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L’obésité est devenu un problème majeur de santé publique lié entre autres à la multitude des complications qu’elle engendre (par exemple, le diabète de type 2). Son développement est la conséquence de variations rapides et récentes de l’environnement nutritionnel et social. D’un point de vue énergétique, les causes de l’obésité sont simples. Si l’on a stocké des calories sous forme d’acides gras dans le tissu adipeux, c’est que, pendant une période plus ou moins longue, les apports caloriques (alimentation) ont dépassé les dépenses. Les dépenses peuvent être schématiquement divisées en une partie incompressible (métabolisme de base) liée au fonctionnement obligatoire de nos cellules, et une partie variable, dépendante de paramètres comme l’absorption de nourriture (thermogenèse post-prandiale), l’activité physique et l’adaptation aux conditions climatiques. Si l’on veut maigrir, il faut donc jouer sur l’un ou l’autre des plateaux de la balance énergétique, les entrées ou les sorties.

Augmenter l’activité physique se révèle pour la plupart des obèses très difficile. Peut-on alors envisager d’augmenter « artificiellement » la dépense énergétique (maigrir en regardant son émission préférée…) ? Dans la cellule, la production d’énergie chimique sous forme d’ATP s’effectue dans la chaîne respiratoire des mitochondries. La chaîne respiratoire oxyde les coenzymes réduits provenant de l’utilisation des substrats énergétiques (Figure 1) et pompe des protons à l’extérieur de la matrice mitochondriale. L’énergie créée par le gradient de protons sert ensuite à synthétiser de l’ATP (la monnaie énergétique cellulaire) à partir d’ADP, grâce à l’ATP synthase qui peut être considérée comme un dissipateur du gradient de protons puisqu’elle permet le retour des protons dans la matrice mitochondriale. Il existe un couplage très étroit entre l’activité de la chaîne respiratoire et la synthèse d’ATP. L’ATP ne peut se former que si la chaîne respiratoire fonctionne et crée un gradient de protons. La chaîne respiratoire ne peut fonctionner que si de l’ADP est transformé en ATP, en d’autres termes uniquement lorsque l’ATP ayant été consommé, il a engendré de l’ADP. Donc pour maigrir, il faut consommer beaucoup d’ATP, comme lors d’un exercice musculaire, afin d’oxyder des substrats. Et si l’on pouvait « découpler » le système chaîne respiratoire/synthèse d’ATP ? Il existe un système naturel de découplage dans les mitochondries d’un tissu adipeux particulier, le tissu adipeux brun, localisé en général autour des grosses artères et au niveau interscapulaire. Très riche en mitochondries, il possède des vacuoles lipidiques multiloculaires. Dans ce tissu, une protéine spécifique appelée UCP1 (uncoupling protein 1) insérée dans la membrane mitochondriale permet aux protons de rentrer dans la matrice (Figure 1) [1]. La chaîne respiratoire fonctionne alors en oxydant les cofacteurs réduits provenant de la β-oxydation des acides gras, sans produire d’ATP mais en convertissant l’énergie chimique en chaleur. Ce système est effectivement spécialisé dans la production de chaleur et on le retrouve en général chez les jeunes mammifères (y compris chez le nouveau-né humain) chez lesquels le rapport surface/volume rend difficile le maintien de l’homéostasie thermique. Le tissu adipeux brun disparaît chez l’adulte sauf chez les rongeurs et les mammifères hibernants. Ce découplage naturel est activé par le système sympathique en cas de stress lié au froid. Les hormones thyroïdiennes le stimulent également et l’on peut souligner que l’activation sympathique augmente dans le tissu adipeux brun l’expression d’une 5’-désiodinase de type 2 qui convertit la thyroxine (T4) en tri-iodothyronine (T3) active.

Figure 1

Chaîne respiratoire mitochondriale et protéine découplante.

Chaîne respiratoire mitochondriale et protéine découplante.

L’oxydation des coenzymes réduits et le cheminement des électrons à travers les quatre complexes de la chaîne respiratoire aboutissent à la réduction de l’oxygène moléculaire et s’accompagnent de l’éjection de protons dans l’espace intermembranaire. Ce gradient de protons est utilisé par l’ATP synthase pour synthétiser l’ATP. La protéine découplante (UCP), en assurant le passage des protons dans la matrice, permet le découplage entre la production d’ATP et le fonctionnement de la chaîne respiratoire. Q : coenzyme Q ; Cyt C : cytochrome C.

