Corps de l’article

Introduction

Maintes études réalisées un peu partout dans le monde (Araújo-Oliveira, 2011; Audigier, 1999a; 2006; Monteiro, 2005; Niclot et Philippot, 2008; Philippot & Bouissou, 2006; Silva, Gonçalves, Bacci & Cunha, 2009) laissent entrevoir que les pratiques d’enseignement chez les enseignants et futurs enseignants en sciences humaines et sociales au primaire ainsi que le discours qu’ils entretiennent sur leurs pratiques reste encore centré sur la transmission des connaissances factuelles de type dénomination-localisation, sans développer d’apprentissages véritablement conceptuels. Comme l’indique Audigier (1995a, 1995 b), malgré la diversité contextuelle dans laquelle l’enseignement des sciences humaines et sociales a lieu, quatre caractéristiques essentielles (les « 4R », selon la dénomination donnée par l’auteur) semblent imprégner fortement cet enseignement, à savoir :

  • Les résultats, c’est-à-dire le fait de transmettre essentiellement ce qui a été présenté comme vérité par des chercheurs sans le mettre en doute, ce qui est souvent contraire au développement chez l’élève d’une démarche intellectuelle et scientifique ;

  • Le référent consensuel qui évite d’introduire dans cet enseignement tout le débat qui entoure ces disciplines et la pluralité de points de vue parfois très antinomiques ;

  • Le refus du politique qui renvoie à une présentation des savoirs annoncés comme étant scientifiques et occultant de la sorte les enjeux sociaux qui lui sont constitutifs ;

  • Le réalisme, soit la prétention de présenter des savoirs vrais disant la réalité passée et présente du monde sans pour autant interroger leurs modes de construction et la manière de les exprimer.

Or, malgré les réformes éducatives mises en oeuvre un peu partout dans le monde et les nombreuses initiatives de formation initiale et continue des enseignants que ces réformes ont entraînées, ces données témoignent en quelque sorte du caractère bien enraciné de certaines convictions sur l’enseignement et l’apprentissage en sciences humaines et sociales ainsi que la grande difficulté que rencontrent les dispositifs de formation à faire évoluer ces convictions. Sans nier l’importance et la nécessité de la mise en oeuvre d’études visant l’analyse des pratiques des enseignants et des futurs enseignants du primaire de façon à mettre en évidence le rapport qu’ils entretiennent aux savoirs scolaires disciplinaires (la place et le rôle des savoirs dans leurs pratiques d’enseignement), il importe de se questionner sur les finalités sous-jacentes à l’enseignement des sciences humaines et sociales. Comme l’a bien souligné Audigier (1993), c’est la finalité qu’on associe à l’enseignement et à l’apprentissage d’une discipline qui lui donne du sens, c’est-à-dire l’orientation et la signification de toute action éducative mise en oeuvre. Ces finalités, ajoutent Lebrun (2002) et Le Roux (2005), précisent l’apport spécifique de cet enseignement à la formation des nouvelles générations et constituent une sorte de justification de son insertion dans le parcours scolaire vis-à-vis de la société.

S’appuyant sur des données issues d’une recherche doctorale portant sur l’analyse des pratiques d’enseignement en sciences humaines et sociales au Québec[1], cet article vise à dégager les finalités éducatives octroyées aux sciences humaines et sociales par les futurs enseignants du primaire en contexte de formation en milieu de pratique et, par-là, à interroger leur place dans les pratiques mises en oeuvre par de futurs enseignants, de même que leurs contributions à la triple mission sous-jacente à l’école québécoise. À la suite de la présentation succincte des principaux éléments du contexte de la recherche et des cadres d’analyse et méthodologique mis de l’avant, l’article présente et discute des données issues des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de neuf futurs enseignants du baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire de l’Université de Sherbrooke (Québec, Canada).

Contexte de la recherche

Dans le contexte éducatif actuel, l’école québécoise « a le mandat de préparer l’élève à contribuer à l’essor d’une société voulue démocratique et équitable » (gouvernement du Québec, 2001, p. 2). Dans cette perspective, si sa responsabilité première renvoie au développement des apprentissages des élèves, elle ne demeure pas la seule, car l’école reçoit également le mandat de contribuer de façon importante à l’insertion harmonieuse des jeunes dans la société à laquelle ils appartiennent en leur permettant de s’approprier et d’approfondir les savoirs et les valeurs qui la fondent et en les formant pour qu’ils soient en mesure de participer de façon constructive à son évolution. En effet, le nouveau curriculum du primaire invite « à se préoccuper du développement des processus mentaux nécessaires à l’assimilation des savoirs, à leur utilisation dans la vie réelle et à leur réinvestissement dans des apprentissages ultérieurs » (gouvernement du Québec, 2001, p. 3). Il invite également « à réaffirmer et à renforcer la fonction cognitive de l’école en la situant dans une visée de formation de la pensée » (gouvernement du Québec, 2001, p.3.).

La fonction cognitive de l’école est alors considérée comme élément indispensable à la formation scolaire et à la préparation des personnes pour une société chaque fois plus complexe, et les sciences humaines et sociales doivent y contribuer pleinement. Ces dernières jouent, d’après les orientations ministérielles, un rôle essentiel dans l’acquisition des clés de lecture pour comprendre le monde dans lequel on vit : la géographie et l’histoire « développent la capacité de mise en perspective et celle de distanciation » (gouvernement du Québec, 2001, p. 165). Elles permettent également de « prendre conscience de la valeur et de la portée de l’engagement personnel et collectif sur les choix de société et sur le cours des événements » (gouvernement du Québec, 2001). Ainsi, dans le cadre du programme actuel, l’enseignement des sciences humaines et sociales, parallèlement aux autres champs disciplinaires, doit concourir à la réalisation de la triple mission de l’école québécoise qui est celle d’instruire, de socialiser et de qualifier les nouvelles générations.

