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Les statistiques portant sur la famille ne cessent de le confirmer : les Québécois se séparent dans des proportions de plus en plus importantes, demeurent en couple de moins en moins longtemps, mais croient toujours en la vie conjugale (Gouvernement du Québec, 1999 ; Marcil-Gratton, 2000). Résultat : un nombre croissant d’enfants et d’adolescents sont appelés à vivre une partie de leur jeunesse au sein d’une famille recomposée. Au Québec, 12 % des adolescents vivent au sein d’une famille recomposée (Institut de la statistique du Québec, 2002). Si l’on ajoute à cela le nombre de jeunes de familles monoparentales qui vivent à temps partiel en famille recomposée, mais qui ne sont jamais comptabilisés dans les statistiques, on peut, de manière conservatrice, évaluer que deux jeunes Québécois sur dix grandissent dans un environnement immédiat comprenant un beau-parent.

Cet article présente des résultats extraits d’une étude longitudinale examinant les problèmes de comportement des jeunes de familles recomposées dans une perspective écologique (Saint-Jacques et al., 2003). Plus précisément, il tente de répondre aux deux questions suivantes : Quels sont les facteurs associés aux problèmes de comportement de ces jeunes ? À quelle niche écologique (caractéristiques individuelles, interactions au sein de la famille, contexte) appartiennent les facteurs les plus fortement corrélés à ces problèmes de comportement ?

Problématique

Durant les deux dernières décennies, les conséquences de la recomposition familiale sur l’adaptation[2] des jeunes ont fait l’objet de plusieurs controverses. Un raffinement des méthodologies, un souci plus grand de dissocier les impacts de la séparation de ceux de la recomposition (Yongmin, 2001), une plus grande considération de l’ampleur des variations observées entre le niveau d’adaptation des jeunes de familles recomposées et celui des jeunes vivant au sein d’autres structures familiales et, enfin, le dépassement d’une simple lecture structurelle afin de considérer les processus en jeu ont permis d’établir quelques faits. La majorité des jeunes de familles recomposées fonctionnent normalement, mais leur niveau d’adaptation est généralement plus faible que celui des jeunes de familles biparentales intactes (Jeynes, 1999 ; McMunn et al. 2001) sans pour autant pouvoir être qualifié de problématique ou de pathologique (Bray, 1999 ; Saint-Jacques, 2000). Toutefois, alors qu’environ 10 % des enfants éprouvent des problèmes de comportement à un niveau clinique, cette proportion est de 20 % à 29 % lorsqu’on se limite à ceux qui vivent en famille recomposée (Bray, 1999 ; Zill et Schoenborn, cités dans Bray, 1999). Devant ces constats, les efforts de plusieurs chercheurs visent maintenant à trouver ce qui distingue les jeunes de familles recomposées qui vont bien de ceux qui éprouvent plus de difficultés (Doyle, Wolchik et Spring, 2002). C’est dans cette perspective que la présente recherche est menée.

De nombreuses études ont cherché à documenter les facteurs pouvant expliquer cette surreprésentation de jeunes de familles recomposées présentant des difficultés d’adaptation. Une synthèse de ces travaux permet de faire ressortir les facteurs suivants : la qualité des relations avec les figures parentales, la qualité du climat familial, l’exercice du rôle de beau-parent, la pauvreté[3], le sexe et l’âge de l’enfant, le temps écoulé depuis la recomposition, l’instabilité et la discontinuité relationnelle (Saint-Jacques, 2000 ; Saint-Jacques et al., 2001).

Le cadre conceptuel

Sur la base de nos travaux antérieurs et de la recension des écrits que nous avons effectuée, il apparaît pertinent de situer la question des problèmes de comportement dans une perspective écologique afin de tenir compte de composantes de différents ordres. Ainsi, l’objectif général de cette recherche est de développer un modèle de compréhension des problèmes de comportement des jeunes de familles recomposées intégrant l’apport des processus (familiaux ou individuels), l’histoire de ces jeunes et les caractéristiques du contexte dans lequel ils vivent.

