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Au cours des deux dernières décennies, les pratiques sociales ont été soumises à une remise en question majeure. La source la plus puissante et récurrente de cette remise en question est probablement la crise économique engendrée par le choc pétrolier de 1973, elle-même à l’origine de l’abandon progressif du modèle de l’État-providence dans toutes les démocraties occidentales (Riessman, 1990 ; Renaud, 1988). L’augmentation des coûts sociaux due au déclin économique, conjuguée à la rareté croissante des ressources permettant d’y faire face, a forcé la rupture avec la logique de l’accroissement exponentiel des services. Parallèlement, l’éclatement du système de protection sociale traditionnel a nécessité un renouvellement en profondeur des pratiques (Vaillancourt, 1993 ; Lesemann, 1988).

En écho à cette conjoncture difficile, on assiste à une remise en question de plus en plus ouverte du caractère technocratique et dominateur du traitement des problèmes sociaux. Les tendances à la double victimisation (par exemple, blâmer les personnes pour les difficultés qu’elles éprouvent) ; à l’infantilisation (par exemple, traiter les personnes comme si elles étaient dépourvues de compétences) et à la stigmatisation (assimiler la totalité des personnes à ce qu’elles vivent (femme battue ou assisté social) sont aujourd’hui bien connues pour leur effet iatrogène sur la population (Lee, 1994 ; Seidman et Rappaport, 1986 ; Sarason, 1976 ; Ryan, 1971). De telles tendances ont eu des conséquences directes sur l’incapacité des personnes concernées à prendre part activement à la résolution de leurs difficultés (Breton, 1994 ; Sarason, 1981). Devant l’effet conjugué de cette pénurie de ressources professionnelles et la remise en question des pratiques qui les accompagnent, on a vu progressivement émerger une nouvelle logique d’action, fondée sur le partage des expertises et des perspectives d’intervention (souvent baptisée le « welfare mix » ; Lesemann, 1988).

Hier cantonnés dans des rôles secondaires, la communauté et les aidants naturels sont aujourd’hui devenus des partenaires aussi précieux qu’incontournables dans un contexte de désinstitutionnalisation et de désinvestissement de l’État (Mercier, 1989-1990). C’est en bonne partie en raison de ce contexte de convergence pragmatique que la notion d’empowerment a gagné en popularité. Sommairement, on peut définir l’empowerment comme la capacité des personnes et des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature des changements qui les concernent (Rappaport, 1987). Dans la conjoncture actuelle, un tel objectif permet d’envisager simultanément la modification des pratiques professionnelles actuelles et une utilisation plus optimale des ressources encore disponibles (Renaud, 1995). Autrefois revendiqué par les seuls groupes d’actions populaires (Lee, 1994), l’objectif d’empowerment est donc récemment devenu un objectif de changement très populaire auprès des professionnels des pratiques sociales.

Cet apparent enthousiasme collectif contraste toutefois avec le caractère encore très embryonnaire des connaissances actuellement disponibles sur ce phénomène de l’empowerment (Perkins et Zimmerman, 1995). L’enjeu n’est pourtant pas négligeable, puisque de plus en plus de fonds publics sont consacrés à l’atteinte de cet objectif général, bien qu’on ne sache toujours pas en quoi il consiste précisément ni comment l’évaluer ! On se trouve donc aujourd’hui dans une situation paradoxale dans laquelle l’objectif d’empowerment des personnes et des collectivités est élevé au rang de vertu incantatoire alors que pour un observateur novice et rigoureux, ce concept apparaît au mieux comme un voeu pieux, au pire comme un leurre sophistiqué (Argyris, 1998 ; Carroll, 1994 ; Stufflebeam, 1994).

Plusieurs auteurs sont donc tentés de ranger la notion d’empowerment parmi les euphémismes à la mode, dépourvus de tout potentiel réformateur dans le domaine des pratiques sociales (Argyris, 1998 ; Stufflebeam, 1994). Néanmoins, l’observation systématique des réalités associées à ce concept conduit à constater qu’il existe effectivement un noyau dur de phénomènes qui témoignent d’un processus commun et d’impacts comparables (Lord et Dufort, 1996 ; Perkins, 1995 ; Renaud, 1995 ; Perkins et Zimmerman, 1995 ; Berstein et al. 1994 ; Robertson et Minkler, 1994 ; Wallerstein, 1992 ; Labonté, 1989). Mais, en l’absence de connaissances plus précises, il faut craindre que cette perspective de changement ne parvienne pas à dépasser le stade des déclarations d’intentions. De quoi parle-t-on lorsqu’on applique la notion d’empowerment au vaste domaine des pratiques sociales ? Une telle finalité d’intervention peut-elle s’incarner concrètement à l’aide d’indicateurs précis ? Sommes-nous en présence d’une véritable alternative ou d’un de ces néologismes à la mode vides de sens à force d’être galvaudés ?