En ce qui a trait à la mission d’instruction, on indique que « tout établissement scolaire a comme première responsabilité la formation de l’esprit de chaque élève » (gouvernement du Québec, 2001, p. 3). En ce sens, « l’école joue un rôle irremplaçable en ce qui a trait au développement intellectuel et à l’acquisition de connaissances » (gouvernement du Québec, 2001). De l’avis du ministère, une telle mission vient « réaffirmer l’importance de soutenir le développement cognitif aussi bien que la maîtrise des savoirs » (gouvernement du Québec, 2001). De son côté, la socialisation contribue « à l’apprentissage du vivre ensemble et au développement d’un sentiment d’appartenance à la collectivité » (gouvernement du Québec, 2001). En effet, elle renvoie à l’intégration sociale des individus et à une certaine cohésion au sein de la société par l’appropriation du patrimoine culturel commun ainsi que des valeurs qui sont à la base de cette société. Enfin, la qualification renvoie à la nécessité de l’école d’offrir à l’ensemble des élèves les conditions les plus adéquates possibles pour entreprendre et réussir un parcours scolaire et à la nécessité de rendre les élèves aptes à participer au développement de la société par l’intégration professionnelle (gouvernement du Québec, 2001). Toutefois, bien qu’on soutienne dans le discours ministériel l’idée que l’école représente le lieu par excellence d’un apprentissage guidé permettant à l’élève, par son cheminement au sein de différentes disciplines, d’acquérir les connaissances, les habiletés et les attitudes nécessaires pour comprendre et transformer le monde, ainsi que pour continuer à apprendre tout au long de la vie, il faut bien souligner que la réflexion autour de cette triple mission reste partielle et très mal articulée aux caractéristiques des programmes disciplinaires. Ainsi, bien qu’il nous soit possible de faire quelques inférences à partir de notre propre cadre conceptuel, il faut reconnaître que la façon dont chacune des disciplines scolaires, dans la spécificité des finalités éducatives, des savoirs et des démarches qui leur sont sous-jacents, contribuera à la réalisation de cette triple mission qui reste peu explicitée dans la documentation ministérielle.

Certes, l’orientation actuelle au sein de la didactique des sciences humaines et sociales au primaire conduit à privilégier sur le plan de ses finalités un certain équilibre entre l’instruction, la socialisation et la qualification, en mettant en évidence le caractère praxéologique de cette discipline en ce sens qu’il faut apprendre les sciences humaines et sociales pour comprendre le monde et éventuellement pour y agir (Laville, 1991 ; Lenoir, 2009 b ; Libresco, 2003). Néanmoins, la primauté accordée depuis fort longtemps par cet enseignement à la transmission d’un corpus de savoirs sur la société d’appartenance des élèves pour permettre l’apprentissage du vivre ensemble et sur la formation de la personne (Laurin, 1998 ; Audigier, 1999a) amène à se questionner sur les possibilités de prendre réellement en compte cet équilibre souhaité et, de la sorte, contribuer au développement des trois missions de l’école québécoise. De plus, l’adhésion du programme d’études à la notion de compétence « définie par sa finalité fonctionnelle, par son utilité […] par son résultat » (Rey, 2004, p. 235) et fortement associée à une politique néolibérale (Crahay, 2006; Crahay & Forget, 2006; Bronckart & Dolz, 2002) ainsi que l’introduction progressive du système éducatif québécois dans la logique « vocationaliste » et néolibérale qui prévaut aux États-Unis – telle est la thèse de Lenoir (2009a) – conduisent également à se demander si l’une des missions ne serait pas davantage valorisée au détriment des deux autres, ou encore si ces missions ne seraient pas réduites à quelques-unes de leurs dimensions.

Cadre d’analyse

Selon les travaux d’Audigier (1993, 1995a), trois familles de finalités peuvent être associées à l’enseignement des sciences humaines et sociales : les finalités intellectuelles et critiques qui renvoient au développement cognitif ; les finalités patrimoniales et civiques qui renvoient à l’adhésion à une vision du monde préétablie ; et les finalités pratiques et professionnelles qui font référence à l’aspect utilitaire des sciences humaines et sociales renvoyant à l’utilisation de celles-ci dans la vie sociale et professionnelle. Cette typologie, somme toute succincte, fournit une structure de référence permettant de caractériser le discours des futurs enseignants et de le situer entre ces pôles qui sont en même temps complémentaires et opposés.

Les finalités intellectuelles et critiques

Partant du principe que le savoir historique et géographique ne constitue pas une vérité préexistante au sujet humain, mais qu’il s’agit plutôt d’une construction humaine relative et provisoire située spatiotemporellement, les finalités intellectuelles et critiques mettent l’accent sur l’apport des sciences humaines et sociales au développement cognitif de l’élève, ce qui contribue à privilégier principalement le développement conceptuel ainsi que le développement d’habiletés et d’attitudes intellectuelles. En ce sens, les finalités intellectuelles et critiques, soutient Audigier (1993), se centrent moins sur les produits des sciences humaines et sociales, c’est-à-dire les résultats comme des faits construits par le scientifique, que sur les processus par lesquels l’être humain arrive à produire une vision du monde à partir des sources dont disposent l’histoire et la géographie. Concrètement, la poursuite de ces finalités se traduit par des visées d’apprentissage centrées sur l’interprétation, la compréhension, l’argumentation et le développement de l’esprit critique.

En effet, cette famille de finalités fonctionne, en grande partie, sur ce registre de la distanciation nécessaire à toute compréhension critique des réalités humaines et sociales dans la mesure où ces finalités incitent à choisir, à raisonner des choix effectués, à chercher et à vérifier les informations et ses sources, à les confronter, etc., car « tout savoir sur le monde n’est que le monde de son auteur, un trait sur la relation avec le monde » (Audigier, 1993, p. 99). En ce sens, c’est seulement par la distanciation que le sujet sera en mesure de reconstruire le complexe et dynamique jeu qui se tisse entre les savoirs qui lui sont présentés, son producteur, le contexte, les conditions et circonstances de production, l’interprétation qu’on en fait et les sens que nous lui donnons.