Le modèle Processus-Personne-Contexte-Temps (PPCT), développé par Bronfenbrenner (1996), permet de situer la place et l’importance accordée à l’ensemble des dimensions explorées dans le but de développer ce modèle. Le modèle PPCT met l’accent sur les processus : il leur accorde une importance cruciale en les qualifiant « d’engins du développement ». Ces processus, que l’on qualifie de « proximaux », prennent la forme d’interactions constantes et durables entre le jeune et les personnes objets ou symboles présents dans son environnement immédiat. La qualité de la communication entre une mère et son enfant est un exemple d’un processus proximal.

Ces processus se combinent de manière non additive et donnent des résultats qui se produisent à une allure accélérée avec le temps. C’est l’aspect non additif et d’interinfluence entre les processus qui fait dire à Bronfenbrenner (1996 : 13) que le développement de la personne est « un produit synergique, résultant de forces synergiques ». La forme, la force et la direction de l’effet de ces processus varient en fonction des caractéristiques individuelles, du contexte et de l’issue du développement examinée. Ainsi, bien que les processus proximaux occupent une place cruciale dans le développement de la personne, ils sont enchâssés dans un modèle qui comprend aussi quatre autres composantes. Il s’agit : 1) des résultats développementaux (ici les problèmes de comportement du jeune) ; 2) des caractéristiques individuelles (par exemple, le sexe) ; 3) des caractéristiques de l’environnement (dont les processus que l’on qualifie de « distaux » puisqu’ils affectent le jeune sans l’impliquer directement, comme c’est le cas par exemple des conflits conjugaux, de même que d’autres éléments plus factuels comme la structure familiale) et 4) de l’une ou l’autre de ces composantes pour lesquelles on possède des informations à différentes périodes de temps. Un modèle idéal permettrait de tenir compte d’un nombre impressionnant de variables relevant de l’une ou l’autre des dimensions de l’écologie d’une personne. Mais comme un tel modèle n’existe pas, il devient nécessaire de privilégier certaines d’entre elles à partir de la pertinence qu’on leur accorde dans les écrits. Le choix des variables à considérer s’appuie sur une recension des travaux faits dans le domaine (tableau 1).

Tableau 1

Variables relevées dans les écrits* comme associées à l’adaptation des jeunes de familles recomposées

Variables relevées dans les écrits* comme associées à l’adaptation des jeunes de familles recomposées

* Faute d’espace, il est impossible de citer tous les auteurs consultés afin de construire ce tableau. Pour une liste exhaustive de ces travaux, le lecteur est invité à consulter le rapport de recherche de Saint-Jacques et al., 2003.

** Une transition paranormative est une transition qui ne s’inscrit pas dans le cours typique de la vie familiale ; la séparation des parents, le décès d’un frère et l’arrivée d’un beauparent en sont des exemples.

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Méthodologie

Les données présentées dans cet article sont extraites d’une étude longitudinale (T2 : 12 mois) de type quantitatif. La population à l’étude est composée de 121 familles recomposées comprenant un jeune âgé entre 10 et 17 ans. L’échantillon est de type non probabiliste et constitué de volontaires. Compte tenu de la complexité du recrutement de ces familles, nous n’avons pas retenu de critères de durée de recomposition ni de critères de représentation équivalente de filles et de garçons. Pour participer à l’étude, les jeunes devaient vivre de manière régulière au sein d’une famille recomposée, soit au minimum huit jours par mois, et ce depuis au moins trois mois. Signalons que les familles recomposées à la suite d’un veuvage étaient exclues de cet échantillon. La sollicitation des jeunes et des parents a été réalisée, sur une base volontaire, principalement dans les écoles primaires et secondaires de la grande région de Québec, mais également auprès des Associations de familles monoparentales et recomposées du Québec et par l’entremise de médias locaux et régionaux. Le recrutement des jeunes pour la constitution de l’échantillon s’est étalé sur une période de neuf mois et nous a amenés à solliciter plus de 8 000 jeunes. L’échantillon total comprend 121 jeunes, 115 parents et 88 beaux-parents. Les données ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire administré par entrevue téléphonique auprès du jeune, du parent et du beau-parent.