Pour les chercheurs francophones, le problème de la traduction du terme empowerment s’ajoute aux difficultés engendrées par la multiplicité des points de vue en présence. Au flou conceptuel initial s’ajoutent les approximations linguistiques qui créent une telle cacophonie que toute progression collective de la connaissance devient particulièrement ardue. Une telle absence de convergence nuit gravement à l’élaboration d’un cadre de référence commun et systématique. L’adoption d’une traduction plus rigoureuse permettrait de mieux cerner la réalité à l’étude et ainsi d’établir sa pertinence pour les pratiques sociales. Si elle repose explicitement sur les connaissances acquises à ce jour, une telle traduction pourrait également servir de point d’ancrage à l’ensemble des pratiques qui se réclament de cette perspective. De là, il deviendrait plus envisageable de développer des indicateurs de performance communs qui permettraient une véritable évaluation de son potentiel réformateur. À notre connaissance, aucune des traductions actuellement disponibles n’a fait l’objet d’une argumentation formelle basée sur les connaissances disponibles sur la notion d’empowerment lorsque celle-ci est associée aux pratiques sociales. Le présent article propose d’initier ce travail de clarification conceptuelle essentiel à la progression des connaissances dans ce domaine de recherche.

Dans un premier temps, par l’intermédiaire d’un regroupement de cinq composantes principales, nous tentons de dégager un portrait synthétique des acceptions et pratiques actuellement associées à la notion d’empowerment. Ce regroupement est fondé sur l’analyse de la littérature disponible sur ce sujet. Étant donné la grande variété des champs d’études qui font appel à cette notion, les efforts de recension ont été concentrés sur les travaux relatifs aux pratiques sociales concrètes (recherches évaluatives, analyses d’interventions, travaux de recherche-action, réflexion théorique sur les pratiques, etc.) plutôt que sur un ensemble de champs disciplinaires particuliers. Les composantes proposées seront ensuite utilisées pour apprécier la pertinence des traductions actuellement utilisées dans les milieux francophones. Nous terminons par une nouvelle proposition de traduction susceptible d’évoquer les caractéristiques centrales de l’empowerment, sans pour autant emprunter au langage spécialisé.

La notion d’empowerment dans le champ des pratiques sociales : une approche intégrée du changement social

Avant d’aborder le problème de la traduction de la notion d’empowerment, il convient de faire une synthèse des principales dimensions qui forment l’univers conceptuel de cette réalité. On peut ainsi articuler autour de cinq composantes essentielles l’approche centrée sur l’empowerment des personnes et des collectivités.

Première composante : Prise en compte simultanée des conditions structurelles et individuelles du changement social

Que l’on s’intéresse aux parents d’élèves (Gruber et Trickett, 1987), à ceux d’enfants handicapés (Dempsey, 1995), aux personnes sans abri (Banyard et Graham-Bermann, 1995) ou plus généralement aux populations opprimées (Breton, 1994 ; Lee, 1994), le propos des tenants de l’approche centrée sur l’empowerment des personnes et des collectivités consiste à augmenter la capacité des personnes, individuellement ou collectivement, à influencer leur réalité selon leurs aspirations. Seule l’unité d’analyse retenue (personne, petits groupes, entreprises, collectivités locales, régionales ou nationales) et les modalités privilégiées (changement personnel, changement structurel) changent. Une telle finalité force à prendre simultanément en considération l’influence des forces sociales et des caractéristiques individuelles dans l’analyse de toute réalité sociale (Renaud, 1995 ; Newbrough, 1992). L’exercice effectif d’un pouvoir d’action dépend à la fois des possibilités (les ressources, mais aussi le cadre législatif et le contexte politique) offertes par l’environnement et des capacités des personnes à exercer ce pouvoir (les compétences, mais aussi le désir d’agir, la perception des possibilités d’action, la capacité de projection, etc ; Renaud, 1995). Ainsi, une personne ou une collectivité très désireuse d’exercer un plus grand contrôle sur son devenir se trouverait incapable de le faire dans un milieu dépourvu de ressources (matérielles, mais aussi informationnelles et sociales). De la même manière, un milieu très disposé à soutenir concrètement une démarche d’affranchissement d’un groupe d’individus ne pourra rien faire si les protagonistes n’envisagent pas une telle possibilité. Ces deux conditions minimales de faisabilité constituent des pierres d’achoppement bien connues des praticiens qui privilégient la perspective d’empowerment (Bernstein et al., 1994 ; Wallerstein, 1992 ; Cox, 1991 ; Delgado-Gaitan, 1991). On peut donc avancer que toute démarche d’empowerment des personnes et des collectivités repose prioritairement sur la possibilité d’influencer la disponibilité et l’accessibilité des ressources du milieu et sur la volonté et la capacité des personnes à prendre leur destinée en main, et ce, indépendamment de la perspective (structurelle ou individuelle) et de l’unité (la collectivité ou l’individu) d’analyse retenue.

