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Le syndrome inflammatoire et métabolique lié à l’obésité dépend de chimiokines, les CCL, et de leur récepteur, le CCR2

L’obésité s’accompagne d’un état inflammatoire impliqué dans le développement de l’athérosclérose et de troubles métaboliques comme la stéatose hépatique et la résistance à l’insuline. L’état inflammatoire est dû à la production, par les adipocytes et les macrophages infiltrant le tissu adipeux, de molécules pro-inflammatoires, essentiellement des chimiokines et, en particulier, les protéines chimiotactiques des monocytes (monocyte chemoattractant proteins, MCP). La concentration de l’une d’entre elles, le MCP1, appelé encore CCL2 (C-C motif chemokine ligand-2) et l’expression de son récepteur, le CCR2, sont très élevées dans l’obésité, ce qui a conduit Weisberg et al. [1] à rechercher si le couple CCL2-CCR2 jouait un rôle dans l’inflammation et, également, dans les troubles de l’équilibre glycémique observés dans l’obésité. Ils ont, en premier, étudié, en utilisant la technique d’amplification en chaîne en temps réel, l’expression des gènes de diverses chimiokines (CCL2, CCL7, CCL8) et de leur récepteur commun CCR2 chez des souris rendues obèses par un régime riche en graisses, et traitées ou non par la pioglitazone, un agent augmentant la sensibilité à l’insuline, ou chez des souris maigres ingérant un régime pauvre en graisses. Toutes les chimiokines et le récepteur CCR2 étaient surexprimés chez les souris obèses et revenaient à la normale après traitement par la pioglitazone. Le protocole suivant fut conduit chez les souris invalidées pour CCR2. Les modifications de ce génotype n’influencèrent pas la masse graisseuse et le poids des animaux ingérant le régime pauvre en graisse. En revanche, les souris CCR2-/- recevant un excès de graisse furent en partie protégées de l’obésité, comme le montra une moindre acquisition de poids que chez les souris sauvages témoins. La diminution de l’appétit observée en parallèle chez les souris invalidées en fut probablement la cause. On doit noter cependant que quelques-unes des souris CCR2-/- sont devenues obèses (poids > 40 g). En comparant ces souris obèses invalidées avec les souris sauvages de même poids - afin d’éliminer le rôle propre de l’obésité - on constata chez les premières une diminution du nombre de macrophages dans le tissu adipeux et de l’expression de molécules pro-inflammatoires (facteur de nécrose tumorale α, inhibiteur de l’activateur du plasminogène de type 1), une augmentation de l’expression de l’adiponectine (une protéine spécifique du tissu adipeux aux propriétés anti-inflammatoires et anti-diabétiques), une moindre stéatose hépatique, une meilleure homéostasie du glucose et une augmentation de la sensibilité à l’insuline. Enfin, chez les souris sauvages rendues obèses, l’administration pendant 17 jours d’un antagoniste pharmacologique du CCR2 (INCB3344) diminua le nombre des macrophages et améliora la sensibilité à l’insuline sans modifier le poids des animaux. L’ensemble de ces données montre que le récepteur des chimiokines CCR2 influence le développement de l’obésité et de l’inflammation associée du tissu adipeux tout en favorisant la résistance à l’insuline. Ces effets persistent chez les animaux déjà obèses, mais répondent au traitement par un antagoniste, ce qui ouvre une nouvelle voie thérapeutique dans le syndrome métabolique dont la fréquence augmente dans nos sociétés développées.