Instruments de mesure

L’inventaire des transitions familiales (Saint-Jacques, 2000) est constitué d’une adaptation de la Grille des changements de la structure familiale ainsi que de la Grille des formules de garde développées par Hamel (1996). Ces instruments permettent d’évaluer la nature, la fréquence et la densité des transitions vécues, de même que l’âge de ces jeunes au moment où ces événements sont survenus. Les problèmes de comportement des jeunes ont été mesurés par le Child Behavior Checklist/4-18 ou CBCL (Achenbach, 1991) complété par le parent. Dans cette étude, seules les échelles « problèmes de comportement intériorisés » et « problèmes de comportement extériorisés » ont été retenues pour l’analyse. Les problèmes de comportement intériorisés comprennent la somme des échelles « retrait », « somatisation » et « anxiété / dépression ». Les problèmes de comportement extériorisés comprennent la somme des échelles « comportement délinquant » et « comportement agressif ». Les processus proximaux mesurés concernent le fonctionnement général de la famille, les problèmes relationnels, la qualité des relations, la qualité et la satisfaction à l’égard de la relation entre l’enfant et le beau-parent et entre l’enfant et l’autre parent. Les instruments utilisés pour mesurer ces différents aspects sont : l’échelle de fonctionnement général du McMaster Family Assessment Device, ou FAD (Epstein, Baldwin et Bishop, 1983) remplie par le parent et le jeune, l’Index of Parental Attitudes (Hudson, Wung et Borges, 1980) rempli par le parent et le beau-parent, et le Parent Adolescent Communication Scale (Barnes et Olson, 1992) rempli par le parent et le beau-parent à l’égard du jeune et par le jeune à l’égard du beau-parent. La qualité de la relation du jeune avec son beau-parent et avec son autre parent ainsi que sa satisfaction à l’égard de cette relation ont été évaluées à l’aide de deux énoncés extraits de l’étude de Fine et Kurdeck (1995). Les stratégies de coping utilisées lors de situations stressantes chez les adolescents ont été mesurées à l’aide du Coping Inventory for Stressful Situations de Endler et Parker (1999). Finalement, la perception qu’ont les jeunes du conflit entre leurs parents et au sein du couple recomposé a été mesurée à l’aide du Children’s Perception of Interparental Conflict Scale (Grych, Seid et Fincham, 1992).

Analyse des données

Des analyses statistiques univariées et bivariées ont été utilisées pour décrire et mesurer la présence et l’importance des relations entre le niveau de problèmes de comportement des jeunes et les autres variables à l’étude. Par la suite, l’analyse multivariée a permis d’évaluer la contribution des différentes variables aux dimensions composant le modèle PPCT pour les jeunes âgés de 12 ans et plus[4] (N : 76).

Afin de situer la contribution de chacune de ces variables par rapport à sa dimension écologique et la contribution de chacune des dimensions écologiques par rapport à la variance des problèmes de comportement, une variable canonique regroupant à la fois les problèmes de comportement extériorisés et intériorisés a été constituée par la construction d’une équation canonique. Elle a été tour à tour mise en relation avec quatre autres variables canoniques représentant chacune des dimensions du modèle PPCT[5]. Une cinquième corrélation canonique met en relation les problèmes de comportement et les facteurs les plus fortement corrélés (r ≥,40) observés lors des précédentes analyses (c’est-à-dire les corrélations canoniques intrafacteurs)[6]. Cette dernière équation permet de mesurer l’importance de chacun de ces facteurs sur les problèmes de comportement (figure 1). Enfin, des corrélations canoniques partielles précisent, parmi les quatre dimensions du modèle, la contribution de chaque classe de facteurs à la variance des problèmes de comportement (tableau 2).