Deuxième composante : L’adoption de l’unité d’analyse acteur en contexte

La prise en compte simultanée des conditions structurelles et individuelles du changement social nécessite d’adopter une unité d’analyse qui tient compte de la personne dans son environnement (Newbrough, 1992). Comme l’empowerment est un processus interactif qui repose simultanément sur l’implication active des personnes et sur l’aménagement des conditions de réalisation de l’action visée, il nous paraît plus juste ici de parler d’acteur en contexte que de personne en environnement. Ces termes offrent l’avantage de mieux cerner le cadre d’observation de cette réalité. En effet, qu’il soit simplement décrit comme phénomène d’étude ou ciblé en tant que finalité d’une démarche d’intervention, l’empowerment s’exprime toujours sous une forme très concrète et très contextualisée. Il s’agit toujours de modifier une réalité précise à l’aide d’acteurs clairement identifiés et selon des formes qui varient en fonction des contextes (Rappaport, 1987 ; Swift, 1984).

Troisième composante : La prise en compte des contextes d’application

Les quelques tentatives pour concevoir des indicateurs du pouvoir d’agir ont mis en évidence la grande sensibilité de cette réalité aux changements de contextes (Zimmerman, 1995 ; Bernstein et al., 1994). En fait, il apparaît que les impacts du développement du pouvoir d’agir sont intimement liés à la nature du changement visé (Maton et Salem, 1995 ; Zimmerman, 1995, 1990 ; Rappaport, 1990, 1987 ; Swift et Levin, 1987). Pour cette raison, toute intervention qui vise l’empowerment des personnes et des collectivités doit reposer sur une prise en compte systématique de son contexte d’application tant dans la définition de ses objectifs que dans ses méthodes (Wallerstein et Bernstein, 1994).

Quatrième composante : La définition du changement visé et de ses modalités avec les personnes concernées[3]

L’exercice d’un pouvoir d’influence sur le cours des événements implique que l’on puisse déterminer la direction du changement que l’on cherche à provoquer. Dans le contexte des pratiques sociales, cela signifie que les personnes concernées doivent être au coeur de la définition du changement anticipé. Un grand nombre des définitions de l’empowerment actuellement disponibles dans la littérature illustrent ce principe de base[4]. L’application de la perspective de l’empowerment aux pratiques sociales entraîne donc une contribution concrète des personnes concernées dès la conception d’un programme ou d’une initiative sociale qui les touche (Bernstein et al., 1994 ; Plough et Olafson, 1994 ; Berkowitz, 1990 ; Gruber et Trickett, 1987). Associer les personnes concernées à la définition de la cible du changement est une première étape, mais cela ne suffit pas à caractériser une pratique d’empowerment. Encore faut-il que ces personnes aient un droit de regard sur la façon dont leur problème est défini et sur les solutions retenues pour y faire face (Lord et Dufort, 1996 ; Bernstein et al., 1994 ; Wallerstein, 1992). Notons par ailleurs que l’implication des personnes concernées dans la définition des problèmes et des solutions envisageables n’entraîne pas qu’ils en ont l’exclusivité. Plusieurs auteurs ont montré qu’une application trop stricte (Plough et Olafson, 1994) ou trop libérale (O’Neil, 1992) de ce principe entraîne des travers dans les pratiques qui nuisent à tous les partenaires (Robertson et Minkler, 1994 ; Fortin et al., 1992).

Cinquième composante : Le développement d’une démarche d’action conscientisante

L’empowerment ne consiste pas simplement à être actif. En fait, l’action est ici un outil d’acquisition de pouvoir qui ne conserve sa pertinence que dans la mesure où elle s’inscrit dans une logique d’influence personnelle ou collective sur l’environnement. Ce faisant, son potentiel d’empowerment dépend de l’analyse des conditions qui prédominent dans cet environnement et des conséquences réelles ou envisagées de l’action planifiée. Il s’agit donc d’une action conscientisante au sens où l’entend Freire (1998). Elle suppose une compréhension de l’interdépendance des sources structurelles et individuelles du changement (Breton, 1994 ; Robertson et Minkler, 1994 ; Wallerstein et Sanchez-Merki, 1994). Si les auteurs ne s’entendent pas forcément sur le degré de prise de conscience nécessaire à la démarche d’empowerment[5], on peut néanmoins avancer que cet élément est présent dans la grande majorité des écrits et des pratiques qui se réclament de cette perspective. L’action conscientisante constitue donc une autre caractéristique fondamentale de la démarche d’empowerment, en plus d’être un critère de discrimination dans la mesure où l’on ne peut envisager une pratique d’empowerment qui ferait obstacle au processus de conscientisation par l’action (Argyris, 1998 ; Ninacs, 1995 ; Breton, 1994 ; Labonté, 1994 ; Wallerstein, 1992).

Sans prétendre à l’exhaustivité, cette articulation conceptuelle permet d’appréhender la question de la traduction du terme « empowerment » sur une base théoriquement fondée. En plus des caractéristiques linguistiques et du potentiel évocateur de chaque traduction, il devient donc possible d’examiner ces dernières par rapport à leur capacité à refléter une partie ou la totalité des composantes de cette articulation conceptuelle.