Mutation d’un canal sodium et mort subite du nourrisson

Des milliers de nourrissons meurent chaque année d’un syndrome dit de mort subite (SIDS, sudden infant death syndrome) dont la cause est encore mal connue. À titre préventif, on a déconseillé de faire dormir les bébés sur le ventre, mais cette pratique s’est révélée peu efficace. Les facteurs de risque sont multiples, la physiopathologie sûrement multifactorielle. Mais une incidence variable du SIDS selon les populations suggère une composante génétique, hypothèse à laquelle un travail coopératif coordonné par des chercheurs de l’université de Chicago (États-Unis) vient d’apporter une confirmation [2]. Deux cas de mutations d’un canal sodium SNC5A (cardiac voltage-gated sodium channel) avaient déjà été décrits après autopsie. Or, on sait que ce canal est impliqué dans le syndrome du QT long congénital [3], le syndrome de Brugada [4] (où la mort subite survient surtout la nuit), et dans des cas de fibrillation ventriculaire ou de troubles de conduction cardiaque. La majorité de ces mutations se traduit par un fonctionnement prolongé du canal sodium, normalement refermé, d’où des troubles du rythme chaotiques et une mort subite possible. Au cours d’un criblage de population effectué aux États-Unis et coordonné par des chercheurs de Harvard, le variant le plus fréquent, S1103Y, a été trouvé 8 fois plus souvent chez les Afro-Américains (13,2 %) [5]. Il entraîne un risque d’arythmie, qui ne se révèle qu’à l’occasion de facteurs additionnels, entre autres des médicaments. Aucune anomalie de fonctionnement n’est retrouvée in vitro. Le travail actuel, portant sur 224 autopsies de nourrissons, dont 133 Afro-Américains, a retrouvé cette mutation A > C, Ser > Tyr, dans 13 cas, et 4 autres variants rares. La même proportion de mutants a été observée dans une série d’adultes témoins (120/1 056). Mais une très forte déviation par rapport à l’équilibre de Hardy-Weinberg est observé chez les enfants morts de SIDS, qui n’existe pas chez les témoins bien portants. L’étude de la molécule et les cultures cellulaires ont montré que le fonctionnement du canal impliquait l’interaction de la sous-unité SCN5A avec SCN5B. À pH 7,4, la mutation C1103Y n’induit aucun changement. Celui-ci apparaît progressivement quand on abaisse le pH, il est significatif à pH 6,7. Du point de vue physiologique, il peut donc être induit par une acidose métabolique. Est-elle plus fréquente chez ces enfants ? Une acidose respiratoire par apnée prolongée et hypoventilation serait-elle le facteur favorisant ? Les enfants d’origine africaine ont-ils un risque d’arythmie plus fréquent ? Ces résultats demandent sûrement à être confirmés sur d’autres cohortes.

Menace sur la biodiversité

Parmi les espèces disparues ou en voie de disparition figurent de très nombreux amphibiens ((→) m/s 2005, n° 1, p. 36).

Le Global Amphibian Assessment a recensé 427 espèces menacées, et 122 qui ont probablement déjà disparu. Deux causes avaient été invoquées pour expliquer cette extinction progressive : le réchauffement climatique et un champignon pathogène, le Batrachochytrium dendrobatidis. Les grenouilles arlequin (Atelopus, en particulier la grenouille arlequin de Monterverde au Costa Rica), et le crapaud doré (Bufo periglenes), qui étaient des hôtes des forêts humides d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, semblent être exterminés par ce champignon. Pourtant, il était difficile de comprendre pourquoi ce parasite avait actuellement une action plus nocive puisque, par le passé, il avait été démontré qu’il devenait pathogène à des températures basses en provoquant chez les batraciens une chytridiomycose. Son rôle semblait donc indépendant du réchauffement climatique. Mais en étudiant la température et les précipitations selon l’altitude, des chercheurs ont récemment pu montrer qu’en altitude moyenne (1 000 à 2 400 mètres), les variations de température sont moindres et permettent au parasite de se développer [6]. Les écarts de température en haute et en basse altitude sont trop élevés pour permettre la prolifération du champignon. Il existe donc bien un lien entre la progression de la chytridiomycose et le réchauffement climatique. Indéniablement, la biodiversité est menacée, et en tout premier lieu celle des amphibiens qui sont les parmi les espèces vivantes les plus exposées.

La perte de Nras induit la conversion métastatique des tumeurs thyroïdiennes déficientes en Rb1