Caractéristiques des jeunes et de leur famille

L’échantillon comporte un peu plus de filles (N : 66) que de garçons (N : 55). L’âge moyen des jeunes est de 13,5 ans. Tous les jeunes fréquentaient l’école au moment de la collecte de données, de la quatrième année du primaire au collégial. La majorité des parents interrogés sont les mères biologiques des jeunes échantillonnés (77,6 %), et elles sont âgées entre 31 et 50 ans. Le tiers des parents ont obtenu un diplôme universitaire ; le quart, un diplôme d’études collégiales et 40,8 % ont atteint un niveau de scolarité correspondant au secondaire. Sur le plan occupationnel, la majorité des parents travaillent à temps plein (63,5 %) ou à temps partiel (13,0 %). Près de la moitié des familles (46,3 %) ont un revenu annuel familial total avant impôts de plus de 60 000 $. Dans cet échantillon, la majorité des jeunes sont issus de familles recomposées matricentrique. Plusieurs de ces recompositions familiales sont récentes (M : 3,8 ans). Les jeunes étaient âgés en moyenne de 5,5 ans lors de la séparation de leurs parents et de 9,4 ans lors de la présente recomposition.

Résultats

Selon les données recueillies auprès des parents (N : 115), 16,7 % des jeunes atteignent le seuil clinique à l’échelle des problèmes de comportement intériorisés et 21,7 %, à l’échelle des problèmes de comportement extériorisés. L’analyse bivariée a permis d’examiner les relations qui existent entre les processus proximaux, les caractéristiques individuelles du jeune, le contexte et les trajectoires familiales ainsi que les problèmes de comportement des jeunes. Afin de respecter les dimensions contenues dans l’échelle d’Achenbach (1991), les résultats sont présentés en distinguant les problèmes de comportement extériorisés des problèmes de comportement intériorisés (tableau 2).

Les résultats présentés au tableau 2 montrent qu’un grand nombre de facteurs sont associés aux problèmes de comportement extériorisés et intériorisés des jeunes. Afin de relever les facteurs qui contribuent le plus à la variance des problèmes de comportement, des corrélations canoniques ont été réalisées. Le tableau 3 présente la contribution de chaque classe de facteurs à la variance des problèmes de comportement (N : 76). Le premier modèle impliquant les facteurs opérationnalisant les processus proximaux explique 50,5 % de la variance des problèmes de comportement ; les caractéristiques individuelles, 24,2 % de la variance des problèmes de comportement ; les caractéristiques du contexte, 34,4 % de la variance des problèmes de comportement ; enfin, les facteurs associés au temps, 5,0 % de la variance des problèmes de comportement des jeunes. On constate que, pour chaque facteur, lorsque la contribution des autres facteurs aux problèmes de compotement est retirée, la portion de la variance expliquée par cette variable diminue (delta). Cette diminution est importante pour les facteurs proximaux (environ 42 %) et devient encore plus importante pour les autres facteurs (55 %, 70 % et 100 %, respectivement). Bien que ce modèle ne permette pas de faire une démonstration claire de l’effet médiateur des facteurs proximaux, il suggère que ces derniers constituent la classe de facteurs la plus étroitement liée aux problèmes de comportement, les facteurs proximaux expliquant 29,5 % de la variance partielle des problèmes de comportement.

Tableau 2

Variables associées aux problèmes de comportement extériorisés et intériorisés

Variables associées aux problèmes de comportement extériorisés et intériorisés

a p 0,05 ; problèmes de comportement extériorisés.

b p 0,05 ; problèmes de comportement intériorisés.

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Tableau 3

Contribution de chaque classe de facteurs à la variance des problèmes de comportement (N = 76)

Contribution de chaque classe de facteurs à la variance des problèmes de comportement (N = 76)

Note : Chaque contribution a été calculée à partir d’une analyse de redondance standardisée.

* p ≤ 0,05.