Les finalités patrimoniales et civiques

Les finalités patrimoniales et civiques font référence à l’apport des sciences humaines et sociales au processus de transmission culturelle d’une représentation du monde partagée, sur son passé et son présent. Partant de la prémisse selon laquelle l’enseignement des sciences humaines et sociales doit participer à l’intégration de l’élève dans le corps social en favorisant la cohésion sociale et le développement d’un sentiment d’appartenance à une société donnée, il s’agirait alors non seulement de transmettre un corpus commun de connaissances des principales caractéristiques de sa société d’appartenance d’hier et d’aujourd’hui, mais surtout de promouvoir l’appropriation d’un système de valeurs dominantes et l’intégration de certaines attitudes jugées socialement acceptables sur le plan de la conduite sociale.

L’enseignement des sciences humaines et sociales est posé alors en termes d’acquisition de connaissances et d’attitudes dont le but est principalement l’insertion de l’élève dans le monde social. Cette insertion semble alors être le principal apport de cet enseignement lorsqu’on privilégie une telle finalité. Pour ce faire, les sciences humaines et sociales privilégient notamment l’acquisition de connaissances factuelles sur la société et la culture d’appartenance (faits et personnages historiques, caractéristiques géographiques, économiques, ethniques) ainsi que le développement d’attitudes socialement acceptables (respect des autres, ouverture à la diversité culturelle). En ce sens, les finalités patrimoniales et civiques mettent l’accent sur une perspective identitaire qui fonctionne sur le principe de la socialisation dans une perspective d’adhésion. Il s’agit bien de transmettre une vision du monde à laquelle il faut adhérer, croire et défendre.

Les finalités pratiques et professionnelles

Les finalités pratiques et professionnelles soulignent le caractère utilitaire attribué à l’enseignement des sciences humaines et sociales, car, outre le développement intellectuel, l’enseignement permet aux élèves l’acquisition de connaissances qui sont censées avoir un usage pratique dans leur vie sociale courante, mais également dans leur vie professionnelle ou dans la poursuite de leurs études. Cette famille de finalités tend à privilégier le développement de certaines habiletés d’ordre technique (comme la lecture de cartes, la représentation temporelle et spatiale) ainsi que l’acquisition de certaines connaissances factuelles jugées essentielles à la formation d’un citoyen fonctionnel au sein de la société. Privilégier une telle perspective viendrait ipso facto soutenir et justifier toute formation disciplinaire reposant davantage sur le développement d’habiletés techniques plutôt que sur le développement d’une pensée critique et réflexive en ce sens que ce sont ces habiletés qui garantiront l’insertion de l’individu sur le marché du travail et éventuellement une certaine cohésion sociale. Néanmoins, cette vision utilitariste s’articule difficilement à une perspective selon laquelle les sciences humaines et sociales constituent les disciplines responsables de la structuration et de la construction conceptuelle de la réalité humaine et sociale dans la mesure où elle met l’accent sur la maîtrise d’outils et de savoir-faire. À la limite, les sciences humaines et sociales ne serviraient qu’à aider l’élève à résoudre les problèmes quotidiens et à bien fonctionner dans sa vie de tous les jours par les connaissances qu’elles donnent d’une réalité immédiate.

Il faut noter que ces trois familles de finalités ont toujours été présentes et poursuivies par l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire, mais avec une certaine variation selon les contextes sociaux et historiques. Ainsi, si traditionnellement cet enseignement s’insère dans une perspective mettant l’accent sur son apport à la transmission culturelle d’une vision partagée du monde, à la socialisation dans une perspective d’adhésion, au développement d’attitudes sociales et de valeurs jugées socialement acceptables, l’orientation est tout autre lorsqu’on met en avant une perspective qui soutient que la spécificité des sciences humaines et sociales consiste en la construction de la réalité humaine et sociale par l’élève. L’orientation actuelle au sein de la didactique des sciences humaines et sociales tend vers une perspective critique et réflexive de son enseignement. Elle conduit à privilégier davantage un équilibre nécessaire entre ces trois catégories de finalités (Audigier, 1993 ; Lebrun, 2002 ; Le Roux, 2005). Or, penser la réalité humaine et sociale comme une construction socialement et historiquement déterminée requiert, comme le mentionnent Laurin (1998, 2009) et Lenoir (2009b), de rompre avec la perspective identitaire traditionnellement attribuée à l’enseignement des sciences humaines et sociales et axée sur le développement du sentiment d’appartenance, pour permettre l’émergence d’une perspective qui vise davantage le développement de la pensée critique, de l’autonomie intellectuelle, de la capacité de questionnement, de raisonnement, d’analyse, de synthèse, de jugement critique, etc., dans l’étude du phénomène humain. Ce n’est que par la prise en charge des actions qui découleront des jugements ainsi éclairés que les élèves seront amenés à une certaine participation au sein de la société, c’est-à-dire à une certaine responsabilisation sociale.

Précisions méthodologiques

L’échantillon qui a fait l’objet de l’analyse est constitué de neuf étudiants de quatrième et dernière année de formation du programme de baccalauréat en enseignement au primaire et au préscolaire de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke (Québec, Canada). Cet échantillon est composé en grande majorité de femmes (huit) âgées de 22 à 27 ans et possédant pour la plupart une formation collégiale (DEC général) dans le domaine des sciences humaines. Bien qu’il s’agisse d’un échantillon constitué de sujets qui ont consenti librement et volontairement à participer à la recherche, il permet de couvrir l’ensemble des niveaux de formation du primaire. Deux futurs enseignants étaient dans une classe de premier cycle, quatre effectuaient leur stage dans une classe de deuxième cycle et trois participants intervenaient au troisième cycle. Le choix des étudiants finissants repose sur le fait qu’à cette étape de leur formation, ils ont déjà réussi leurs trois stages antérieurs (stage I auprès de petits groupes, stage II au préscolaire ou au 1er cycle du primaire, stage III au 2e ou au 3e cycle du primaire) de même que leur formation didactique en lien avec l’enseignement des sciences humaines et sociales. Ce choix repose également sur le fait qu’en quatrième année, les futurs enseignants doivent assurer seuls, ainsi que pendant une période plus longue et continue, les différentes tâches de l’activité enseignante (ex. : planification à long terme, planification de situations d’enseignement-apprentissage, préparation du matériel didactique, gestion de classe, évaluation des apprentissages, etc.).

