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Introduction

Au Québec, le décrochage scolaire constitue un problème très préoccupant. Défini comme le fait de quitter l’école avant l’obtention du diplôme d’études secondaires sans se réinscrire l’année suivante, le décrochage touchait 18,6 % des élèves du réseau scolaire public québécois en 2010-2011. Le taux de décrochage scolaire se situait à 23,1 % chez les garçons et à 14,3 % chez les filles (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, MELS, 2012a). Bien que le taux de décrochage ait diminué ces dernières années, il n’en demeure pas moins que l’obtention du diplôme après les cinq années prévues au secondaire demeure faible. En Estrie, il s’élevait seulement à 58,7 % chez les élèves inscrits en secondaire 1 en 2006 et devant terminer en 2011. Chez les garçons, ce taux n’était que de 51,4 %, mais chez les filles, il était légèrement plus élevé et se situait à 66,6 % (MELS, 2012b). Les partenaires des domaines de l’éducation, de l’emploi, de la santé et des services sociaux doivent donc se mobiliser pour favoriser la persévérance et la réussite des élèves jusqu’à l’obtention de leur diplôme.

Les conséquences associées au décrochage scolaire sont nombreuses. D’une part, l’insertion sur le marché du travail est complexe pour les non-diplômés. Les emplois occupés par la main-d’oeuvre non qualifiée sont passés de 18,6 % en 2000 à seulement 11,9 % en 2011 (MELS, 2012c). De plus, ces travailleurs éprouvent de la difficulté à conserver leur emploi. En effet, en 2011, le taux de chômage s’élevait à 20,3 % pour les décrocheurs de 25 à 29 ans, ce qui représente un taux deux fois plus élevé chez les jeunes ayant obtenu leur diplôme d’études secondaires (Statistique Canada, 2012). D’autre part, les décrocheurs présentent plus de signes d’inadaptation sociale et de conduites délinquantes que les élèves persistants (Bjerk, 2012; Henry, Knight et Thornberry, 2012; Janosz, Le Blanc, Boulerice et Tremblay, 2000).

1. Cadre conceptuel et revue de la littérature

Depuis plusieurs années, les chercheurs travaillent à mieux comprendre cette problématique afin d’améliorer les programmes de prévention et de limiter les conséquences négatives associées au décrochage scolaire. Leurs travaux révèlent que bien souvent, le décrochage scolaire résulte d’un cumul de facteurs de risque personnels, familiaux et scolaires (Battin-Pearson, Newcomb, Abbott, Hill, Catalano, et Hawkins, 2000; Garnier, Stein et Jacobs, 1997; Jimerson, Egeland, Sroufe et Carlson, 2000). Ces auteurs ont d’ailleurs présenté différents modèles explicatifs pour prédire le décrochage scolaire auprès de populations spécifiques (familles non conventionnelles ou avec un faible statut socioéconomique, échantillon clinique) ou à partir d’études ne prenant pas en compte toutes les années au secondaire (Battin-Pearson et al., 2000). De plus, ces modèles tiennent principalement compte des facteurs de risque personnels ou familiaux, mais ne considèrent pas l’influence de la relation élève-enseignant ou du climat de classe dans le processus menant au décrochage scolaire, qui sont pourtant des facteurs sur lesquels les acteurs du milieu de l’éducation peuvent plus facilement intervenir.

Plus récemment, Fortin, Marcotte, Diallo, Royer et Potvin (2013) ont présenté le modèle multidimensionnel explicatif du décrochage scolaire développé auprès d’une population générale d’adolescents suivis à partir de leur première année au secondaire. Dans ce modèle présenté à la figure 1, seule la faible réussite scolaire de l’élève prédit le décrochage scolaire à 19 ans. Le faible statut économique et le genre exercent tant une influence directe sur la réussite scolaire de l’élève qu’indirecte, par leur influence sur les interactions négatives à l’école. La réussite scolaire est aussi influencée indirectement par les facteurs familiaux et personnels, soit la relation parent-adolescent détériorée (peu d’interactions et de communication parents-adolescent, peu de soutien affectif des parents) ainsi que la dépression et les difficultés familiales (symptômes dépressifs de l’élève, conflits familiaux et peu de cohésion familiale). Les facteurs scolaires (climat de classe négatif et interactions négatives à l’école) y sont aussi associés directement. Le peu d’ordre et d’organisation en classe ainsi que le manque d’engagement de l’élève caractérisent le climat de classe négatif. De leur côté, les interactions négatives à l’école se définissent non seulement par le peu de coopération avec les pairs, mais également par les relations établies avec l’enseignant et se manifestent tant par les problèmes de comportement de l’élève perçus par l’enseignant que les réponses négatives qu’engendre cette perception.

