivement par la bradykinine et la Lys-bradykinine, est exprimé de façon ubiquitaire. Le récepteur de type B1 (RB1), est peu détectable dans des conditions physiologiques mais est fortement exprimé dans des situations pathologiques. Il est activé préférentiellement par la des-Arg9-bradykinine ou la des-Arg10-Lys-bradykinine, métabolites endogènes respectivement de la bradykinine et de la Lys-bradykinine résultant de l’action de la kininase I (Figure 1). À l’inverse du RB2, le RB1 ne peut pas être désensibilisé et peut être induit par son propre agoniste [3].

Figure 1

Voies de transduction du signal associées à l’activation des récepteurs B1 et B2.

Voies de transduction du signal associées à l’activation des récepteurs B1 et B2.

La bradykinine, ou la lysyl-bradykinine (agonistes B2), sont métabolisés par la kininase I en des-Arg9-BK ou lysl-desArg10 BK (agonistes B1). En revanche, bradykinine et lysyl-bradykinine peuvent être inactivées par l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) ou kininase II et par l’endopeptidase neutre (NEP). Les récepteurs B1 et B2 activent, en fonction du type cellulaire, toutes les voies classiques de signalisation et sont impliqués dans le contrôle de plusieurs grandes fonctions périphériques et centrales. De nouvelles voies de signalisation du récepteur B2 indépendantes des protéines G, et des interactions de type protéine-protéine ont été mises en évidence entre le récepteur et les NO synthases endothéliale (NOSe) et neuronale (NOSn), la phospholipase Cγ (PLCγ) et la tyrosine phosphatase (SHP2). AMPc: AMP cyclique; GMPc: GMP cyclique; PG: prostaglandines; PLA2: phospholipase A2; PKC: protéine kinase C.

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De nombreux travaux ont montré que la bradykinine activait les voies de signalisation « classiques » des récepteurs couplés aux protéines G (phospholipases C et A2, monoxyde d’azote) en recrutant les protéines Gαi et Gαq. L’activation de nouvelles voies dites « alternatives », apparemment indépendantes du recrutement d’une protéine G, par le RB2 vient d’être décrite (Figure 1). Une interaction directe a été montrée entre le RB2 et des enzymes comme la phospholipase Cγ, la NO synthase neuronale (NOSn), la NO synthase endothéliale (NOSe) [4] et la tyrosine phosphatase SHP2 [5]. L’interaction du RB2 avec la NOSe permet le recrutement de la protéine kinase Akt et contrôle ainsi la phosphorylation de la NOSe et la production de NO. L’interaction entre le RB2 et la tyrosine phosphatase SHP2 serait impliquée dans l’effet antiprolifératif de la bradykinine [5]; elle met en jeu une séquence ITIM (immunoreceptor tyrosine-based inhibitory motif), la mutation du résidu Tyr de l’ITIM supprime l’interaction et l’inhibition de la prolifération par la bradykinine. Tout aussi atypique pour un récepteur couplé aux protéines G est la formation d’un hétérodimère réunissant le RB2 et le récepteur AT1 de l’angiotensine II. La formation de cet hétérodimère rend le complexe résistant aux radicaux oxygénés et modifie l’endocytose. Une conséquence serait l’hypersensibilité du récepteur AT1 pour l’angiotensine II. L’augmentation du nombre d’hétérodimères AT1-RB2 pourrait être responsable du développement de la pré-éclampsie [6].