La collecte de données s’est déroulée en trois temps consécutifs et interreliés. Chaque futur enseignant a ainsi participé à : 1) une entrevue individuelle semi-dirigée, d’une durée d’environ 45 minutes, portant sur une activité d’enseignement-apprentissage en sciences humaines et sociales qu’il avait planifiée ; 2) une observation directe en classe de ladite activité enregistrée à l’aide de la vidéoscopie (observation d’une période d’environ 50 minutes) ; 3) une entrevue individuelle semi-dirigée portant sur un retour réflexif à l’égard de son action (environ 20 minutes). Aux fins de la réflexion proposée dans cet article, seulement les données issues des questions de la première entrevue semi-dirigée liées aux finalités octroyées à l’enseignement des sciences humaines et sociales seront considérées. Celles-ci portent d’abord sur la conception qu’ont les futurs enseignants de l’importance d’enseigner cette discipline au primaire, puis sur leur conception de sa contribution à chacune des missions de l’école québécoise et, enfin, sur leur conception de la place que cet enseignement occupe dans leurs pratiques d’enseignement.

Les réponses des sujets à ces questions ont été traitées au moyen d’une analyse descriptive traditionnelle de contenu (Bardin, 2007 ; Bonville, 2000 ; Landry, 1997), à partir de la grille d’analyse présentée au tableau 1. Une procédure d’intercodage, impliquant la participation de deux juges externes, a permis d’assurer la fiabilité et la stabilité des catégories d’analyse.

Tableau 1

Grille d’analyse

Grille d’analyse

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Résultats

Les résultats seront ici exposés en suivant les grands axes de la grille d’analyse décrite plus avant, en fonction de la conception qu’ont les futurs enseignants de l’importance d’enseigner cette discipline au primaire, puis de leur conception de sa contribution à chacune des missions de l’école québécoise et, enfin, de leur conception de la place que cet enseignement occupe dans le curriculum du primaire. L’insertion d’exemples et d’extraits des verbatim dans le texte permet d’illustrer nos analyses.

Importance de l’enseignement des sciences humaines et sociales

Tout d’abord, nous avons demandé aux futurs enseignants quelle était selon eux l’importance d’enseigner les sciences humaines et sociales au primaire. Le discours des répondants est assez révélateur à ce sujet. L’importance attribuée par les futurs enseignants à cet enseignement le placerait davantage du côté des finalités patrimoniales et civiques. Observé dans le discours de sept participants (S2, S3, S5, S6, S7, S8 et S9), c’est le développement d’une connaissance des principales caractéristiques de la société d’appartenance de l’élève d’hier et d’aujourd’hui (principaux jalons historiques, caractéristiques géographiques du territoire, fonctionnement de la société, etc.) afin de mieux s’ajuster à cette dernière qui arrive au premier rang :

Savoir d’où on vient, les origines, comment on est arrivé à ce qu’on est maintenant.

S3

C’est de comprendre un peu la société dans laquelle on est, puis pourquoi cela fonctionne comme ça.

S9

C’est essentiel que les enfants connaissent la société et la culture dans laquelle ils sont.

S5

Les résultats illustrent également que l’apport de cet enseignement au développement de valeurs et d’attitudes acceptables du point de vue de la conduite sociale tels le respect des autres, l’acceptation de la différence, l’ouverture d’esprit, le sens de la démocratie, etc. arrive au deuxième rang, mentionné dans le discours des sujets S1, S2, S3, S4, S6 et S7. Pour le participant S7, par exemple, il est important d’enseigner les sciences humaines et sociales au primaire parce que cet enseignement permet aux élèves :

D’apprendre à devenir tolérant, la démocratie, tout ça, comprendre et accepter la différence.

S7

Il en va de même pour le participant S2 pour qui les sciences humaines et sociales permettent aux élèves du primaire :

De s’ouvrir aussi sur les différences. Mettre un peu fin aux préjugés qu’il peut avoir face aux différences. Essayer de comprendre pourquoi les autres peuvent agir comme ça.

S2

Par ailleurs, la contribution de l’enseignement des sciences humaines et sociales à l’acquisition par l’élève d’une connaissance de différentes sociétés et différentes cultures à travers le monde (autres que celle de l’élève) constitue une autre finalité associée à cet enseignement (mentionné par les participants S5, S7 et S8). Nous l’avons ainsi considérée comme « finalité interculturelle ».

À titre d’exemple :

C’est une belle occasion d’en apprendre sur le monde, même si on ne voit pas tout le monde, mais bon, le monde en général.

S7

Découvrir ce qui est différent dans les autres pays, de faire comprendre que ce soit par rapport à l’argent, au paysage, à la culture des gens.

S5

Au-delà du développement de valeurs et attitudes jugées acceptables, de connaissances de la société de l’élève d’aujourd’hui et d’autrefois, ainsi que de connaissances d’autres sociétés et cultures à travers le monde, cette discipline contribuerait encore, selon les sujets S2 et S9, au développement d’une culture personnelle générale et d’une connaissance de soi-même [ex. : « dans le fond, ça nous permet de mieux nous comprendre nous-mêmes […] en étant au courant de ce qui se passe ailleurs » (S2)]. Elle permettrait enfin, tel qu’on peut noter dans le discours des sujets S1 et S4 (unités de sens regroupées dans la catégorie « Autre »), l’augmentation de la motivation et de l’intérêt des élèves rendue possible grâce au caractère concret de cette discipline et à la multiplicité de liens qui peuvent être établis avec leur vie courante.

L’intérêt que peut comporter une telle discipline pour le développement conceptuel, intellectuel et d’une pensée critique et réflexive chez l’élève ainsi que pour la poursuite des études à l’ordre secondaire est pratiquement absent du discours des futurs enseignants interviewés lorsqu’ils verbalisent à propos de l’importance de cet enseignement.

Contributions des sciences humaines et sociales aux missions de l’école québécoise

Comme l’enseignement des sciences humaines et sociales doit, parallèlement à d’autres disciplines, concourir au développement de la triple mission octroyée au système scolaire au Québec, nous avons également demandé aux futurs enseignants d’indiquer comment, selon eux, cet enseignement vient contribuer à cette triple mission. Les données permettent de constater que l’apport de cette discipline aux trois missions dédiées à l’école québécoise reste très imprécis dans le discours des futurs enseignants interviewés, notamment au regard de la disparité observée dans les réponses fournies.