Figure 1

Modèle multidimensionnel explicatif du décrochage scolaire

Modèle multidimensionnel explicatif du décrochage scolaire
Fortin et al. (2013)

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La relation élève-enseignant ne constitue donc pas un facteur spécifique du modèle de Fortin et al. (2013), mais elle fait partie des interactions négatives à l’école ainsi que du climat de classe négatif. Plus spécifiquement, au secondaire, la qualité de la relation élève-enseignant se définit par le soutien de la motivation à l’apprentissage (Davis, 2003), c’est-à-dire par l’implication émotionnelle de l’enseignant, le soutien qu’il fournit à l’élève pour le développement de son autonomie ainsi que par l’encadrement en classe (Klem et Connell,  2004). Selon ces auteurs, la mise en place d’une telle relation favoriserait l’engagement de l’élève et sa réussite et, en ce sens, pourrait contribuer à prévenir le décrochage scolaire. Puisque cette relation s’établit dans un processus dyadique, les attitudes de l’élève envers l’enseignant contribueraient également à la qualité de la relation (Gagné et Marcotte, 2010).

Le modèle de Fortin et al. (2013) constitue une base pour identifier les élèves à risque de décrochage scolaire, soit les élèves qui fréquentent toujours l’école, mais qui présentent un risque élevé de décrocher dû à la présence de facteurs de risque personnels, familiaux et scolaires (Fortin, Royer, Potvin, Marcotte et Yergeau, 2004). De plus, il permet de mettre en lumière le fait que les facteurs scolaires jouent un rôle prépondérant dans le processus menant au décrochage scolaire et qu’une meilleure compréhension de ceux-ci contribuerait à fournir des pistes pour le prévenir plus efficacement.

1.1 Les facteurs de risque scolaires

Différentes études ont permis de faire ressortir comme facteurs de risque du décrochage les facteurs scolaires inclus dans le modèle de Fortin et al. (2013). En effet, la faible réussite revient fréquemment comme facteur prédisant le décrochage (Battin-Pearson et al., 2000; Bowers et Sprott, 2012; Fortin et al., 2004; O’Connell et Sheikh, 2009). Les résultats des études montrent aussi que l’absentéisme, les suspensions et l’expulsion, le redoublement, le manque d’engagement et le peu d’affiliation ou l’affiliation à des pairs déviants permettent de prédire le départ prématuré du milieu scolaire (Carpenter et Ramirez, 2007; Henry, Knight et Thornberry,  2012; O’Connell et Sheikh, 2009; Pagani, Vitaro, Tremblay, McDuff, Japel et Larose, 2008). Les problèmes de discipline ou de comportement à l’école ainsi que la relation négative avec l’enseignant sont également associés au décrochage (Hickman, Bartholomew, Mathwig et Heinrich, 2008; Trampush, Miller, Newcorn et Halperin, 2009; Whannell et allen, 2011).

Peu d’auteurs se sont attardés à distinguer les facteurs qui contribuent à augmenter le risque de décrochage scolaire chez les garçons et chez les filles. Quelques chercheurs se limitent à dire que les garçons sont plus à risque que les filles (Alexander, Entwisle et Horsey, 1997; Carpenter et Ramirez,  2007; Fortin  et al., 2013), mais qu’une fois que la réussite et le comportement sont contrôlés, les filles deviennent plus à risque que les garçons (Croninger et Lee, 2001). Fortin et al. (2004) ont toutefois noté que les attitudes négatives de l’enseignant étaient davantage associées au risque chez les garçons que chez les filles. De plus, Lessard, Fortin, Joly, Royer et Blaya (2004) ont constaté que les garçons qui manifestent des attitudes négatives envers leur enseignant sont plus à risque de décrocher que les filles qui adoptent des conduites similaires. À l’opposé, les filles semblent davantage affiliées à l’école, s’engagent plus dans les activités scolaires, perçoivent que les règles sont plus claires et adoptent des attitudes plus positives envers l’école et leurs enseignants que les garçons (Lessard, Fortin, Yergeau et Poirier, 2007).

