Corps de l’article

Introduction

À l’époque actuelle, c’est devenu un lieu commun d’affirmer que l’immigration est un phénomène majeur et irréversible qui est au coeur des préoccupations des États, des organismes internationaux et des différents acteurs politiques, économiques et sociaux.

Le Canada et le Québec n’échappent pas à cette tendance. Les dernières données du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration du Québec l’attestent. Ainsi, au Québec, la population immigrée a augmenté de 6,4 % entre 1996 et 2001, passant de 664 495 personnes à 706 965 en 2001, soit une hausse de 42 470 personnes. Cette croissance de la population immigrée a compté pour plus de la moitié de la croissance de la population totale du Québec. La part de la population immigrée dans la population totale a donc légèrement augmenté, passant de 9,4 % en 1996 à 9,9 % en 2001. En un demi-siècle, l’importance relative de la population immigrée a connu une croissance ininterrompue. En 1951, après la Deuxième Guerre mondiale et la grande dépression des années 1930, pendant lesquelles l’immigration internationale s’était presque arrêtée, elle n’était que de 5,6 % (MRCI, 2003).

On trouve en amont de ce phénomène, la plus grande mobilité des populations encouragée par les progrès technologiques, l’écart de niveau de vie entre les pays en développement et les pays industrialisés qui poussent les populations démunies à faire de l’émigration une stratégie de lutte contre la pauvreté. S’ajoute à cela le fait que les politiques gouvernementales des pays riches se sont alignées sur l’option d’encourager l’immigration pour pallier la baisse tendancielle de leurs taux de natalité.

La population féminine immigrée, quant à elle, est en constante progression au Québec. En 1996, 42,7 % de la population féminine immigrée provenait de l’Europe, 23,6 % des Amériques, 8,4 % de l’Afrique et 25 % d’Asie. Parmi cette population immigrée, 44,3 % des femmes de ce groupe appartenaient aux minorités visibles (Gouvernement du Québec, MRCI, 1996)[1].

Il résulte de tout cela que le phénomène de l’immigration et les enjeux qui y sont rattachés occupent une place grandissante et suscitent un intérêt toujours croissant. Le plus souvent, ces questions se posent en termes d’intégration, d’inégalités ou de précarité socioéconomiques. Si ce fait est entendu concernant une part considérable des personnes immigrantes, il se pose avec encore plus d’acuité à l’égard des femmes immigrées.

Cet article vise à mettre en relief quelques obstacles et quelques facteurs de discrimination auxquels les femmes immigrées sont confrontées, à des degrés divers, dans leurs démarches d’insertion dans la société. Il est essentiel de porter une attention particulière aux facteurs d’exclusion qui pèsent sur une partie de cette population[2].

Une telle approche implique, d’une part, que l’on puisse d’abord cerner les différents facteurs pour tenter ensuite d’en évaluer les impacts socioéconomiques afin de rendre compte, au mieux, de la réalité à la fois complexe et hétérogène de ces femmes.

Quel est donc l’état des connaissances sur la réalité des femmes immigrées au Québec ? Quels sont les effets des politiques canadiennes sur les conditions sociales et économiques des femmes immigrées ? La discrimination et le racisme sont-ils les seuls facteurs explicatifs de la précarité socioéconomique d’une partie de cette population ? Tels sont quelques-uns des thèmes dont traitera le présent article.

État de la recherche et des connaissances sur les femmes immigrées

Malgré la féminisation accrue de l’immigration au Québec depuis le début des années 1970 et la visibilisation sociale des femmes immigrantes ou issues de processus migratoires, peu d’études exhaustives ont été entreprises dans ce domaine particulier de la recherche sociologique. En effet, peu de travaux sont menés en profondeur sur la réalité des femmes immigrées. Le caractère à la fois morcelé et limité des travaux ainsi que leurs limites conceptuelles expliquent, à bien des égards, le caractère dispersé, inégal et confus de ce champ de recherche. Investir la question des femmes immigrées en menant des travaux en profondeur, tant quantitatifs que qualitatifs, constitue en même temps un moyen de visibilisation et de reconnaissance sociale de ces femmes au sein de la société québécoise et dans les politiques publiques : c’est contribuer à les faire exister socialement et politiquement dans les représentations communes de la société québécoise.

En parcourant la littérature existante sur le sujet, il est possible de dégager une problématique dominante. En effet, c’est très souvent pour constater, décrire, expliquer ou dénoncer la précarité des conditions socioéconomiques des femmes immigrées que la recherche et les analyses ont abordé la question (Vatz-Laaroussi et Rachedi, 2002 ; Lauzon, 2001a ; Condition féminine Canada, 1998). Comme le démontre la littérature recensée, cette problématique recouvre plusieurs dimensions.

La dimension sociale du statut précaire d’une partie des femmes immigrées nous renvoie aux phénomènes de l’exploitation des femmes, des conditions d’immigration, de la violence envers les femmes et du trafic des femmes. Comme cela sera le cas dans les phénomènes observés au plan économique du problème, on retrouve en toile de fond les phénomènes du racisme, de la discrimination et du sexisme, tantôt combinés, tantôt évoqués distinctement.

