Corps de l’article

Les glucocorticoïdes (GC), hormones stéroïdes synthétisées par les corticosurrénales, sont essentielles pour le système nerveux. Les glucocorticoïdes jouent un rôle important dans le métabolisme des glucides, le stress, la neurotransmission, la survie ou l’apoptose neuronale et même dans la myélinisation. Les GC ont une grande affinité pour le récepteur des minéralocorticoïdes (MR) et une affinité moindre pour le récepteur des glucocorticoïdes (GR). On pense que les effets bénéfiques des GC, à faible dose, sont relayés par le MR alors que les effets délétères, à forte dose (stress, apoptose neuronale) passent par le GR [1]. Les cellules gliales du système nerveux, cibles privilégiées des GC, sont connues pour leur rôle trophique vis-à-vis des neurones. Elles sont impliquées dans de nombreux processus, comme la neurotransmission, la neurorégénération ou la myélinisation.

Le mode d’action du GR est bien connu : les GC, hydrophobes, pénètrent dans le cytoplasme en traversant passivement la membrane plasmique, interagissent avec le GR et induisent l’activation du récepteur, sa dimérisation et sa translocation nucléaire. Le GR influence l’expression génique en se liant à l’ADN au niveau de séquences spécifiques, les GRE (GC responsive elements). Cette étape nécessite l’intervention des coactivateurs de la transcription : le GR interagit avec un des membres de la famille de coactivateurs, les p160 (SRC-1, qui existe sous deux isoformes SRC-1a et SRC-1e, SRC-2 et SRC-3). Ils constituent une plate-forme d’accueil pour une deuxième famille de coactivateurs, CBP ou p300, qui, par leur activité d’acétylation des histones, modifient la structure chromatinienne pour créer un environnement permissif pour la transcription.

Le mode d’action des GC - mal connu dans le système nerveux - est abondamment documenté dans les organes périphériques (foie, rein, ovaires…). De plus, il semble que les récepteurs stéroïdiens recrutent d’une manière non sélective les coactivateurs de la famille des p160 (SRC-1, SRC-2 et SRC-3) ainsi que CBP et p300, ce qui pose un problème de sélectivité hormonale. Plusieurs questions ont été posées : le GR recrute-t-il au hasard les p160 ou bien des paramètres externes comme la nature du ligand, le contexte cellulaire ou le promoteur cible peuvent-ils guider ce recrutement ?

Nous avons montré que la localisation des p160 était différente dans les astrocytes et les cellules de Schwann et dépendait parfois de l’induction par l’hormone [2]. Par exemple, SRC-1 est strictement nucléaire dans les astrocytes alors qu’il est cytoplasmique dans les cellules gliales périphériques, et il entreprend un trafic nucléocytoplasmique après traitement des cellules par les glucocorticoïdes (Figure 1). Dans les astrocytes, SRC-3 existe sous deux isoformes localisées différentiellement dans le cytoplasme et l’appareil de Golgi. Nous pensons que les glucocorticoïdes provoquent une modification post-transcriptionnelle de SRC-3 pour le rendre actif uniquement aux temps tardifs d’induction du GR. Le temps d’induction est donc un paramètre déterminant dans la formation du complexe transcriptionnel qui se dissocie et se réassocie différemment au cours du temps : SRC-1 et SRC-2 sont les partenaires du GR pour les temps courts alors que le SRC-3 les remplace au bout de 72 heures d’induction. Le troisième élément capital dans le recrutement des p160 par le GR est la nature du promoteur cible des glucocorticoïdes. Nous avons montré que plus le promoteur est complexe et spécifique des glucocorticoïdes dans une cellule, moins le GR recrute de partenaires de la famille des p160. Par exemple, dans le contexte d’un promoteur basique ne contenant que deux GRE, le GR recrute SRC-1a ou SRC-1e ou SRC-3, alors qu’il interagit exclusivement avec SRC-1e dans le contexte du promoteur du gène endogène de l’aspartate aminotransférase [3]. Ainsi, la nature des bases qui composent le GRE ou la liaison de facteurs de transcription à proximité du GR sont déterminants dans le choix de recrutement des p160 par le GR.