1.2 La relation élève-enseignant

Une relation chaleureuse entre l’élève et l’enseignant réduit le risque de décrochage scolaire (Fallu et Janosz, 2003; Rumberger, 1995), de même que l’intention de décrocher (Bergeron, Chouinard et Janosz,  2011). De plus, la relation chaleureuse est associée aux facteurs de protection du décrochage scolaire. En effet, les élèves qui se sentent soutenus et qui croient que leur enseignant leur prête attention réussissent mieux, s’engagent davantage et sont plus motivés que les élèves qui évaluent plus négativement la relation avec leur enseignant (Allen, Witt et Wheeless, 2007; Reeve, Jang, Carrell, Jeon et Barch, 2004; Roorda, Koomen, Split et Oort, 2011; Shaunessy et McHatton, 2009). À l’inverse, les résultats de Whannel et allen (2011) indiquent que comparativement aux élèves diplômés, les élèves qui ont décroché avaient des relations plus négatives avec leur enseignant. D’ailleurs, la perception d’une relation négative est liée aux problèmes de comportements et à la faible réussite scolaire (Beyda, Zentall et Ferko, 2002; Demanet et Van Houtte, 2012; Demaray et Malecki, 2002), deux facteurs associés au risque de décrochage. La relation avec l’enseignant semble donc jouer un rôle important, tant comme facteur associé au risque de décrochage scolaire que dans le processus ayant mené au décrochage scolaire. Par contre, à notre connaissance, peu d’auteurs ont étudié spécifiquement le lien entre la qualité de la relation élève-enseignant et le risque de décrochage scolaire lorsque les élèves sont encore inscrits à l’école. De plus, les auteurs qui s’y sont intéressés n’ont pas tenu compte des différentes dimensions de la relation élève-enseignant (Fallu et Janosz, 2003; Whannell et allen, 2011). Cette étude propose donc de dépasser ces limites en comparant les élèves à risque et non à risque de décrochage scolaire de même que les garçons et les filles, en lien avec les dimensions de la relation élève-enseignant proposées par Klem et Connell (2004), soit le soutien de l’autonomie et l’implication émotionnelle de l’enseignant (mesurés par la variable soutien de l’enseignant), l’encadrement (mesuré par les variables ordre et organisation et clarté des règlements) et l’engagement des élèves. De plus, tel que mentionné, puisque la relation s’établit par les interactions entre l’élève et l’enseignant, les attitudes des élèves à risque et non à risque de décrochage scolaire envers l’enseignant ont aussi été comparées. Enfin, les auteurs n’établissent pas si la qualité de la relation influence de façon différentielle le parcours des garçons et des filles. Nous tenterons donc également de mieux comprendre ce qui distingue les relations établies par les garçons et les filles avec leur enseignant.

2. Objectifs de l’étude

Différents chercheurs ont montré que la faible réussite scolaire, le redoublement et l’absentéisme étaient associés significativement au risque de décrochage scolaire (Alexander, Entwisle et Horsey,  1997; Battin-Pearson, Newcomb, Abbott, Hill, Catalano et Hawkins, 2000; Henry, Knight et Thornberry, 2012). Dans le but d’étudier spécifiquement l’association entre la qualité de la relation élève-enseignant et le risque de décrochage scolaire, nous avons donc retiré l’effet de ces variables. Nos objectifs sont: 1) vérifier la relation entre le risque de décrochage scolaire et la qualité de la relation élève-enseignant; 2) examiner la relation entre le genre de l’élève et la qualité de la relation élève-enseignant; 3) explorer l’interaction entre le risque et le genre sur leur association avec la qualité de la relation élève-enseignant.

3. Méthode

Nos analyses sont basées sur les données recueillies auprès des élèves de première année du secondaire recrutés durant trois années successives pour l’étude longitudinale de Fortin (2000-2003) portant sur le soutien à la réussite scolaire. Dans le cadre de cette étude, un devis descriptif-corrélationnel a été retenu et seules les données du deuxième temps de mesure recueillies auprès de la première cohorte d’élèves ont été analysées.

3.1 Participants

Cette étude porte sur 756 élèves (375 garçons et 381 filles) inscrits en deuxième année du secondaire à l’automne 2002. Ces participants sont âgés en moyenne de 14,66 ans (é.-t.: 0,71) et fréquentent six écoles situées dans un milieu semi-urbain ou rural. L’échantillon a été divisé en deux groupes à partir des résultats obtenus au questionnaire Décision (Quirouette, 1988) qui mesure le risque de décrochage scolaire, dans le but de comparer les élèves à risque de décrochage à ceux qui ne le sont pas. L’intérêt de séparer l’échantillon et de comparer les deux groupes d’élèves est de mieux connaître les élèves à risque auprès desquels une intervention pourrait être mise en place dans le but de diminuer leur risque de décrochage scolaire et de favoriser leur persévérance et leur réussite scolaire. Parmi les garçons de l’échantillon, 159 étaient considérés à risque (42,4 %) et 216 ne l’étaient pas  (57,6 %). Chez les filles, 150 étaient considérées à risque (39,4 %) et 231 ne l’étaient pas  (60,6 %). La différence entre le nombre de garçons et de filles à risque n’est pas significative (χ2 (1) = 0,72; p = 0,40).

