Corps de l’article

1. Introduction

Le recours à l’enseignement par projets[2] n’est pas nouveau. Il prend ses origines dans les travaux d’auteurs comme Dewey et Kilpatrick. Cette approche a connu un regain d’intérêt au cours des dernières décennies (Ducharme, 1993), impulsée notamment par les réformes curriculaires d’inspiration constructiviste.

Au Québec, les documents qui ont préparé et accompagné la mise en place de la dernière réforme accordent une place importante à cette approche, en conformité avec les nouvelles orientations éducatives qui stipulent le passage du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage. Déjà les États généraux sur l’éducation (Ministère de l’Éducation du Québec, MEQ, 1996) la mentionnaient parmi les approches permettant de favoriser les orientations pédagogiques retenues : « enseignement stratégique, pédagogie différenciée, approche holistique, apprentissage en coopération ou par projets, pédagogie active ou alternative, approche interdisciplinaire » (p. 68). Dans un avis intitulé L’appropriation locale de la réforme : un défi à la mesure de l’école secondaire, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), de son côté, rappelle que « pour favoriser l’acte d’apprendre, il faut créer un déséquilibre cognitif, partir des questions, des besoins et des intérêts de l’élève, le mettre en projet ou devant une situation d’apprentissage ou un problème à résoudre » (CSE, 2003, p. 14). Il ajoute que « la nouvelle conception de l’apprentissage induit de nouvelles pratiques d’enseignement et de nouveaux rapports aux savoirs disciplinaires et didactiques […]. Les approches pédagogiques préconisées par la réforme (enseignement stratégique, enseignement coopératif, approche par projets) rompent avec l’enseignement magistral » (Ibid., p. 45).

Certains choix du régime pédagogique, comme le découpage de la scolarité par cycles sont même soutenus par le fait qu’ils favorisent le recours au projet : « Le travail par cycles donne une souplesse dans l’usage du temps qui est extrêmement intéressante pour les matières couramment confiées aux spécialistes. En effet, pour que l’initiation artistique ou l’apprentissage de la langue seconde puissent revêtir des caractéristiques de pédagogie de projet, des doses hebdomadaires infimes ne suffisent pas. » (CSE, 1999, p. 9)

Ces orientations sont aussi relayées par les revues professionnelles, comme Virage et Vie pédagogique. À titre d’exemple, Virage Express souligne que selon le paradigme de l’apprentissage proposé « les activités de la classe s’élaborent à partir de l’élève, et non de l’enseignant ou de l’enseignante. Elles prennent la forme de projets, de recherches, de questionnements ou de situations problématiques » (MEQ, 2001, p. 2). Les manuels scolaires de sciences et technologies au secondaire font aussi appel à une telle approche.

Des analyses préliminaires menées actuellement au Centre de recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences (CREAS) montrent que, si les enseignants de sciences et technologies disent recourir à cette approche (Hasni, Bousadra et Samson, 2009) et que certains écrits de nature professionnelle (Francoeur-Bellavance, 1997) proposent des manières de la mettre en oeuvre, les documents officiels et les manuels scolaires n’apportent pas de clarification conceptuelle pour soutenir ce type d’enseignement (Bousadra et Hasni, 2008; Hasni, Moresoli, Lebrun, Marcos, Samson, Owen et Leslie, 2007).

En lien avec cette problématique, nous présentons dans ce texte des résultats partiels de l’analyse des écrits scientifiques spécialisés en enseignement des sciences et technologies à l’école au regard de l’enseignement par projets. Ces résultats concernent la manière dont ces écrits définissent et justifient le recours à cette approche[3].

Le texte est organisé en trois parties. La première est consacrée à la présentation du cadre de référence utilisé pour l’élaboration de la grille d’analyse des articles scientifiques retenus. Dans les deuxième et troisième parties, nous présentons la méthodologie et les principaux résultats de la recherche. Ces derniers portent, d’une part, sur les attributs et les caractéristiques retenus par les auteurs considérés pour définir l’enseignement par projets et, d’autre part, sur les finalités éducatives mises de l’avant pour justifier le recours à cette approche.