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Contribution des processus proximaux, des caractéristiques du jeune, du contexte et des facteurs temporels aux problèmes de comportement des jeunes

La figure 1 fait ressortir la contribution particulièrement importante de quatre variables aux problèmes de comportement des jeunes. Il s’agit de la qualité de la communication du parent avec le jeune, de l’importance des problèmes relationnels entre le parent et l’enfant, de la détresse psychologique du parent et de l’utilisation par le jeune de stratégies adaptatives centrées sur les émotions. Dans cette étude, plus la qualité de la communication entre le parent et l’enfant est bonne, moins le jeune présente des problèmes de comportement. En deuxième lieu, plus le parent rapporte des problèmes relationnels avec le jeune, plus ce dernier présente des problèmes de comportement. La force de ces relations est élevée (r = –0,86 ; r = +0,80 ; Cohen, 1988). En troisième lieu, on observe que plus un parent souffre d’un niveau élevé de détresse psychologique, plus le jeune manifeste de problèmes de comportement ; la force de cette relation est importante (r = +0,61). Enfin, on note que plus un jeune a recours à des stratégies adaptatives centrées sur les émotions, plus il manifeste de problèmes de comportement ; la corrélation est ici modérée (r = +0,42).

Figure 1

Relation canonique entre les problèmes de comportement et l’ensemble des facteurs

Relation canonique entre les problèmes de comportement et l’ensemble des facteurs

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Interprétation des résultats

Bien que les relations entre les beaux-parents et les enfants composent une des dyades qui retient naturellement l’attention des observateurs extérieurs à ces familles, les résultats obtenus ici soulignent l’importance de la dyade parent-enfant. En effet, un des résultats notables de cette étude concerne la contribution importante du parent gardien à la présence, ou non, de problèmes de comportement chez le jeune. Cette contribution se remarque, notamment, à travers l’évaluation que le parent fait de la qualité de la communication et des problèmes relationnels qu’il éprouve avec le jeune (processus proximaux).

Un style parental démocratique est relié à une bonne adaptation de l’enfant, peu importe la structure familiale (Hetherington et Stanley-Hagan, 1999). Or, les premiers temps d’une transition familiale se caractérisent par un style parental moins démocratique et plus désengagé ainsi qu’une relation parent-enfant plus conflictuelle (Anderson, et al., 1999). En revanche, avec le temps, le style parental exercé dans les familles recomposées se rapproche de celui exercé dans les familles biparentales intactes (Dunn et al., 2000). Néanmoins, les familles qui se sont formées alors que les jeunes commençaient leur adolescence font exception à la règle (Hetherington et Stanley-Hagan, 1999). Les adolescents québécois âgés de 13 et 16 ans qui vivent en famille recomposée perçoivent moins favorablement le soutien affectif de leur mère que ceux demeurant avec leurs deux parents (Bellerose, Cadieux et Noël, 2002). L’arrivée d’un nouvel adulte, et peut-être de ses enfants, dans la famille oblige à une renégociation de la relation parent-enfant. La création d’un sous-système conjugal amène aussi les parents à diriger une partie de leur énergie ailleurs que vers les enfants. On a ainsi observé que les relations parents-enfants se détériorent au début de la recomposition familiale (Vuchinich et al., 1991) ; notamment, les mères adopteraient moins d’attitudes positives et plus d’attitudes négatives envers leurs enfants (Bray et Berger, 1993 ; Dunn et al., 1998).

D’autres études portant sur l’évaluation que fait le jeune de familles recomposées de sa relation avec son parent gardien confirment la contribution des processus associés à cette dyade à l’adaptation des jeunes. Par exemple, l’étude de Doyle et al. (2002) fait ressortir que les jeunes de familles recomposées qui rapportent plus d’événements négatifs dans leur relation avec leur mère sont aussi ceux qui éprouvent le plus de problèmes de comportements extériorisés et intériorisés. Sweeting (2001), qui a réalisé une recherche auprès de 2586 adolescents (dont 7 % vivent en famille recomposée), a montré que plus les jeunes rapportent des conflits dans leurs relations avec leur parent, plus on observe chez eux des problèmes de santé, de symptômes dépressifs et une faible estime de soi.