Des effets mitogéniques et anti-mitogéniques, fibrotiques et anti-fibrotiques, un rôle dans la néovascularisation

Effets mitogéniques et anti-mitogéniques

Comme d’autres agonistes de récepteurs couplés aux protéines G, la bradykinine induit la prolifération de nombreux types cellulaires. Cet effet, de faible intensité, met en jeu une activation de la protéine kinase C [1]. En revanche, d’autres travaux rapportent que l’activation du RB1 et du RB2 inhibe la prolifération de cellules cancéreuses mammaires [7]. La bradykinine inhibe également la prolifération de cellules musculaires lisses par un mécanisme n’empruntant aucune des voies de signalisation classiques (phospholipase C, phospholipase A2) [8]. Chez la souris n’exprimant pas le récepteur AT1 de l’angiotensine, l’inhibition pharmacologique du RB2 induit une hypertrophie de l’intima des artères interlobulaires rénales [9] indiquant un rôle tonique anti-prolifératif associé à une activation in vivo du RB2. Ces effets prolifératif et anti-prolifératif, apparemment contradictoires, suggèrent l’existence d’une double voie de signalisation. Dans les cellules mésangiales, nous avons démontré que le RB2 peut stimuler ou bien, en présence de facteurs de croissance, inhiber la phosphorylation des MAP kinases Erk 1 et 2 [10]. Ces effets opposés pourraient rendre compte des effets mitotiques ou anti-mitotiques de la bradykinine selon l’état d’activation cellulaire par différents facteurs de croissance. La bradykinine inhibe également l’activation des MAP-kinases stimulée par l’epidermal growth factor dans la lignée de carcinome épidermique A431 par un mécanisme impliquant l’activation d’une tyrosine phosphatase [11].

Effets fibrosants et anti-fibrosants

Les études in vitro montrent des effets fibrogéniques ou anti-fibrogéniques qui sont fonction du type cellulaire. L’activation du RB1 stimule la synthèse de collagène dans les fibroblastes pulmonaires [12]. Inversement la bradykinine réduit la synthèse de fibronectine et de collagène dans les fibroblastes cardiaques [13]. In vivo, la bradykinine aurait plutôt un rôle anti-fibrotique, elle inhibe l’accumulation cardiaque de collagène après un infarctus chez le rat [14]. Chez des rats transgéniques surexprimant la kallicréine humaine et produisant ainsi une plus grande quantité de bradykinine, l’induction d’une hypertrophie cardiaque entraîne une fibrose cardiaque moins importante [15]. Nous avons montré qu’après obstruction urétérale unilatérale, les souris dont le gène du RB2 a été invalidé (RB2-/-) présentent une fibrose rénale tubulo-interstitielle deux fois plus sévère que les souris sauvages. La bradykinine exercerait cet effet anti-fibrotique en stimulant les activateurs du plasminogène, entraînant une activation des métalloprotéases responsables de la dégradation de la matrice extracellulaire [16].

Effets angiogéniques

Là encore, l’effet de la bradykinine sur la néovascularisation est controversé. Dans un modèle d’ischémie fémorale unilatérale suivie d’un processus de néovacularisation [17], il a été montré que les récepteurs de la bradykinine étaient impliqués dans l’effet angiogénique des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), une classe de médicaments très utilisée dans le traitement de l’hypertension artérielle et des maladies cardiovasculaires. Ainsi les IEC, bien qu’inhibant la formation de l’angiotensine II, elle-même angiogénique, auraient un effet angiogénique par l’augmentation de la concentration de bradykinine. Dans ce modèle [17], une augmentation plus importante du nombre de capillaires associée à une expression stimulée de la NOSe est observée chez les animaux traités par un IEC. Cet effet des IEC n’est pas observé chez les souris RB2-/-. La même approche sur des souris dont le gène codant pour le RB1 a été invalidé (RB1-/-) montre que les souris RB1-/- présentent une nécrose suivie d’une auto-amputation du membre ischémique [18] alors qu’une néovascularisation (stimulée par l’agoniste B1) est observée chez les souris sauvages. Les RB2 et RB1 pourraient être des cibles potentielles dans le traitement de l’ischémie. Toutefois, des travaux antérieurs suggèrent un effet anti-angiogénique des IEC [19] ce qui peut s’expliquer par des conditions expérimentales différentes (modèles, concentrations des agonistes et des antagonistes). D’autres études complémentaires sont nécessaires pour évaluer les mécanismes et le rôle de la réaction inflammatoire dans la néovascularisation.