La dimension économique, elle, désigne non seulement les inégalités salariales en emploi, la pauvreté et le chômage, mais comprend aussi des pratiques économiques hautement illégales qui s’appellent exploitation, trafic des personnes et travail forcé.

De qui parle-t-on ?

Dans cette partie, il sera question de cerner l’objet de l’étude, à savoir la catégorie « femmes immigrées ». Cette clarification n’est pas superflue dans le cadre du présent article, car la polysémie des termes utilisés renseigne à elle seule sur une identification somme toute floue de la catégorie désignée. Par exemple, nous retrouvons dans la littérature différentes terminologies : femmes immigrées, femmes migrantes, immigrées, femmes issues de l’immigration, femmes de l’immigration, femmes immigrées de la première génération, femmes de la seconde génération, femmes d’origine immigrée, femmes immigrées d’origine étrangère, femmes étrangères, immigrantes, etc. (Côté, Kérisit et Côté, 2001 ; McDonald, Moore et Timoskina, 2000).

Devant tant de désignations, on peut, en résumé, se poser deux questions : Qui désigne-t-on ou qui veut-on désigner ? Est-ce que les groupes d’individus et les réalités décrites sont les mêmes ?

Il apparaît en effet à travers la variété de documents consultés que les populations visées varient selon l’angle d’analyse de l’étude ou de l’article. Ainsi, selon qu’il s’agisse de classement statistique, de critère juridique, d’outil d’analyse ou de représentation sociale à l’oeuvre, les perceptions de la catégorie visée ne sont pas les mêmes. Ces décalages prennent même parfois la forme de contradictions.

Aussi, cette confusion complique les analyses comparatives, parfois pertinentes, avec d’autres pays tels que la France et l’Allemagne. Rien que pour le terme « femme immigrée », nous nous trouvons en présence de perceptions qui s’affirment différemment en fonction de l’enracinement des cadres juridiques dans les traditions nationales respectives.

À titre d’exemple, le terme « femme immigrée » suscite des définitions différentes selon que l’on est en Allemagne ou en France. En Allemagne, la législation restrictive en matière d’acquisition de la nationalité fait que les femmes nées en sol allemand de parents étrangers sont indifféremment désignées comme « femmes étrangères » ou « femmes immigrées » même si cet amalgame est difficilement défendable d’un point de vue sociologique.

Du côté allemand, le « droit du sang » sert de ligne de démarcation entre les « Allemands » et les « étrangers ». Ainsi présentée, cette dernière catégorie, aux contours flous, englobe forcément un public plus large et plus hétérogène. Relayée par les médias et reprise par les acteurs politiques et associatifs, elle devient facilement assimilable aux présupposés racistes et aux préjugés. La France a par contre privilégié le principe du « droit du sol » dans sa définition des « immigrées », en ce sens que le terme désigne comme telles les personnes qui ne sont pas nées en France. Il englobe deux sous-catégories, « les étrangers » et les citoyens français nés à l’étranger, et désigne un éventail de populations moins extensif et moins hétérogène que l’acception allemande. Toutefois, on peut noter au passage que les deux approches favorisent la naissance d’une citoyenneté à deux vitesses.

Au Québec, il ne semble pas exister de différence formelle entre les catégories « immigrantes » et « immigrées » ; les deux termes sont utilisés pour désigner la même population. Le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI) parle de « population immigrée » et de « personnes immigrantes » tandis que le CAMO-personnes immigrantes[3] utilise le terme « immigrantes » pour désigner le même public, à savoir les personnes nées hors du Québec ou du Canada. Ici, la nuance se fait entre « immigrée » ou « immigrantes » et les « personnes issues de l’immigration ». En effet, le terme « femmes immigrantes » tel qu’il est employé par le CAMO-PI (2003) est plus extensif et comporte plus de considérations subjectives. Comment en effet évaluer et déterminer la nature de ces difficultés et qui va les évaluer ? Finalement, telle qu’elle est définie, cette catégorie semble désigner une « pathologie » ou un risque de vulnérabilité plus qu’un statut, car elle traduit l’ambition de prendre en compte non plus uniquement le fait migratoire, mais aussi ses effets ; ce qui est difficile à concevoir de manière objective.

Pour les besoins de cet article, nous retiendrons le terme « immigrées » et parlerons des « femmes immigrées » en y évacuant toutefois les considérations subjectives liées à la prise en compte de la « pathologie » ou de la vulnérabilité de l’individu. Nous parlerons donc « d’immigrées » en termes de statut, à savoir les femmes qui immigrent ou qui ont immigré au Québec, en excluant celles qui y sont nées.

Limites de la recherche

Avant toute chose, il est important de préciser que cette recherche ne nourrit pas la prétention de vouloir décrire la réalité exhaustive de toutes les femmes immigrées du Québec. Beaucoup de femmes immigrées au Québec sont confrontées à certaines réalités qui leur sont propres et que nous essayerons ici de cerner. Mais cela n’insinue, en aucun cas, que toutes les femmes immigrées vivent les situations qui vont être exposées dans cet article. Il existe des femmes immigrées qui, en termes de vécu, n’ont aucune idée des réalités répertoriées dans la littérature et présentées dans ce texte. De même que les femmes immigrées en situation de précarité ne le sont pas toutes pour les mêmes raisons.