Par ailleurs, le fait que le parent souffre d’un niveau de détresse psychologique élevé (contexte) est associé à des problèmes de comportement chez le jeune, ce qui rejoint les résultats obtenus par de nombreux chercheurs. Par exemple, McMunn et ses collaborateurs (2001) ont observé que les enfants de mères obtenant un score élevé de problèmes de santé mentale sont deux fois plus susceptibles d’avoir de hauts scores de difficultés. Le lien entre la santé mentale du parent et l’adaptation des jeunes est d’autant plus important que plusieurs recherches démontrent que les parents qui ont vécu une séparation conjugale (Cloutier, Drolet et Dubé, 1992) ou qui vivent en famille recomposée (Ferri et Smith, 1998 ; Hetherington et Stanley-Hagan, 1999) éprouvent plus de problèmes psychologiques que les parents de familles biparentales intactes. En outre, les mères de familles réorganisées se disent moins heureuses, ont le sentiment de vivre une vie plus stressante et plus d’événements stressants (Cloutier et al., 1992 ; McMunn et al., 2001).

Bien que la dynamique des relations qui suivent pose problème de manière moins aiguë, il convient d’insister sur celles-ci. Toujours au sujet de la dimension « contexte », on note que les jeunes qui ont connu plus de changements familiaux de type « séparation » ou « recomposition » (transitions paranormatives) manifestent plus de problèmes de comportement. Ces résultats rejoignent ceux de plusieurs chercheurs (Brody et Neubaum, 1996 ; Saint-Jacques et al., 2001) qui ont observé que les changements fréquents dans la structure familiale et le stress qui les accompagne affectent l’adaptation des jeunes. À ce propos, les résultats de Rutter (1979) ont démontré qu’un facteur stressant pris isolément n’engendre pas nécessairement de problèmes chez les enfants, mais que c’est l’accumulation des facteurs de stress qui renforce les possibilités de développer des problèmes de comportement. Dans le même sens, le modèle de la sécurité émotionnelle de Davies et Cummings (1994) démontre que les changements répétés affectent l’enfant dans sa capacité d’adaptation aux divers événements stressants. Selon ce modèle, la capacité de gérer le stress de l’enfant est en relation avec la stabilité du lien d’attachement qu’il entretient avec ses parents. Or, lorsque la trajectoire familiale de celui-ci est composée de changements cumulatifs, sa sécurité émotionnelle s’en trouve ébranlée. Ainsi, la stabilité joue un rôle essentiel dans l’adaptation des enfants indépendamment de la structure familiale (Hao et Xie, 2002). Les résultats de Hao et Xie (2002) démontrent, par ailleurs, que les enfants de familles recomposées vivent davantage d’instabilité, et que le stress engendré par les transitions familiales multiples peut contribuer au développement de problèmes de comportement.

Dans cette étude, le fait de vivre en garde partagée (contexte) est associé à moins de problèmes de comportement, alors que le fait de n’avoir que des contacts occasionnels et sporadiques avec le parent non gardien (ce qui est le cas de 55,3 % des jeunes) est associé à plus de problèmes de comportement. Par ailleurs, le fait d’avoir des contacts réguliers avec le parent non gardien ne corrèle pas avec le niveau de problèmes de comportement des jeunes. Lors d’une recomposition familiale, les chercheurs constatent que la fréquence des contacts avec le parent non gardien a tendance à diminuer (Buehler et Ryan, 1994 ; Stewart, 1999). Par ailleurs, il est généralement admis que l’ajustement des enfants après le divorce des parents est lié à la qualité de la relation avec le parent non gardien (Hetherington et Stanley-Hagan, 1999) même si des recherches récentes indiquent que les jeunes qui ont eu moins ou pas de contacts avec leur parent non gardien n’ont pas plus de problèmes d’adaptation que ceux qui ont poursuivi ces contacts (Amato et Booth, 1997 ; Spruijt et Iedema, 1998). Des chercheurs ont donc voulu savoir quel était l’impact de cette relation sur l’ajustement psychologique des enfants lors d’une recomposition familiale (Bray et Berger, 1990, 1993). Leurs résultats montrent qu’il n’y a pas de différence dans la fréquence des contacts et la qualité de la relation entre les enfants (garçons ou filles) et leur père non gardien. Ces résultats restent les mêmes jusqu’à sept ans après le remariage de la mère. Toutefois, les auteurs trouvent certaines associations intéressantes entre le niveau d’adaptation des enfants, la fréquence des contacts et les relations avec le père. Après cinq et sept ans de remariage, les auteurs ne retrouvent pas de relations significatives entre les contacts, la relation avec le père non gardien et l’ajustement des enfants (garçons ou filles). Les résultats continuent néanmoins à montrer qu’il subsiste une tendance à ce que les garçons aient une moins bonne estime d’eux-mêmes et plus de problèmes de comportement lorsqu’il y a plus de contacts et une meilleure relation avec le père non gardien après deux ans et demi, cinq ans et sept ans de remariage. Selon Bray et Berger (1993), ces résultats soulignent l’importance de la relation qui existe entre les enfants et les parents non gardiens de même sexe.