3.2 Instruments de mesure

3.2.1 Variables indépendantes (genre et risque de décrochage scolaire)

Le questionnaire Décision (Quirouette, 1988) évalue le risque de décrochage scolaire chez les élèves. Il comprend 39 questions mesurant six dimensions: 1) les traits personnels,  2) le milieu familial,  3) le plan de carrière, 4) la motivation scolaire, 5) les habiletés scolaires et  6) la qualité de la relation élève-enseignant. L’échelle évaluant la qualité de la relation élève-enseignant a été retirée lors du calcul du risque puisqu’elle constitue la variable dépendante de cette étude. Le fait de conserver cette échelle aurait mené à des corrélations trop fortes entre les deux variables et aurait limité la validité des résultats. Les élèves notaient leurs réponses à une échelle de type Likert en quatre points. Après la passation, les résultats ont été compilés pour les cinq échelles et les élèves ont été répartis dans le groupe à risque et non à risque en fonction de l’atteinte du point de coupure établi par l’auteur. La consistance interne a été évaluée à 0,89 pour l’échelle totale et la fidélité test-retest est de 0,92 après deux semaines et de  0,93 après un an. La validité prédictive est évaluée à 88 % pour une étude de quatre ans auprès de 1 015  participants (Quirouette, Ibid.) et de 84,5 % pour l’étude longitudinale de sept ans de Fortin et al. (2004). Alors que le genre de l’élève a été obtenu grâce à son dossier scolaire, le risque de décrochage scolaire a été évalué à l’aide du questionnaire Décision (Quirouette, 1988).

3.2.2 Variables dépendantes (soutien de l’autonomie, implication émotionnelle, encadrement, engagement de l’élève, attitudes de l’élève envers l’enseignant)

La version abrégée de l’Échelle de l’environnement de la classe (Classroom Environment Scale, CES) (Moos et Trickett, 1987) comprend 36 questions à choix de réponses (vrai ou faux). Cet instrument mesure la perception de l’élève du climat social dans l’un de ses cours de base (français, mathématiques ou anglais). Afin d’évaluer les dimensions de la qualité de la relation élève-enseignant, quatre échelles ont été retenues. L’échelle du soutien de l’enseignant mesure le soutien de l’autonomie et l’implication, celles de l’ordre et organisation et de la clarté des règlements évaluent l’encadrement et l’échelle d’engagement mesure cette même dimension. Chaque échelle comportait quatre éléments. Les réponses positives ont été additionnées. Plus le résultat du participant était élevé, plus il avait une perception positive. La consistance interne pour les échelles varie entre 0,52 et 0,75. Dans le cadre de cette étude, la consistance interne (a de Cronbach) est évaluée à 0,58 pour l’engagement,  0,67 pour le soutien de l’enseignant, 0,63  pour l’ordre et l’organisation et de  0,57 pour la clarté des règlements. Cortina (1993) a démontré qu’un nombre élevé d’items et peu de dimensions sont associés à une consistance interne plus élevée. Dans un contexte où l’inverse est observé, comme c’est le cas pour le CES, les indices semblent satisfaisants. La validité de convergence avec d’autres instruments (r = 0,16 à 0,40) du CES est satisfaisante selon les auteurs (Moos et Trickett, 1987).

Le questionnaire Behavior Assessment System for Children (BASC) (Reynolds et Kamphaus,  1992) évalue les comportements adaptatifs et problématiques des élèves à l’aide de 130 questions réparties en 12 échelles. Pour notre étude, seule l’échelle traitant de l’attitude de l’élève envers son enseignant a été retenue afin d’évaluer la qualité de la relation élève-enseignant. L’échelle est composée de neuf questions auxquelles les participants répondaient par vrai ou faux. Plus leur résultat était élevé, plus ils manifestaient des attitudes négatives envers l’enseignant. Pour cette échelle, la consistance interne et la fidélité test-retest après un mois se sont révélées satisfaisantes auprès d’un échantillon d’adolescents (a =  0,80) (r = 0,69) (Ibid., 1992).

3.2.3 Variables contrôle

L’âge (utilisé pour mesurer le redoublement), la moyenne générale (utilisée pour mesurer la réussite scolaire de l’élève) et le nombre d’absences (heures de cours où l’élève était absent, utilisé pour mesurer l’absentéisme) inscrits aux bulletins d’avril 2002 furent recueillis pour compléter les dossiers des participants.