Quelques repères historiques des politiques canadiennes d'immigration et leurs effets sur les conditions sociales et économiques des femmes immigrées

Nous présenterons dans cette partie les lois et certaines pratiques à caractère social qui façonnent et constituent le vécu quotidien de nombreuses femmes immigrées au Québec. La documentation disponible nous conduira souvent à faire référence au cadre canadien en général ; surtout s’agissant des lois, car les pratiques juridiques en matière d’immigration relèvent pour beaucoup du gouvernement fédéral tout en ayant juridiction au Québec. Ainsi, le Québec partage ses compétences en matière d’immigration avec le fédéral. Le champ de juridiction des lois visées étant élargi au Québec, nous avons par extension considéré qu’elles y produisaient les mêmes effets à l’égard des femmes immigrées.

Nous tenterons ici de faire ressortir les grandes lignes des tendances discriminatoires dans l’histoire de l’immigration des femmes immigrées au Canada. Au regard de la documentation consultée, ces tendances discriminatoires s’incarnent essentiellement dans les problématiques du parrainage et de la réunification des familles. Conséquemment, nous rapporterons dans quelle mesure ces politiques et certaines pratiques confèrent aux femmes immigrées une citoyenneté altérée.

De la Conquête à la Deuxième Guerre mondiale, les politiques d’immigration canadienne reposent essentiellement sur des principes qui sont affirmés dans les différentes lois qui jalonnent cette histoire. Ces lois sont fondées sur des principes de peuplement et de développement économique :

[…] occupation des terres, apport d’une main-d’oeuvre masculine capable de poursuivre l’occupation de ces terres, expansion démographique nécessaire pour maintenir une économie de marché, et processus de construction nationale sur la base de l’exclusion et de la discrimination fondées sur la racialisation de certains groupes.

Côté, Kérisit et Côté, 2001 : 20

Au début du xixe siècle, de nombreuses dispositions législatives sont prises pour restreindre l’immigration au Canada. L’État interdisait l’entrée au pays aux nouveaux arrivants susceptibles de devenir une charge en raison du sexe, de la maladie ou de l’âge. Cette population considérée à risque incluait les enfants sans famille, les veuves et les femmes sans mari accompagnées d’enfants. La prise en charge familiale est implicitement basée sur des traditions et des structures familiales patriarcales.

Jusqu’en 1967, les politiques canadiennes en matière d’immigration ont été empreintes de discrimination et de racisme fondés sur l’âge, le sexe, l’origine nationale, ethnique ou raciale ou en raison de la classe sociale (Côté et al., 2001). La discrimination sexiste et raciale fut particulièrement sévère envers les épouses des travailleurs noirs dans l’industrie du chemin de fer, et ce, jusqu’en 1943. En dépit du besoin urgent de main-d’oeuvre féminine qui avait favorisé l’immigration de travailleuses domestiques anglaises, les femmes de couleur restèrent exclues de cette catégorie jusqu’en 1950.

En fait, jusqu’au début des années 1960, les politiques d’immigration visaient explicitement à exclure les non-Blancs et favorisaient les personnes immigrantes originaires de la Grande-Bretagne.

Il se développa ainsi une véritable « échelle de préférence raciale » au sommet de laquelle on retrouvait les immigrants originaires de la Grande-Bretagne, de l’Europe du Nord, de l’Australie et les « blancs » des États-Unis. Puis on retrouvait les immigrants provenant de l’Europe de l’Est et du Sud. Les immigrants de couleur (Noirs et Asiatiques) se retrouvaient tout au bas de l’échelle.

Icart, 2001 : 50

Les pratiques et principes discriminatoires évoqués plus haut guident en effet l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques d’immigration canadienne. À l’instar des enfants, les femmes étaient considérées comme des personnes à charge. Le statut de la femme lui conférait donc un état de dépendance à l’égard du mari. D’où l’impossibilité pour une femme d’être reçue comme immigrante sans le soutien formel d’un garant ou d’un répondant.

En fait, les principes qui inspirent la politique d’immigration reflètent les valeurs globales de la société de l’époque, à savoir des traditions et une conception de la structure familiale reposant sur le patriarcat.

Pendant plusieurs décennies, les politiques canadiennes confinent les femmes immigrées à leur rôle traditionnel dans la sphère domestique et leur réservent des emplois de travailleuses domestiques (Hawkins, 1991).

De ce qui précède, notamment en ce qui a trait aux principes et valeurs qui sous-tendent les lois d’immigration de ces époques, on peut retenir que les femmes immigrées ont fait l’objet de discriminations. Si le contexte global de l’époque faisait peu de cas des droits des femmes en général, il était encore moins bien disposé, notamment à travers les lois d’immigration, à l’égard des femmes immigrées. « Il faut retenir que les lois d’immigration de l’époque n’avaient en vue que les logiques de colonisation et d’allégement des charges économiques de l’État » (Côté et al., 2001).

L’immigration était donc orientée par des principes économiques plutôt qu’humanitaires ou sociaux. Ce choix était surtout guidé, de la part des gouvernements, par des objectifs de réduction des déficits et par l’adoption de politiques néolibérales.