La première contribution importante de l’enseignement des sciences humaines et sociales résiderait dans la mission de socialisation (identifié dans le discours de l’ensemble des sujets). Néanmoins, la façon dont cette contribution s’effectue peut varier. Pour les participants S1, S3, S4, S6 et S9, c’est principalement en permettant aux élèves le développement de valeurs et d’attitudes sociales jugées acceptables du point de vue de la conduite sociale qu’un tel enseignement pourra contribuer à la mission de socialisation, entre autres, parce qu’il offrira à l’élève une certaine ouverture d’esprit, une ouverture sur le monde, le contact avec d’autres ethnies, l’acceptation de la différence, le développement de compétences interpersonnelles, la possibilité de mettre fin aux préjugés, etc.

Cet enseignement contribuerait également à la mission de socialisation par le développement chez l’élève d’un ensemble de connaissances factuelles sur sa société d’appartenance, sur la société de ses parents et celles de ses grands-parents (observé chez cinq sujets). C’est l’avis par exemple des sujets S5 et S6 selon qui, pour socialiser l’élève, il faut lui apprendre plusieurs notions qui font partie de la société :

D’où il vient, d’où ses grands-parents viennent, d’où l’histoire a commencé, ça lui apprend plusieurs choses qui font partie de la société.

S5

Bien oui, parce qu’ils peuvent comprendre d’une certaine façon, comment leur société à eux a été construite, d’où on vient ?

S6

Une dernière façon par laquelle l’enseignement des sciences humaines et sociales contribue à la mission de socialisation serait par l’insertion de l’élève au sein de la société dans laquelle il vit (manifesté dans le discours des sujets S1, S3, S6 et S7) ; contribution réalisée grâce, notamment, à l’enseignement de l’éducation à la citoyenneté : [ex. : « Socialiser, bien utile à la collectivité, comment on s’insère dans la société, ça touche pas mal plus l’éducation à la citoyenneté » (S7) ; « je pense que ça aide vraiment l’enfant dans la société » (S1) ; « de socialiser, d’intégrer l’élève dans la société » (S6)] et par certaines méthodes et techniques d’enseignement-apprentissage qui seraient privilégiées dans cet enseignement et qui favoriseraient, selon les participants S2, S4 et S7, les échanges entre les élèves et de la sorte son insertion sociale [ex. : « les travaux qu’on pourrait faire en équipes puis les échanges qu’on pourrait avoir avec eux » (S2) ; « si on en profite pour faire des débats, des discussions dans la classe » (S7) ; « il y a tellement de beaux projets que tu peux faire avec les sciences humaines » (S4)].

Cette contribution à la construction d’un corpus de connaissances factuelles sur sa société d’appartenance, au développement d’attitudes et de valeurs socialement acceptables ainsi qu’à l’insertion sociale de l’élève au sein de la société viendrait en quelque sorte appuyer les données présentées plus haut quant à l’importance octroyée par les futurs enseignants à cet enseignement qui privilégie notamment les finalités dites patrimoniales et civiques.

Par ailleurs, en ce qui a trait à la mission d’instruction, l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire y contribuerait principalement de deux façons. Il contribue tout d’abord selon les futurs enseignants S2, S4, S6, S7, S8 et S9 en permettant à l’apprenant d’acquérir et d’approfondir ses connaissances factuelles au regard de l’histoire et de la géographie (savoirs essentiels sur sa société, personnages et événements qui font partie de notre histoire, etc.), tel que l’illustrent les extraits suivants :

Je trouve que l’univers social, d’une manière générale, ça touche tellement de points, ça touche, je dirais, les grands acteurs qui font partie de notre passé, notre bagage culturel, les guerres qui nous ont précédés, nous ont amenés là où on est, donc toutes ces connaissances-là font en sorte qu’on s’instruit puis, par l’univers social, on découvre des milliers de choses.

S8

Bien pour instruire, je dirais, c’est plus sur les apprentissages qu’ils font par rapport aux différentes caractéristiques qu’ils vont apprendre vraiment, plus les savoirs essentiels.

S9

Ensuite, mais dans une moindre proportion, il contribue à développer chez l’élève une certaine capacité à comprendre et à expliquer le monde dans lequel il vit. Telle est la contribution à la mission d’instruction pour les répondants S6 et S7. En ce sens,

Instruire [c’est] expliquer, comprendre le monde dans lequel on vit, ça contribue de cette façon-là, parce que tu sais, instruire, ce n’est pas juste technique.

S7

Puis c’est ça, c’est de mieux comprendre les impacts que ça a sur notre vie d’aujourd’hui.

S6

Par ailleurs, en ce qui concerne la contribution de cet enseignement à la mission de qualification, même si les futurs enseignants considèrent qu’il s’agit d’une finalité importante du système éducatif actuel pour laquelle les sciences humaines et sociales peuvent et doivent contribuer grandement, six répondants indiquent ouvertement trouver très difficile, voire impossible, d’identifier comment l’enseignement des sciences humaines et sociales pourrait contribuer à cette mission de qualification, alors que trois autres manifestent des propos généraux qui semblent illustrer une certaine confusion par rapport à la notion même de qualification (ex. : l’élève va se qualifier dans cette discipline). Cette difficulté qu’éprouvent les futurs enseignants à identifier les contributions éventuelles d’un tel enseignement à la mission de qualification dédiée à l’école vient se greffer au silence constaté dans leur discours quant à l’importance de cette discipline, pour la poursuite aux études secondaires, telle que nous l’avons constatée plus tôt.