3.3 Procédure

Les participants ont préalablement reçu une lettre de leur direction d’école les informant de la nature du projet. Ils devaient par la suite fournir un consentement écrit pour participer à l’étude. Les élèves de moins de 14 ans devaient fournir le consentement de leurs parents. Pour la collecte des données, des assistants de recherche formés à la passation de tests se sont rendus, au printemps 2002, dans les six écoles participant à la recherche. Tous les élèves de deuxième année du secondaire inscrits dans l’une de ces écoles ont répondu aux questionnaires en classe, lors d’une période de 90 minutes. Ceux qui n’avaient pas consenti à participer à l’étude étaient invités à se rendre à la bibliothèque.

3.4 Considérations éthiques

L’étude longitudinale de Fortin (2000-2003) à l’intérieur de laquelle s’insère cette recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche – Éducation et sciences sociales de l’Université de Sherbrooke et respecte dans ce sens les règles sur la recherche auprès de sujets humains.

3.5 Analyse des données

Nous avons d’abord réalisé des corrélations de Pearson pour évaluer le sens et la force de la relation entre les variables utilisées pour mesurer la qualité de la relation élève-enseignant et les covariables.

Pour répondre aux objectifs, nous avons effectué une analyse de covariance multivariée (MANCOVA) avec comme variables indépendantes le risque et le genre, comme variables dépendantes les facteurs mesurant la qualité de la relation et comme covariables, le redoublement (mesuré par l’âge de l’élève), l’absentéisme et la réussite scolaire. Les analyses permettent de documenter les effets principaux relatifs au genre et au risque ainsi que l’effet d’interaction entre le genre et le risque.

4. Résultats

L’objectif de cette étude est de comparer la perception des élèves à risque et non à risque de décrochage scolaire et celle des garçons et des filles de la relation avec leur enseignant. Les résultats des analyses statistiques permettent d’illustrer ce qui distingue ces groupes lorsqu’ils évaluent la qualité de la relation avec leur enseignant.

4.1 Analyses préliminaires

Pour l’ensemble des analyses, nous avons fixé le seuil alpha à 0,5. Selon les balises proposées par Hair, Black, Babin et Anderson (2010), en considérant la taille de notre échantillon et le nombre de variables dépendantes, nous possédons une puissance statistique de 0,8 pour détecter des effets de petite, moyenne et grande tailles.

D’abord, des corrélations de Pearson, présentées dans le tableau 1, indiquent que les variables dépendantes sont associées et permettent de mesurer la qualité de la relation élève-enseignant. Celles-ci sont également associées à l’ensemble des covariables, suggérant que nous respectons de postulat de la MANCOVA qui demande une relation linéaire entre les variables dépendantes et les covariables.

Tableau 1

Corrélations entre les variables dépendantes et les covariables

Corrélations entre les variables dépendantes et les covariables

Note: * p < 0,05. **p < 0,01. *** p < 0,001.

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4.2 Effet du risque de décrochage sur la qualité de la relation élève-enseignant

Une MANCOVA a été réalisée dans le but de déterminer s’il existe un lien entre le risque de décrochage scolaire et la qualité de la relation élève-enseignant une fois que l’effet du redoublement (âge), de la réussite et de l’absentéisme a été retiré. D’une part, les résultats décrits dans le tableau 2 montrent la présence d’une relation significative entre deux variables contrôles et le risque de décrochage scolaire. L’absentéisme, quant à lui, ne semble pas être associé significativement à la qualité de la relation élève-enseignant (F(1,744) = 0,72; p = 0,61).

D’autre part, même après avoir contrôlé l’effet des variables âge et réussite, une partie de la variance associée à la qualité de la relation élève-enseignant est expliquée par le risque de décrochage scolaire. Les analyses permettent de constater qu’il existe une relation significative entre le risque et la qualité de la relation (F(1,744) = 20,84; p = 0,001; η2 = 0,12). L’indice eta-carré est associé à une taille d’effet moyenne (Cohen, 1988).

Tableau 2

Analyses multivariées et univariées de la variance pour la qualité de la relation élève-enseignant avec l’âge, la réussite et l’absentéisme pour covariables

Analyses multivariées et univariées de la variance pour la qualité de la relation élève-enseignant avec l’âge, la réussite et l’absentéisme pour covariables

Note: Les valeurs de F multivariées sont calculées avec la trace de Pillai.

adl multivarié = 744 bdl univarié = 748

*p < 0,05. **p < 0,01. ***p < 0,001.