Les femmes immigrées constituent un groupe qui, historiquement, a été victime de pratiques discriminatoires qui, à leur tour, ont eu l’effet d’exacerber leurs conditions socioéconomiques inégales. Bien que la situation ait évolué positivement sur le plan des normes civiques, certains effets des politiques d’immigration antérieures sont toujours à l’oeuvre et reproduisent, encore aujourd’hui, des inégalités au sein de la société.

La dimension économique de la précarité des conditions des femmes immigrées

Après le portrait social assez sombre brossé plus haut au sujet des femmes immigrées, il est difficile d’en rajouter sans donner l’impression de tomber dans l’exagération. Pourtant, les difficultés les plus préoccupantes que rencontrent ces femmes sont souvent rattachées à leur situation économique. En réalité, il n’y a là rien de surprenant lorsqu’on sait que les conditions économiques déterminent largement les conditions globales de vie. Par ailleurs, il peut paraître présomptueux de vouloir embrasser l’ensemble de la dimension économique des conditions des femmes immigrées, car le concept « économique » couvre une réalité très large. Il y a donc lieu de préciser qu’en parlant de « dimension économique », nous nous référons essentiellement aux enjeux liés à l’activité des femmes immigrées sur le marché du travail ; autrement dit, à leur insertion professionnelle et à leurs conditions salariales et de travail. Le type d’insertion professionnelle et le niveau salarial nous amèneront à parler de chômage et de pauvreté. S’agissant des conditions de travail, nous ferons ressortir des situations particulières, mais très graves de travail forcé et d’exploitation. Enfin, nous bouclerons cette section en revenant sur les politiques d’immigration évoquées précédemment pour, cette fois, relever leurs impacts économiques sur les femmes immigrées au Québec.

Insertion professionnelle et situations salariales

Plusieurs études et travaux ont traité les questions de l’insertion professionnelle et des conditions salariales des immigrés en général et des femmes immigrées en particulier (Bertot et Jacob, 1991 ; Labelle, 1990). Toutes ces études n’ont pas toujours employé la même définition du terme « immigrées » que celle que nous avons choisi de retenir. Certaines ont utilisé le terme « immigrantes » en y incluant les femmes issues de l’immigration et nées au Québec de parents immigrés[4]. D’autres ont utilisé le terme « immigrantes » pour désigner la catégorie que nous appelons « femmes immigrées ». Par rapport aux premières, les diagnostics posés ne sont pas loin de la réalité des femmes immigrées telles que nous les avons présentées. S’il existe des nuances à faire dans ces diagnostics, elles sont de degré et non de nature. Voilà pourquoi nous n’avons pas exclu ces matériaux comme références dans notre recherche.

Par ailleurs, nous parlerons d’insertion professionnelle au sens où « l’insertion » est considérée comme un changement d’état par lequel un individu passe de l’arrivée en terre d’accueil à la prise d’un emploi à durée indéterminée. Ce processus d’insertion est d’ailleurs défini de façon plus détaillée par Cardu et Bouchamma (2000).

Le phénomène d’insertion socioprofessionnelle est caractérisé par un changement d’état qui s’opère par un processus intermédiaire, où les notions d’état initial et d’état final sont essentielles. L’individu y est considéré comme un sujet actif qui passe par l’arrivée en terre d’accueil (état initial) à la prise d’un emploi à durée indéterminée (état final). La transition, le revenu, la formation constituent tous des éléments fréquemment associés aux phénomènes d’insertion.

Cardu et Bouchamma, 2000 : 3

L’existence d’une communauté ethnique à laquelle s’identifie le nouvel arrivant est aussi un facteur important pour son insertion dans le pays d’accueil étant donné qu’elle constitue en quelque sorte un réservoir de coutumes, de modes de vie et de valeurs potentiellement partagées au quotidien. Bertot et Jacob (1991), qui ont décrit trois phases des processus d’insertion, vont dans le même sens. Selon eux, le soutien reçu de sa communauté serait bénéfique au nouvel arrivant, car il pallierait les multiples difficultés rencontrées en terre d’accueil : perte de statut, non-reconnaissance des diplômes, perte du sentiment de contrôle, pauvreté et anomie sociale (Jacob et Blais, 1992 ; Bernier, 1993). 

Nous retiendrons de cette définition l’idée d’un processus, d’une transition ou du passage d’un état initial, qui est l’arrivée en terre d’accueil, à un état final, qui est la prise d’un emploi. Nous insisterons uniquement sur les difficultés rencontrées pour le passage à l’état final, soit l’obtention d’un emploi. Les phases traitant de l’arrivée et de la présence d’une communauté ethnique d’appartenance seront évacuées de notre analyse. Qu’en est-il de cet état final du processus pour les femmes immigrées au Québec ?

La majorité des études précédemment évoquées se rejoignent sur l’idée que les femmes immigrées éprouvent de réelles difficultés d’insertion professionnelle au Québec. Un rapport de Condition féminine Canada (1998 : 69) est assez éloquent dans ce sens :

Les immigrantes et les réfugiées se heurtent à d’importants obstacles qui entravent leur accès à l’emploi et leurs possibilités d’avancement. Des études menées tant en français qu’en anglais ont souligné que les immigrantes doivent composer avec de multiples niveaux de discrimination en raison de leur sexe et de leur « race » ou de leur origine ethnique.

