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Le système vasculaire adulte comprend trois compartiments : artériel, veineux et lymphatique, mais jusqu’à récemment, le contrôle de l’identité de ces vaisseaux était mal connu. Au cours du développement embryonnaire, la mise en place du réseau artérioveineux s’effectue très précocement, peu après les premiers battements cardiaques, afin d’assurer la circulation embryonnaire. La découverte récente de marqueurs artériels et veineux spécifiques pouvait laisser supposer une prédétermination des cellules endothéliales (CE) à participer soit à une artère, soit à une veine et, de ce fait, un destin irréversiblement fixé par des facteurs génétiques. En dépit de l’expression de ces gènes spécifiques, nous avons montré que les CE gardent une plasticité vis-à-vis de leur différenciation artérielle ou veineuse, et ce en relation avec des facteurs hémodynamiques.

Le remodelage artères/veines

Dans l’embryon, la mise en place du réseau endothélial primitif s’effectue alors que le coeur ne bat pas encore, lors du processus de vasculogenèse [1]. Lorsque le coeur devient fonctionnel et que la circulation s’établit, ces vaisseaux primitifs sont remodelés en artères ou en veines. Cette étape est cruciale pour la survie de l’embryon, et de nombreuses mutations de gènes impliqués dans le développement vasculaire conduisent à la mort des embryons au cours de cette phase de différenciation [2]. L’apparente homogénéité des vaisseaux primitifs avant leur remodelage pouvait suggérer une implication importante des forces hémodynamiques dans ce remodelage [3].

Nous avons récemment réalisé une étude détaillée du remodelage du plexus vasculaire primitif en artères et en veines chez l’embryon de poulet [4]. Dans ce modèle, on peut visualiser directement, in vivo, la circulation sanguine et le sens du flux par vidéo-microscopie. Le sang artériel qui sort du coeur via les aortes dorsales, gagne le sac vitellin au niveau des artères omphalomésentériques puis de leurs branches avant de retourner au coeur, soit directement, soit via le sinus marginal et le plexus veineux antérieur. L’observation minutieuse de la circulation à ce stade révèle que le flux artériel, qui provient du coeur, et le flux veineux, qui y retourne, circulent au sein d’un même tube endothélial, le caractère artériel ou veineux étant déterminé par le sens du flux. Cette configuration particulière de la circulation embryonnaire contraste avec celle de l’adulte où sang artériel et sang veineux empruntent des conduits différents. Si elle persistait, cette configuration créerait d’importantes anastomoses artérioveineuses avec pour conséquence un déficit de perfusion des régions les plus distales du sac vitellin et la mort de l’embryon. L’embryon a résolu le problème simplement, en déconnectant des branches annexes du réseau artériel pour limiter le nombre de capillaires appelés à former l’artère omphalomésentérique. Ce processus est contrôlé par le flux sanguin qui croît dans les tubes vitellins majeurs, ce qui entraîne une diminution du diamètre des tubes annexes suivie de leur obturation. Ces vaisseaux déconnectés sont, par la suite, réutilisés pour façonner le réseau veineux secondaire qui se met en place dorsalement et parallèlement au réseau artériel [4]. Pour se reconnecter à la circulation veineuse, les branches annexes bourgeonnent dorsalement et perpendiculairement aux artères. Les bases moléculaires de ce processus demeurent encore inconnues, mais doivent assurément impliquer certains des récepteurs de guidage neuronal exprimés au sein des CE artérielles et veineuses.

Les marqueurs moléculaires spécifiques des artères et des veines

Au cours des dernières années en effet, plusieurs molécules spécifiques des CE artérielles ou veineuses ont été identifiées. Toutes sont également exprimées dans le système nerveux où elles contrôlent la destinée et le guidage des précurseurs neuronaux et des axones, ce qui suggère leur rôle dans l’établissement du réseau vasculaire. Les CE artérielles du poisson zèbre, du poulet et de la souris expriment sélectivement l’éphrine-B2, la neuropiline 1 (NRP1), le récepteur notch3, le ligand de Notch Delta-like 4 et gridlock [5-11, 9-16]. D’autres molécules sont spécifiquement exprimées par les CE veineuses, notamment EphB4, le récepteur du marqueur artériel éphrine-B2 [12]. Précocement, le récepteur neuropiline 2 est aussi présent à la surface des CE veineuses puis son expression se restreint aux CE lymphatiques plus tardivement [5, 13]. La spécificité d’expression de ces marqueurs ainsi que l’analyse du phénotype des mutants de ces molécules chez la souris et le poisson zèbre ont conduit certains auteurs à postuler que la différenciation artérioveineuse était génétiquement prédéterminée [10, 15, 16]. Chez le poisson zèbre, l’analyse directe du devenir d’angioblastes fluorescents a montré qu’un précurseur endothélial unique était capable de donner naissance à des clones artériels ou veineux mais en aucun cas à des clones mixtes [14].