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Dans un article publié dans Nature [2], le groupe de J. Auwerx met en évidence une manière totalement inattendue d’activer le découplage mitochondrial dans le tissu adipeux brun de rongeurs, en utilisant un acide biliaire ajouté à la nourriture des animaux. Les acides biliaires - acide cholique et acide désoxycholique - sont des dérivés amphiphiles du cholestérol qui peuvent être conjugués à la taurine ou à la glycine. Ils sont produits par l’hépatocyte et déversés dans la bile. Ils solubilisent le cholestérol dans l’hépatocyte favorisant son élimination dans la bile et par ailleurs permettent la dégradation par les lipases des triglycérides alimentaires en formant avec ceux-ci des émulsions stables dans la lumière intestinale. Environ 95 % des acides biliaires déversés dans l’intestin sont ré-absorbés au niveau iléal et peuvent être réutilisés (cycle entéro-hépatique). Leur production est contrôlée par le récepteur nucléaire FXR (farnesoid X receptor). Lorsque ce récepteur est activé par les acides biliaires [3], cela entraîne l’expression d’un répresseur (SHP, small heterodimer partner) de la transcription des enzymes intervenant dans leur synthèse [4].

Dans cet article, les auteurs ont étudié des souris qui consomment un régime riche en graisse. Elles grossissent par rapport à des animaux consommant le régime habituel riche en glucides complexes, et leur tissu adipeux est hypertrophié. L’ajout de 0,5 % (poids) d’acide cholique au régime riche en graisse entraîne une élévation d’un facteur quinze des concentrations circulantes d’acide cholique et de ses dérivés et annule la prise de poids de ces souris malgré une prise alimentaire identique. Leur consommation d’oxygène est plus élevée, ce qui reflète une augmentation des dépenses énergétiques. Leur tissu adipeux brun est effectivement activé : diminution des réserves lipidiques, augmentation de l’expression de la protéine découplante UCP1, des enzymes de l’oxydation des acides gras et de la surface des crêtes mitochondriales. Un agoniste spécifique du récepteur nucléaire FXR ajouté au régime ne peut reproduire ces effets et aucune expression de ce récepteur n’est d’ailleurs détectée dans le tissu adipeux brun. Les auteurs démontrent que l’acide biliaire se lie en fait à un récepteur membranaire couplé aux protéines G (TGR5) [5], ce qui favorise la production d’AMPc, induit l’expression de la iodothyronine désiodinase de type 2 et stimule ainsi par l’intermédiaire de la T3 l’activité thermogénique du tissu adipeux brun.

Contrairement aux rongeurs, l’homme adulte ne possède pas de tissu adipeux brun. Les auteurs démontrent cependant que dans des cultures primaires de myoblastes humains, les acides biliaires activent la iodothyronine désiodinase de type 2 et stimulent la consommation d’oxygène. On ne peut en l’occurrence impliquer ici la protéine UCP1, absente du muscle. Il est cependant très bien établi que les hormones thyroïdiennes augmentent la thermogenèse en diminuant l’efficacité métabolique (découplage mitochondrial), bien que les mécanismes cellulaires sous-jacents fassent encore l’objet de nombreuses recherches [6]. Les hormones thyroïdiennes font maigrir mais leurs effets secondaires (nervosité, troubles digestifs, troubles cardiaques…) sont trop divers pour qu’elles soient utilisées comme outil anti-obésité. Le mécanisme décrit chez les rongeurs, augmentation de la thermogenèse par les acides biliaires, pourrait être néanmoins pertinent chez l’homme dans le cadre d’une action anti-obésité, par l’intermédiaire de modifications locales et modérées de la concentration de T3.

Quelle pourrait être la signification physiologique des effets périphériques des acides biliaires ? La majorité des acides biliaires arrivant par la veine porte après leur ré-absorption intestinale est captée par le foie. Cependant, après un repas, leur concentration périphérique augmente de façon significative et ils pourraient alors « avertir » les organes périphériques de la disponibilité en nutriments et être en partie responsable de la thermogenèse post-pandiale.

Figure 2

Acides biliaires et dissipation de l’énergie.

Acides biliaires et dissipation de l’énergie.

Selon l’article de Watanabe et al., une partie des acides biliaires provenant de la réabsorption intestinale après un repas échappe à la capture hépatique. Chez les rongeurs, ils se lient à un récepteur couplé aux protéines G (TGR5) situé sur la membrane plasmique des adipocytes bruns. La production d’AMPc stimule l’expression d’une iodothyronine désiodinase de type 2 qui augmente les concentrations intracellulaires de T3. Celles-ci stimulent alors le découplage mitochondrial par l’intermédiaire de l’UCP et la dissipation d’énergie sous forme de chaleur. Chez l’homme, un système identique pourrait permettre la dissipation de l’énergie dans les cellules musculaires par un mécanisme dépendant de l’hormone thyroïdienne T3, mais différent du système UCP et non encore totalement élucidé.

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