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Les résultats montrent également que le risque de décrochage scolaire est associé aux cinq composantes de la qualité de la relation élève-enseignant. En effet, les élèves à risque de décrochage rapportent être moins engagés (F(1,748) = 37,52; p = 0,001; η2 = 0,05), perçoivent moins de soutien de la part de leur enseignant (F(1,748) = 27,23; p = 0,001 η2 =  0,04), moins d’ordre et d’organisation en classe (F(1,748)  = 12,14; p = 0,001 η2 = 0,02) et ils considèrent que les règlements sont moins clairs (F(1,748)  = 19,56; p = 0,001 η2 =  0,03) que leurs pairs non à risque. Les élèves à risque de décrochage manifestent aussi des attitudes plus négatives envers leur enseignant que les élèves non à risque (F(1,748)  =  90,07; p =  0,001; η2 = 0,11).

4.3 Effet du genre sur la qualité de la relation élève-enseignant

La MANCOVA a aussi permis de documenter l’effet du genre sur la qualité de la relation élève-enseignant. Les résultats indiquent que les garçons n’évaluent pas leur relation de la même façon que les filles (F(1,744) = 3,90; p = 0,002; η2 = 0,03). L’indice eta-carré est cette fois associé à une petite taille d’effet (Cohen, 1988). Plus spécifiquement, les résultats montrent que les garçons manifestent des attitudes significativement plus négatives envers leurs enseignants (x = 3,43, é.t. = 2,74) que les filles  (x = 2,92, é.t. = 2,66) (F(1,748) = 4,87; p = 0,03; η2 = 0,01). Les élèves masculins considèrent aussi que les règlements dans la classe sont moins clairs (x = 2,89, é.t. = 1,15) que leurs consoeurs (x  =  3,13, é.t.  =  1,07) (F(1,748) = 8,60; p = 0,003; η2 = 0,01). Somme toute, les garçons perçoivent que la relation qu’ils établissent avec les enseignants est de moindre qualité que celle rapportée par les filles, mais seulement pour deux des cinq dimensions évaluées.

4.4 Effet d’interaction entre le genre et le risque

Finalement, la MANCOVA a permis de vérifier si l’association entre le risque de décrochage scolaire et la qualité de la relation élève-enseignant est la même pour les garçons et les filles. Les résultats montrent que l’association ne varie pas en fonction du genre du participant (F(1,744) = 1,41; p = 0,22). Cela signifie que les élèves à risque, qu’ils soient des garçons ou des filles, perçoivent globalement leur relation avec l’enseignant de la même façon et qu’il en va de même pour les élèves non à risque. Bien que l’interaction principale soit non significative, les analyses univariées montrent un effet d’interaction entre le risque et le genre des élèves. L’examen des moyennes suggère que les garçons (x = 3,19, é.t. = 1,01) et les filles non à risque (x = 3,25, é.t. = 1,05) perçoivent que les règles sont aussi claires, mais que les garçons à risque (x = 2,49, é.t. = 1,20) perçoivent que ces règles sont moins claires que les filles à risque de décrochage scolaire (x = 2,95, é.t. = 1,08) (F(1,748) = 6,33; p = 0,01; η2 = 0,01). Encore une fois, la taille d’effet est minime selon les balises de Cohen (1988).

5. Discussion

Selon notre étude, il appert que les élèves à risque de décrochage scolaire évaluent plus négativement la relation avec leur enseignant que les élèves non à risque, ce qui peut contribuer à augmenter la probabilité qu’ils quittent l’école avant l’obtention de leur diplôme d’études secondaires. Ces résultats sont cohérents avec ceux présentés dans la documentation scientifique: les mauvaises relations avec les enseignants augmentent le risque de décrochage (Gagné et Marcotte, 2010; Hickman et al., 2008; Suh, Suh et Houston,  2007; Trampush et al., 2009) et constituent la raison principale pour justifier l’abandon de certains élèves (Croninger et Lee, 2001; Lan et Lanthier, 2003; Lessard, Fortin, Joly, Royer et Blaya,  2006; Whannell et allen, 2011).