Des rôles qui s’affirment en physiopathologie cardiovasculaire

La création de souris génétiquement modifiées pour l’expression des récepteurs de la bradykinine, de la kallicréine et de l’enzyme de conversion confirme la contribution des RB2 à la régulation tonique de la vasomotricité et met en évidence un rôle cardio- et néphroprotecteur. Les souris dont le gène de la kallicréine a été invalidé (TK-/-), et dont la production de bradykinine est indétectable [20] présentent malgré une pression sanguine artérielle normale, des anomalies morphologiques cardiaques se traduisant par une réduction de la taille de la paroi ventriculaire gauche et du volume d’éjection systolique. Ces souris TK-/- comme les souris RB2-/- présentent une réduction de la vasodilatation en réponse à l’augmentation de la pression de perfusion. Le rôle « tonique » cardioprotecteur du RB2 est également confirmé chez les rats transgéniques surexprimant la kallicréine qui présentent une réduction de l’hypertrophie cardiaque ainsi qu’une résistance accrue aux situations d’ischémie-reperfusion cardiaque [21]. En revanche, les souris n’exprimant pas le RB2 développent des lésions myocardiques et des arythmies plus sévères en situation d’ischémie-reperfusion [22]. Cet effet anti-hypertrophique du RB2 sur le ventricule gauche est en accord avec une étude épidémiologique chez l’homme [23]. La bradykinine exercerait son effet cardioprotecteur indépendamment de son effet vasodilatateur en réduisant la fibrose et en favorisant l’utilisation de glucose [24].

Le rôle du RB1 est resté longtemps énigmatique, l’augmentation de son expression au cours de pathologies inflammatoires lui a fait attribuer un rôle dans ces pathologies [2], hypothèse qui a été confirmée par l’étude des souris RB1-/- [25]. Sans phénotype cardiovasculaire apparent, ces souris sont plus résistantes à la douleur et présentent une réaction inflammatoire diminuée. Le RB1 est-il pour autant sans effet sur le contrôle de la vasomotricité et de la trophicité vasculaire? Chez le chien, où il est exprimé de façon constitutive, son activation est associée à une réponse hypotensive [26]. Notre équipe a montré, in vivo, chez le rat, la souris sauvage et la souris RB2-/-, qu’un traitement chronique par un IEC entraîne non seulement la surexpression du RB1 mais que l’activation du RB1 participe à l’effet hypotenseur induit par l’IEC [27]. Cette surexpression du RB1 participant à l’effet vasodilatateur des IEC, confirme des travaux analogues effectués chez l’Homme [28]. Ces résultats montrent, qu’en dehors de tout contexte inflammatoire, le RB1, comme le RB2, participe à la régulation de la pression artérielle en conditions normale et pathologique, et peut être mis en jeu par un traitement pharmacologique avec des IEC.

Les récepteurs de la bradykinine dans les mécanismes d’action de médicaments

La participation des récepteurs de la bradykinine au mécanisme d’action des IEC est maintenant bien acceptée [24]. Les IEC, en bloquant la formation d’angiotensine II, suppriment ses effets vasoconstricteurs, trophiques, anti-natriurétiques et fibrosants mais également bloquent la dégradation de la bradykinine favorisant ainsi une activation chronique du RB2. Certains effets protecteurs anti-prolifératifs et anti-fibrosants des IEC sont probablement indépendants des effets anti-hypertenseurs. La bradykinine est également dégradée par l’endopeptidase neutre, cible d’une autre famille de médicaments appelés inhibiteurs des vasopeptidases (IVP) [29]. Ces IVP qui inhibent également l’enzyme de conversion favorisent l’accumulation de plusieurs médiateurs vasodilatateurs (oxyde nitrique, prostaglandines, peptides natriurétiques, adrénomédulline et bradykinine) et vasoconstricteurs comme l’endothéline. Le rôle de la bradykinine dans le mécanisme complexe des IVP reste mal connu. Par ailleurs, la bradykinine est aussi hydrolysée en des-Arg9-bradykinine par la kininase I (Figure 2). Ainsi, l’inhibition de l’enzyme de conversion entraîne une accumulation de la bradykinine qui est transformée en des-Arg9-bradykinine, un agoniste sélectif du RB1 qui a la capacité d’induire l’expression in vitro de ce récepteur [3]. Cette régulation a été récemment confirmée in vivo, chez le rongeur et chez l’homme, en montrant qu’une partie de l’effet hypotenseur du traitement chronique par un IEC résulte de l’activation chronique du RB1 [27, 28].