Place octroyée à l’enseignement des sciences humaines et sociales

Nous avons également demandé aux futurs enseignants de classer les différentes disciplines du programme d’études de l’école québécoise selon l’importance qu’ils octroient à celles-ci dans leurs pratiques ; le numéro 1 étant considéré comme le plus important et ainsi de suite. Comme c’est le cas dans plusieurs autres études réalisées depuis plus d’une vingtaine d’années (Conseil supérieur de l’éducation, 1982 ; Larose, Grenon, Ratté Pearson, 2000 ; Lenoir, Maubant et Routhier, 2008, pour ne donner que quelques exemples), le français, les mathématiques et l’anglais langue seconde se trouvent, selon les répondants, aux premiers rangs en tant que matières scolaires les plus importantes dans le parcours de formation des élèves. Les sciences humaines et sociales, quant à elles, se situent dans une zone intermédiaire (4e rang) au même titre que les sciences et la technologie, l’éducation physique et à la santé (respectivement en 5e et 6e places). Enfin, tout ce qui concerne le domaine des arts (art dramatique, arts plastiques, musique et danse) ainsi que l’enseignement de l’éthique et de la culture religieuse occupe les dernières places (de 7e à 11e respectivement), disciplines considérées comme les moins importantes.

En lien avec cette question, les étudiants ont été invités, dans un premier temps, à indiquer les raisons qui les avaient conduits à choisir les deux disciplines qu’ils ont classées aux deux premiers rangs (français et mathématiques) et, dans un deuxième temps, à présenter les raisons qui justifient le classement attribué aux sciences humaines et sociales (4e rang). Selon l’analyse des réponses à cette question, les principales raisons qui conduisent les futurs enseignants à choisir les deux matières scolaires classées aux premiers rangs renvoient à une conception pour le moins utilitaire de ces dernières. Leur importance relèverait ainsi du fait qu’elles permettent aux élèves de se débrouiller dans leur vie de tous les jours, c’est-à-dire pour l’épicerie, pour les comptes, pour les achats, etc. (apport à la vie quotidienne – observé dans le discours de 8 sujets), d’entrer en communication avec les autres, de communiquer, de bien s’exprimer oralement, de lire et écrire (apport à la communication – mentionné par 5 sujets) ainsi que de réussir dans la vie, avoir un emploi, être considéré par les employeurs (apport à la réussite personnelle et professionnelle – relevée par 3 sujets).

Les répondants déclarent :

Si tu veux arriver à te débrouiller, bien c’est important que tu aies une base dans ces deux matières-là, donc c’est important que tu saches t’exprimer oralement et par écrit, parce que dans la société où on est, bien c’est un préalable hyper important, puis si tu veux être considéré par les employeurs et tout ça. Ensuite, bien la mathématique, ça fait partie de la vie de tous les jours, à l’épicerie, tes comptes.

S3

Le français et mathématiques […] ce sont les choses qu’on a le plus besoin dans notre quotidien, dépendant de ce que tu fais comme métier évidemment, mais dans la vie, autant à la maison que… c’est des choses que tu vas rencontrer dans la vie de tous les jours. Le français, bien c’est la communication, c’est notre langue première, on en a nécessairement besoin. On ne pourrait pas communiquer si on n’avait pas appris le français […]. Les mathématiques, bien tu vas en rencontrer à tous les coins de rue.

S2

Français, bien dans le fond, c’est vraiment sur comment on peut s’en servir de nos jours. Français, c’est… Dans la moindre chose qu’on va avoir à faire, on en a besoin, puis les mathématiques aussi, à mon avis, c’est vraiment partout, donc c’est vraiment parce qu’on en a besoin pour fonctionner.

S9

Par ailleurs, l’importance de ces deux disciplines pour développer le côté logique de l’élève, sa capacité de calcul, de raisonnement et d’organisation des données, leur apport au développement intellectuel, est également mentionnée par trois répondants (S2, S7 et S9) comme l’une des raisons conduisant à classer ces disciplines aux premiers rangs. Enfin, les sujets S7 et S8 justifient également leur choix par le fait que ces disciplines constituent les bases nécessaires à l’apprentissage de toutes les autres matières inscrites dans le programme, dans la mesure où elles sont importantes pour comprendre les consignes données, les lectures qui seront réalisées, etc.

Il ne fait aucun doute que ces disciplines constituent, d’après le classement et la justification donnée par les futurs enseignants, les deux matières fondamentales qu’on doit enseigner dans la mesure où elles sont importantes pour fonctionner de façon autonome, comme l’indique le futur enseignant S9. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que même si les sciences humaines et sociales se situent après le français, les mathématiques et l’anglais langue seconde dans la classification que font les futurs enseignants, elles sont quand même considérées comme étant importantes, notamment si on les compare à la classification des disciplines du domaine de l’art et du développement personnel. Comme on peut le constater d’ailleurs à partir des éléments évoqués par les futurs enseignants pour justifier la place accordée aux sciences humaines et sociales face à l’ensemble des disciplines à être enseignées au primaire :

Sciences humaines, bien ça vient ensuite, parce qu’à mon avis, c’est quand même important.

S9

Je trouve ça tellement important les sciences humaines.

S1

Ce n’est pas moins important, mais pour moi, c’est sûr, c’est moins un centre d’intérêt, puis à mon avis, c’est important de connaître.

S6

Toutefois, le caractère utilitaire pressenti par les futurs enseignants en ce qui a trait à l’enseignement du français et des mathématiques (pour se débrouiller dans la vie quotidienne, pour avoir un emploi, etc.) est beaucoup moins présent en ce qui a trait aux sciences humaines et sociales. Seuls les répondants S5 et S7 identifient parmi les raisons qui les ont conduits à classer les sciences humaines et sociales au 4e rang un ou des éléments en lien avec l’utilité pratique de cet enseignement.

La plupart des raisons évoquées par les futurs enseignants pour justifier leur choix de classer les sciences humaines et sociales après le français, les mathématiques et l’anglais langue seconde reposent davantage sur ce que nous pouvons appeler des raisons d’ordre patrimonial et culturel. Ainsi, c’est la capacité à insérer l’élève à sa société d’appartenance en contribuant notamment à son processus de socialisation et au vivre ensemble en société qui prime parmi les raisons rapportées par la plupart des futurs enseignants, comme le suggèrent les extraits suivants :

Pour moi, les sciences humaines, la géographie, histoire, éducation à la citoyenneté, c’est ce qui fait en sorte qu’une personne s’insère dans la société.

S8

Les enfants en ont besoin pour apprendre à vivre en société, vivre avec les autres.