Ce constat semble s’appliquer aux femmes immigrées sans distinction de profils. En effet, il ne s’agit pas d’une situation liée à l’âge ou à la scolarité, comme on pourrait être tenté de le croire lorsque l’on considère les facteurs d’âge et de scolarité comme des indicateurs de la capacité d’adaptation. Ainsi, bien que les femmes immigrées de la région de Québec présentent un profil sociodémographique relativement jeune et très scolarisé, il n’en demeure pas moins que de nombreux obstacles freinent leur insertion professionnelle (Cardu et Bouchamma, 2000). Les auteurs semblent donc quasi unanimes à reconnaître les difficultés d’accès à l’emploi rencontrées par les femmes immigrées, et plus particulièrement par celles des groupes racisés ou appartenant aux minorités visibles[5]. Ces difficultés contribuent à la précarité de leurs situations, car elles retardent aussi leur insertion sociale et culturelle vu qu’elles ne peuvent, par conséquent, pas profiter « des différentes conditions facilitantes du milieu de travail comme microcosme symbolique des […] valeurs de la société d’accueil » (Jacob et Blais, 1992 ; Bernier, 1993). 

Les causes de ces difficultés d’insertion professionnelle des femmes immigrées sont multiples et varient selon les chercheurs. Néanmoins, certaines de ces causes sont presque toujours mentionnées. Ainsi, pour expliquer les difficultés d’insertion professionnelle des femmes immigrées au Québec, les auteurs évoquent souvent la non-reconnaissance des titres et divers aspects de l’expérience et des compétences acquises dans le pays d’origine (Lamotte et El Haili, 1991 ; Lamotte, 1992). Ces deux auteurs démontrent, à titre d’exemple, combien le cheminement de carrière des jeunes professionnelles latino-américaines du domaine de la santé, qui doivent faire face à une déqualification, est parsemé d’embûches. Jackson et Smith (2002 : 2) abondent dans le même sens : « La non-reconnaissance ou la sous-évaluation des études, des compétences et des références acquises à l’étranger constitue cependant un problème bien connu […] »

L’obstacle de la discrimination, voire du racisme des employeurs est souvent évoqué aussi ; cet obstacle tendrait à exclure surtout les femmes immigrées issues des minorités visibles. Ainsi, le racisme et le sexisme combinés créent des situations d’inégalités dans le domaine de l’emploi. À cet égard, selon le recensement de 1996, 17 % des Canadiennes des minorités visibles[6] détenaient un diplôme universitaire en comparaison de seulement 12 % des autres Canadiennes. Pourtant, seulement 15 % des premières étaient sans emploi contre 9 % des secondes. Comme le souligne un rapport de l’Institut canadien de recherche sur les femmes, Vivre le racisme au féminin, le racisme des employeurs pose de gros problèmes à cet égard. Ce rapport établit que beaucoup d’employeurs jugent les femmes immigrées d’après la couleur de leur peau et entretiennent des préjugés sur leurs habitudes de travail, sur leurs aptitudes à occuper certains emplois et sur leurs capacités d’intégration. Leurs compétences sont souvent remises en question par certains employeurs et collègues de travail, et ce, même lorsqu’elles occupent un poste pour lequel elles sont surqualifiées.

De plus, les difficultés d’insertion professionnelle ne se limitent pas aux barrières qui empêchent d’accéder à un emploi. Même lorsqu’elles franchissent cette étape, les recherches montrent que c’est souvent pour occuper des emplois précaires et mal rémunérés. Les emplois précaires à temps partiel et à horaire fragmenté considérés comme atypiques sont en réalité typiques pour les femmes immigrées. À cet égard, le rapport du CAMO-PI (2003) sur la situation des salariées immigrantes au Québec est éclairant, car il compare cette situation à celle des femmes nées au Canada et à celle des immigrants en général.

Ce rapport observe que les femmes immigrées du Québec sont majoritairement concentrées dans des secteurs avec des revenus annuels médians (RAM) très faibles. Ces secteurs sont l’hébergement et la restauration (RAM de 12 295 $), le commerce de détail (RAM de 14 006 $), le secteur manufacturier (RAM de 16 043 $) et les autres services (RAM de 13 270 $). Si ces secteurs peuvent être plus rémunérateurs pour d’autres catégories sociales, eu égard aux postes occupés, ils demeurent les moins rémunérateurs pour les femmes immigrées et c’est dans ces derniers que se concentrent 50 % d’entre elles. Avec des revenus annuels médians très faibles, ces secteurs sont donc les plus accessibles. On observe donc une forte concentration des femmes immigrantes dans des secteurs peu rémunérateurs.