L’implication des formes mutantes des proto-oncogènes Ras dans la tumorigenèse est bien étudiée. Il a été démontré que la présence d’un oncogène Ras de type sauvage dans les tumeurs porteuses d’un Ras constitutivement actif réduit la progression de la tumeur. Mais il était aussi intéressant de rechercher le rôle du Ras de type sauvage en l’absence de Ras mutant oncogénique. Une étude des interactions entre Ras et Rb1 (retinoblastoma) vient d’être réalisée chez des souris hétérozygotes Rb+/- [7]. On sait que ces souris développent des adénocarcinomes de l’hypophyse et des adénomes thyroïdiens. En croisant des souris Rb+/- Nras +/-, il est possible de mesurer le rôle de Nras sur l’évolution des tumeurs dans les différentes lignées de souris ainsi obtenues. Concernant les tumeurs hypophysaires, alors que les souris Rb+/- développent toutes des tumeurs, celles-ci n’apparaissent que chez 47 % des souris Rb+/- Nras-/- et, de façon intermédiaire, chez 76 % des souris Rb+/- Nras+/-. De plus, l’absence de Nras limite la taille des tumeurs : elles sont 3 à 4 fois plus grosses chez les souris Rb+/- (sans perte de Nras) que chez les souris Rb+/- Nras-/-. La perte de Nras freine donc la formation des tumeurs hypophysaires, et ce en favorisant la différenciation, comme le montre l’étude histologique comparative des tumeurs des différentes lignées de souris, les tumeurs des souris Rb+/- Nras-/- étant nettement plus différenciées, avec une architecture lobulaire et une absence d’infiltration des bords. En revanche, en ce qui concerne les tumeurs thyroïdiennes, les résultats sont inverses. Chez les souris Rb+/- porteuses d’adénomes thyroïdiens, la perte de Nras favorise les métastases, et ce par augmentation de l’activité RhoA (Ras homolog family A), comme cela a pu être démontré en culture de cellules C dérivées des tumeurs thyroïdiennes. Le rôle de RhoA est confirmé par le fait que sa suppression (réalisée chez des souris porteuses de tumeurs Rb+/- Nras -/-) empêche la formation des métastases. Il semble donc que le rôle de Nras dépende du type cellulaire : sa perte inhibe les tumeurs hypophysaires (tumeurs endocrines) et favorise la progression des tumeurs thyroïdiennes (de la médullaire, de type neuroendocrine). Il faut donc désormais garder présent à l’esprit cette notion : la perte du proto-oncogène Nras peut favoriser la progression de tumeurs malignes dans certaines conditions.

Lymphocytes NK : KLRG1 fait l’adhésion !

Les lymphocytes NK (natural killers) sont des cellules clés de l’immunité innée. Ils constituent la première ligne de défense contre les infections virales et la lutte anti-tumorale. Leur activation conduit à une activité cytotoxique et à la sécrétion de cytokines régulatrices. Elle résulte de la somme des signaux activateurs et inhibiteurs provenant de la mise en jeu de divers récepteurs de surface. Les récepteurs des cellules NK se répartissent principalement en deux grands groupes fondés sur leur structure biochimique. D’une part, les KIR appartenant à la superfamille des immunoglobulines et, d’autre part, les KLR apparentés à la superfamille des lectines de type C. Nombreux parmi ces récepteurs sont ceux qui se lient aux molécules CMH de classe I à la surface des cellules cibles. C’est l’un des mécanismes de reconnaissance qui permet aux cellules NK d’identifier les cellules tumorales ou infectées par un virus, qui souvent perdent leur expression de molécules de classe I. Pour de nombreux autres récepteurs NK, leur ligand est encore inconnu. C’était notamment le cas de KLRG1, un récepteur NK exprimé chez l’homme sur environ 50 % des cellules NK circulantes ainsi que sur des lymphocytes T cytotoxiques, et dont l’expression est augmentée lors d’une infection virale. Deux équipes viennent de démontrer que KLRG1 est un récepteur des cadhérines [8, 9]. Les cadhérines sont des molécules d’adhérence, dépendantes du calcium, présentes dans de nombreux tissus où elles participent au maintien de l’architecture tissulaire. Elles se regroupent en familles suivant leur localisation : cadhérine E (épithéliale) ; M. (musculaire) ; N (neuronale) ; R (rétinienne) ; P (placentaire) ou VE (endothélium vasculaire). Parmi ces 6 cadhérines, KLRG1 reconnaît les cadhérines E, R et N. KLRG1 est un récepteur dont l’engagement entraîne un signal inhibiteur impliquant un domaine ITIM (immunoreceptor tyrosine-based inhibitory motif) dans sa partie intracytoplasmique [10], comme le démontre l’inhibition de la lyse NK de cibles exprimant l’une des trois cadhérines reconnues. Comment interpréter ces résultats ? Les cadhérines sont normalement exprimées au niveau des jonctions intercellulaires dans les épithéliums ou les endothéliums et ne sont donc pas accessibles aux cellules NK. Cependant, en cas de dommages tissulaires du fait des modifications de l’architecture, les cadhérines, ainsi que d’autres protéines associées, sont alors exposées. Leur reconnaissance par les récepteurs KLRG1 des cellules NK ou T cytotoxiques peut prévenir leur destruction en inhibant l’activité cytolytique de ces effecteurs, évitant des dommages plus graves et facilitant la cicatrisation. Mais si la désorganisation tissulaire est le résultat d’une transformation tumorale ou d’une infection virale chronique, la perte d’architecture est souvent associée à la perte d’adhérence et de l’expression de molécules comme les cadhérines. L’activité cytolytique des cellules effectrices peut alors s’exercer pleinement. Voilà, en tout cas, l’hypothèse séduisante émise par les auteurs, mais qui reste encore à être validée expérimentalement. Comme les récepteurs pour les molécules de classe I, KLRG1 serait donc un récepteur participant au maintien d’une immunosurveillance efficace réalisée par les cellules exprimant ce récepteur.