Dans le cadre de cette étude, la relation des élèves à risque de décrochage scolaire avec leur enseignant est caractérisée par peu de soutien, des lacunes par rapport à la clarté des règlements et de l’ordre et organisation en classe ainsi que par le manque d’engagement de l’élève. Nos résultats sont similaires à ceux de Gagné et Marcotte (2010) qui indiquaient que durant la transition primaire-secondaire, les élèves à risque de décrochage scolaire considéraient que les règlements n’étaient pas clairement définis, percevaient peu d’ordre et d’organisation en classe et de soutien de leur enseignant, adoptaient une attitude négative envers celui-ci et s’engageaient peu en classe. Klem et Connell (2004) ont aussi constaté que les élèves qui évaluaient positivement la relation avec leur enseignant étaient plus engagés et réussissaient mieux sur le plan scolaire que ceux qui ne se sentaient pas encadrés et qui percevaient peu de soutien et d’implication de la part de leur enseignant. La relation négative avec l’enseignant, le peu de soutien perçu et le faible engagement de l’élève semblent aussi associés au risque de décrochage scolaire (Alivernini et Lucidi, 2011; Henry et al., 2012; Iachini, Buettner, Anderson-Butcher et Reno, 2013; Whannell et allen,  2011). À l’inverse, le soutien perçu de l’enseignant par les élèves favorise leur engagement, qui, à son, tour, contribue à réduire la probabilité de décrocher (Fall et Roberts, 2012). Tel que mentionné par Fallu et Janosz (2003), par rapport aux élèves non à risque, les élèves à risque bénéficieraient davantage d’une relation chaleureuse avec leur enseignant, puisqu’ils ne reçoivent pas, de la part de leur entourage (familles et amis), le soutien nécessaire pour favoriser leur engagement et leur réussite scolaire.

Les élèves à risque de décrochage scolaire manifestent des attitudes plus négatives envers leur enseignant que les autres élèves. Les problèmes de comportement et les conduites antisociales ou délinquantes qu’adoptent certains d’entre eux favorisent peu l’établissement d’un lien de confiance avec leur enseignant (Baker, Derrer, Davis, Dinklage-Travis, Linder et Nicholson, 2001; Fortin, Royer, Potvin, Marcotte et Yergeau, 2004; Jimerson, Egeland, Sroufe et Carlson, 2000; Wang, Selman, Dishion et Stormshak, 2010). En fait, les enseignants manifestent aussi des attitudes négatives à l’endroit de ces élèves. Baker (1999) estime qu’ils leur accordent moins de rétroactions positives et qu’ils leur adressent deux fois plus de réprimandes qu’aux élèves bien adaptés. De plus, différentes études ont montré que les pratiques négatives des enseignants sont associées aux attitudes négatives des élèves envers l’enseignant, à leur démotivation (Sava, 2002) et à leurs problèmes de comportement (Beyda et al., 2002; Demanet et Van Houtte, 2012). Par contre, une relation élève-enseignant de qualité peut constituer un facteur de protection pour les problèmes de comportement (Wang, Brinkworth et Eccles, 2013).

Enfin, la perception des élèves à risque est aussi plus négative que celle des élèves non à risque en ce qui a trait à l’encadrement en classe (clarté des règlements, ordre et organisation). En effet, à la lumière de nos résultats, ces élèves considèrent que les règlements sont moins clairs et qu’il y a moins d’ordre et d’organisation en classe que les élèves non à risque. Le fait que les élèves à risque respectent moins les règlements s’opposent plus à l’autorité et initient plus de bagarres que les élèves non à risque pourrait influencer leur perception négative du système d’encadrement (Fortin et al., 2004; Wang et al., 2010).

Lorsque le genre est pris en considération, on observe que les garçons manifestent des attitudes plus négatives envers leur enseignant et considèrent, contrairement aux filles, que les règlements soint moins clairs. Ce résultat est cohérent avec les constats de l’étude de Lessard et al., (2004) qui ont montré que les garçons adoptaient des conduites plus négatives à l’égard de leur enseignant que les filles, et ceux de l’étude de Koth, Bradshaw et Leaf (2008) qui suggéraient que les garçons percevaient moins d’ordre et de discipline en classe.

Nos résultats n’ont pas permis d’observer d’effet d’interaction multivarié entre le genre et le risque sur l’association avec la qualité de la relation élève-enseignant, ce qui suggère qu’une fois que le risque de décrochage scolaire est pris en considération, la perception des filles et des garçons face à la qualité de la relation élève-enseignant est similaire. Considérant que le taux de décrochage scolaire est plus élevé chez les garçons que chez les filles (MELS,  2012a), cette absence d’effet d’interaction suggère que d’autres facteurs que la qualité de la relation élève-enseignant pourraient mieux expliquer cette différence de genre entre les élèves à risque qui persévèrent et ceux qui ne le font pas, notamment le faible rendement scolaire, le peu de valorisation accordée à la diplomation et les problèmes de comportement extériorisés (Bradshaw, Schaeffer, Petras et Ialongo, 2010; Fischer, Schult et Hell, 2013; Freeney et O’Connell,  2012). La relation élève-enseignant ne constitue en effet que l’un des facteurs qui contribuent à augmenter le risque de décrochage scolaire.