C’est surtout dans le secteur manufacturier que la concentration des femmes immigrées est la plus caractérisée. En effet, ce secteur accueille à lui seul 24 % des femmes immigrées ayant un emploi (CAMO, 2002 : 32). Lorsque l’on considère les conditions d’emploi offertes dans ce secteur où les salaires sont bas et l’ouvrage pénible, il serait trompeur de prétendre que les femmes immigrées du Québec connaissent une bonne insertion professionnelle. Le portrait de leur situation salariale ne vient pas corriger cette observation. En effet, les femmes immigrées qui travaillent dans ce secteur manufacturier gagnent un salaire de 25 % inférieur à celui des femmes nées au Canada et 43 % inférieur à celui des hommes immigrants. Ces écarts défavorables sont aussi, dans des proportions différentes, observables dans l’ensemble des secteurs d’activités. Ainsi, les femmes immigrées affichent des RAM inférieurs à ceux des femmes nées au Canada et très nettement inférieurs à ceux des hommes immigrés quel que soit le secteur d’activité.

Le rapport n’a tenu compte que des écarts salariaux supérieurs à 10 %, ce qui explique qu’il ne considère pas la majorité des écarts salariaux entre les femmes immigrées et les femmes nées au Canada qui, bien qu’inférieurs ou égaux à 10 %, sont très globalement à l’avantage des dernières, et ce, quel que soit le secteur. Ces conclusions concernant les écarts salariaux défavorables aux femmes immigrées sont confirmées par l’Institut canadien de recherche sur les femmes (2002 : 1).

Les immigrantes : L’éducation ne réduit pas l’écart salarial entre les femmes immigrantes et les Canadiennes d’origine. Nous avons récemment constaté que des femmes immigrantes âgées entre 25 et 44 ans, possédant un diplôme universitaire et travaillant toute l’année à temps plein, gagnent 14 000 $ de moins que les Canadiennes d’origine.

Le même rapport ajoute que la situation est pire encore pour les femmes immigrées issues des minorités visibles :

[…] 37 % des femmes issues des minorités visibles ont un faible revenu comparativement à 19 % de l’ensemble des femmes. Le revenu annuel moyen d’une femme issue d’une minorité visible au Canada est de 16 621 $, soit près de 3 000 $ de moins que la moyenne pour les autres femmes canadiennes (19 495 $) et près de 7 000 $ de moins que les hommes issus d’une minorité visible (23 635 $).

Ibid

Enfin, le rapport du CAMO-PI note que les secteurs offrant des conditions de travail avantageuses, telle la fonction publique, restent difficilement accessibles à la plupart des femmes immigrées. L’un des facteurs explicatifs est l’inefficacité des programmes d’action positive des gouvernements. En effet, certaines études révèlent que ces programmes (PAE) sont tantôt mal ciblés, tantôt ignorés. Bien qu’ils existent dans les textes, ces programmes sont encore peu appliqués dans la réalité et, lorsqu’ils le sont, c’est uniquement dans des domaines de compétence gouvernementale, où ces femmes sont largement sous-représentées. Le faible résultat atteint dans les fonctions publiques québécoises reflète, comme le souligne le Conseil des relations interculturelles (2003 : 18), « […] les valeurs sociales dominantes qui ont cours et qui sont encore empreintes de préjugés envers les minorités et les personnes perçues comme différentes ».

En fait, « Cette discrimination se manifeste par la partialité ou des manoeuvres de dissuasion et de découragement au niveau de l’embauche et aussi par du harcèlement racial lorsque la personne est en emploi » (Ibid.). En somme, cela démontre comment la discrimination de genre s’enchevêtre avec d’autres formes de discrimination liées à l’origine ethnique ou raciale.

Les conséquences de tout ce qui précède sont un taux de chômage élevé et une situation de pauvreté accrue chez les femmes immigrées du Québec.

Chômage et pauvreté

Une étude du Conseil canadien du développement social (CCSD, 2000 : 1) fondée sur le dernier recensement révèle que beaucoup de nouveaux immigrants, les minorités visibles en particulier, sont aux prises avec le chômage et le sous-emploi et occupent des emplois sous-payés qui ne reflètent pas leur scolarisation et leurs titres de compétences. En 1995, quelque 35 % des immigrants qui se sont installés dans des villes canadiennes après 1986 vivaient dans la pauvreté (sous le seuil de faible revenu avant impôt), et ce taux était de 52 % pour ceux qui sont arrivés après 1991.

Les chiffres rapportés dans la précédente section ont montré que la situation des femmes immigrées était plus précaire que celle des hommes immigrés. Si le taux de chômage est élevé chez les immigrants, il est aisé de comprendre qu’il frappe surtout les femmes. Les difficultés d’accès à l’emploi liées à la non-reconnaissance des titres et acquis, à la discrimination et au racisme systémique, à la faible scolarisation pour certaines et les pesanteurs culturelles font que les femmes immigrées sont souvent aux prises avec un problème de chômage. Conjuguée à une situation salariale précaire pour celles qui travaillent, cette situation de sous-emploi provoque une augmentation du niveau de pauvreté au sein de cette catégorie sociale. Beaucoup d’entre elles vivent ainsi en dessous du seuil de pauvreté et doivent de surcroît composer avec une situation familiale (nombre d’enfants) qui rend les choses plus difficiles. Une étude de l’Institut canadien de recherche sur les femmes (Morris, 2002 : 5) tendait en effet à établir un lien entre le nombre d’enfants et la situation salariale, en ce sens que plus une femme a d’enfants, plus son salaire est bas ou plus elle risque d’être au chômage. L’explication tiendrait du fait qu’elle serait, dans ce cas, obligée de diminuer son temps de travail rémunéré, de quitter son emploi, de prendre un congé en cas d’urgence ou de refuser une promotion pour s’occuper des enfants. La même étude note que les femmes sont portées à faire les mêmes sacrifices pour s’occuper des parents, des beaux-parents ou des membres handicapés de leur parenté. Il existe donc là une conjonction de facteurs nourris par certaines valeurs sexistes sur la répartition des rôles sociaux entre hommes et femmes. Ces valeurs sont certes en train d’évoluer, mais elles constituent encore des obstacles à la pleine autonomie économique des femmes et plus particulièrement des femmes immigrées.