Les différentes traductions de la notion d’empowerment

Plusieurs traductions de la notion d’empowerment sont actuellement utilisées dans les milieux de pratique et de recherche. Chacune de ces traductions illustre généralement l’angle d’analyse retenu par ses utilisateurs. Ainsi, les acteurs qui appréhendent la notion d’empowerment sous l’angle des rapports de force entre différentes instances ont tendance à recourir à la notion de pouvoir ou de pouvoir d’influence. À ce jour, la traduction de la notion d’empowerment relève bien plus des us et des coutumes[6] que d’une démarche rigoureuse.

1. L’appropriation ou l’appropriation psychosociale

C’est probablement la traduction la plus connue et la plus utilisée tant dans les milieux de pratique qu’au sein de certaines équipes de recherche. Dans les dictionnaires de langue française, le terme appropriation est défini comme : « action de s’approprier » ; pour sa part, le terme s’approprier est défini comme : « s’attribuer, se donner la propriété de ». Ce terme est d’usage courant dans la langue vernaculaire et il est généralement employé dans le sens de s’octroyer un bien ou le bénéfice d’une action. Il indique également que l’idée d’appropriation est souvent utilisée dans le sens de l’acquisition unilatérale d’un bien ou d’un territoire (par exemple, lors des guerres, les vainqueurs s’approprient les terres des vaincus). D’ailleurs, le plus souvent, la référence à ce terme signifie que le transfert de propriété est pour le moins discutable. Cela explique sans doute le fait que l’expression s’approprier a généralement une connotation négative dans son usage ordinaire. Le recours à cette notion pour traduire la notion d’empowerment crée donc une confusion entre deux usages du même terme. L’idée de traduire la notion d’empowerment par l’expression appropriation semble reposer sur la volonté d’illustrer le rôle central des personnes concernées par le changement. L’appropriation est entendue ici au sens de la capacité de prise en charge du changement par les personnes elles-mêmes. En ce sens, cette traduction semble vouloir illustrer la première et la quatrième composante décrites dans la première partie de ce texte[7].

Outre le fait que cette illustration est pour le moins abstraite, l’ajout de l’expression psychosociale achève de plonger l’interlocuteur dans l’incertitude. En effet, si l’idée d’appropriation renvoie clairement à la revendication d’une propriété et à la limite, d’une compétence, l’appropriation psychosociale n’évoque rien de très précis. Quel est le sens du qualificatif psychosocial ici ? En regardant l’étymologie des deux termes qui composent cet adjectif, on peut admettre que leur réunion puisse suggérer l’interaction ou la double incidence de l’individu et de la société[8].Il est donc possible que le fait de qualifier la démarche d’appropriation de psychosociale tende à indiquer que l’acquisition ou l’attribution de l’objet visé (compétence, pouvoir, bien, etc.) se réalise de manière interactive. L’utilisation de cet adjectif traduirait donc ici l’intention de se référer explicitement à la deuxième composante et, de façon plus marginale, à la troisième composante. Une telle interprétation reste toutefois hautement spéculative et comporte l’inconvénient majeur de maintenir l’usage de cette expression au niveau du langage abstrait. Dès lors, force est de constater que l’utilisation de l’expression appropriation psychosociale ne nous éclaire pas beaucoup sur la réalité concrète dont il est question lorsqu’on parle d’empowerment.

Par ailleurs, le terme appropriation renvoie à l’idée de faire sien, ce qui met exagérément l’accent sur la question de l’acquisition des ressources. Un tel accent revient à assimiler l’enjeu de l’empowerment à celui de la répartition des ressources. Or, s’il est clair que la démarche d’empowerment individuelle ou collective passe par un plus grand accès aux ressources, elle ne peut s’y restreindre (Servian, 1996 ; Bernstein et al., 1994 ; Bond et al. 1992 ; Berkowitz, 1990). La finalité de cette démarche est l’exercice d’un plus grand contrôle sur ce qui est important pour soi ou sa collectivité (Rappaport, 1987). Les conditions individuelles pour mener à bien ce processus sont aussi importantes que les conditions structurelles. Omettre ou éluder plus ou moins explicitement l’une des deux conditions revient à vider la notion d’empowerment d’une partie importante de sa substance.