Figure 2

Sites d’actions pharmacologiques de plusieurs agents thérapeutiques sur les systèmes rénine-angiotensine et kallicréine-kinine.

Sites d’actions pharmacologiques de plusieurs agents thérapeutiques sur les systèmes rénine-angiotensine et kallicréine-kinine.

Ces agents contribueront à inhiber l’activité des récepteurs AT1 et AT2 de l’angiotensine II et à stimuler les récepteurs B1 et B2 de la bradykinine (bradykinine 1-9) et de la des-Arg9 bradykinine (bradykinine 1-8) avec des conséquences importantes sur la prolifération, l’apoptose, la trophicité et la perméabilité cellulaires. Les voies induisant une vasodilatation sont indiquées en violet alors que celles induisant une vasoconstriction (ou une diminution de la vasodilatation) sont indiquées en bleu. IEC: inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine; IVP: inhibiteurs des vasopeptidases.

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Bien que l’activation des récepteurs des kinines par les IEC présente de nombreux avantages, elle produit aussi des effets secondaires indésirables tels que l’apparition de toux et le développement de formes sévères d’angioedèmes qui concerneraient des populations à risque. Un polymorphisme du RB2 pourrait permettre de prédire cet effet secondaire [30].

Les pathologies diabétiques et cardiovasculaires: rôle de la bradykinine

Leur traitement par les IEC

L’insulino-résistance, l’obésité, la dyslipidémie et le diabète constituent des facteurs de risque de maladies vasculaires conduisant à l’instauration de l’hypertension artérielle. Par ailleurs, il existe une corrélation entre la propension à développer une néphropathie diabétique et l’existence d’un polymorphisme de type insertion-délétion du gène codant pour l’enzyme de conversion de l’angiotensine I [31]. De façon cohérente avec ces observations épidémiologiques, plusieurs études cliniques s’accordent pour démontrer que des traitements aigus et chroniques par des IEC améliorent la sensibilité à l’insuline et la tolérance au glucose, l’insulinémie et même la triglycéridémie.

Chez l’homme, ces traitements par des IEC améliorent la sensibilité à l’insuline et provoquent d’autres effets potentiellement bénéfiques tel que la diminution de la production de TGF-β (transforming growth factorβ), une cytokine fibrosante, chez des patients présentant un diabète de type I [32].

Chez le rat développant un diabète expérimental de type I, l’administration d’un IEC réduit l’expression du récepteur de type II du TGF-β et du collagène de type IV. Chez le rat Zucker (fa/fa), modèle de diabète de type II, le traitement avec un IEC stimule le transport musculaire du glucose, cet effet est reproduit par la perfusion chronique de bradykinine [33].

La bradykinine module la signalisation du récepteur de l’insuline

Sur la base des effets bénéfiques des traitements par les IEC, une modulation de la voie de signalisation de l’insuline a été suggérée [34]. Chez le rat, on observe une augmentation de l’insulino-résistance au cours du vieillissement (diminution de la phosphorylation de l’insulin receptor substrate 1 et du recrutement de la phospho-inositide 3-kinase). Les traitements avec un IEC et la bradykinine corrigent ces anomalies [35]. Par ailleurs, la stimulation du RB2 induit également la translocation du transporteur GLUT4 par une voie indépendante de l’insuline et de la protéine kinase C dans différents types cellulaires, en particulier, l’adipocyte.