Il va sans dire que toutes ces difficultés auxquelles les femmes immigrées se heurtent dans leurs démarches d’accès à l’emploi ou à de meilleures conditions salariales contribuent à laisser une partie importante de cette population dans une situation de pauvreté évaluée selon le seuil de faible revenu (SFR). Il ne suffit donc pas d’avoir un emploi pour être à l’abri de la pauvreté. D’ailleurs, comme le relève une fiche d’information de l’Institut canadien de recherches sur les femmes, au Canada, la plupart des pauvres travaillent à temps plein ou à temps partiel (Morris, 2002). Chez les femmes en particulier, la question des salaires situés au seuil de la pauvreté devient assez préoccupante dans le sens où elles sont de plus en plus nombreuses à devoir élever seules une famille avec un revenu de moins de dix dollars de l’heure. À cela, il faut ajouter les femmes immigrées chefs de famille monoparentale qui sont de plus en plus nombreuses à compter parmi les prestataires d’aide sociale. Quand on sait que les taux d’allocation au Québec et au Canada sont en deçà du seuil de pauvreté, on comprend que la pauvreté augmente chez les femmes et surtout chez les femmes immigrées.

Trafic de personnes et travail forcé

À l’époque actuelle, il peut sembler exagéré de parler de trafic à propos d’êtres humains, car ce phénomène est souvent associé à des pratiques qui ont eu cours dans le passé et que l’on souhaite révolues[7]. Mais tant s’en faut. Il existe bel et bien au Canada et au Québec de véritables réseaux de trafic des femmes, surtout de femmes immigrées, car souvent recrutées dans d’autres pays où les conditions de vie sont moins avantageuses. Ces réseaux contrôlent en fait des filières entières de recrutement et d’immigration de jeunes filles et de femmes destinées à la prostitution, faisant d’elles un véritable commerce.

D’ailleurs, le gouvernement du Canada a adopté des mesures préventives pour sensibiliser les personnes qui désirent immigrer au Canada à la question du trafic ou de la traite des personnes[8]. Il s’est notamment joint à de nombreux autres États pour tenter de mettre fin à la traite des personnes. Il soutient que :

Les trafiquants recrutent des gens en leur promettant de bons emplois dans des pays comme le Canada, mais ils les forcent ensuite à travailler dans des conditions dangereuses et dégradantes. Les trafiquants mentent aux gens à propos des emplois qu’ils occuperont, les forcent à travailler pour très peu ou pas d’argent, les empêchent de travailler et les vendent parfois à une autre personne. Nous avons des lois sévères qui prévoient des amendes et des peines d’emprisonnement pour les trafiquants. Nous ne voulons pas que cette forme moderne du commerce d’esclaves se pratique au Canada.

Citoyenneté et immigration Canada, 2005

C’est pour son caractère commercial que nous choisissons d’aborder la question du trafic des femmes immigrées sous l’angle de la dimension économique de la précarité des femmes immigrées. Sous ce dernier angle, nous abordons séparément la question du trafic parce que la clandestinité qui le caractérise fait en sorte que nous ne pouvons, dans le traitement, les assimiler aux problématiques ordinaires de l’emploi.

« Trafic des femmes », « traite des femmes », « exploitation des femmes », voilà, parmi bien d’autres, autant d’expressions souvent utilisées pour nommer une réalité qui sévit et fait de plus en plus de ravages chez certains groupes de femmes immigrées au Québec et au Canada. Cette réalité n’est rien d’autre que le commerce du sexe ou la prostitution. Organisée en véritables réseaux, la prostitution fait des ravages parmi certaines femmes immigrées du fait de ce que l’on peut considérer comme une sorte de « mondialisation » de ses activités. En effet, les réseaux de prostitution sont tellement organisés qu’ils entretiennent des filières qui recrutent des femmes à l’étranger, les font entrer au Canada et au Québec pour enfin les livrer au lucratif « marché du sexe ». Plusieurs articles et rapports commencent d’ailleurs à tirer la sonnette d’alarme sur cette question, même si les médias en parlent encore généralement de façon anecdotique. Les données et chiffres sont, quant à eux, moins anecdotiques, car, en raison de son internationalisation, le trafic sexuel des femmes arrive désormais en troisième position des activités les plus lucratives du crime organisé, derrière le trafic d’armes et celui de la drogue. À tel point que l’ONU estime à 30 millions le nombre de femmes que les réseaux de traite des femmes ont attirées dans leurs mailles durant les dix dernières années, la plupart pour la prostitution (Lauzon, 1998).