À chacun sa tuberculose

Des relations entre des populations définies par leur géographie et des agents pathogènes ont été évoquées depuis longtemps. Les exemples de Helicobacter pylori [11] ou de Mycobacterium leprae [12] sont classiques, qui ont fait supposer une adaptation de l’interaction hôte/pathogène. La co-évolution mise en évidence pourrait entraîner une susceptibilité et/ou une pathogénicité spécifiques [13]. On a pu ainsi dire que les souches pathogènes et les populations étaient sympatriques ou allopatriques. Un groupe pluricentrique de chercheurs américains a étudié ce type de compatibilité chez Mycobacterium tuberculosis [14]. Cette étude, menée sur plus de 10 ans, a comporté en premier lieu l’identification de 875 souches de M. tuberculosis originaires du monde entier (80 pays). Les auteurs ont ainsi caractérisé six lignages majeurs, un certain nombre de subdivisions, et ils ont confirmé des classifications antérieures. Ces lignages ont une distribution géographique extrêmement structurée : chacun prédomine dans certains pays, Extrême-Orient ou pays de l’Océan Indien par exemple. Tous les lignages, en revanche, sont représentés en Afrique, suggérant que la mycobactérie ancêtre a peut-être infecté les premiers hominoïdes en Afrique de l’Est et serait plus archaïque qu’on ne le croit habituellement [15]. Ces données sont en cohérence avec l’hypothèse et l’évolution de la tuberculose humaine. En parallèle, les auteurs ont mené leur étude sur près de 3 000 patients tuberculeux de San Francisco, ville très cosmopolite. Outre les individus nés aux États-Unis, d’autres viennent de Chine, des Philippines, d’Amérique Centrale ou du Vietnam. Trois des six lignages se retrouvent chez la quasi-totalité des patients (99,6 %) qui forment cinq groupes selon leur origine. En stratifiant les lignages bactériens en fonction des cinq populations, on constate dans chacune d’entre elles une prédominance évidente (p < 0,0001) pour un lignage. Les auteurs ont ensuite recherché si cette association reflétait une transmission différentielle, spécifique de l’hôte, formulant l’hypothèse selon laquelle une souche rare dans une population donnée ne serait pas transmise. Adaptée à une population, elle le serait mal aux autres. Confortant cette hypothèse, on a constaté que les Chinois nés en Chine sont infectés par la même souche que ceux qui sont nés aux États-Unis. Il en est de même pour les Philippins. Il est, évidemment, impossible d’éliminer dans l’interprétation de ces résultats le rôle de facteurs sociologiques ou épidémiologiques. Pourtant, les Chinois sont à San Francisco depuis l’année 1 800 environ, ce qui représente amplement le temps d’une diffusion et d’un mixage des souches. L’analyse multivariée des résultats suggère donc une adaptation et une compétence particulières de la bactérie pour les populations dites allopatric. Cette observation pourrait être prise en compte dans le contrôle, les études épidémiologiques, ou la préparation de vaccins.