Cette étude comporte évidemment certaines limites méthodologiques dont il faut tenir compte lors de la généralisation des résultats. En effet, étudier la qualité de la relation élève-enseignant, mais en ne tenant compte que du point de vue de l’élève constitue une lacune de cette recherche. À notre connaissance, à ce jour, aucune étude n’a permis de déterminer si la perception de la qualité de la relation selon l’enseignant et selon l’élève influençait différemment le risque de décrochage. Toutefois, la perception de l’élève constitue un bon point de départ et fournira assurément certaines réponses. L’apport de l’évaluation de l’enseignant devient une piste importante à considérer pour les recherches futures. Ensuite, le retrait d’une échelle du questionnaire Décisions (Quirouette, 1988) pour séparer les élèves à risque et non à risque peut avoir réduit les propriétés psychométriques de cet instrument. L’utilisation d’échelles de deux instruments de mesure différents pour évaluer la qualité de la relation élève-enseignant peut également avoir amené à certaines imprécisions. Un questionnaire basé sur le modèle théorique de Klem et Connell  (2004) aurait permis d’évaluer plus efficacement la relation entre les différentes dimensions de la qualité de la relation élève-enseignant et le risque de décrochage scolaire.

Enfin, la qualité de la relation élève-enseignant ne constitue que l’un des facteurs scolaires qui contribuent à prédire le risque de décrochage. Bien que, par cette étude, nous ayons mis en lumière l’importance d’une telle relation pour favoriser la persistance, il importe de remettre cette relation dans le contexte multidimensionnel de la problématique du décrochage scolaire. En ce sens, les programmes de prévention devraient non seulement favoriser l’établissement de relations de qualité entre les élèves et les enseignants, mais aussi inclure des composantes associées aux autres facteurs de risque scolaires, personnels et familiaux.

6. Conclusion

Cette étude transversale visait à mieux comprendre le lien entre la perception de la qualité de la relation élève-enseignant, le risque de décrochage scolaire et le genre d’adolescents inscrits en deuxième année du secondaire. Les résultats ont permis de constater que les élèves à risque de décrochage scolaire manifestent des attitudes plus négatives envers leur enseignant et perçoivent moins de soutien de sa part, s’engagent moins, considèrent que les règlements sont moins clairs et qu’il y a moins d’ordre et d’organisation en classe que les élèves non à risque de décrochage scolaire. Ils semblent donc évaluer plus négativement la relation avec leur enseignant que leurs pairs non à risque. Plusieurs auteurs avaient d’ailleurs déjà noté que les relations négatives avec l’enseignant contribuaient à prédire le risque de décrochage scolaire (Gagné et Marcotte, 2010; Hickman et al., 2008; Trampush et al., 2009). Nos résultats ont permis de préciser ce facteur de risque en comparant la perception des élèves à risque et non à risque de décrochage scolaire sur les dimensions de la relation élève-enseignant (soutien de l’autonomie et l’implication émotionnelle de l’enseignant, encadrement) et de déterminer que ces différentes dimensions sont toutes associées au risque.

Bien que dans le cadre de cette étude nous ne nous sommes pas attardés au point de vue des enseignants, l’attitude de ces derniers à l’endroit de leurs élèves joue un rôle de premier plan dans l’établissement d’une relation de qualité. Par conséquent, afin de favoriser les interactions positives, l’engagement et les comportements adaptés chez les élèves, les enseignants devraient adopter des attitudes positives envers chacun d’eux.

Enfin, bien que nos résultats ne révèlent pas d’effet d’interaction entre le genre et le risque de décrochage scolaire, ils indiquent que les garçons, contrairement aux filles, manifestent des attitudes plus négatives envers leur enseignant et considèrent que les règlements sont moins clairs. Puisque les garçons semblent avoir une perception de la qualité de la relation élève-enseignant plus négative que leurs consoeurs, qu’ils sont reconnus pour être plus nombreux à décrocher qu’elles (MELS, 2012a) et que, dans leur cas, la relation négative avec l’enseignant constitue l’un des facteurs qui prédit le plus efficacement le risque (Fortin et al., 2004), il importerait, dans une visée de prévention, de mettre en place des interventions pour rétablir une relation positive entre élèves et enseignant. Encore une fois, cette étude invite à privilégier les programmes de prévention adaptés aux caractéristiques et aux besoins des élèves, car bien qu’une relation positive profite à tous, elle peut apporter un bénéfice plus important à certains, briser le cycle du désengagement dans lequel ils se sont inscrits et ainsi favoriser leur persistance jusqu’à l’obtention de leur diplôme.