2. Cadre d’analyse

Il ne s’agit pas ici de présenter notre conception de l’enseignement par projets, ni un cadre conceptuel général sur cet enseignement. C’est justement cette question qui fait l’objet de notre recherche. Notre cadre d’analyse vise plutôt à cerner les principales questions et dimensions à considérer lorsqu’il s’agit d’analyser dans les écrits scientifiques ce qui se dit de cette approche. Nous reprenons ici brièvement un cadre d’analyse déjà utilisé pour étudier la manière dont les écrits scientifiques abordent une autre approche pédagogique proche de l’enseignement par projets, l’enseignement interdisciplinaire (Hasni, 2001; Hasni, Lenoir, Larose, Bousadra et Dos Santos, 2008). Cinq dimensions sont considérées dans ce cadre :

  1. La dimension conceptuelle

    Cette dimension renvoie à des questions qui permettent de clarifier le concept de l’enseignement par projets : lorsque les auteurs parlent de cette approche, de quoi parlent-ils? Quelle définition et quels attributs retiennent-ils pour la caractériser? Quels sont les fondements éducatifs qui sous-tendent ces choix? Etc.

  2. La dimension fonctionnelle

    Il s’agit ici de chercher à clarifier les finalités éducatives retenues par les auteurs pour justifier le recours à cet enseignement : ces finalités font-elles appel à des fondements sociologiques?… épistémologiques?… psychologiques?… didactiques?… pédagogiques?… En quoi ces fondements soutiennent-ils cette approche?

  3. La dimension opérationnelle

    Les questions qui composent cette dimension renvoient aux modalités de mise en oeuvre de l’enseignement par projets proposées par les auteurs. Celles-ci peuvent concerner aussi bien le niveau curriculaire que les niveaux didactiques et pédagogiques directement associés aux pratiques d’enseignement en classe : quelles sont les caractéristiques d’un curriculum qui tient compte de l’enseignement par projets? Comment est-il souhaitable de planifier et de mettre en oeuvre un enseignement par projets en classe? Quel rôle doivent jouer les disciplines scolaires et les savoirs disciplinaires dans cet enseignement? Quels sont les éléments essentiels à considérer dans un cours pour dire qu’il s’inscrit dans une démarche d’enseignement par projets?

  4. La dimension organisationnelle

    Il s’agit ici de dégager les conditions, les défis et les contraintes associés par les auteurs à la mise en oeuvre d’une démarche d’enseignement par projets : Quelles sont les principales conditions et contraintes à considérer? Sont-elles liées à l’organisation du curriculum, à la structure scolaire, à la formation des enseignants, à la disponibilité de ressources particulières, etc.? Comment influencent-elles l’enseignement par projets?

  5. La dimension empirique

    Outre les quatre dimensions précédentes qui nous renseignent sur la manière dont les auteurs conçoivent un enseignement par projets, nous avons considéré dans cette recherche une cinquième dimension qui nous permet de tenir compte des résultats des recherches menées par ceux-ci sur le sujet : la dimension empirique. Cette dimension concerne non pas la compréhension de l’enseignement par projets et de ses modalités de mise en oeuvre, mais l’analyse des résultats des recherches empiriques qui ont pris cette approche comme objet d’étude. Par recherches empiriques, nous entendons celles dans lesquelles les auteurs ont eu recours à des collectes et à des analyses de données de manière systématique. Cette dimension permet de clarifier, entre autres, la problématique et les questions de recherche retenues par les auteurs au regard de l’enseignement par projets, les cadres conceptuels utilisés pour opérationnaliser leurs recherches, les méthodologies utilisées et les résultats obtenus.

3. Bref aperçu de la méthodologie

Notre recherche traite de l’enseignement par projets dans les disciplines scientifiques (et technologiques) au primaire et au secondaire. Elle vise particulièrement à analyser la manière dont cette question est abordée dans les revues scientifiques. Par conséquent, les ouvrages et les publications d’autre nature (rapports de recherche, articles professionnels, actes de colloques, etc.) ne sont pas considérés dans cette analyse. Ils pourraient faire l’objet d’une analyse complémentaire.

Afin de constituer l’échantillon des articles à analyser, nous avons procédé en deux étapes : la recherche des revues, puis la recherche des articles.

Pour la recherche des revues, nous avons d’abord sélectionné celles dont le nom contient le mot “science”[4]. De manière à accéder facilement aux articles, nous avons ensuite retenu celles qui étaient, au moment du début de la recherche, disponibles électroniquement sur le site Internet de la bibliothèque de l’Université de Sherbrooke. La liste des revues a été complétée en y ajoutant les revues francophones spécialisées en éducation scientifique et technologique non disponibles en ligne. Seize revues ont ainsi été retenues (voir l’annexe 1).