La différenciation artérioveineuse nécessite une plasticité endothéliale

Nos travaux ont montré un degré de plasticité important des CE au cours de la différenciation artérioveineuse. Dans une première série d’expériences, nous avons isolé chez l’embryon de caille, à différents stades de développement, des fragments d’artères et de veines avec le compartiment musculaire. Ces fragments ont été greffés dans le coelome ou en lieu et place d’un somite chez un embryon de poulet hôte âgé de 2 jours [7]. Les greffes sont analysées par immunomarquage avec l’anticorps monoclonal QH1 spécifique des CE de la caille [17], et par hybridation in situ (HIS) avec des sondes éphrine-B2 ou NRP1 exprimées par les CE artérielles dans les deux espèces. Jusqu’au 11e jour de développement, les CE artérielles ou veineuses de caille colonisent, dans une proportion équivalente, à la fois les artères et les veines de l’hôte. L’HIS révèle une modulation de l’expression des marqueurs artériels en fonction de l’environnement : celle-ci persiste quand les CE QH1+ gagnent une artère, mais disparaît quand elles colonisent une veine, quelle que soit l’origine artérielle ou veineuse des CE greffées. Après 11 jours, cette plasticité endothéliale est perdue et les CE artérielles greffées ne colonisent que les artères de l’hôte tandis que des CE issues d’un greffon de veine ne gagnent que les veines du poulet. Nous avons déterminé la source du signal restreignant cette plasticité endothéliale : en effet, la plasticité endothéliale est restaurée si on retire le mur vasculaire (partie musculaire) de fragments d’aorte de caille de 14 jours avant de les greffer. La nature du signal issu du mur vasculaire demeure inconnue.

Le flux sanguin contrôle la différenciation artérioveineuse du sac vitellin

Pour déterminer si la plasticité endothéliale observée pour la différenciation artérioveineuse existe au cours du développement embryonnaire normal, nous avons examiné des sacs vitellins d’embryons de poulet à différents stades de développement en utilisant la vidéo-microscopie in vivo et l’HIS avec des marqueurs artériels et veineux [4]. Nous avons observé que les marqueurs artériels sont exprimés, avant la mise en place de la circulation, au sein du plexus capillaire artériel présent au pôle postérieur de l’embryon, le futur territoire de l’artère omphalomésentérique et de ses branches. Les petites branches capillaires qui se déconnectent du tube endothélial principal (voir plus haut) perdent rapidement l’expression des marqueurs artériels. Ces petits capillaires sont utilisés pour former la veine vitelline postérieure et ce processus témoigne de la plasticité endothéliale requise au cours de la différenciation artérioveineuse. De plus, nos observations suggèrent que des forces hémodynamiques jouent un rôle important au cours du remodelage vasculaire.

Pour vérifier cette hypothèse, nous avons perturbé le flux dans le sac vitellin de l’embryon de poulet [4]. Nous avons tout d’abord produit des embryons complètement dépourvus de système circulatoire en détruisant le coeur embryonnaire. Dans ces conditions, le sac vitellin continue de croître au moins pendant sept jours de développement, en dépit de la dégénérescence du territoire embryonnaire et de l’absence de perfusion. Un réseau endothélial primitif se met en place mais aucune artère ou veine ne se différencie dans ces sacs vitellins. L’HIS avec des marqueurs artériels montre que certaines régions expriment, par exemple, éphrine-B2 tandis que d’autres ne l’expriment pas. Ainsi, l’induction de l’expression des marqueurs artériels est indépendante du flux.

Nous avons ensuite entrepris des ligatures de l’artère omphalomésentérique d’un côté du sac vitellin [18] (Figure 1). Chez ces embryons, le plexus artériel ligaturé se « veinularise » dans les 24 heures suivant l’opération, ainsi qu’en témoignent, d’une part, le sens du flux sanguin qui s’inverse et, d’autre part, la diminution de l’expression des marqueurs artériels [4] (Figure 1A, B). La manipulation du flux sanguin peut donc transformer morphologiquement et génétiquement des artères en veines. La transformation de veines en artères est également possible par ce type d’opération. Ainsi, l’artère omphalomésentérique, du côté non opéré, reçoit plus de sang, ce qui entraîne une augmentation de son diamètre. Il en résulte une extension de ce vaisseau au-delà de la ligne médiane, antérieurement et postérieurement (Figure 1A). L’observation vidéomicroscopique met en évidence l’intégration de branches de la veine vitelline antérieure au sein de l’artère au niveau où elle franchit la ligne médiane. Dès lors, le flux sanguin apparaît comme le déterminant principal de la différenciation artérioveineuse dans le sac vitellin. Les CE du sac vitellin, plutôt que d’être prédéterminées dans une voie de différenciation donnée, se comportent comme des modules indépendants utilisés et réutilisés par le système vasculaire afin de façonner artères et veines.

Figure 1

La manipulation du flux sanguin transforme une artère en veine.

La manipulation du flux sanguin transforme une artère en veine.

A. Embryon ligaturé 24 heures plus tôt, on observe une transformation de l’artère ophalomésentérique du côté ligaturé en veine (flèches bleues), ramenant le sang de la veine circulaire périphérique au coeur. L’artère du côté témoin (à gauche) s’est élargie et traverse la ligne médiane de l’axe embryon/sac vitellin (flèches rouges). B. Hybridation in situ avec une sonde reconnaissant NRP1 sur un embryon ligaturé pendant une heure. Du côté opéré (droit), on constate une diminution de l’expression de ce gène. Du côté témoin, le récepteur s’exprime exclusivement au niveau de l’artère.

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Conclusions

Nos travaux récents mettent en évidence que la différenciation artérioveineuse est un processus très dynamique, sous le contrôle du flux sanguin et impliquant un important degré de plasticité endothéliale. Comprendre la régulation de cette plasticité en regard de l’identité artérielle ou veineuse d’un vaisseau constitue un défi d’importance, ce d’autant que des segments veineux sont utilisés dans nombre d’interventions vasculaires (coronoroplasties, traitement des resténoses, artériogenèse thérapeutique).