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Le récepteur périphérique des benzodiazépines (PBR) est une protéine membranaire de 18 kDa initialement mise en évidence par ses propriétés de liaison du diazépam (Valium®) dans les tissus n’appartenant pas au système nerveux central. Cette localisation s’accompagne de propriétés pharmacologiques qui le distinguent du récepteur central des benzodiazépines, encore appelé récepteur GABAa. En particulier, le PBR présente une affinité plus faible pour le diazépam que le récepteur central. Plusieurs classes de ligands ont été testées et une isoquinoline, le PK 11195, a été décrite comme le ligand le plus spécifique du PBR. Les études de fractionnement subcellulaire ont permis de montrer que le PBR présentait une localisation majoritairement mitochondriale, avec une insertion dans la membrane externe de cet organite. Le PBR est exprimé dans tous les tissus examinés à ce jour, la plus forte expression étant observée dans les tissus connus pour synthétiser les hormones stéroïdiennes, glandes surrénales, testicules, ovaires, et dans les astrocytes [1].

Les différents rôles du récepteur périphérique des benzodiazépines

De nombreux rôles du PBR ont été rapportés [1, 2], en particulier - compte tenu de sa localisation - dans la biosynthèse des stéroïdes. Un certain nombre d’études suggère plus précisément un rôle du PBR dans le transport du cholestérol. En effet, il a été montré que le PBR recombinant reconstitué dans des membranes lipidiques artificielles possède des sites de liaison de forte affinité pour le cholestérol [3]. Ces sites pourraient être localisés dans le domaine carboxyterminal de la protéine, comme le suggèrent les données structurales couplées aux études de mutagenèse dirigée [4]. Il a également été observé, in vivo, que le PBR était impliqué dans le transport du cholestérol de la membrane externe vers la membrane interne des mitochondries, étape limitante dans la biosynthèse des stéroïdes [5]. Cette fonction de transport du cholestérol par le PBR a été aussi décrite dans le foie [5], organe de biosynthèse des sels biliaires ayant pour précurseur le 27-hydroxycholestérol. Le mécanisme de transport du cholestérol, qui n’est pas encore clairement élucidé (Figure 1), impliquerait une activation par les ligands du PBR, le DBI (diazepam binding inhibitor, une endozépine décrite comme un ligand endogène) ou le PK 11195. Cette fonction de transport du PBR a été également décrite pour d’autres molécules comme les protoporphyrines IX [6], précurseurs de plusieurs groupes prosthétiques comme les hèmes ou les hémoprotéines (les cytochromes ou les phytochromes). La diversité des fonctions du PBR observée in vivo pourrait être liée à son association avec d’autres protéines, mitochondriales ou non. Parmi les protéines décrites pour interagir avec le PBR, on peut citer le VDAC (voltage-dependant anion channel), canal de la membrane externe des mitochondries impliqué dans le transport d’ions (Figure 1) et de métabolites [7]. Son rôle semble particulièrement important dans l’homéostasie du Ca2+ et pourrait être la clé de l’implication du PBR dans des processus de régulation de l’apoptose.

Figure 1

Localisation et fonction du récepteur périphérique des benzodiazépines (PBR) dans les mitochondries.

Localisation et fonction du récepteur périphérique des benzodiazépines (PBR) dans les mitochondries.

Le PBR est un partenaire de la porine mitochondriale, le voltage-dependant anion channel (VDAC) dans la membrane externe. Il pourrait constituer avec elle une partie du complexe dit du pore de transition dont le rôle dans l’apoptose d’origine mitochondriale a été largement décrit. Le VDAC est l’un des principaux transporteur d’ions et de métabolites à travers la membrane externe des mitochondries. Il contrôle, en particulier, l’homéostasie calcique. Le transport de cholestérol à travers la membrane externe est effectué par le PBR sous l’activation d’une endozépine, le DBI, ou de ligands exogènes comme le PK 11195, une isoquinoline. Le cholestérol est délivré au cytochrome P450 dans la membrane interne des mitochondries, où il est clivé en 27-hydroxycholestérol ou en prégnénolone, respectivement dans les cellules hépatiques ou stéroïdogéniques.