Enfin, et c’est à nos yeux une difficulté très importante, une telle traduction peut être utilisée dans une perspective prescriptive[9]. En effet, le terme appropriation présente l’inconvénient de n’être utilisable que de façon transitive. Or un tel usage conduit à renverser la logique de l’empowerment (c’est-à-dire l’affranchissement des personnes concernées) pour en faire une notion prescriptive supplémentaire. Comme de nombreux auteurs l’ont signalé (Argyris, 1998 ; Ninacs, 1995 ; Perkins, 1995 ; Bernstein et al., 1994), il existe une nette tendance à justifier la réduction des ressources au nom de la « responsabilité de prise en charge » des personnes concernées. Dans le discours des tenants de cette conception, l’empowerment des personnes et des groupes est moins un pouvoir qu’un devoir. Une telleconception contrevient de façon manifeste à plusieurs des composantes essentielles de l’empowerment. La possibilité de décrire des approches aussi antinomiques à l’aide d’un même terme constitue l’un des obstacles majeurs de la démarche de clarification conceptuelle en cours. Or, le terme appropriation maintient cette possibilité. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des intervenants qui utilisent la forme transitive du terme appropriation afin de signifier une prescription professionnelle aux personnes concernées (par exemple, « les usagers doivent s’approprier les objectifs de l’intervention » ou encore « il faut que les populations à risque s’approprient les préoccupations de santé publique du gouvernement », etc.) En plus d’être en contradiction flagrante avec la quatrième composante[10] de la démarche d’empowerment, une telle utilisation maintient les praticiens dans une logique de monopole d’expertise qui contribue directement à l’aliénation des personnes concernées (Breton, 1994 ; Mullender et Ward, 1994). Bien que très connue, cette traduction de la notion d’empowerment apparaît donc comme problématique. À tout le moins, il est à craindre que l’utilisation du terme « appropriation » contribue à étendre le flou qui entoure actuellement l’usage de la notion d’empowerment et les pratiques qui s’y réfèrent.

2. L’habilitation

On trouve les premières traces de cette traduction dans les travaux de John Lord (Lord, 1991 ; Lord et McKillop-Farlow, 1990) dans les publications du Secrétariat d’État du Canada. C’est également l’expression retenue par l’Office de la langue française pour traduire le terme empowerment. L’idée d’habilitation vient de l’expression latine abilitare qui signifie rendre apte. On y a souvent recours pour illustrer le fait qu’une personne se voit octroyer de nouvelles prérogatives (p. ex., être habilité à représenter une organisation). C’est également une expression très utilisée pour signifier un transfert de connaissances ou de compétences. Dans le sens populaire, l’idée d’habiliter renvoie clairement à un transfert unilatéral de connaissances ou de compétences dans lequel le destinataire ne fait que recevoir et assimiler les enseignements qui lui sont transmis. Or, loin d’être perçues comme des personnes ayant besoin qu’on les habilite (au sens commun du terme), les personnes engagées dans une démarche d’empowerment sont considérées comme des acteurs centraux possédant des connaissances essentielles à la résolution du problème à l’étude. Si transfert de compétences il y a, celui-ci est forcément de nature bilatérale et se trouve donc aux antipodes d’une conception fondée sur le traitement des carences (Robertson et Minkler, 1994). De plus, les apprentissages se font principalement à l’aide d’une démarche collective de conscientisation (cf. cinquième composante[11]) et non sous la forme d’un transfert abstrait et décontextualisé (Mullender et Ward, 1994 ; Wallerstein et Bernstein, 1994).

Par ailleurs, la notion d’habilitation met trop l’accent sur le pôle individuel du changement (acquisition de connaissances ou de compétences), ce qui entre en contradiction avec les deux premières composantes[12]. L’usage de ce terme entre également en contradiction avec la quatrième composante[13], puisque dans son sens commun elle n’accorde qu’un rôle très secondaire à la personne concernée dans la définition des aptitudes à acquérir. On peut donc estimer que, sur le plan conceptuel, l’expression habilitation ne constitue qu’un très pâle reflet, voire une vision tronquée, de la notion d’empowerment telle qu’elle est appréhendée dans le contexte de cette étude.

3. Le pouvoir ou le pouvoir d’influence

Comme le souligne Russ (1994), il existe presque autant de définitions du pouvoir qu’il existe de personnes pour le définir. Le retour aux racines du pouvoir que nous propose cette auteure permet d’associer la fonction première du pouvoir au besoin fondamental de dominer. Que cela soit pour canaliser l’angoisse fondamentale de la finitude de l’existence (Hegel), pour assouvir un besoin naturel de puissance (Nietzche) ou encore à des fins d’organisation sociale (Weber), le besoin de dominer constituerait l’un des éléments inhérents à la condition humaine (Russ, 1994). Néanmoins, si la finalité du pouvoir est d’assouvir un besoin existentiel de domination, ce dernier s’exprime sous des formes et selon des logiques différentes suivant la nature de la domination recherchée. Ainsi, comme le propose Foucault (Russ, 1994), il est nécessaire de distinguer le besoin de domination dans ses relations avec l’autre (ou, comme le dit Crozier – voir Russ, 1994 –, le produit du rapport de force que l’on entretient avec différents acteurs) du besoin de domination sur les choses (par lequel on les modifie ou on les utilise). Dans le contexte des pratiques sociales, c’est le plus souvent à la première fonction que se réfèrent les acteurs qui traduisent empowerment par pouvoir ou pouvoir d’influence. C’est plus précisément au pouvoir politique que ces personnes font allusion. Dans les sociétés démocratiques, cette forme de pouvoir constitue le principe organisateur du mode de distribution des ressources (Watson, 1992). Les groupes sociaux les plus influents sont également ceux qui ont le plus aisément accès aux ressources collectives disponibles (Perkins, 1995 ; Seidman et Rappaport, 1986). Avoir plus de pouvoir devient donc le moyen pour les groupes moins influents d’avoir un meilleur accès aux ressources. L’empowerment devient ici synonyme d’une modification du rapport de force entre les différents sous-groupes afin de changer les modes de partage des ressources collectives.