Un modèle d’association quadripartite chez les fourmis attines

Les fourmis attines, redoutables défoliatrices du Nouveau Monde (en Amérique Centrale, elles peuvent détruire jusqu’à 10 % des récoltes) forment d’étranges associations symbiotiques. Elles ont développé des techniques sophistiquées pour cultiver des champignons et des moisissures possédant des enzymes leur permettant de digérer la cellulose des plantes. Elles les cultivent dans des jardins souterrains qu’elles surveillent avec soin. En 1998, des chercheurs ont recensé les cultivars (variétés) sélectionnés par les différentes espèces de fourmis et ont montré l’évolution des fourmis et des espèces de champignons qu’elles on choisi de cultiver au cours des millénaires [16]. Mais ces champignons peuvent à leur tour être parasités par des microchampignons du genre Escovopis (par exemple Ascomycota ou Hypocreales). Il s’ensuit une diminution de développement des jardins, une production accrue de nouvelles ouvrières mais, parfois, un Escovopis envahit complètement les jardins et les détruit. Pour protéger leur cultivar de ces microchampignons parasites, les fourmis ont formé une autre association, cette fois avec une bactérie filamenteuse du genre Pseudonocardia appartenant à la famille des Actynomycétales, bien connus pour leur capacité à produire des antibiotiques. Les bactéries se développent sur les fourmis, recouvrant soit des régions très précises de la cuticule (les faces latérales du prothorax ou propleures chez les Cyphomyrmex costatus), soit l’ensemble de l’insecte comme chez Cyphomyrmex longiscapus. Un groupe international vient de montrer que ces fourmis possèdent des cryptes dans leur cuticule [17]. Celles-ci s’ouvrent à l’extérieur, par un pertuis protégé par de minuscules poils très fins. Ces bactéries mutualistes sont aussi portées par les reines au moment du vol nuptial et ainsi transmises à la descendance. Les analyses moléculaires des différentes espèces de fourmis montrent que cette association symbiotique évolue depuis environ 500 millions d’années et que les différentes espèces ont progressivement constitué des lieux d’hébergement dans leur cuticule pour que les bactéries puissent se multiplier et produire des antibiotiques puissamment actifs contre les microchampignons et assurer ainsi une défense efficace pour la préservation de leur nourriture. On savait que les fourmis avaient devancé l’homme dans l’organisation de l’agriculture, mais il reste à comprendre pourquoi, au cours de cette longue évolution, aucune résistance du parasite à l’antibiotique n’est apparue dans cette symbiose quadripartite.

Sommes-nous tous hypertendus ?

Depuis quelques années, les cardiologues américains distinguent : l’hypertension artérielle caractérisée par des chiffres de pression artérielle supérieurs à 89/139 mmHg (diastolique/systolique) ; la pré-hypertension avec des valeurs entre les précédentes et 80/120 mmHg ; et la tension normale correspondant à des valeurs inférieures à 120/80 mmHg. Cette distinction est fondée sur la croyance en un risque plus élevé d’accidents cardiovasculaires chez les sujets pré-hypertendus que chez les sujets normaux. Une telle attitude n’est pas sans poser de nombreux problèmes : (1) y a-t-il réellement des millions de sujets « anormaux » dans les pays développés ? ; (2) que faut-il leur conseiller : une simple surveillance de leur pression artérielle, une meilleure hygiène de vie, ou des médicaments ? Kshirsagar et al. [18] ont abordé le problème en se demandant si la pré-hypertension accroissait la fréquence des maladies cardiovasculaires chez les sujets présentant, par ailleurs, un autre facteur de risque : diabète, insuffisance rénale, obésité, hypercholestérolémie, âge avancé, appartenance à une minorité plus souvent atteinte. Ils ont pour cela retenu 8 960 individus des deux sexes, entre 45 et 64 ans, dont les pressions artérielles étaient, à l’examen initial, inférieures à 90/140 mmHg, et appartenant à une cohorte déjà existante dénommée ARIC (atherosclerosis risk in communities). Ils ont distingué trois groupes parmi eux : ceux à pression artérielle entre 85-89/130-139 mmHg (normaux « hauts ») ; ceux à pression artérielle entre 80-84/120-129 mmHg (normaux) ; et ceux à pression artérielle inférieure à 80/120 (normaux « optimaux »). Ces sujets furent suivis sur une période d’environ 10 ans, avec trois visites à environ trois ans d’intervalle. Les événements colligés ont été les accidents cardiovasculaires (maladies coronaires létales ou non) et cérébro-vasculaires. L’analyse a été également faite dans des sous-groupes comme les Afro-Américains, les diabétiques, les sujets âgés de 55 à 64 ans, les malades atteints d’insuffisance rénale et en tenant compte des concentrations de LDL-cholestérol et de l’indice de poids corporel. Si l’on prend comme base les sujets à pression artérielle optimale, le risque relatif fut multiplié par 2,33 (de 1,85 à 2,92) chez les sujets normaux « hauts » et par 1, 81 (de 1,47 à 2,22) chez les sujets normaux. Chez les Afro-Américains, les diabétiques, les sujets âgés de 55 à 64 ans, les malades en insuffisance rénale, les obèses (indice de poids corporel > 30) et les sujets à taux élevé de LDL-cholestérol (> 160 mg/dl), les risques relatifs des normaux « hauts » par rapport aux normaux « optimaux » furent 3,29, 4,10, 2,41, 1,90, 3,56 et 1,81, respectivement. Cette étude démontre clairement que les sujets normaux « hauts » sont à risque par rapport aux normaux « optimaux ». Cette association est amplifiée lorsque existe un facteur supplémentaire. La question à se poser maintenant est comment combattre ce risque et, en particulier, si un traitement médicamenteux anti-hypertenseur sera ou non efficace chez des sujets auxquels il n’est pas habituellement prescrit ? D’une manière plus générale, l’optimum doit-il remplacer la moyenne statistique dans notre conception de la normalité dans une population ?