La sélection des articles dans ces revues a également été réalisée en deux étapes :

  • Dans une première étape, tous les articles qui contenaient, dans le titre, dans le résumé ou dans les mots clés, le terme “projet” (ou project, en anglais), au singulier ou au pluriel, ont été retenus.

  • Dans un deuxième temps, le résumé de chacun de ces articles a été lu par au moins deux membres de l’équipe de recherche (validation interjuge) de manière à confirmer que le mot “projet” qui a permis de retenir l’article renvoie à l’objet de recherche, “l’enseignement par projets”. Ainsi, ont été éliminés tous les textes pour lesquels le mot “projet” renvoyait à d’autres significations, comme le projet de recherche, le projet personnel, etc. En appliquant cette procédure, pour la période allant de 1995 à 2006[5], 76 articles ont été sélectionnés et retenus pour l’analyse.

Une grille a été produite puis validée par les chercheurs, en l’appliquant à une douzaine d’articles. Cette validation a permis de stabiliser les éléments de la grille et de s’assurer de la compréhension commune de chacun des éléments qui la composent. En plus de la section d’informations générales, ces éléments renvoient aux quatre dimensions retenues dans le cadre conceptuel. En outre, l’organisation de la grille visait à distinguer ce qui relève du développement théorique des auteurs (les quatre premières dimensions) de ce qui relève des résultats éventuels de leurs recherches (la cinquième dimension). L’annexe 2 présente une partie de la grille, celle qui concerne les deux premières dimensions (conceptuelle et fonctionnelle) qui font l’objet de cet article, et qui renvoie au lien avec les deux principales questions suivantes : a) Comment les auteurs définissent-ils l’enseignement par projets en sciences et technologies? b) Comment justifient-ils le recours à cet enseignement?

La collecte des données consistait à lire chacun des articles et à compléter la grille, soit en cochant les cases correspondantes ou, dans la plupart des cas, en inscrivant les extraits pertinents dans l’espace correspondant. Ainsi, le corpus d’analyse est composé, pour chacun des éléments de la grille, essentiellement des extraits de texte ainsi recueillis. Ce corpus a été ensuite analysé en recourant à une méthodologie de catégorisation des unités de sens qui le composent (Bardin, 2001). Une unité de sens est considérée ici comme la plus petite portion du texte qui a du sens par rapport à la catégorie retenue. Une validation interjuge impliquant au moins deux chercheurs a permis de s’assurer de la validité de la catégorisation.

4. Présentation des résultats

Un aperçu sur les articles scientifiques sélectionnés pour l’analyse sera d’abord présenté avant de faire état des principaux résultats en lien avec les deux questions de recherche retenues.

4.1 Description des articles analysés

La presque totalité des articles analysés (71 sur 76) rapporte des résultats de recherches impliquant la collecte et l’analyse de données empiriques qui portent sur divers objets en lien avec l’enseignement par projets : apprentissages des élèves; motivation; etc. Un article est consacré à une réflexion théorique sur l’enseignement par projets; deux à la proposition d’une modalité de mise en oeuvre de cet enseignement; deux, enfin, à des comptes rendus d’innovation.

Il est à noter que si dans 20 articles, l’enseignement par projets est considéré comme objet principal d’étude, dans les 56 autres cas, cet enseignement est considéré plutôt comme contexte. Dans ces textes, les auteurs s’intéressent plus à d’autres objets, comme l’intégration des TIC (15 articles), la mise en oeuvre de démarches d’investigation et de conception (8 articles), la promotion de la collaboration entre les acteurs scolaires et non scolaires (7 articles), l’amélioration de l’idée que les jeunes se font des sciences (7 articles), etc.

Comme en font état les résultats qui suivent, un grand nombre de ces articles contient des éléments qui renvoient soit à la définition que les auteurs retiennent de l’enseignement par projets, soit aux justifications qu’ils mentionnent pour appuyer le recours à cette approche.

