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La mortalité par cirrhose représente encore aujourd’hui un problème de santé publique (environ 14 000 décès annuels en France à l’heure actuelle). La cirrhose est secondaire à l’accumulation progressive d’une fibrose dans le foie en réponse à une agression chronique, principalement d’origine alcoolique, virale (virus de l’hépatite B ou C), ou métabolique (stéato-hépatite non alcoolique). Réduire ou supprimer l’accumulation de la fibrose représente donc un objectif important de la prise en charge des maladies chroniques du foie. On ne dispose cependant pas, à ce jour, de molécule dont l’effet antifibrosant ait été démontré chez l’homme. Nous avons récemment démontré que l’utilisation de molécules ciblant le système cannabinoïde pourrait représenter une nouvelle approche pour le traitement de la fibrose hépatique.

La fibrose hépatique est un processus de cicatrisation exagérée, qui résulte d’une dérégulation des mécanismes de réparation tissulaire. Elle est la conséquence d’une production excessive de matrice extracellulaire et d’une faillite des voies de dégradation des composants matriciels. Les cellules étoilées du foie et les fibroblastes portaux jouent un rôle majeur dans le processus de fibrogenèse. Au cours des hépatopathies chroniques, ces cellules acquièrent un phénotype myofibroblastique sous l’action de cytokines et de facteurs de croissance produits dans leur environnement. Ces myofibroblastes prolifèrent et s’accumulent dans le foie, notamment dans les zones de nécrose, et synthétisent des cytokines, des chimiokines, des facteurs de croissance ainsi que les composants de la matrice extracellulaire et les molécules bloquant leur dégradation (Figure 1) [1]. Parmi les facteurs favorisant l’accumulation de matrice extracellulaire, le TGF-β1 (transforming growth factor-β1) est considéré comme le principal médiateur profibrogénique. Les myofibroblastes hépatiques, en raison de leur rôle majeur dans la fibrogenèse hépatique, représentent une cible privilégiée des molécules antifibrosantes. À cet égard, les principales stratégies antifibrosantes visent à réduire l’accumulation des cellules fibrogéniques en bloquant leur prolifération ou en déclenchant leur apoptose, et/ou à diminuer l’accumulation de la fibrose, en bloquant la synthèse de composants matriciels ou en favorisant leur dégradation [1].

Figure 1

Propriétés fibrogéniques des myofibroblastes.

Propriétés fibrogéniques des myofibroblastes.

La cirrhose est la conséquence de l’accumulation progressive d’une fibrose dans le foie, souvent sur 10 à 20 ans, en réponse à une atteinte chronique, principalement d’origine alcoolique, virale ou métabolique. Au cours des maladies chroniques du foie, les cellules étoilées du foie et les fibroblastes portaux acquièrent un phénotype myofibroblastique sous l’action de cytokines, de chimiokines et de facteurs de croissance. Ces myofibroblastes migrent vers les zones lésées, prolifèrent et synthétisent les constituants de la matrice extracellulaire, ainsi que les inhibiteurs de leur dégradation.

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Les cannabinoïdes présents dans la marijuana agissent par l’intermédiaire de deux récepteurs, CB1 et CB2, qui sont également activés par des molécules endogènes, les endocannabinoïdes. Les récepteurs CB1, majoritairement exprimés dans le cerveau, relaient les effets psychoactifs du cannabis, mais exercent de nombreux autres effets centraux et périphériques. Les récepteurs CB2, prédominant dans les cellules du système immunitaire, sont responsables des effets immunorégulateurs, le plus souvent anti-inflammatoires des cannabinoïdes [2,3]. L’identification récente des récepteurs CB1 et CB2 dans un grand nombre de tissus et la mise en évidence de nouvelles fonctions de ces récepteurs ouvrent cependant des voies thérapeutiques nouvelles. Ainsi, le rimonabant, antagoniste sélectif du récepteur CB1 vient d’obtenir un avis favorable de l’Agence européenne du médicament dans le traitement du surpoids et des facteurs de risque cardio-métaboliques associés [4,5]. Par ailleurs, des études précliniques montrent l’efficacité des agonistes du récepteur CB2 dans le traitement de l’athérosclérose et de l’ostéoporose [6, 7] ((→) m/s 2006, n° 1, p. 7).

Nous avons observé que l’expression des récepteurs CB1 et CB2 est fortement induite dans les zones de fibrose au cours de la cirrhose chez l’homme, notamment dans les myofibroblastes hépatiques [8, 9], alors qu’ils sont peu exprimés dans le foie humain normal. Nous avons mis en évidence les propriétés anti-fibrogéniques du récepteur CB2, par un mécanisme impliquant l’inhibition de la prolifération et l’induction de l’apoptose des myofibroblastes hépatiques [8]. Cependant, nous avions également rapporté que l’usage quotidien de cannabis accélère l’évolution vers la cirrhose chez les patients atteints d’hépatite chronique C [10]. Ces résultats nous ont conduit à évaluer le rôle du récepteur CB1 dans la progression de la fibrose, en étudiant les conséquences de son invalidation génétique et pharmacologique dans trois modèles expérimentaux de physiopathogénie différente, l’induction d’une hépatite toxique par administration chronique de tétrachlorure de carbone ou de thioacétamide, et la cholestase par ligature de la voie biliaire principale [9]. Dans les trois modèles, nous avons démontré que l’administration per os de rimonabant prévient la fibrogenèse, en réduisant l’accumulation des myofibroblastes hépatiques et la production de TGF-β1 hépatique. L’ensemble de ces résultats a été confirmé dans les trois modèles, à l’aide de souris déficientes en récepteur CB1, qui présentent une fibrose réduite par rapport aux souris sauvages. L’étude des mécanismes impliqués dans les effets antifibrogéniques du rimonabant a révélé que la molécule diminue l’accumulation des myofibroblastes hépatiques en inhibant leur prolifération, à la fois in vivo et dans des myofibroblastes hépatiques en culture. Ces effets antiprolifératifs du rimonabant reposent sur l’inhibition de la PI3K/Akt et ERK, deux voies de signalisation contrôlant la prolifération et la survie cellulaire.

Ces résultats mettent en évidence les propriétés profibrogéniques du récepteur CB1. Ils démontrent également que l’utilisation d’antagonistes du récepteur CB1 tels que le rimonabant pourrait offrir de nouvelles perspectives dans le traitement de la fibrose hépatique au cours des maladies chroniques du foie. Cette étude, associée à nos travaux antérieurs démontrant les effets antifibrosants des récepteurs CB2 [8], suggère qu’une approche antifibrosante optimale pourrait combiner l’utilisation d’antagonistes du récepteur CB1 et d’agonistes du récepteur CB2 (Figure 2).

Figure 2

Régulation de la fibrogenèse hépatique par le système endocannabinoïde.

Régulation de la fibrogenèse hépatique par le système endocannabinoïde.

Au cours des maladies chroniques du foie, l’élévation de la production d’endocannabinoïdes (dont la nature reste à déterminer) est associée à une augmentation de l’expression des récepteurs CB1 et CB2. Les récepteurs CB1 et CB2 exercent des effets opposés sur la fibrogenèse : le récepteur CB1 favorise la fibrogenèse en augmentant l’accumulation des myofibroblastes hépatiques ; à l’inverse, le récepteur CB2 est antifibrogénique en inhibant l’accumulation de ces cellules. Ces résultats suggèrent que l’utilisation combinée d’antagonistes du récepteur CB1 et d’agonistes du récepteur CB2 pourrait constituer une nouvelle approche dans le traitement de la fibrose hépatique.

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