Les sons et les parfums tournent… en stéréo

Après avoir eu le prix Nobel en 1961 pour avoir découvert que la perception des sons se faisait en stéréo, Georg von Békési démontra qu’un stimulus olfactif était reçu par les deux narines séparément, ce qui permettaient de localiser le lieu où se trouvait le corps odorant [19]. Comme d’autres mammifères, les rats se servent de leur flair pour localiser des odeurs dans leur environnement. Cette localisation est rapide, d’où l’hypothèse d’une réception séparée des odeurs perçues par chacune des deux narines. Mais celle-ci paraissait improbable car les narines des rats sont très rapprochées (3 mm de distance), et il semblait difficile de mettre au point une technique permettant de confirmer ou d’invalider l’hypothèse d’un double repérage. C’est pourtant ce que vient de réussir une équipe indienne avec une extrême précision [20]. Pour ce faire, les chercheurs ont fait suivre à des rats un entraînement intensif pour les exercer à reconnaître les odeurs. Des rats privés d’eau pouvaient accéder à une fontaine s’ils reconnaissaient la situation droite ou gauche de l’émission d’odeurs (quantitativement mesurée avec un olfactomètre) au cours de sessions quotidiennes comportant 100 à 200 essais. Quatorze rats Wistar ont ainsi été entraînés et les progrès mesurés dans le temps : vers le 9e jour, l’entraînement permit d’obtenir une bonne performance. Des thermocouples ont été implantés dans les cavités nasales pour enregistrer la respiration (différence de température entre l’air inhalé et l’air expiré). Puis, les narines ont été suturées (empêchant complètement l’entrée de l’air le premier jour) et des tests ont été réalisés avec émissions d’odeur quand la narine droite était obstruée, puis - après avoir dégagé la narine droite -, quand la narine gauche était obstruée (vérification a été faite que la suture en elle-même n’entraînant pas de modification du comportement). Les performances chutent de façon significative quand l’une ou l’autre des narines est bouchée et reprennent dès que les deux narines sont fonctionnelles. Pour vérifier si cette perception en stéréo était effective du point de vue cérébral, des enregistrements ont été effectués à partir des bulbes olfactifs de femelles anesthésiées qui recevaient des émissions d’odeur tantôt à droite, tantôt à gauche. On sait que la cavité nasale est innervée par des neurones sensoriels olfactifs et par la branche ethmoïde du trijumeau. Certaines molécules odorantes ne seraient pas perçues pas le nerf trijumeau, comme, par exemple, l’alcool phénéthyl (un composant de l’essence de rose). Celui-ci a donc aussi été testé pour observer si les rats étaient capables de le détecter et le localiser. Les résultats montrent que les rats reconnaissent les odeurs en stéréo, qu’il existe un stimulus différentiel entre les réponses bulbaires droite et gauche et que 50 millisecondes seulement suffisent pour localiser la source d’odeur, à condition toutefois que le stimulus parvienne au bon moment du cycle respiratoire. Comme le suggère une publication récente [21], il est probable que les hommes disposent, eux aussi, d’un équipement stéréo analogue.

Trouble de la voie RAS-MAPK en pathologie du développement : autour du syndrome de Noonan