4.2 Les principales caractéristiques de l’enseignement par projets

Dans 23 des 76 textes analysés (31 %), les auteurs ont présenté de manière explicite une définition de ce qu’ils entendent par enseignement par projets. Dans 19 cas (sur 23), les auteurs ont recouru à la présentation des principaux attributs qui leur semblent caractériser cette approche. Dans les quatre autres textes, les auteurs l’ont définie en termes de procédure. Celle-ci consiste en un ensemble d’étapes à suivre, comme l’illustrent les citations de l’encadré 1.

Qu’en est-il des principaux attributs qui caractérisent l’enseignement par projets selon les auteurs des articles analysés? La citation suivante illustre la manière dont les auteurs considérés font appel aux différents attributs pour définir l’enseignement par projets :

Typically, the features of what is often called project-based pedagogy include (a) questions that encompass worthwhile and meaningful content anchored in authentic or real-world problems; (b) investigations and artefact creation that allow students to learn apply concepts, represent knowledge, and receive ongoing feedback; (c) collaboration among students, teachers, and others in the community; and (d) use of literacy and technological tools.

Moje, Collazo, Carrillo et Marx, 2001, p. 469

Si la citation précédente rapporte quatre attributs, l’analyse de l’ensemble des extraits qui renvoient à la définition de l’enseignement par projets montre que ce sont cinq attributs qui reviennent de manière significative dans le discours des auteurs. Nous les présentons ici par ordre décroissant d’importance quant à leur fréquence d’apparition dans les textes analysés. N représentant le nombre de textes qui mentionnent ces attributs.

a) La présence d’un problème ou d’une question de départ (N = 17)

Cet attribut est celui qui revient dans la plupart des articles qui ont défini l’enseignement par projets et les auteurs apportent certaines précisions à son sujet. Comme l’illustrent les extraits de l’encadré 2, le problème ou la question de départ doit :

  • Être ancré dans la “vie réelle” ou la vie à l’extérieur de l’école;

  • Susciter l’intérêt des élèves;

  • Présenter un défi, tout en étant accessible;

  • Présenter un caractère ouvert, qui nécessite l’engagement des élèves dans un processus d’investigation de manière à y trouver une solution.

b) La réalisation par les élèves d’un produit final ou d’un artéfact (N = 12)

Les auteurs qui ont rapporté le produit ou l’artéfact comme attribut de l’enseignement par projets l’ont décrit en renvoyant essentiellement à deux principales caractéristiques, comme l’illustrent les extraits de l’encadré 3 :

  • Son caractère concret et signifiant pour les élèves;

  • Son potentiel à permettre la compréhension des savoirs (concepts, informations, etc.) et leur application.

c) L’engagement des élèves dans un processus d’investigation (N = 11)

Le troisième attribut rapporté dans les textes analysés pour caractériser l’enseignement par projets est l’engagement des élèves dans un processus d’investigation pour pouvoir répondre ou trouver une solution au problème ou à la question retenus. L’investigation est abordée dans ces définitions de deux manières. Dans la première, elle caractérise le problème, comme illustré au point a) (première caractéristique). Dans la deuxième, l’investigation est rapportée comme caractéristique de l’enseignement par projets, comme l’illustrent les extraits de l’encadré 4.

d) La collaboration entre élèves, enseignants et autres acteurs (N = 9)

La collaboration entre les élèves, d’une part, et entre ceux-ci et les enseignants et d’autres acteurs de la communauté, d’autre part, est l’une des autres caractéristiques rapportées par les auteurs pour définir l’enseignement par projets, comme l’illustrent les extraits de l’encadré 5 :

e) L’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) (N = 9)

Le recours aux TIC est considéré par certains auteurs comme un des attributs de l’enseignement par projets, en raison des possibilités que ces outils offrent aux élèves pour accéder aux informations et s’engager dans le processus d’investigation (encadré 6).

Outre les cinq principaux attributs que nous venons de présenter, d’autres sont rapportés par les auteurs avec de faibles fréquences. Il s’agit notamment de la construction et de la mobilisation des savoirs (N = 3) et du développement de l’autonomie des élèves (N = 2).

4.3 Les justifications du recours à l’enseignement par projets

Dans les articles analysés, les justifications avancées par les auteurs en faveur de l’enseignement par projets peuvent être regroupées en cinq principales catégories (tableau 1). Deux de ces catégories renvoient au fait que cette approche favorise de meilleurs apprentissages, disciplinaires ou non disciplinaires.