De fait, une certaine utilisation historique de la notion d’empowerment justifie tout à fait une telle traduction. Comme l’a très bien illustré Simon (1994), l’usage de cette expression dans le sens d’une meilleure attribution des ressources est présente dans toutes les luttes sociales des États-Unis, de la revendication du droit de vote des femmes au début du siècle aux mouvements progressistes contemporains, en passant par le mouvement pour l’égalité des droits sociaux représenté par Martin Luther King (Lee, 1994 ; Simon, 1994). Bien que tout à fait légitime, cette conception de l’empowerment pose tout de même deux problèmes importants.

Le premier problème relève directement du caractère restrictif de cette traduction. Peut-on assimiler empowerment et lutte pour l’égalité de l’accès aux ressources ? Si l’on tente de répondre à la lumière des cinq composantes relevées plus haut, la réponse ne peut être que négative. Tout d’abord, dans un processus d’empowerment, l’accès aux ressources représente un moyen et non une fin. La démarche d’empowerment ne vise pas un plus grand accès aux ressources, mais un plus grand contrôle sur ce qui est important pour soi ou sa communauté (Rappaport, 1987). L’amélioration de l’accès aux ressources est l’un des moyens pour parvenir à l’accroissement de ce contrôle, mais il n’est ni le seul ni le plus déterminant. Pour reprendre la définition proposée par Gutiérrez (1994), l’exercice du contrôle s’opérationnalise par la capacité de produire et de réguler les événements de sa vie. Concrètement, cela signifie que les individus en démarche d’empowerment tentent de devenir les auteurs et les acteurs des événements qui les touchent plutôt que d’en subir les conséquences[14] (Corin, Rodriguez Del Barrio et Guay, 1996 ; Bernstein et al., 1994 ; Breton, 1994 ; Gutiérrez, 1994 ; Lee, 1991 ; Lord, 1991). L’atteinte d’un tel objectif suppose l’acquisition, le renforcement ou le développement d’un certain nombre d’habiletés personnelles tout autant que l’amélioration de l’accès aux ressources. Traduire l’expression empowerment par pouvoir ou pouvoir d’influence revient à se concentrer exclusivement sur la condition structurelle du changement en impliquant que la condition personnelle est déjà satisfaite ou qu’elle le sera dès que les ressources seront disponibles. Or, la littérature regorge d’exemples dans lesquels l’application de ce raisonnement conduit à l’impasse (Guldan, 1996 ; Plough et Olafson, 1994 ; Fortin et al., 1992 ; O’Neil, 1992).

D’un point de vue théorique, cette centration exclusive sur la question de l’accès aux ressources revient à éliminer la prise en compte du pôle individuel du changement, ce qui entre en contradiction avec les première et deuxième composantes. Sans tomber dans le mirage du self-empowerment[15], il est nécessaire de rappeler le caractère central du changement personnel dans la démarche d’empowerment (Bernstein et al., 1994 ; Lord, 1991 ; Kieffer, 1984 ; Serrano-Garcia, 1984), et ce, y compris dans les démarches prioritairement orientées vers l’amélioration de l’accès aux ressources (Bjäras, 1991 ; Delgado-Gaitan, 1991 ; Staub-Bernasconi, 1991). On ne peut donc restreindre la question de l’empowerment au seul enjeu de la lutte pour la redistribution des ressources sans vider cette notion d’une partie importante de sa substance. Plus précisément, l’assimilation de la notion d’empowerment au seul pouvoir d’influence revient à évacuer tout le potentiel intégrateur de ce concept pour le cantonner dans le seul registre de l’action sociale.

Le deuxième problème est d’ordre linguistique. Même si, dans l’esprit de ceux qui utilisent les termes « pouvoir » et « pouvoir d’influence », l’objet de ce pouvoir est une meilleure distribution des ressources, il est clair que ce terme a de nombreuses autres significations ; une telle polysémie ajoute à la confusion plutôt que de contribuer à clarifier le terme empowerment. Dans une démarche de structuration théorique, il est peu pertinent de recourir à un terme dont le sens dépend en grande partie du contexte dans lequel il est employé ! Enfin, il faut noter que dans la langue vernaculaire, le terme pouvoir est fortement associé à l’idée de domination. Il y a là une source potentielle de quiproquo qui pourrait conduire le locuteur non initié à comprendre l’idée d’empowerment comme un désir de domination et d’accaparement des ressources par un ou plusieurs sous-groupes de la société. On peut difficilement imaginer pire confusion…

Cela dit, la notion de pouvoir constitue tout de même une traduction potentiellement intéressante, car elle rend assez concrètement l’idée d’affranchissement contenue dans l’expression empowerment. L’enjeu consiste plutôt à préciser la nature de ce pouvoir ou son objet afin d’éviter tout risque de confusion sémantique. Comme nous l’avons vu précédemment, l’inadéquation de l’expression pouvoir d’influence repose sur le fait qu’elle ne parvient pas à illustrer la double nature du changement incluse dans la notion d’empowerment. Il faut donc orienter les recherches vers une expression qui, tout en référant à l’idée de pouvoir, inclurait (au moins potentiellement) les deux pôles de changement. C’est dans cet esprit que nous avons développé la proposition qui fait l’objet de la troisième section de cet article.