S4

Puis ensuite, sciences humaines, pour bien savoir justement […] dans le même ordre d’idées, de ton identité personnelle, d’où je viens, où je vais, dans quelle société je me trouve, où je me situe là-dedans tu sais, au niveau de l’identité personnelle, de l’intégration sociale.

S3

La capacité de cette discipline à fournir à l’élève un corpus de connaissances factuelles sur le passé et sur sa société d’appartenance permettant de surcroît la compréhension de son origine (d’où on vient) ainsi que de la société dans laquelle l’élève vit et interagit (évoqué par les sujets S3, S4, S5, S6, S7, S8 et S9) arrive en deuxième lieu :

Bien c’est moi personnellement, mais moi, je trouve ça super important de connaître nos origines, d’où on vient.

S6

Avant, les personnes âgées n’avaient pas la télévision, s’asseyaient dans les fauteuils, discutaient de ce qui s’est passé il y a de cela cinquante ans, avec leurs enfants. Maintenant, c’est fini, c’est la télévision, avec du zappage, donc je trouve que l’école a une place, puis un rôle à jouer là-dedans sur ce qui est de la connaissance du passé.

S8

Puis sciences humaines, bien ça venait ensuite, parce qu’à mon avis, c’est quand même important, parce que t’apprends un peu sur toi-même, puis à comprendre le monde, puis à mon avis, par rapport aux autres disciplines, c’était plus important […]. Apprendre sur la société puis comment on fonctionne, ça, c’était plus important que les autres.

S9

Enfin, leur apport à la poursuite des apprentissages dans d’autres disciplines ou domaines du programme a été évoqué par trois futurs enseignants. En ce sens, les sciences humaines et sociales peuvent constituer une toile de fond, une espèce de terrain d’exercices à partir desquelles l’élève peut apprendre le français, les mathématiques et même l’anglais :

Je trouve que les matières de base restent l’anglais, le français et les mathématiques, mais que les sciences humaines peuvent englober tout ça.

S1

Grâce aux sciences humaines […] on peut aller impliquer le français là-dedans […] tu peux même aller toucher de l’anglais si tu es dans une classe anglophone.

S8

Il n’y a rien qui empêche de lire, faire des lectures là-dessus. En même temps, on peut passer des évaluations en lecture.

S2

Discussion

Les résultats présentés témoignent du fait que les finalités attribuées à l’enseignement des sciences humaines et sociales par les futurs enseignants qui ont participé à cette étude situent leur intervention éducative au sein de cette discipline davantage du côté des finalités patrimoniales et civiques. En effet, la grande majorité des unités de sens dégagées des discours des futurs enseignants en lien avec l’importance de l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire renvoie à leur apport au processus de socialisation des élèves par la transmission d’une représentation du monde partagé et, au-delà, des conduites normées. L’importance d’un tel enseignement résiderait surtout dans son apport au développement chez les élèves d’attitudes socialement acceptables telles la tolérance, l’acceptation de la différence, l’ouverture d’esprit, etc. ainsi que dans le développement d’une connaissance et d’une compréhension de l’histoire et du fonctionnement de sa société d’appartenance pour mieux s’y adapter.

Cet apport des sciences humaines et sociales à l’insertion sociale des nouvelles générations et au développement d’un sentiment d’appartenance ressort également lorsque les futurs enseignants expriment leurs conceptions de la contribution de cet enseignement à la triple mission de l’école québécoise (instruire, socialiser et qualifier). Tout d’abord, l’enseignement des sciences humaines et sociales au primaire contribuerait à la mission de socialisation, selon les futurs enseignants, en permettant l’insertion harmonieuse des élèves au sein de la société, la construction de valeurs et des attitudes jugées acceptables sur le plan de la conduite sociale, le développement d’une connaissance sur sa société d’appartenance, celle de ses parents et grands-parents, etc. Par ailleurs, si la contribution à la mission d’instruction est également reconnue, elle se résume essentiellement à permettre aux élèves l’acquisition de connaissances factuelles en histoire et en géographie et ne porte jamais sur sa contribution au développement de notions et concepts qui permettent d’interpréter ces connaissances factuelles et de leur donner du sens.

Or, la volonté de réaffirmer la fonction cognitive de l’école (gouvernement du Québec, 2001), qui s’appuie sur une nouvelle configuration disciplinaire qui sous-tend que l’enseignement des sciences humaines et sociales vise le développement de la pensée critique, de l’autonomie intellectuelle, de la capacité de questionnement, de raisonnement, etc. (Audigier, 1993 ; Daudel, 1990 ; Klein et Laurin, 1998 ; Laurin, 1998 ; Laville, 1993 ; Lenoir, 2009 b ; Moniot, 1993) et qui conduit plutôt à privilégier un équilibre nécessaire entre une triple famille de finalités (patrimoniales et civiques, intellectuelles et critiques et pratiques et professionnelles) ne semble pas trouver son corollaire dans le discours des futurs enseignants du primaire concernant les finalités associées à leur enseignement des sciences humaines et sociales au primaire. En ce sens, force est de reconnaître que la socialisation et la fonction identitaire traditionnellement attribuée à l’enseignement des sciences humaines et sociales, et qui renvoie à l’adhésion à des valeurs communes et à la cohésion sociale, demeurent prégnantes dans les pratiques des futurs enseignants.

Ainsi, malgré le discours actuel au sein de la didactique des sciences humaines et sociales qui situe cet enseignement sur le plan de la fonction critique et réflexive axée sur le développement intellectuel des élèves), les pratiques des futurs enseignants qui ont participé à cette étude témoignent d’une certaine difficulté à briser la primauté qui est accordée à l’enseignement des sciences humaines et sociales depuis le XIXe siècle et qui renvoie à la formation identitaire dans une perspective d’adhésion. En effet, l’intérêt que peut avoir une telle discipline au regard du développement conceptuel, intellectuel et d’une pensée critique et réflexive chez l’élève ainsi que de la poursuite des études est pratiquement absent du discours des futurs enseignants sur leurs pratiques d’enseignement au sein de cette discipline.