Les récepteurs de la BK dans le rein et la moelle épinière: des rôles centraux et périphériques différents

Récepteurs de la bradykinine et diabète

Les études montrant un effet de la bradykinine sur la signalisation de l’insuline ont exploré son rôle dans le muscle squelettique et l’adipocyte mais plus rarement dans le rein, l’oeil et le système nerveux central qui sont des organes cibles bien connus du diabète. Or, ces tissus présentent des mécanismes de régulation du transport de glucose très différents. Au cours du diabète, une inhibition de l’expression membranaire du transporteur GLUT4 est observée ainsi qu’une stimulation des transporteurs GLUT1 et GLUT3 dans le rein, l’oeil et les tissus nerveux, exposant ainsi ces tissus aux effets délétères de concentrations élevées de glucose.

Nos équipes ont étudié l’expression et le rôle éventuel des récepteurs de la bradykinine dans le rein et la moelle épinière lors de l’instauration du diabète insulino-dépendant chez le rat.

De façon générale, un des événements très précoces de la néphropathie diabétique induite par l’hyperglycémie est la formation de diacylglycérol conduisant à l’activation de la protéine kinase C et des MAP-kinases, activations qui déclenchent ensuite une cascade d’événements comprenant la production de protéines matricielles qui conduit à une sclérose glomérulaire. L’hyperglycémie induit également la sécrétion de cytokines et de facteurs de croissance qui accélèrent la progression de la glomérulosclérose [36]. Nous avons pu suggérer un rôle protecteur de la bradykinine dans l’établissement de la néphropathie diabétique. En effet, le traitement chronique par un IEC réduit l’activation des MAP-kinases (pouvant être également induite par divers facteurs de croissance tels IGF-I, EGF, FGF, VEGF, [37]) dans le glomérule rénal de rats diabétiques par un mécanisme impliquant les RB1 et RB2 [37]. Inversement, les souris surexprimant l’enzyme de conversion de l’angiotensine et par conséquent ayant une faible concentration de bradykinine active, développent des complications rénales plus sévères au cours de l’induction du diabète [38]. Ces observations confirment que la bradykinine puisse avoir un rôle potentiellement néphroprotecteur. Par ailleurs, un nombre croissant de travaux indiquent que le diabète s’accompagne d’une augmentation du stress oxydant dont l’action est délétère. Dans ce cadre, plusieurs observations récentes suggèrent que la bradykinine réduit le stress oxydatif par un mécanisme impliquant l’inhibition de la NAD(P)H oxydase [39] (Figure 3).

Figure 3.

Schéma du mécanisme hypothétique des effets anti-oxydants des inhibiteurs de l’enzyme de conversion.

Schéma du mécanisme hypothétique des effets anti-oxydants des inhibiteurs de l’enzyme de conversion.

La production de NO résultant de l’activité biologique accrue de la bradykinine par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) inhiberait l’activité de la NADPH oxydase. En conséquence, il y aurait une réduction de la production de radicaux libres oxygénés (H2O2, ONOO-) rendant compte du rôle anti-oxydant des IEC.

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Dans la moelle épinière du rat diabétique insulino-dépendant, une augmentation de l’expression des RB1 et RB2 est observée. L’activation de ces récepteurs induit l’activation du système nerveux sympathique, elle-même responsable de l’augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque [40]; cette réponse cardiovasculaire relayée par le RB1, est sous la dépendance des prostaglandines. L’activation du RB1 produit également une hyperalgésie par un mécanisme impliquant là encore les prostaglandines (cyclo-oxygénase-2) mais également l’oxyde nitrique et la libération de la substance P par les fibres sensorielles nociceptives [41]. Ces résultats suggèrent un rôle possible pour le RB1 dans les neuropathies sensorielles et du système nerveux autonome observées au cours de cette maladie.