De « l’empowerment » au « pouvoir d’agir »

À quelle réalité concrète correspond exactement le fait « d’exercer plus de contrôle sur les choses importantes pour soi ou sa communauté » ? (Rappaport, 1987) ou, dans les mots de Breton (1989), « de devenir l’agent de sa propre destinée » ? Ces deux finalités désignent implicitement un état de fait initial que l’on pourrait caractériser par une emprise insuffisante sur le cours des événements et des conditions de vie qui façonnent notre quotidien. Qu’il s’agisse d’exercer plus de contrôle ou de devenir l’agent de sa destinée, il est toujours fondamentalement question de changement entre une situation perçue comme insatisfaisante et une autre envisagée comme plus souhaitable. Dans les deux cas, la source d’insatisfaction est identique et peut être assimilée à une impuissance réelle ou ressentie à « réguler les événements de sa vie » (Gutiérrez, 1994).

Ce désir de régulation serait propre à la condition humaine (Russ, 1994). Il s’agirait en fait du moyen fondamental par lequel les individus affirment la légitimité de leur existence (Boutinet, 1995). L’incapacité réelle ou perçue d’exercer cette régulation serait à l’origine d’une souffrance existentielle potentiellement aussi dommageable pour la santé et le bien-être que les conditions de vie délétères qu’elle peut entraîner[16] (Giraud, 1999 ; Boutinet, 1995). Or, ce désir d’affirmer une intentionnalité dans la conduite de son existence se heurte souvent à un ensemble de contingences personnelles (Bandura, 2002) et structurelles (Seidman et Rappaport, 2000). Dans certains cas, les contingences structurelles sont telles que toute velléité d’emprise individuelle est confrontée aux limites concrètes imposées par le milieu de vie. Dès lors, une tension fondamentale s’instaure entre la recherche de dignité (ou comme le dit Boutinet, 1995, le désir « d’être au monde ») et les contraintes imposées par le milieu de vie. « Avoir plus de contrôle » peut alors être une façon concrète de cibler l’enjeu fondamental d’affranchissement et d’affirmation de son existence en tant qu’« agent de sa destinée ». Il en est ainsi lorsque les mères monoparentales en recherche d’emploi (Hardina, 1994 ; Miller, 1989), les parents d’enfants malades ou handicapés (Dempsey, 1995 ; Chesney et Chesler, 1993), les communautés rurales éloignées (Bond et al., 1992) ou les communautés amérindiennes[17] se battent pour acquérir les moyens (personnels et structurels) de mener une existence compatible avec leurs aspirations.

Pour obtenir ces moyens, il est nécessaire d’agir individuellement et collectivement. Mais cette action doit être entendue ici selon les trois sens que lui donne Hanna Arendt (Baehr, 2000), c’est-à-dire à la fois comme une manière d’assurer sa survie, d’exprimer son individualité et de contribuer à la régulation collective des conditions générales d’existence. L’exercice d’un plus grand contrôle passerait donc inévitablement par une mise en action qui suppose à la fois la disponibilité de ressources individuelles (les compétences, le sentiment d’efficacité personnelle, la capacité à formuler et à conduire un projet, etc.) et collectives (la présence de possibilités d’actions individuelles et collectives, la disponibilité des budgets, des informations, les conditions d’accès et d’utilisation des services, etc.). L’empowerment se caractériserait donc par cette articulation entre la mise en action et la disponibilité des ressources qu’elle requiert.

On serait donc justifié de traduire la notion d’empowerment par l’expression pouvoir d’agir dans la mesure où le terme pouvoir vise ici cette nécessité de réunir les ressources individuelles et collectives à l’accomplissement de l’action envisagée. Le pouvoir d’agir s’incarne ici comme un pouvoir de surmonter ou de supprimer les obstacles à l’expression de « l’être au monde »[18]. Il s’agit avant tout « d’être en mesure d’agir », c’est-à-dire d’avoir les moyens de se mettre en action. Or, quelle que soit l’action dont il s’agit, sa réalisation implique toujours un minimum de compatibilité avec les conditions objectives présentes dans l’environnement. Toutefois, ce pouvoir d’agir se distingue du seul pouvoir d’influence ou de domination, en ce sens qu’il ne vise pas tant le rapport de force que la conduite d’un projet signifiant (Bernstein et al., 1994)[19]. Il se distingue également de la seule question de la lutte pour l’accès aux ressources en ce sens puisqu’il implique tout autant le dépassement des obstacles personnels que l’aménagement structurel des conditions de l’action (Newbrough, 1992).