Au Québec, ce sont surtout les mafias russe et asiatiques qui organisent l’arrivée des femmes originaires d’Europe de l’Est et d’Asie. Un rapport du Conseil du statut de la femme (2002 : 51) n’en était que plus convaincant dans ce sens :

Sans entrer dans le cas par cas, le groupe décrit l’existence à Montréal d’un réel trafic sexuel auquel se livrent les principales familles du crime organisé, à commencer par les mafias russe et asiatiques. La mafia russe est en mesure de recruter des femmes en Russie et de les intégrer au Québec dans des réseaux de prostitution en moins de trois semaines.

Les trafiquants profitent du contexte de pauvreté qui sévit dans les régions d’Europe de l’Est et d’Asie pour y recruter les filles et les jeunes femmes à qui ils promettent des emplois légitimes pour, finalement, les livrer aux réseaux de prostitution. D’autres jeunes femmes sont intégrées au pays à titre de visiteuses avant d’être « prises en main » par les proxénètes. Il est clair que quel que soit le statut qu’elles ont lorsqu’elles arrivent au Québec, elles sont à la merci de ces réseaux qui les retiennent quasiment prisonnières. C’est, en substance, ce que tentait d’exprimer Myles dans le journal Le Devoir (29 mai 2002).

Une femme a atterri récemment à l’aéroport de Dorval en provenance de l’Inde avec deux filles sous ses bras. N’eût été de l’intervention de la GRC, leurs visas d’une semaine se seraient transformés en passeports illimités pour les affres de la prostitution. Âgées de 12 et 14 ans, elles étaient destinées à un lucratif marché qui ne connaît pas les frontières et ne reconnaît pas la dignité humaine.

Si la dignité humaine de la majorité de ces femmes est bafouée, il faut aussi rappeler qu’elles sont largement exploitées pour des motifs économiques légalement injustifiables, car non seulement elles ne vivent pas dans de meilleures conditions, ne se voient offrir aucune perspective de vie ni de carrières intéressantes, et pour finir ne profitent en rien du fruit de leur activité qui bénéficie surtout aux trafiquants. Des intérêts économiques crapuleux sont à la base d’un tel trafic, car les sommes d’argent en jeu sont considérables et dépasseraient même celles qui proviennent de la contrebande d’armes.

Conclusion

Le but de cet article n’était pas de mener une étude exhaustive de toutes les questions concernant les femmes immigrées. Nous avons voulu faire ressortir quelques-uns des principaux problèmes et obstacles auxquels se heurtaient ces femmes, tant sur le plan économique que social. Évidemment, certaines questions ont pu être passées sous silence, soit parce qu’elles ne faisaient pas l’objet d’une documentation suffisante, soit parce qu’elles demeuraient des problématiques encore assez marginales. Nous nous sommes donc intéressée à la situation socioéconomique des femmes immigrées au Québec pour tenter de mettre en relief les facteurs d’exclusion qui font obstacle à leur intégration socioéconomique. Dans une perspective d’égalité entre hommes et femmes, il conviendrait en tant que société de s’attaquer à la racine de la pauvreté et de l’inégalité entre les sexes. La pauvreté des femmes est la conséquence d’une inégalité systémique et pour la combattre, une réponse systémique s’impose. Ces mêmes préoccupations à l’égard des femmes en général se posent avec plus d’acuité pour les femmes immigrées et en particulier pour celles qui sont membres de minorités visibles. Les politiques, programmes et recherches doivent donc prendre en compte les enjeux et les facteurs de risques d’exclusion propre aux femmes immigrées. L’analyse différenciée selon les sexes en matière d’immigration et d’intégration serait certainement une voie à privilégier dans l’élaboration des politiques publiques et des programmes sociaux, car l’expérience migratoire diffère considérablement chez les femmes et les hommes.

À bien des égards, notre article peut sembler donner un portrait misérabiliste de la situation des femmes immigrées. Mais nous avons pris le parti d’aborder la réalité qui ressortait de la documentation consultée plutôt que d’enjoliver un tableau qui, dans le fond, n’est pas très souvent réjouissant à présenter. Mais on peut se demander alors pourquoi la réalité paraît, au vu du manque de mobilisation, moins grave que le présente cet article. Peut-être parce que, de part et d’autre, nous nous habituons à ces situations injustes. Mais l’accoutumance à une injustice ne la fait pas disparaître pour autant.

Nous avons donc voulu mettre l’accent sur les facteurs d’exclusion des femmes immigrées, plutôt que sur les facteurs d’inclusion, car ils sont plus souvent négligés, bien qu’ils soient déterminants dans le processus d’insertion socioéconomique.

Au regard de la pratique sociale, une véritable prise en compte des facteurs qui freinent ou compromettent l’intégration socioéconomique des femmes immigrées ne pourra que renforcer l’intervention effectuée auprès de cette population. Il serait donc important que les intervenants et intervenantes appelés à travailler auprès des femmes immigrées vivant des situations qui les rendent vulnérables puissent mieux connaître les conditions de vie de ces dernières. à cette fin, des stages dans les associations à caractère ethnique pourraient être envisagés.