Corps de l’article

La sénescence réplicative, barrière télomérique à l’immortalité

Les cellules normales, contrairement aux lignées cellulaires tumorales, ne se divisent pas indéfiniment, mais ont une capacité limitée de se diviser en culture. Cette limite des capacités de prolifération causée par l’accumulation des divisions cellulaires conduit à un arrêt permanent du cycle cellulaire par un processus appelé « sénescence réplicative » [1]. Échapper à la sénescence et devenir immortel constitue une étape supplémentaire dans la tumorigenèse que la plupart des cellules cancéreuses doivent franchir pour poursuivre leur prolifération [2]. Toutefois, certaines cellules cancéreuses ont gardé la propriété d’entrer en sénescence et de nombreuses approches de thérapie anticancéreuse visent actuellement à reproduire les signaux télomériques de la sénescence pour inhiber la croissance des tumeurs [3]. La sénescence aurait cependant des effets secondaires néfastes en contribuant aux dérèglements progressifs associés au vieillissement [4].

La chromatine télomérique

Les télomères, formés par des répétitions de la séquence TTAGGG et de protéines spécifiques, assurent la stabilité des extrémités chromosomiques [4-6]. Les télomères ne sont pas des structures linéaires, mais adopteraient une structure intramoléculaire particulière de la chromatine, la T-loop (telomere loop), qui protège physiquement l’extension 3’ simple brin terminale du télomère des activités cellulaires de dégradation et de fusion télomérique (Figure 1). Cette boucle télomérique serait créée à la suite du repliement du brin 3’ dans le double brin télomérique, où il s’hybride au brin qui lui est complémentaire, formant la D-loop (displacement loop) [4-6]. La stabilité de la boucle télomérique est assurée par la taille du télomère et par la liaison de protéines. Parmi elles, on distingue TRF1 et TRF2, qui se fixent directement sur l’ADN télomérique double brin, tandis que Pot1 se lie à l’extrémité 3’ simple brin. Paradoxalement, de nombreuses protéines de réparation ou de recombinaison de l’ADN, notamment ATM (ataxiatelangiectasia mutated), le complexe protéique MRE11/RAD50/NBS1 (MRN) et l’hétérodimère Ku, sont également présentes au niveau du télomère [5, 6].

Figure 1

Contrôle de la sénescence par une modification de l’état fonctionnel du télomère.

Contrôle de la sénescence par une modification de l’état fonctionnel du télomère.

Les télomères de cellules en phase de prolifération ne sont pas des structures linéaires, mais se termineraient en large boucle T-loop (telomeric loop) qui protégerait physiquement l’extension 3’ simple brin des activités cellulaires de dégradation et de recombinaison enzymatique. Cette boucle télomérique serait créée à la suite du repliement du brin 3’ dans le double brin télomérique où il s’hybride au brin qui lui est complémentaire, formant la D-loop (displacement loop). La structure et la stabilité sont assurées par la longueur du télomère et par des protéines interagissant soit directement avec l’ADN télomérique (TRF1, TRF2 et Pot1), soit indirectement (Rap1, Tankyrase, Tin2, le complexe MRN…) ((→) m/s 2005, n° 1, p. 37). Cette organisation particulière de la chromatine télomérique permet aux extrémités des chromosomes d’être différenciées d’une simple cassure double brin de l’ADN. À la suite d’un défaut de fixation des protéines télomériques comme TRF2, ou d’un raccourcissement au-dessous d’une taille minimale critique, le télomère adopterait une structure modifiée non fonctionnelle. Cette perte d’intégrité télomérique coïncide avec la disparition de l’extension 3’ simple brin dont la longueur serait essentielle à la formation de la boucle télomérique. En l’absence de structure de protection, l’extrémité télomérique serait reconnue par la cellule comme un signal d’arrêt du cycle cellulaire, phénomène à la base de la sénescence. DNA-PK : protéine kinase dépendante de l’ADN ; Ku : sous-unité régulatrice de la DNA-PK (protéines Ku86 et Ku70).

-> Voir la liste des figures

Induction de la sénescence par le raccourcissement des télomères

Le facteur physiologique principal responsable du dysfonctionnement des télomères dans les cellules somatiques humaines est l’accumulation des divisions cellulaires. Au cours de la division cellulaire, des motifs TTAGGG sont perdus en raison de l’incapacité de la machinerie conventionnelle à répliquer les extrémités linéaires des chromosomes. Cette perte d’ADN télomérique est compensée par une transcriptase inverse spécialisée, la télomérase, qui assure la synthèse de novo des répétitions télomériques sur les télomères préexistants, maintenant ainsi leur longueur [7]. L’activité télomérase est présente dans les cellules germinales (qui ne subissent pas la sénescence) et les lignées cellulaires immortelles (qui ont échappé à la sénescence). À l’inverse, la majorité des cellules somatiques n’ont pas suffisamment d’activité télomérase et leurs télomères raccourcissent donc à chaque réplication chromosomique [8].