Tableau 1

Principales justifications du recours à un enseignement par projets

Principales justifications du recours à un enseignement par projets

-> Voir la liste des tableaux

a) La poursuite des apprentissages disciplinaires

Il s’agit d’abord de l’apprentissage de concepts, d’habiletés et de compétences propres aux disciplines scientifiques et technologiques. Selon les auteurs, l’enseignement par projets permet aussi de mettre les élèves en contact avec la manière de faire les sciences et technologies, semblable à celle à laquelle recourent les scientifiques.

b) La réalisation d’apprentissages autres que disciplinaires

Les extraits regroupés dans cette catégorie renvoient à tout apprentissage scolaire non directement rattaché aux sciences et technologies ou à une discipline scolaire particulière. Il s’agit surtout d’apprendre à travailler en équipe (en collaboration) de manière à favoriser les relations et les interactions interpersonnelles nécessaires à l’apprentissage. Il est aussi question de l’appropriation de l’utilisation des TIC. Par ailleurs, selon les auteurs, l’enseignement par projets favorise le développement d’habiletés générales d’ordre intellectuel comme la créativité, la curiosité ainsi que la pensée divergente et la pensée convergente. Les justifications rapportées dans cette catégorie ne sont pas sans rappeler les compétences transversales du Programme de formation de l’école québécoise.

c) La contextualisation des apprentissages

Selon les justifications en lien avec cette catégorie, l’enseignement par projets permet d’aborder les apprentissages en lien avec la vie à l’extérieur de l’école, ce que les auteurs désignent par des expressions telles que : “real-word”; “real-life”; “connections between what they learn in school and their experiences outside of school”; “authentic experiences”; etc.

d) Le rehaussement de la motivation des élèves et de leur intérêt pour les sciences et technologies

Ces justifications s’inscrivent en lien direct avec la catégorie précédente. La contextualisation des apprentissages permettrait d’aborder des questions qui intéressent les élèves, ce qui favoriserait leur engagement dans l’apprentissage.

e) Les fondements constructivistes et socioconstructivistes

Cette catégorie renvoie aux justifications qui font référence à l’adéquation de l’enseignement par projets avec les fondements constructivistes et socioconstructivistes. Selon les auteurs qui font appel à ces justifications, cet enseignement favorise l’engagement des élèves dans le processus d’investigation, dans l’interaction avec les pairs et dans la construction de leurs apprentissages.

5. Discussion

Un premier constat important se dégage de l’analyse des articles traitant de l’enseignement par projets en sciences et technologies. Contrairement à l’idée véhiculée concernant cette approche par certaines propositions pédagogiques[7], très peu d’auteurs qui s’intéressent à l’enseignement scientifique et technologique l’ont défini comme un processus renvoyant avant tout à un nombre d’étapes prédéterminées et linéaires. Ils ont plutôt majoritairement défini cette approche en recourant à des attributs.

Par ailleurs, la référence à des attributs et à des justifications renvoyant aux apprentissages disciplinaires en sciences et technologies est quantitativement affirmée dans les articles analysés. Ainsi, le recours à un problème ou à une question d’ordre scientifique ou technologique et aux démarches d’investigation de même que l’appropriation des savoirs sont parmi les caractéristiques et les justifications les plus rapportées dans le discours des auteurs.

Le rappel de ces constats est important afin d’éviter les malentendus ou certaines dérives donnant aux savoirs disciplinaires une place secondaire ou encore les opposant à l’enseignement par projets. Dans le premier cas, il s’agit, au mieux, de considérer ces savoirs comme de simples ressources à mobiliser dans le cadre d’un projet. En d’autres termes, des cours préalables permettraient d’apprendre les savoirs disciplinaires en question ; leur mobilisation dans le cadre du projet permettrait la réalisation du produit ciblé, qui devient dans ce cas central. Dans le deuxième cas, l’enseignement par projets est vu comme une approche centrée sur les élèves, leurs intérêts, leur motivation, leur autonomie, etc., et mettant de côté tout apprentissage disciplinaire systématisé. Au Québec, par exemple, c’est cette compréhension de l’enseignement par projets qui est derrière la forte critique que font Gauthier et Mellouki (2005) et Gauthier, Mellouki, Bissonnette et Richard (2005) de cette approche de manière spécifique et de la récente réforme en général. Ces auteurs se demandent si les rédacteurs de programmes n’avaient pas « été séduits par la dimension agréable ou ludique d’une pédagogie de projet en oubliant, toutefois, la mission essentielle d’instruction que doit poursuivre l’école ». Ces auteurs soutiennent aussi que des études récentes montrent que les écoles efficaces sont des écoles qui ne recourent pas à ces approches. Sur la base de cette critique, ils appellent au rejet des approches telles que celle recourant au projet et prônent un enseignement dit « structuré, explicite et systématique » (Bissonnette, Richard et Gauthier, 2006)[8].