Récepteurs de la bradykinine et hypertension artérielle

À l’instar du rat diabétique, la densité des RB2 est fortement augmentée dans les centres cardiovasculaires médullaires chez l’homme atteint de maladies cardiovasculaires et de diabète [42] et dans la moelle épinière du rat spontanément hypertendu (SHR) [43]. Chez le rat SHR, cette augmentation s’accentue entre 8 et 16 semaines (Figure 4) alors que l’expression du RB1 semble être réglée de façon inverse. L’expression du RB1 est élevée dans la moelle épinière du rat SHR à 8 semaines, mais est fortement réduite à 16 semaines. L’augmentation du nombre de RB2 est vraisemblablement la cause de l’hypersensibilité des réponses vasopressives induites par la bradykinine injectée dans la moelle épinière du rat SHR [43]. Cette étude rapporte aussi des arguments rendant improbable un rôle du RB1 dans le contrôle autonomique central de la pression artérielle dans ce modèle d’hypertension artérielle.

Figure 4

A. Distribution des sites de liaison des récepteurs B1 et B2 de la bradykinine dans la moelle épinière thoracique du rat spontanément hypertendu (SHR) et normotendu Wistar Kyoto (WKY). Les radioligands employés sont le [125I]-HPP-Hoe 140 pour le récepteur B2 et le [125I]-HPP-[des-Arg10]-Hoe 140 pour le récepteur B1 [43]. La liaison non spécifique (NS) est obtenue en présence de 1 μM du ligand non radioactif pour chacun des deux récepteurs. Notez que la plus forte intensité de liaison pour le récepteur B2 se situe dans la corne dorsale du rat SHR âgé de 16 semaines alors que les sites de liaison pour le récepteur B1 sont présents dans la corne dorsale des rats SHR et WKY plus jeunes (âgés de 8 semaines) et sont en quantité moindre chez les animaux de 16 semaines. B. Quantifi-cation des sites de liaison spécifiques pour les récepteurs B1 et B2 dans la lamina I de la corne dorsale des rats SHR et WKY. Les données montrent aussi les effets de deux IEC administrés séparément (lisinopril ou zofénopril, 10 mg/kg/jour dans l’eau de boisson à partir de l’âge de 4 semaines) sur le nombre de sites de liaison spécifiques pour chacun des deux récepteurs chez le rat SHR. Les résultats représentent la moyenne ± l’écart type de la moyenne de 4 rats dans chaque lignée. La comparaison statistique avec le groupe WKY (+++ : p < 0,001) ou avec le groupe SHR sans IEC (** : p < 0,01) est indiquée.

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Enfin, il est pertinent de signaler que la plasticité des RB1 et RB2 dans la moelle épinière des SHR sous traitement avec des IEC est différente de celle décrite précédemment dans les tissus périphériques chez la souris et le rat [27]. L’administration chronique de deux IEC chez le rat SHR entraîne soit une diminution (8 semaines) soit une augmentation (16 semaines) significative du nombre de sites de liaison du RB2 dans la corne dorsale de la moelle épinière alors que les sites de liaison du RB1 varient quasi inversement en étant soit augmentés (8 semaines) ou inchangés (16 semaines) (Figure 4). Les mécanismes de régulation de l’expression des récepteurs des kinines par les IEC seraient différents pour les tissus périphériques (vasculaires et rénaux) et les tissus nerveux centraux. Ces données indiquent aussi que les IEC peuvent amplifier les actions centrales non désirées des kinines (hypertension associée au RB2 et hyperalgésie associée au RB1) par un mécanisme, indépendant de l’inhibition de leur dégradation, qui résulterait d’une augmentation du nombre de leurs récepteurs [43].

La connaissance approfondie des voies de signalisation et la disponibilité de modèles transgéniques confirment un rôle important et croissant des récepteurs de la bradykinine en particulier en physiopathologie cardiovasculaire. L’activation des récepteurs de la bradykinine apparaît de plus en plus comme un mécanisme d’action commun à plusieurs médicaments. Le développement d’agonistes et d’antagonistes stables doit permettre de valider ou d’infirmer les potentialités thérapeutiques des récepteurs de la bradykinine dans leurs nombreuses fonctions centrales et périphériques.