Le raccourcissement des télomères au-dessous d’une taille minimale critique est une source d’instabilité génétique et serait à la base de la sénescence réplicative [2]. En effet, l’immortalisation des cellules humaines s’accompagne de la sauvegarde des fonctions télomériques. In vitro, la réintroduction de la sous-unité catalytique de la télomérase (hTERT) dans les fibroblastes humains suffit à reconstituer une activité télomérase, à stabiliser la longueur des télomères et leur permet d’échapper à la sénescence. Il faut souligner que ces cellules sont immortelles [9], mais non transformées, et ne montrent pas d’anomalies de leur caryotype ni d’aberration des mécanismes de surveillance du cycle cellulaire [10]. En revanche, la combinaison de l’expression de la télomérase à l’effet transformant d’oncogènes (tels que l’antigène T du virus SV40 et H-Ras-V12) confère un phénotype malin aux cellules normales [10, 11]. La télomérase n’est donc pas un oncogène (pour discussion, voir [(→) m/s 2005, n° 1, p. 37]), mais elle joue un rôle direct dans la progression tumorale en conférant l’immortalité aux cellules précancéreuses. De façon remarquable, la télomérase est active dans plus de 80 % des tumeurs, toutes origines confondues, alors qu’elle n’est pas détectable dans les tissus sains correspondants [12]. D’ailleurs, son activité est fortement corrélée au phénotype malin de nombreuses tumeurs [13].

La sénescence réplicative est une réponse cellulaire apparentée à la réponse aux dommages de l’ADN

La modification télomérique responsable de la sénescence est de mieux en mieux définie. Il a été proposé qu’après épuisement de leur stock d’ADN télomérique, les chromosomes seraient reconnus comme une simple « cassure » de l’ADN activant les systèmes de réparation de l’ADN [14]. En accord avec cette hypothèse, l’entrée en sénescence s’accompagne d’une augmentation de la fonction transactivatrice de p53 [15] et de l’accumulation de p21WAF1, un inhibiteur des kinases dépendantes des cyclines, codé par WAF1, gène cible de p53 [16] (Figure 2). De plus, le déclenchement et le maintien de l’arrêt réplicatif dépendent de p53 [15], et un état proche de la sénescence est provoqué après irradiation des fibroblastes humains par des rayonnements ionisants [18]. Des travaux plus récents montrent que les fibroblastes humains sénescents accumulent sous forme de foyers la forme phosphorylée de l’histone H2AX (γ-H2AX), un marqueur de sites de cassures de l’ADN [17, 19], ainsi que d’autres protéines intervenant dans la réparation de l’ADN, comme le complexe MRN, 53BP1 et BRCA1 (Figure 2). Le dommage à l’origine de cette réponse provient directement des télomères dysfonctionnels [17, 19]. De même, les formes phosphorylées et actives de la protéine kinase ATM et de sa kinase messager Chk2 s’accumulent dans les cellules sénescentes [17, 19]. L’activation d’ATM par les lésions de l’ADN induit la dissociation des dimères inactifs d’ATM en monomères actifs et son autophosphorylation. L’ATM monomérique active est alors recrutée au niveau des sites de cassures de l’ADN où elle phosphoryle de nombreux substrats comme Chk2 et p53 [20]. Bien que les mécanismes responsables de l’activation de p53 ne soient pas complètement élucidés, la voie ATM/Chk2 reconnaît très vraisemblablement le signal émis par les télomères érodés et active p53 par phosphorylation [21].

Figure 2

Mécanismes à la base de l’arrêt permanent du cycle cellulaire lors de la sénescence.

Mécanismes à la base de l’arrêt permanent du cycle cellulaire lors de la sénescence.

Divers stimulus peuvent activer un programme commun de sénescence. Le raccourcissement des télomères est le stimulus physiologique le mieux décrit dans l’induction de la sénescence. L’expression d’oncogènes activés peut également déclencher la sénescence et représenterait une autre façon par laquelle la sénescence est un mécanisme suppresseur de tumeur. Le programme effecteur de la sénescence comprend les voies p53/p21WAF1 et p16INK4a/pRb. p53 serait activée par les kinases ATM/Chk2 (médiateurs des systèmes de réparation des dommages de l’ADN) ou par p19ARF (médiateur de la voie signalétique activée par ras oncogénique chez la souris). Le facteur p16INK4a serait activé par le stress imposé par des conditions inadéquates de culture et par une stimulation oncogénique déréglée. Les mécanismes responsables de l’accumulation de p16INK4a sont encore méconnus.

