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De nos jours, les cellules souches constituent des sujets d’actualité aussi passionnants que controversés. Elles sont au centre des débats qui animent non seulement les congrès, et que répercutent les articles scientifiques, mais également le monde politique soucieux d’établir des règlements et des lois, ainsi que les médias. La popularité des cellules souches n’avait certes pas cette ampleur il y a près de 50 ans, lorsque les pionniers dans ce domaine de recherche ont publié leurs découvertes. Notons entre autres les travaux de l’équipe du Dr Charles P. Leblond, de l’université McGill, qui a caractérisé pour la première fois en 1959 des cellules souches in situ grâce à une méthode nouvellement développée : l’autoradiographie [1, 2]. Les travaux de cette équipe sont à l’origine de l’identification des cellules souches dans des tissus en renouvellement continu comme ceux de l’intestin et de la peau [3]. De leur côté, les découvertes de Till et McCulloch, de l’Institut du cancer de l’Ontario de l’University Health Network, ont permis d’établir deux propriétés des cellules souches embryonnaires et post-natales : leur capacité à s’auto-renouveler et à engendrer différents types de cellules spécialisées [4, 5].

En effet, après avoir injecté de la moelle osseuse à des souris ayant préalablement été irradiées - une technique qui permit de détruire les cellules souches résidentes - les chercheurs canadiens ont constaté la présence de protubérances blanches, ou nodules, à la surface de la rate des souris transplantées [4]. Ces résultats suggéraient alors que des précurseurs capables de se multiplier et de se différencier étaient présents dans les extraits de moelle osseuse injectés.

La caractérisation des cellules souches découvertes par Till et McCulloch n’en demeurait pas moins difficile en raison de leur grande rareté (1 cellule sur 10 000 dans la moelle osseuse de souris), ainsi que de leur état de quiescence. À cet égard, le développement d’une méthode qui permet de quantifier les cellules progénitrices et de définir le potentiel d’autorenouvellement de ces cellules, ainsi que leur capacité à se différencier en plusieurs types de cellules sanguines, représente une des contributions importantes de cette équipe. Grâce à l’utilisation de marqueurs chromosomiques anormaux, Till et McCulloch ont pu établir la nature clonale des nodules spléniques observés chez leurs souris [5]. La relation linéaire directe entre le nombre de cellules de moelle transplantées et le nombre de nodules observés a permis aux chercheurs de conclure que chacun des nodules était issu d’une cellule multipotente, prouvant ainsi l’existence des cellules souches hématopoïétiques. Ils ont aussi démontré que les cellules des nodules spléniques pouvaient engendrer des colonies additionnelles lorsqu’elles étaient injectées à des souris réceptrices secondaires et que ces nodules différaient en terme de taille et de composition cellulaire, indiquant une capacité d’autorenouvellement variable. Ce type d’expérience, appelée transplantation sériée, est devenu un test classique qui permet de déterminer le potentiel d’autorenouvellement d’une population cellulaire.

Parmi les différents types de cellules souches, celles issues d’embryons soulèvent le plus de controverses. Ces cellules démontrent un potentiel de prolifération et de différenciation (multipotentialité) supérieur à celui des cellules souches des tissus adultes. Plusieurs difficultés devront cependant être surmontées avant que ces dernières puissent être employées en médecine régénératrice. Notamment, leur capacité à se renouveler et à se différencier devra être évaluée par la transplantation sériée. En effet, la différenciation des cellules souches exige un contrôle adéquat pour éviter, par exemple, les risques de retrouver des cellules calcifiées dans le coeur. De plus, les problèmes éventuels de rejet doivent être soigneusement considérés et résolus puisqu’il s’agit de transplantation hétérologue.

Étant donné les réserves de nature éthique entourant l’utilisation d’embryons humains d’où l’on extrairait des cellules souches, le recours aux cellules souches issues de tissus post-nataux est souvent évoqué comme une alternative plus acceptable. Toutefois, l’étendue de leurs applications dépendra de leur pluripotentialité de différenciation. Cette pluripotentialité est-elle aussi importante que celle des cellules souches embryonnaires ? Des résultats montrent que la transplantation de cellules souches hématopoïétiques adultes améliore la régénération de tissus lésés - ceux du coeur, par exemple [6] - suggérant que le caractère pluripotent des cellules souches post-natales pourrait être mis à profit cliniquement.

Actuellement, la transplantation des cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse est couramment utilisée en clinique. Elle a d’abord été employée pour traiter des maladies mortelles qui sont associées à un envahissement néoplasique de la moelle osseuse telles que l’anémie aplasique et les cancers hématologiques. Devant le succès de cette thérapie cellulaire, d’autres sources plus accessibles de cellules souches hématopoïétiques ont été identifiées : sang du cordon ombilical ou sang périphérique. Ces cellules souches, qui ont été soumises au modèle de transplantation sériée développé par Till et McCulloch, ont démontré des propriétés équivalentes à celles des cellules souches de la moelle. De plus, les études cliniques ont confirmé qu’elles colonisent rapidement la moelle osseuse du receveur et y demeurent de façon durable.

Ainsi, Till et McCulloch ont développé une méthodologie efficace pour l’étude des cellules souches et ont contribué de façon importante à notre meilleure compréhension du comportement des cellules souches de la moelle osseuse. Les résultats engendrés par leurs travaux de recherche ont permis de développer des outils et des concepts toujours en application aujourd’hui. Plus encore, ils ont mené à un traitement des maladies associées à un déficit en cellules souches hématopoïétiques.