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Le récepteur périphérique des benzodiazépines dans le tractus digestif

La présence du PBR a été décrite dans différents organes du système digestif (glandes salivaires, foie). Le DBI et ses peptides dérivés, TTN (triakontétraneuropeptide) et ODN (octadécaneuropeptide), ont quant à eux été trouvés tout le long du tractus digestif. L’ensemble de ces résultats nous a conduits à rechercher la présence de la protéine dans l’estomac [8] et dans l’intestin [9] chez le rat. Nous avons montré que la protéine est présente dans les cellules à mucus et les cellules pariétales de l’estomac. Des travaux en cours montrent que le PBR est également présent dans les entérocytes des différents segments de l’intestin (duodénum, jéjunum, iléon et côlon), avec une localisation mitochondriale [9]. Ces résultats, en accord avec les données publiées précédemment sur la présence du ligand endogène (DBI) dans ces différents segments, posent la question du mécanisme qui conduit à la stimulation du PBR par le DBI dans ces cellules. Par analogie avec les tissus produisant des hormones stéroïdiennes ou les astrocytes, on peut penser que des récepteurs de la membrane plasmique pourraient être impliqués. En effet, il a été décrit dans ces tissus que des hormones ou des neuropeptides stimulant des récepteurs couplés aux protéines G induisaient une synthèse du DBI et une augmentation de sa concentration cytosolique [10, 11].

Les ligands pharmacologiques qui ont une forte affinité (de l’ordre du nanomolaire) pour le PBR (PK 11195 et Ro5 4864, une benzodiazépine) sont classiquement utilisés pour les études fonctionnelles de cette protéine. Nous avons démontré, dans le fundus et l’antre gastrique, que ces ligands activent une sécrétion électrogénique de Cl-, distincte de celle couplée à la sécrétion acide [8]. Cette sécrétion est sensible à l’inhibition de l’échange Cl-/HCO3- et pourrait être couplée à la sécrétion locale de HCO3-, tant dans les cellules pariétales que dans les cellules à mucus de l’estomac. Cet effet et la forte expression du PBR dans ces cellules renforcent l’hypothèse d’un rôle physiologique du PBR dans la protection de la muqueuse gastrique. La diminution du Ca2+ intracellulaire ou extracellulaire et la présence de ciclosporine A, un inhibiteur du pore de transition mitochondrial, inhibent cette sécrétion du Cl- induite par les ligands du PBR (Figure 2). Ces résultats suggèrent donc que l’activation du PBR induit la transmission d’un signal à ses partenaires du complexe multiprotéique et déclenche une sortie de Ca2+ des mitochondries peut-être via le VDAC. Cette sortie mitochondriale de Ca2+ provoquerait une augmentation de la concentration de Ca2+ cytosolique, qui induirait une libération de Ca2+ des réservoirs intracellulaires et une entrée à travers les canaux calciques de la membrane basolatérale. Ce mécanisme provoquerait ainsi une amplification de la première réponse calcique, qui pourrait alors activer un canal chlore de la membrane apicale induisant une sécrétion ionique. Cette hypothèse est en cours d’évaluation au laboratoire ; les résultats préliminaires obtenus sur des cellules en culture ont effectivement montré que le PK 11195 induisait une augmentation du calcium cytosolique.

Figure 2

Mode d’action du récepteur périphérique des benzodiazépines (PBR) dans les cellules de l’estomac.

Mode d’action du récepteur périphérique des benzodiazépines (PBR) dans les cellules de l’estomac.

La liaison du PK 11195 sur le PBR déclenche une sortie de Ca2+ des mitochondries probablement via le voltage-dependent anion channel (VDAC), élément important du pore de transition. Cette augmentation locale de la concentration de Ca2+ cytosolique provoquerait l’ouverture de canaux calciques du réticulum endoplasmique et de la membrane basolatérale, et ainsi une amplification de la première réponse calcique. Enfin, un canal Cl- localisé dans la membrane apicale des cellules serait activé par le Ca2+, induisant une sécrétion électrogénique.

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Le récepteur périphérique des benzodiazépines en pathologie

La compréhension de la fonction du PBR et du mode d’action de ses ligands dans les tissus sains pourrait constituer un point de départ pour comprendre le rôle du PBR dans les cancers coliques, où il est largement surexprimé [12], ainsi que dans d’autres atteintes digestives (ulcération ou inflammation) pouvant évoluer ou non vers des cancers du tractus digestif. En effet, des publications récentes décrivent une forte surexpression du PBR dans différents cancers, et certaines présentent le PBR comme un excellent marqueur diagnostique [13]. Les objectifs à terme pourraient être d’utiliser les ligands de cette protéine ou des dérivés de meilleure affinité pour atteindre le PBR comme cible thérapeutique [14]. Toutefois, il n’existe pas actuellement d’explication à cette surexpression. Est-ce pour lutter contre la prolifération et réparer la formation de cellules anormales ou, au contraire, maintenir cette tumeur en bloquant l’apoptose ? Une manière d’aborder cette question serait d’étudier le rôle du PBR au cours d’états inflammatoires, souvent précurseurs de cancer, dans des modèles animaux.