-> Voir la liste des figures

Nature du défaut télomérique responsable de la sénescence

S’il est maintenant bien établi que le raccourcissement des télomères déclenche la sénescence, en revanche la nature du défaut télomérique reste encore méconnue. La sénescence ne s’accompagne pas d’une perte totale des fonctions télomériques, car l’instabilité chromosomique n’est que légèrement augmentée à la sénescence et les télomères des cellules qui échappent expérimentalement à la sénescence continuent de raccourcir [22]. Une perturbation de la conformation de la boucle télomérique d’une ou plusieurs extrémités chromosomiques serait en cause [6, 23]. Cette transition dépend certainement d’une diminution de la longueur des télomères, mais probablement aussi d’un défaut de liaison de protéines essentielles au maintien de l’intégrité télomérique [4, 6]. En effet, l’inactivation expérimentale de la protéine télomérique TRF2 provoque un arrêt immédiat et permanent du cycle cellulaire, mimant la sénescence dans les fibroblastes primaires et l’apoptose dans les cellules cancéreuses [23, 25]. Cette réponse, due à une perturbation de la conformation télomérique sans réduction apparente de la longueur du télomère, est reconnue comme une lésion de l’ADN par les systèmes de réparation de la cellule [19, 25]. Cette perte d’intégrité télomérique en l’absence de TRF2 coïncide avec la disparition de l’extension 3’ simple brin [26]. La présence d’une longue extension du simple brin est vraisemblablement importante pour assurer la stabilité de la boucle télomérique et donc la fonction du télomère. En accord avec cette hypothèse, l’érosion de l’extension 3’ simple brin serait la modification télomérique à la base de la sénescence réplicative [27]. Toutefois, un lien causal direct entre l’érosion du simple brin télomérique et l’entrée en sénescence reste à être établi. La disparition de l’extension 3’ peut être la conséquence ou la cause d’une perturbation de la boucle télomérique lorsque les télomères sont devenus trop courts ou lorsque la fonction de TRF2 est altérée.

Le dysfonctionnement des télomères facilite ou bloque le développement tumoral

La modification de l’état fonctionnel des télomères dans le modèle du fibroblaste en culture a au moins deux rôles distincts, voire antagonistes, dans le développement tumoral. Le dysfonctionnement des télomères conduit à la sénescence, une barrière à la prolifération, dépendante de p53 et pRb, qui s’oppose à l’accumulation successive de mutations et donc au développement de cancers. En revanche, l’inactivation expérimentale de p53 et de pRb permet aux fibroblastes de contourner la sénescence et de continuer à se diviser [28]. En l’absence de ce contrôle, les divisions forcées des cellules exacerbent l’érosion télomérique, ce qui accroît l’instabilité chromosomique [28] (Figure 3). La fonction des télomères est alors suffisamment altérée pour ne plus préserver efficacement les extrémités chromosomiques et l’instabilité génomique devient très importante. La prolifération de ces cellules est à nouveau limitée par une seconde barrière proliférative, la catastrophe génétique, ou crise (Figure 3), un point auquel des anomalies génétiques secondaires se produisent et sont à l’origine de la mort cellulaire ou d’un phénomène très rare d’adaptation et de transformation cellulaire [29]. La stabilisation, voire l’allongement des télomères par activation de la télomérase ou, en son absence, du mécanisme ALT (alternative lengthening of telomeres) de recombinaison entre télomères [30], sont requis pour le développement tumoral après la crise. La crise, comme la sénescence réplicative, ferait donc obstacle à la prolifération cellulaire illimitée (Figure 3). Cependant, le dysfonctionnement des télomères au cours de cette prolifération postsénescence accroît l’instabilité chromosomique et peut également favoriser l’apparition d’altérations oncogéniques dans ces mêmes cellules. Cette prolifération postsénescence pourrait donc intervenir très précocement au cours de la progression tumorale.

Figure 3

La sénescence et la crise : barrières à la prolifération cellulaire illimitée.

La sénescence et la crise : barrières à la prolifération cellulaire illimitée.