Si les articles analysés permettent de préciser le sens accordé à l’enseignement par projets en sciences et technologies et de rappeler la place que doivent y occuper les savoirs disciplinaires, quelques remarques s’imposent. Elles concernent les limites de ces textes. Trois d’entre elles méritent d’être formulées ici. La première porte sur le fait que cette analyse ne nous dit pas si la conception de l’enseignement par projets mise de l’avant par les auteurs est bel et bien celle qui est mise en oeuvre dans les pratiques de classe. D’ailleurs, les analyses complémentaires en cours montrent que peu de travaux se sont intéressés à la description des conceptions et des pratiques des enseignants au regard de l’approche par projets dans le contexte réel de l’exercice du métier. Des recherches sur les pratiques de classe sont donc à encourager.

La deuxième remarque soulève la nécessité de clarifier davantage la place des savoirs disciplinaires. Si cette place est traitée de manière explicite dans les justifications que les auteurs avancent pour soutenir l’enseignement par projets, elle ne l’est pas suffisamment dans les caractéristiques qu’ils utilisent pour définir cette approche. Il faut rappeler à ce propos que si le projet offre une occasion aux élèves de mobiliser les savoirs disciplinaires déjà acquis, il doit aussi servir de contexte pour les amener à construire des problématiques scientifiques et technologiques pertinentes dont la résolution conduit à la construction de savoirs nouveaux. Illustrons ce propos à l’aide d’un exemple simple. Si le projet de construction d’une lampe de poche par les élèves peut succéder à des apprentissages en électricité (circuits électriques) et servir dans ce cas de prétexte pour la mobilisation de ces savoirs afin de fabriquer le produit souhaité, il peut aussi être mené autrement de manière à permettre aux élèves de construire ces savoirs. En effet, ce type de projet pourrait être structuré de manière à confronter les élèves dès le départ au problème du circuit électrique : comment procéder pour faire briller une lampe à l’aide d’ampoule, de fils et d’interrupteurs ? La résolution de ce problème ferait alors partie du projet et conduirait les élèves à expérimenter et à construire le concept de circuit électrique (et des notions de circuit ouvert et de circuit fermé). Les textes analysés semblent mettre davantage l’accent sur la première perspective.

La troisième remarque met en évidence l’absence, dans les textes analysés, de hiérarchisation des attributs utilisés par les auteurs pour caractériser l’enseignement par projets en sciences et technologies. Ces attributs étant souvent traités sur un pied d’égalité. Afin d’éviter des dérives qui feraient du projet un simple prétexte pour la collaboration, la motivation des élèves, le recours aux TIC, etc., il nous paraît primordial de distinguer les attributs qui relèvent des visées d’apprentissages disciplinaires de ceux qui relèvent des moyens ou des conditions nécessaires à ces apprentissages. Prenons pour illustrer l’attribut “collaboration” : collaborer pour apprendre ne signifie pas la même chose qu’apprendre à collaborer. Nous considérons que dans un cours de sciences et technologies, même si la deuxième perspective ne doit pas être négligée, c’est la première qui doit prédominer. La collaboration relève dans ce cas de l’ordre des moyens. D’ailleurs, dans plusieurs des textes analysés, on parle de la collaboration comme stratégie pédagogique reposant sur les fondements piagétiens et vygotskiens, en ce sens qu’elle favorise les interactions entre les apprenants et, par conséquent, la construction des savoirs. Elle est en ce sens de l’ordre du moyen.

Dans la figure 1, nous proposons sur la base de cette brève illlustration une distinction entre les attributs, qui constituent le noyau central d’un enseignement par projets et qui renvoient aux visées, d’une part, et les éléments secondaires, qui relèvent de l’ordre des moyens et des conditions, d’autre part. Le fait de qualifier ces derniers de secondaires ne signifie pas qu’ils ne doivent pas faire l’objet d’apprentissage ou qu’ils ne sont pas importants, mais permet de souligner qu’ils ne constituent pas la visée première d’un enseignement scientifique et technologique.