L’utilisation de l’expression pouvoir d’agir est assez compatible avec les composantes fondamentales de l’empowerment que nous avons établies plus haut. Elle implique la prise en compte des conditions structurelles et individuelles du changement (première et troisième composantes). Alors que l’expression pouvoir d’action pourrait évoquer un attribut abstrait et désincarné, l’accent mis sur le verbe agir permet de souligner le statut d’acteur des personnes aidées (deuxième composante). De la même manière, le recours au terme agir permet de distinguer le phénomène d’empowerment du simple fait d’être actif. Pour agir, l’acteur doit avoir une cible personnelle signifiante (quatrième composante) alors qu’il est toujours possible de s’agiter sans but spécifique. En revanche, l’expression pouvoir d’agir n’illustre qu’indirectement la cinquième composante théorique de l’empowerment (c’est-à-dire l’introduction d’une démarche d’action conscientisante). Même si on peut le déduire, la notion de pouvoir d’agir n’implique pas directement que cette démarche repose sur la prise de conscience de l’interdépendance des sources structurelles et individuelles du changement.

Par ailleurs, l’expression empowerment fait simultanément référence au processus d’affranchissement et aux résultats qu’il produit (Perkins et Zimmerman, 1995), ce qui n’est pas le cas avec la notion de pouvoir d’agir. Une manière de contourner cette difficulté consiste à recourir à l’expression développement du pouvoir d’agir pour désigner le processus et de réserver les termes pouvoir d’agir pour parler du produit de ce processus. Cette solution offre l’avantage de préciser la nature du processus dont il est question ; elle permet de signifier qu’il ne s’agit pas d’enseigner, de promouvoir ou de stimuler le pouvoir d’agir des personnes et des collectivités, mais bien de contribuer à l’émergence des conditions nécessaires à sa manifestation (Zimmerman, 2000 ; Bernstein et al., 1994).

Du point de vue linguistique, l’expression pouvoir d’agir ne peut être utilisée de façon transitive ; on ne peut donc y recourir pour transmettre une prescription. C’est une expression qui possède une certaine force d’évocation et qui offre l’avantage d’être uniquement une extension du sens qu’on peut lui attribuer dans la langue. Il devient donc possible de référer à cette réalité sans avoir recours à un jargon technique peu utile aux non-initiés ou à une série de nuances linguistiques.

Comme tous les néologismes à vocation théorique, l’utilisation d’une expression comme pouvoir d’agir possède des limites certaines. La pleine compréhension des attributs qui lui sont associés ici nécessite une extrapolation importante du sens premier que l’on pourrait accorder à l’association de ces deux termes. La simple énonciation de cette expression ne pourrait donc tenir lieu d’explications. Par ailleurs, le fait d’associer le verbe agir au terme pouvoir peut donner l’impression d’une focalisation sur la réalisation des actions au détriment de la réflexion. On pourrait ainsi hâtivement opposer pouvoir de penser à pouvoir d’agir. Il reste que le recours à cette expression pour désigner la réalité associée au terme empowerment permet de faire un pas en direction d’une plus grande clarté conceptuelle. En faisant reposer l’empowerment sur les deux piliers du pouvoir (moyen d’accès aux ressources individuelles et collectives) et de l’action (réalisation d’un changement concret par rapport à un objectif spécifique), il devient possible de bâtir un édifice conceptuel plus solidement enraciné dans les connaissances disponibles sur ces deux socles du phénomène d’empowerment. L’apport conjugué des théories du pouvoir et des théories de l’action permet d’envisager une meilleure articulation théorique du phénomène de l’empowerment. Dès lors, on pourra envisager de dégager une série d’indicateurs précis et spécifiques à cette réalité qui serviront à l’exploration rigoureuse du potentiel de cette finalité dans le champ des pratiques sociales.

Conclusion

Le choix d’une expression synthétique pour traduire une réalité aussi complexe que l’empowerment est une entreprise périlleuse, et ce d’autant plus lorsque ce terme pose également des problèmes de polysémie dans sa langue d’origine (Swift, 1984). Dans un tel contexte, toute traduction est forcément imparfaite et l’expression pouvoir d’agir ne fait pas exception à cette règle ; il reste qu’elle nous paraît une alternative intéressante à l’usage du terme empowerment ou aux traductions actuellement disponibles. Sur le plan de l’intervention, l’utilisation de l’expression pouvoir d’agir devrait aider à préciser les objectifs opérationnels associés aux programmes qui se donnent l’empowerment pour finalité. Ce faisant, il deviendrait possible de sortir les pratiques centrées sur l’empowerment du vaste domaine des bonnes intentions pour les faire entrer dans celui du changement concret, précis et mesurable. Le présent article n’avait d’autre but que de contribuer à progresser dans cette direction.