Ce schéma reprend l’ensemble des données présentées dans le texte à propos des relations entre prolifération cellulaire, télomères et transformation cellulaire. La réplication d’un chromosome s’accompagne d’un raccourcissement progressif des répétitions télomériques en l’absence de mécanisme spécifique de compensation. Le raccourcissement des télomères au-dessous d’une taille critique dans les cellules humaines primaires cultivées in vitro conduit à la sénescence, une barrière à la prolifération dépendante de p53 et pRb. L’inactivation de p53 et pRb permet aux cellules d’échapper à la sénescence et de continuer de se diviser. Les divisions forcées de ces cellules vont encore diminuer la taille de leurs télomères et accroître ainsi l’instabilité génétique. Puis la prolifération de ces cellules est limitée par une deuxième barrière proliférative, la crise ou catastrophe génétique, caractérisée par une forte instabilité chromosomique et par une mort cellulaire massive. La crise est un point auquel des anomalies génétiques secondaires se produisent et sont à l’origine d’un phénomène très rare d’adaptation et de transformation cellulaire. La crise des télomères commence à la sénescence et se poursuit pendant de nombreuses divisions cellulaires, jusqu’à ce que la fonction télomérique soit restaurée. La stabilisation, voire l’allongement de la longueur des télomères sont requis pour le processus de cancérisation après la crise. Lorsque le gène codant pour hTERT (sous-unité catalytique de la télomérase) est introduit dans des cellules primaires en culture, une activité télomérase est reconstituée, la longueur des télomères est maintenue et les cellules échappent au contrôle normal de la sénescence : elles sont immortelles. L’expression de la télomérase contrôle donc non seulement la sénescence, mais aussi l’immortalité. La plupart des cellules cancéreuses réexpriment une activité télomérase qui stabilise la longueur de leurs télomères.

-> Voir la liste des figures

Le modèle des souris transgéniques invalidées pour la télomérase se révèle très utile pour disséquer les conséquences du dysfonctionnement des télomères dans le développement tumoral. Les fibroblastes embryonnaires de souris (MEF) issus des générations tardives (cinquième et sixième générations G5-G6) de souris invalidées pour le gène codant pour l’ARN de la télomérase (Terc-/-) cessent de proliférer en raison du raccourcissement des télomères. Cependant, de rares survivants peuvent émerger, permettant aux cellules de proliférer grâce à l’activation du mécanisme ALT [30]. Les souris Terc-/- de G5-G6 présentent des défauts prolifératifs sévères conduisant à des dysfonctionnements du système immunitaire et à la stérilité [31]. L’existence d’une instabilité chromosomique provoquée par le raccourcissement des télomères dans les souris Terc-/- de G5-G6 ne conduit paradoxalement qu’à une faible augmentation de l’incidence de la formation des tumeurs. Par exemple, les générations tardives de souris Terc-/- présentent un nombre significativement moins important de tumeurs de la peau que les témoins sauvages après traitement avec des agents carcinogènes [32]. Ce phénotype suppresseur de tumeur coïncide avec l’activation de p53, qui survient en réponse aux télomères érodés reconnus comme une lésion de l’ADN et contribue à l’arrêt du cycle cellulaire. Ainsi, les souris déficientes pour la télomérase et le locus INK4A/ARF (un locus codant pour deux protéines distinctes, p16INK4a et ARF-p14ARF chez l’homme et p19ARF chez la souris) ne développent pas de tumeurs [33]. Donc, dans un contexte génétique particulier, l’inhibition de la télomérase et le raccourcissement des télomères auraient un effet inhibiteur sur le développement tumoral.

La sénescence cellulaire indépendante des télomères

Plusieurs signaux de stress, comme les dommages causés à l’ADN, le dommage oxydatif et l’expression de l’oncogène ras activé [18, 34, 35], activent un programme de sénescence non télomérique, mais qui est morphologiquement et biochimiquement semblable à la sénescence réplicative (Figure 2). Cette forme de sénescence est appelée stasis (stress or aberrant signaling-induced senescence) [35] et coïncide avec l’activation du locus INK4a/ARF. Soulignons que ce locus code pour ARF et l’inhibiteur des kinases dépendantes des cyclines, p16INK4a, protéines impliquées dans deux voies métaboliques indépendantes, la voie p16INK4a-CyclineD/CDK4-pRb et la voie ARF-Mdm2-p53, respectivement.