Figure 1

Caractéristiques et justification de l’enseignement par projets en sciences et technologies

Caractéristiques et justification de l’enseignement par projets en sciences et technologies

-> Voir la liste des figures

Ainsi, a) la présence d’un problème ou d’une question de départ dont la réponse conduit à b) la réalisation d’un produit (matériel ou non matériel) destiné à un usage déterminé à l’avance sont les deux caractéristiques organisatrices d’un projet. Bien sûr, comme mentionné précédemment, nous sommes d’avis que le problème doit présenter un certain nombre de caractéristiques qui font qu’il est un problème d’ordre scientifique ou technologique, d’abord, et qu’il se prête à un enseignement par projets, ensuite. Sans rappeler ici toutes ces caractéristiques, mentionnons que : sa formulation doit s’appuyer sur des apprentissages scientifiques et technologiques préalables, ce qui le distingue des problèmes quotidiens qu’on rencontre dans d’autres contextes que celui de l’apprentissage scientifique et technologique. En outre, il doit être ancré dans la vie « réelle » (qui a du sens pour les individus et la société); présenter aux élèves un défi proche de leur « zone de développement proximale » (Vygotski, 1997) (pas trop simple, pas trop complexe), etc. Le produit lui-même doit répondre à certains critères qui ont été rapportés dans la section de l’analyse.

La relation entre les deux premiers éléments doit faire appel à deux autres composantes centrales :

  • Le recours aux démarches d’investigation ou de conception permettant de répondre au problème et de réaliser le produit visé. Rappelons ici qu’il ne s’agit pas simplement de la recherche dans les manuels, sur Internet, etc., mais de démarches mettant de l’avant des habiletés d’investigation et de communication propres aux sciences et technologies. Cette composante renvoie à ce que Martinand (1992) appelle le référent empirique.

  • La construction et la mobilisation des savoirs disciplinaires en sciences et technologies. Cette composante renvoie à ce que Martinand (Ibid.) appelle le référent théorique (ou des modèles).

La poursuite de ces visées exige le recours à certains moyens et la mise en place de conditions – qui pourraient eux-mêmes faire l’objet d’un apprentissage – comme la collaboration, l’utilisation des TIC ou des sorties, la mise en place de dispositifs motivant les élèves, le recours éventuel à une approche interdisciplinaire, etc.

6. Conclusion

Le travail qui a donné naissance à cet article visait la compréhension de la manière dont les écrits scientifiques spécialisés en enseignement scientifique et technologique définissent et justifient le recours à l’enseignement par projets. L’analyse de 76 articles publiés dans 16 revues met en évidence cinq principales caractéristiques associées à cet enseignement : la présence d’un problème ou d’une question de départ; la réalisation par les élèves d’un produit final; l’engagement des élèves dans un processus d’investigation ou de conception; la collaboration entre les élèves, les enseignants et d’autres acteurs; l’utilisation des TIC. Les arguments avancés par les auteurs pour justifier le recours à cette approche rejoignent et complètent les caractéristiques annoncées : la réalisation d’apprentissages disciplinaires et d’apprentissages autres que disciplinaires; la contextualisation des savoirs; la motivation et l’intérêt des élèves; les fondements constructivistes de l’apprentissage.

Cette analyse confirme, dans le domaine de l’éducation scientifique et technologique, que le projet est considéré non pas comme une finalité en soi ou un substitut aux apprentissages disciplinaires, mais comme un moyen favorisant la poursuite de ces apprentissages. Cette analyse nous semble nécessaire pour dissiper les malentendus qui entourent parfois le recours à cette approche. Afin de clarifier davantage cette question, et de combler les limites que nous venons de dégager de nos analyses, nous proposons (pour une réappropriation didactique du projet) de distinguer dans la liste des caractéristiques et des justifications avancées par les auteurs entre deux catégories : a) Celles qui relèvent des visées, associées à l’apprentissage scientifique et technologique (partie centrale de la figure 1); b) Celles qui relèvent des conditions et des moyens (parties gauche et droite de la figure 1).

Notre analyse suggère aussi la nécessité de mener des travaux auprès des enseignants dans le contexte réel de l’exercice de leur fonction afin de comprendre la manière dont ils conçoivent et mettent en oeuvre ce type d’enseignement.