Figure 1

Trafic nucléocytoplasmique du GR et de SRC-1 dans les cellules de Schwann

Trafic nucléocytoplasmique du GR et de SRC-1 dans les cellules de Schwann

le GR (fluorochrome rouge) et SRC-1 (fluorochrome vert) réalisent un trafic nucléocytoplamique et sont localisés dans le cytoplasme des cellules « témoins ». Au bout de 30 minutes d’induction par les glucocorticoïdes, GR et SRC-1 entrent dans le noyau. Une fraction de SRC-1 ressort du noyau au bout de 30 heures de traitement des cellules par les glucocorticoïdes, probablement pour être dégradée par le protéasome.

-> Voir la liste des figures

Nous avons aussi étudié le mode d’assemblage du GR avec SRC-1a dans les cellules gliales (Figure 2). Le modèle classique décrit une interaction exclusive entre le GR et le domaine d’interaction avec les récepteurs nucléaires en position carboxyterminale (NR2) de SRC-1a. Nous avons mis en évidence que, dans les cellules de Schwann, le GR peut contacter SRC-1a au niveau de ses deux domaines NR (NR1 central et NR2 carboxyterminal) [4] alors que, dans les astrocytes, seul le NR1 central est impliqué dans l’interaction avec le GR.

Figure 2

Modèles d’assemblage entre le GR, SRC-1a et CBP ou p300

Modèles d’assemblage entre le GR, SRC-1a et CBP ou p300

Dans le système classique, le GR interagit exclusivement avec le NR2 en position carboxyterminale de SRC-1a, et CBP ou p300 interagissent avec la partie centrale de la protéine. Dans les cellules de Schwann, le GR interagit indifféremment avec le NR1 ou le NR2 de SRC-1a, ce qui provoque un changement de conformation de la protéine et le recrutement de la β-caténine à la place de la CBP ; p300 agit dans ce cas comme un corépresseur grâce à son activité histone acétyltransférase qui doit probablement acétyler une protéine du complexe transcriptionnel du GR. Dans le cas des astrocytes, le GR interagit exclusivement avec le NR1, le NR2 étant dans ce cas un domaine d’exclusion. CBP se positionne au niveau du domaine central et p300 est un corépresseur.

-> Voir la liste des figures

La perturbation du premier étage du complexe transcriptionnel mis en place par le GR dans ces cellules modifie l’implication de CBP et de p300 dans la signalisation du GR. Dans les cellules de Schwann, p300 (coactivateur du GR) se comporte comme un corépresseur, alors que CBP n’est pas impliquée dans la signalisation du récepteur. Dans ces cellules, le facteur qui remplace CBP dans la signalisation du GR est la β-caténine (coactivateur de la voie canonique Wnt), capable d’interagir avec SRC-1 et de potentialiser l’effet transcriptionnel du récepteur [5]. La β-caténine est un coactivateur qui joue un rôle majeur dans l’inflammation ; son recrutement par le GR laisse donc présager un mécanisme anti-inflammatoire inédit dans les cellules gliales.

Ainsi, l’analyse du complexe transcriptionnel mis en place par le GR dans les cellules gliales démontre que le recrutement des p160 par le GR n’est pas un processus guidé par le hasard et que, loin d’être interchangeables [6], les membres de cette famille interviennent spécifiquement dans la signalisation du GR. Ce processus influence l’activité de CBP et de p300 dans cette voie de signalisation. L’implication différentielle de ces coactivateurs dans la signalisation du récepteur explique en partie les effets pléïotropiques mais spécifiques des GC dans les cellules gliales. Enfin, nos résultats montrent que le complexe transcriptionnel du GR dans les cellules gliales ne peut pas être calqué à partir des organes périphériques, ce qui permet d’envisager les coactivateurs comme de nouvelles cibles thérapeutiques dans le traitement des maladies neurologiques. Le recrutement des corégulateurs de la transcription par les récepteurs n’est donc pas le fruit du hasard des chocs moléculaires ou des mouvements browniens mais un processus multiparamétrique guidé par la nature du ligand [6], de l’élément de réponse du promoteur, de la cellule cible et de la cinétique d’induction.