Le syndrome de Noonan, qui se caractérise cliniquement par une petite taille, une dysmorphie faciale et une cardiopathie congénitale, résulte de mutations du gène PTPN11 (protein-tyrosine phosphatase, nonreceptor-type 11), codant la protéine tyrosine phosphatase SHP2 (tandem SRC homology 2), mais seulement dans 50 % des cas environ [22]. Il restait donc d’autres gènes à trouver. Deux publications récentes viennent non seulement d’apporter des éclaircissements sur le mécanisme pathogénique de ce syndrome mais aussi de montrer la parenté existant avec d’autres syndromes cliniques voisins : cardio-facio-cutané (CFC) et syndrome de Costello [23, 24]. Dans ce dernier, des mutations du gène HRAS avaient été découvertes dans 12 cas sur 13 [25]. Les deux publications récentes imp liquent cette fois les gènes KRAS et BRAF. On sait que les protéines Ras régulent le destin des cellules en passant par les conformations Ras-GTP et Ras-GDP. Or, la phosphatase SHP2 relaie la transduction du signal vers des effecteurs, et en particulier vers Ras. Dans les cas de leucémies myélo-monocytaires de l’enfant, on trouve des mutations de PTPN11 avec un gain de fonction de SHP2 qui dérègle la signalisation Ras et entraîne une prolifération myéloïde in vivo que l’on peut aussi observer en culture in vitro. Dans l’étude [23] où le gène KRAS est impliqué chez des enfants atteints de syndrome de Noonan et de CFC, les mutations germinales identifiées entraînent une réduction de l’activité GTPase. Il y aurait donc une augmentation de l’activité de Ras, qui pourrait agir sur certains tissus pendant la période embryonnaire. Pour vérifier l’effet des mutations observées chez ces enfants (V14I K-Ras et T58I K-Ras), les protéines mutées ont été comparées in vitro aux protéines sauvages sur la formation de colonies CFU-GM (colony-forming unit granulocyte-macrophage) : la croissance est plus rapide en présence des protéines mutées. Les progéniteurs macrophages exprimant les K-Ras mutées se multiplient aussi plus rapidement et ont des taux de protéines Ras plus élevés. Dans l’étude qui a porté sur 43 sujets atteints de syndrome CFC, deux mutations de KRAS ont été observées [24]. Les auteurs ont ensuite poursuivi leur recherche sur les molécules en aval de RAS. Dans la famille des proto-oncogènes RAF, ils ont analysé la totalité de la séquence codante de BRAF (une des isoformes avec CRAF et ARAF) et ont identifié 8 mutations sur 16 sujets étudiés. Voici donc les gènes KRAS, HRAS et BRAF impliqués dans ces syndromes cliniquement apparentés. Les mutations de ces oncogènes humains par un trouble de la régulation de la voie RAS-MAPK entraînent donc des anomalies de développement. Ces oncogènes codent probablement des protéines ayant des propriétés spécifiques. Il convient maintenant d’analyser les conséquences cliniques selon les différentes mutations germinales et de rechercher aussi les prédispositions à des hémopathies malignes dans le syndrome CFC (rapportées dans le syndrome de Noonan). Quant au syndrome de Costello, des risques plus élevés de cancer (rhabdomyosarcome, neuroblastome et carcinome vésical) avaient déjà été signalés. Enfin, pour les 45 % des cas de syndrome de Noonan dont on ignore encore l‘origine génétique, une recherche de mutations d’autres gènes qui interviennent dans la signalisation RAS-MAPK pourrait se révéler fructueuse…

Abraham Lincoln avait-il une ataxie ?

Les ataxies spinocérebelleuses (SCA) de transmission autosomique dominante forment un groupe de maladies neurodégénératives hétérogène. Elles se caractérisent par une incoordination motrice des membres, des troubles de la parole et des difficultés de déglutition. Parmi les 11 types qui ont été identifiés, 9 sont dus à des expansions de microsatellites [26]. La SCA 5 a été observée dans des familles européennes (France, Allemagne) ainsi que dans une grande famille américaine à laquelle appartenait le président Abraham Lincoln. En 1994, les analyses de ségrégation ont permis de trouver le locus en 11q13 [27]. Récemment, le gène se trouvant dans ce locus et responsable de la SCA5 vient d’être identifié : il s’agit du gène codant la spectrine IIIβ [28]. Les malades des familles américaines et françaises ont, dans la même séquence répéptée, une délétion de 39 pb et de 15 pb, respectivement. Dans la famille allemande, il existe une mutation ponctuelle (758T- > C) dans l’exon 7, avec substitution d’une proline par une leucine dans un domaine contenant le site de liaison actine/ARP1 (apolipoprotein regulatory protein-1). C’est la première fois que des mutations dans l’un des gènes de la spectrine sont responsables d’une maladie neurodégénérative. La spectrine IIIβ est fortement exprimée dans les cellules de Purkinje. Elle stabilise le transporteur de glutamate EAAT4 (excitatory amino acid transporter) à la surface de la membrane plasmique. En culture cellulaire, contrairement à la spectrine sauvage IIIβ, la spectrine mutée est incapable de stabiliser EAAT4. D’après l’arbre généalogique d’Abraham Lincoln, ce dernier a une probabilité de 25 % d’avoir reçu la mutation. Son aspect longiligne avait longtemps fait suspecter chez lui un syndrome de Marfan, et l’identification du gène en 1991 avait quelque peu suscité le désir de faire une analyse de son ADN. L’existence d’une SCA chez son oncle Josiah et sa tante Mary indique qu’un des grands-parents paternels était porteur de la mutation. On la retrouve à présent chez certains descendants vivants, dans deux branches de la famille. Comme la maladie se manifeste de façon très discrète chez certains sujets et qu’il semble, d’après certains témoignages de l’époque, que le président avait une démarche hésitante, il n’est pas impossible qu’il ait eu une forme atténuée de SCA5. Les associations de malades atteints d’ataxie seraient heureuses de compter parmi eux une personne aussi illustre.