Dans les fibroblastes humains, p16INK4a jouerait un rôle plus prééminent que p14ARF à la fois dans la sénescence induite par ras oncogénique et la sénescence réplicative. p16INK4a, mais non p14ARF, s’accumule dans les fibroblastes sénescents après une stimulation oncogénique déréglée ou après épuisement de leur capacité réplicative [34-37] (Figure 2). Néanmoins, il n’a toujours pas été formellement montré que l’érosion des télomères participe directement à l’accumulation de p16INK4a. Des données récentes montrent que l’accumulation de p16INK4a au cours de la sénescence reflète une réponse cellulaire à un plus haut degré de stress que certains types cellulaires rencontrent in vitro [38]. Par exemple, contrairement à ce qui se passe dans les fibroblastes, l’expression ectopique de hTERT seule n’immortalise pas les kératinocytes [2]. L’immortalisation de ces cellules requiert un événement additionnel, l’inactivation de p16INK4a. Celle-ci peut être spontanée, via la répression de son promoteur par hyperméthylation, ou expérimentale, à travers l’inactivation de pRb par l’expression de l’oncoprotéine E7 du virus du papillome humain [39]. Cultivés dans des conditions adéquates, c’est-à-dire en présence de cellules nourricières, les kératinocytes peuvent être immortalisés par l’expression de hTERT seule [40]. Dans ce contexte, cette sénescence indépendante des télomères reflète l’adaptation des cellules aux conditions inadaptées de culture en laboratoire [2]. Clairement, un stress environnemental expérimenté par les cellules en culture peut « masquer » la sénescence, qui est uniquement contrôlée par la longueur des télomères.

Chez la souris, l’axe p19ARF-p53 sert également à intégrer une variété de signaux antiprolifératifs et oncogéniques. L’immortalité des MEF (mouse embryo fibroblasts) est associée à la perte mutuellement exclusive de la fonction du locus INK4a/ARF ou de p53 [41]. Jusque très récemment, il subsistait une incertitude sur les rôles respectifs des protéines p16INK4a et p19ARF dans la tumorigenèse murine. L’invalidation du seul gène p16INK4a chez la souris montre que l’absence de p16INK4a n’affecte ni la prolifération des MEF, ni leur entrée en sénescence. En revanche, il semble que p19ARF soit le principal acteur du contrôle de la sénescence et de l’immortalisation [42]. De même, p19ARF, mais pas p16INK4a, joue un rôle important dans la sénescence cellulaire induite par ras oncogénique [42]. Ras oncogénique active p19ARF, qui se lie à Mdm2, un régulateur de la stabilité de p53. Mdm2 est une ubiquitine ligase qui se lie à p53 pour l’adresser au protéasome où elle est dégradée. L’activation de la voie p19ARF-p53 par ras oncogénique explique pourquoi ras oncogénique seul ne peut pas efficacement transformer les MEF, mais est capable de transformer les MEF déficients en p19ARF ou p53 [41].

Conclusions

La contribution du programme de sénescence à l’homéostasie des tissus vivants, au vieillissement des organismes et à la prévention du développement tumoral reste encore mal comprise. La sénescence in vitro est un processus complexe et hétérogène. En imposant une limite aux capacités réplicatives de la cellule, la sénescence ferait obstacle au développement tumoral [2]. Cette notion, bien sûr attractive dans son concept, doit encore être prouvée. La sénescence cellulaire ou stasis observée après introduction d’un oncogène, comme ras activé, suscite un intérêt particulier puisqu’elle ferait obstacle à la prolifération de clones cellulaires mutés potentiellement transformés [34, 35]. Toutefois, ce concept ne fournit pas une explication satisfaisante à l’existence d’anomalies génétiques multiples observées dans les tumeurs, car le phénomène de stasis survient très rapidement. La prolifération d’un clone de cellules poussant sous l’influence de ras activé est si limitée que la probabilité qu’une cellule subisse une seconde mutation reste minime. Même si les données sur le phénomène de stasis induit par les oncogènes in vitro sont robustes et reproductibles, son implication dans le processus de tumorigenèse in vivo reste discutable.

En revanche, il est clair que la fonctionnalité des télomères, qui dépend de leur longueur mais aussi de la stabilité de leur structure terminale complexe, est essentielle au maintien de l’intégrité génomique et joue un rôle clé dans le processus de crise invitro comme in vivo. Un aspect important des recherches devrait être d’établir avec quelle fréquence les télomères raccourcis déclenchent l’instabilité génomique par rapport à l’apoptose au cours de l’initiation tumorale. Un autre point essentiel sera de déterminer s’il y a un lien entre le dysfonctionnement des télomères et l’instabilité chromosomique dans les tumeurs. Les télomères dysfonctionnels peuvent-ils initier l’instabilité génomique en l’absence d’autres mutations de gènes de réparation de l’ADN, ou le rôle principal du dysfonctionnement des télomères est-il de favoriser l’intabilité chromosomique déjà initiée par une déficience des systèmes de réparation de l’ADN ?