Ces deux derniers résultats témoignent de la contribution de la continuité des liens entre les individus, même à travers le changement, à l’adaptation à la vie au sein d’une famille réorganisée. Par ailleurs, certaines caractéristiques individuelles du jeune sont associées à la présence de plus de problèmes de comportement, rappelant ainsi le rôle actif que joue le jeune dans son propre développement. Il s’agit, notamment du recours à des stratégies de coping centrées sur les émotions, qui, contrairement aux stratégies actives de résolution de problèmes, sont associées à plus de problèmes de comportement (Neher et Short, 1998 ; Rotenberg, Kim et Herman-Stahl, 1998). Toujours sur le plan des caractéristiques individuelles, on constate que les jeunes qui se sentent menacés par les conflits qui existent au sein du couple recomposé ont plus de problèmes d’adaptation, soulignant le rôle fondamental des perceptions de ce qui se vit au sein de la famille dans la prédiction de l’adaptation des jeunes. McDonald et DeMaris (1995) notent que les niveaux de conflits conjugaux, dans les premières années de la recomposition, sont plus bas que ce que l’on observe dans les premières unions. Toutefois, six ans plus tard, le niveau de conflit y est supérieur. Le lien entre l’adaptation des jeunes et l’exposition aux conflits conjugaux a été maintes fois démontré (Grych et Fincham, 1990). Le développement d’un modèle permettant de comprendre les mécanismes par lesquels ce lien existe a fait ressortir l’importance de considérer les processus primaires d’évaluation qui entrent en jeu lorsqu’un jeune est exposé à un conflit entre ses parents. Le jeune évalue ce conflit en se demandant, entre autres, s’il s’agit d’un événement bénin ou si cela est menaçant. Il est permis de penser que cette situation s’applique aussi au couple recomposé. La recension des écrits de Grych et Fincham (1990) met en relief que les conflits conjugaux, particulièrement ceux qui sont intenses, amènent l’enfant à redouter d’être impliqués dans ces conflits, à voir la relation parent-enfant se détériorer ou à craindre que les parents se séparent.