Une nouvelle utilisation de la Toile : la sociologie expérimentale, ou pourquoi les chansons les plus populaires ne sont pas forcément les meilleures

La relation entre la qualité et le succès d’un produit culturel, que ce soit un film, un tableau, un livre ou une chanson, est souvent difficile à prévoir [29]. Cela est-il lié au fait que les individus ne décident pas de manière isolée mais subissent les influences de leur environnement ? Des sociologues new-yorkais de l’Université Columbia ont décidé de vérifier cette proposition [30]. Pour ce faire, ils ont employé une méthode originale : ils ont recruté 14 341 adolescents volontaires sur la Toile et leur ont montré une liste de chansons inconnues interprétées par des musiciens tout aussi inconnus. Seulement la liste existait sous différentes formes : un internaute sur deux recevait une liste sur laquelle n’étaient indiqués que le titre de la chanson et le nom des chanteurs alors que l’autre avait en plus à disposition le nombre de fois où la chanson avait été chargée sur les ordinateurs des internautes ayant déjà consulté le site (liste indexée). En outre, les adolescents de la deuxième catégorie furent subdivisés en huit « mondes » indépendants afin que l’expérience présente trois avantages par rapport aux modèles théoriques et aux études observationnelles classiquement utilisées en sociologie : (1) pour les sujets n’ayant que la liste non indexée, la popularité d’une chanson est une mesure indépendante de sa qualité et non dépendante du groupe de personnes ; (2) en comparant les résultats des groupes non indexés et indexés, on peut observer directement l’influence des auditeurs au niveau individuel et au niveau collectif ; (3) on a créé huit mondes parallèles qui évoluent indépendamment. Ainsi, on peut mesurer ce que les auteurs dénomment « non prédictabilité », c’est-à-dire jusqu’à quel point deux chansons, identiques au départ, évaluées par des populations de volontaires tirées au hasard (donc a priori équivalentes), mais dans des « mondes » qui sont plus ou moins soumis à l’influence de l’opinion publique, vont avoir un destin différent.

Les résultats ont été quantifiés sur 48 chansons, selon deux paradigmes expérimentaux. Dans le premier, les chansons indexées étaient listées au hasard sur trois colonnes alors que dans le second, elles étaient présentées selon le hit parade, sur une seule colonne par rang décroissant en fonction du nombre de chargement. Les listes non indexées étaient présentées également sur trois ou une colonne, mais l’ordre des chansons était tiré au hasard pour chaque participant. Dans les deux expériences et pour chacun des huit « mondes », les chansons les plus populaires dans les listes indexées se sont avérées les plus populaires (et les moins populaires, les moins populaires) par rapport à la condition indépendante. En outre, les différences sont plus marquées dans le hit parade, là où l’influence des précédents auditeurs est la plus grande. L’influence du groupe augmente aussi la difficulté à prédire le résultat. Dans les deux expériences, les « parts de marché » (la fraction du total de chansons chargées) pour une même chanson entre les différents « mondes » indexés est plus grande que pour les groupes sans indexation et cela est beaucoup plus marqué pour le hit parade que pour les trois colonnes. En moyenne, la qualité est corrélée au succès mais pour une chanson donnée tout peut arriver ! Les auteurs rappellent que leurs expériences ne sont qu’un reflet imparfait des influences sociales du monde réel qui sont sans doute plus importantes. En résumé, plus les participants possèdent d’informations concernant les opinions des autres participants et plus il y a de chances qu’ils soient d’accord sur leur choix. Rétrospectivement, il semble donc facile de prédire les raisons du succès. Mais les expériences montrent qu’il y a une limite à la capacité de prédire le résultat puisque les décisions individuelles dépendent des décisions du groupe. Une réflexion intéressante pour l’évaluation scientifique et la part croissante de la bibliométrie dans celle-ci ?