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Les lésions de l’ADN, qu’elles proviennent de sources physiologiques endogènes ou qu’elles soient provoqués par des agents exogènes, représentent une menace pour l’intégrité génétique de la cellule [1]. Les cassures double-brin de l’ADN (cdb-ADN) sont parmi les dommages les plus sévères et les mécanismes moléculaires qui prennent en charge leur réparation ne sont pas à ce jour intégralement définis. Parmi eux, la voie du nonhomologous end-joining (NHEJ), dont le coeur catalytique fait intervenir au moins sept facteurs (Ku70, Ku80, DNA-PKcs, Artemis, XRCC4, ADN-LigaseIV et le nouveau facteur Cernunnos) (Figure 1) joue un rôle essentiel dans les cellules de mammifères [2]. Le système immunitaire représente un modèle privilégié d’étude des voies de réparation des cdb-ADN dans la mesure où ces lésions interviennent à diverses étapes du développement et de la maturation des lymphocytes (Figure 2) [3]. Les processus de recombinaison V(D)J et de commutation isotypique des chaînes lourdes des immunoglobulines (CSR) qui participent à la diversité et l’efficacité de la réponse immunitaire sont deux processus génétiquement programmés qui induisent des cdb-ADN dans les lymphocytes immatures et les cellules B matures, respectivement [4]. À ces deux sources de lésions de l’ADN s’ajoutent celles, plus aléatoires, engendrées lors des processus d’activation et/ou de prolifération cellulaire durant le développement lymphoïde et la réponse immune.

Figure 1

La voie du nonhomologous end-joining (NHEJ).

La voie du nonhomologous end-joining (NHEJ).

Les sept facteurs constituant le coeur catalytique du NHEJ sont représentés ainsi que les pathologies du système immunitaire associées à des défauts de Artemis, ADN-LigaseIV et Cernunnos.

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Figure 2

Production de cdb-ADN dans le système immunitaire.

Production de cdb-ADN dans le système immunitaire.

Les réarrangements des gènes d’Ig et du TCR [recombinaison V(D)J] ainsi que les processus de maturation des Ig dans les lymphocytes B matures (CSR, SHM) font intervenir des dommages de l’ADN, ainsi sans doute que les processus d’activation et de prolifération cellulaire au cours du développement des lymphocytes T et B et lors des réponses immunes en périphérie.

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Défaut de réparation de l’ADN et système immunitaire

Les premières évidences d’un lien entre réparation de l’ADN et système immunitaire viennent de l’étude d’une souris mutante pour le gène codant DNA-PKcs (scid) qui présente un blocage du développement lymphocytaire T et B, associé à une augmentation de la sensibilité aux agents génotoxiques. Le même phénotype a ensuite été reproduit dans divers modèles de souris déficientes en facteurs du NHEJ [4]. Chez l’homme, l’analyse de pathologies du système immunitaire associées à une sensibilité aux agents génotoxiques a conduit à l’identification du gène Artemis [5] ainsi qu’à la description de mutations hypomorphes dans le gène ADN-LigaseIV [6, 7]. Ces patients ont toujours une lymphopénie très sévère et des anomalies du développement (microcéphalie) dans le cas des patients ADN-LigaseIV .

Cernunnos

Dans le cadre de notre analyse systématique de ces formes particulières de déficits immunitaires, nous avons identifié un groupe de 5 patients de présentation clinico-biologique homogène. Tous ces patients présentaient une lymphopénie B et T sévère (progressive pour les lymphocytes B) et une microcéphalie. Par ailleurs, leurs lymphocytes T résiduels étaient tous de phénotype «mémoire», suggérant un défaut dans la production continue de nouveaux lymphocytes (de phénotype « naïf »). Un ensemble d’analyses in vitro sur les cellules de ces patients a démontré l’existence d’anomalies majeures du NHEJ, se traduisant notamment par une hypersensibilité aux radiations ionisantes et un défaut de réparation des cdb-ADN lors du processus de recombinaison V(D)J. Sur la base de cette sensibilité aux agents génotoxiques, nous avons développé une approche de clonage par complémentation fonctionnelle à l’aide d’une banque d’ADN complémentaire qui a permis l’identification du gène Cernunnos, codant une protéine de 299 acides aminés jusqu’alors inconnue [8]. Un équivalent de Cernunnos, XLF, a parallèlement été identifié par le laboratoire de S. Jackson [9]. L’implication d’un défaut de Cernunnos chez les 5 patients a ensuite été validée par complémentation fonctionnelle et par l’analyse de mutations retrouvées dans tous les cas. Certaines de ces mutations sont sévères et entraînent des troncations majeures de la protéine éventuellement exprimée.

L’analogie clinico-biologique entre les patients Cernunnos et ADN-LigaseIV suggérait une possible interaction fonctionnelle (et physique) entre ces deux facteurs du NHEJ (Figure 1). Des études biochimiques démontrent qu’en effet Cernunnos/XLF est présent au sein du complexe XRCC4/ADN-LigaseIV et interagit directement avec XRCC4 [9, 10]. L’analyse bio-informatique de la séquence de Cernunnos révèle qu’il représente un cousin éloigné de XRCC4, ces deux protéines définissant alors une famille élargie, et permet dès lors d’en imaginer la structure [9, 10]. Cette information est particulièrement interessante pour l’analyse structure/fonction fondée sur l’identification de mutations chez les patients. Finalement, Cernunnos est l’orthologue de Nej1, un facteur du NHEJ essentiel chez la levure Saccharomyces cerevisiae, resté jusqu’alors orphelin [10].

En conclusion

Nos travaux ont permis d’identifier un septième (et ultime ?) facteur du NHEJ essentiel au bon développement du système immunitaire. Ces résultats devraient permettre une meilleure compréhension de cette voie de réparation des lésions de l’ADN en général et de l’étape finale faisant intervenir le complexe XRCC4/ADN-LigaseIV/Cernunnos en particulier. Ces travaux ouvrent également de nombreuses perspectives tant sur d’autres aspects de la maturation des lymphocytes (en particulier le processus de CSR des lymphocytes B matures) que sur le développement cérébral (microcéphalie). Finalement, il n’est pas exclu que, à l’instar d’autres facteurs de la réparation de l’ADN, ces travaux aient également des prolongements dans la compréhension de la genèse des cancers. Le développement actuel d’un modèle murin de déficience en Cernunnos devrait nous aider à résoudre certaines de ces questions.