Deux facteurs appartenant à la dimension temporelle du modèle écologique sont associés aux problèmes de comportement des jeunes. Tout d’abord, on note que plus un enfant est jeune lors de l’arrivée du beau-parent, plus il fait preuve de problèmes de comportement. Par ailleurs, on remarque que plus le temps écoulé depuis le début de la recomposition s’accroît, plus les jeunes manifestent de problèmes de comportement. Ce dernier résultat, bien qu’intriguant, s’apparente aux résultats obtenus dans d’autres recherches (Bray, 1999 ; Saint-Jacques, 2000), appuyant en cela une observation faite il y a plusieurs années par Hetherington, Cox et Cox (1982) au sujet d’une réaction latente (sleeper effect) des jeunes vivant une recomposition familiale. Cette hypothèse prévoit que les difficultés d’adaptation à la recomposition n’apparaîtront pas au début de la recomposition, mais bien au moment où le jeune atteindra l’adolescence. Afin d’examiner cette hypothèse, les problèmes de comportement des jeunes ont été examinés, dans la présente étude, à la lumière de leur statut pubertaire, et ce, lors des deux temps de mesure (T2 : 12 mois plus tard). Cela n’a pas permis d’observer de différences significatives. La question demeure tout de même ouverte, puisque de nombreuses études font état des difficultés plus importantes éprouvées par les familles recomposées impliquant des adolescents (Ganong et Coleman, 1994 ; Kasen et al., 1996). Hines (1997) a réalisé une importante analyse des travaux portant sur les effets des transitions associées au divorce des parents chez les adolescents. Elle remarque que les adolescents vivent cette transition différemment des plus jeunes. Par ailleurs, les adolescents profitant généralement d’une relation positive et saine avec les adultes, la fratrie et les pairs, leur ajustement sera particulièrement influencé, positivement ou négativement, par la qualité des relations avec leurs parents tout comme avec leur beau-parent. Il apparaît que la vie en famille recomposée comporte une certaine quantité d’éléments potentiellement stressants auxquels s’ajoutent ceux typiquement associés à l’adolescence (Bray et Harvey, 1995), ce qui permet d’expliquer que les adolescents de familles recomposées vivent cette étape développementale avec plus de difficultés que les jeunes de familles biparentales intactes (Bray, 1999). Toutefois, il demeure étonnant de constater que dans cet échantillon, plus l’enfant est jeune lors de l’entrée en scène du beau-parent, plus il présente des problèmes de comportement. Cela est d’autant plus surprenant que les recompositions examinées ici sont survenues alors que les enfants étaient âgés en moyenne de 9,4 ans. Ces résultats soulignent que l’on connaît mal les périodes critiques propres à la recomposition et confirment l’importance de s’y attarder notamment en distinguant les périodes critiques du point de vue des parents, des périodes critiques se manifestant par des impacts négatifs sur le plan du développement de l’enfant.

Limites de l’étude

Dans l’interprétation de ces résultats, il importe de ne pas perdre de vue que des variables importantes, telle l’évaluation faite par le jeune du conflit qui peut sévir entre ses deux parents de même que les perceptions du beau-parent de la relation avec le jeune n’ont pu être incluses dans le modèle, car cela aurait obligé à éliminer tous les répondants n’ayant aucun contact avec le parent non gardien ou pour lesquels le beau-parent n’a pas participé à l’étude. Il convient aussi de rappeler la taille et le caractère non probabiliste de l’échantillon et, de ce fait, les limites à la généralisation des données que cela entraîne.

Pistes pour l’intervention

Comme le soulignent McMunn et al. (2001), les effets du divorce et de la recomposition sur les enfants doivent être considérés comme un processus continu qui débute avant la séparation et qui se poursuit après celle-ci. À travers ce processus, le parent gardien apparaît comme un acteur clé de l’adaptation de son jeune. Aussi, sur le plan de l’intervention, il semble pertinent de porter une attention particulière à la qualité des relations parent-enfant de même qu’à l’état psychologique de cet adulte. Par ailleurs, l’analyse de la situation problème aurait intérêt à prendre en compte la trajectoire de la famille de manière à avoir une vision dynamique des différentes transitions familiales vécues. Aussi, l’intervention pourra viser des objectifs différents selon que la famille s’inscrit dans une trajectoire comprenant une recomposition familiale relativement stable par opposition à une trajectoire marquée par une série de transitions. Enfin, et bien qu’il s’agisse d’un sujet peu documenté, cette étude a souligné que les jeunes de familles recomposées qui ont davantage recours à des stratégies centrées sur les émotions afin de faire face à un événement stressant sont aussi ceux qui éprouvent plus de problèmes de comportement. L’apprentissage de stratégies de résolutions de problèmes pourrait constituer un objectif d’intervention profitable qui réaffirme, du même coup, que les jeunes ne sont pas que des témoins passifs de leurs trajectoires familiales.