Il faut noter que la socialisation constitue une mission importante de l’école québécoise telle que véhiculée dans le discours officiel depuis les années 1990 (gouvernement du Québec, 1997a, 1997b) et l’enseignement des sciences humaines et sociales ne peut pas être insensible à cette réalité. En ce sens, pensons-nous, l’adhésion des futurs enseignants du primaire aux finalités patrimoniales et civiques n’est pas nécessairement contradictoire par rapport aux perspectives ministérielles qui affirment que dans une société pluraliste, « l’école doit être un agent de cohésion : elle doit favoriser le sentiment d’appartenance à la collectivité, mais aussi l’apprentissage du “vivre ensemble”. Dans l’accomplissement de cette fonction, l’école doit être attentive aux préoccupations des jeunes quant au sens de la vie ; elle doit promouvoir les valeurs qui fondent la démocratie et préparer les jeunes à exercer une citoyenneté responsable ; elle doit aussi prévenir en son sein les risques d’exclusion qui compromettent l’avenir de trop de jeunes » (gouvernement du Québec 1997b, p. 9).

Toutefois, à nos yeux, il importe, à l’instar de Van Haecht (2005), de s’interroger sur – et en quelque sorte essayer de clarifier – la conception de socialisation que préconise le discours ministériel et celle qui fonde les pratiques des futurs enseignants du primaire en sciences humaines et sociales. S’agirait-il d’une vision minimaliste en tant que processus délibéré et programmé d’intégration d’un individu à un groupe ou système social par « inculturation », c’est-à-dire par l’imposition d’attitudes et des conduites sociales moulées aux règles, aux normes et aux valeurs en vigueur dans la société ? Ou s’agirait-il plutôt d’une vision maximaliste qui considère la socialisation comme un processus plus large de l’insertion progressive et réflexive d’un être humain dans la vie sociale et culturelle ? Or, les résultats de cette étude ne permettent nullement de donner des réponses précises à ces interrogations. Cela met en évidence la nécessité d’approfondir ultérieurement nos analyses sur cet aspect important des pratiques des futurs enseignants en sciences humaines et sociales au primaire.

Par ailleurs, bien que l’apport de cette discipline au développement intellectuel de l’élève – sa finalité intellectuelle et critique – soit pratiquement absent du discours des futurs enseignants interviewés, il n’est pourtant pas complètement occulté. Ainsi, encore que timidement, quelques références à ces finalités émergentes des réponses de certains répondants à d’autres questions de l’entrevue (questions non présentées dans le cadre de cet article), notamment lorsqu’ils justifient les objectifs visés par leur activité et lorsqu’ils présentent et précisent aux élèves en début de séance les caractéristiques de l’activité qui sera réalisée (développement de la pensée critique, la capacité d’argumentation, d’explication, d’analyse, de recherche, etc.). Mais peut-on réellement contribuer au développement de la pensée critique, de la capacité de recherche et d’argumentation en mettant de l’avant des finalités patrimoniales et civiques qui mettent l’accent sur l’acquisition de connaissances factuelles sur la société et la culture ainsi que sur le développement d’attitudes sociales ? Peut-on réellement contribuer au développement intellectuel, alors que l’équilibre entre les trois finalités octroyées à cet enseignement, qui constituerait une condition nécessaire, tel que le souligne Audigier (1993), reste encore très fragile ? De plus, comme leur formation initiale devrait être réalisée (en théorie) en prenant en considération les orientations actuelles du MELS en matière d’éducation au primaire (gouvernement du Québec, 2001), il importe de se questionner sur l’influence d’une telle formation sur les réflexions que les futurs enseignants réalisent à l’égard du programme des sciences humaines et sociales et de ses fondements. Leur offre-t-on une formation à l’enseignement en ce sens ? Leur formation à l’enseignement permet-elle une réflexion à l’égard des fondements et des orientations de ce programme ? Comment les étudiants réalisent-ils cette réflexion ?

Le difficile équilibre entre les trois familles de finalités associées aux sciences humaines et sociales dans les pratiques de futurs enseignants du primaire, en les associant essentiellement au développement de la socialisation/intégration sociale des élèves et en laissant au deuxième plan les apports de cette discipline au développement intellectuel et à la poursuite des études, pourrait en quelque sorte être une conséquence de la place secondaire octroyée à cet enseignement par les futurs enseignants. En effet, les résultats témoignent que, même si les futurs enseignants affirment que les sciences humaines et sociales constituent une discipline importante, leur discours reflète également une certaine hiérarchisation entre les différentes disciplines du curriculum de l’école primaire où le français langue d’enseignement, les mathématiques et l’anglais langue seconde occupent les premières positions. Ces dernières disciplines sont considérées par les futurs enseignants comme des disciplines de base indispensables au développement des élèves, à la communication, au raisonnement, à la réussite dans la vie et dans d’autres apprentissages. Les sciences humaines et sociales, quant à elles, n’arrivent qu’au quatrième rang. Elles constituent ainsi une matière secondaire dont leur enseignement viendrait soit compléter la formation offerte par les disciplines les plus importantes, notamment en ce qui concerne l’intégration harmonieuse des élèves à leur société d’appartenance et la connaissance des principales caractéristiques géographiques et historiques de celle-ci, soit servir de prétexte à d’autres apprentissages (faciliter l’apprentissage du français, des mathématiques, de l’éthique et de la culture religieuse, etc.).

Cette hiérarchisation des disciplines, qui conduit à privilégier l’enseignement du français et des mathématiques au détriment notamment de celui des sciences humaines et sociales, d’après Lenoir et Hasni (2006), repose sur l’attribution de valeurs sociales et culturelles différenciées aux diverses matières et sur l’association de ces valeurs non à des choix individuels, mais bien à des choix de société : « Les enseignants du primaire privilégient nettement l’enseignement du français et des mathématiques parce que ces matières sont socialement valorisées, parce qu’elles sont implicitement les seules qui font réellement l’objet de l’attention des cadres scolaires et des parents, parce qu’elles leur sont présentées comme les voies royales de la poursuite des études et de l’atteinte du succès dans la vie et parce qu’elles procèdent au processus d’orientation et de sélection relatif aux études postsecondaires » (p. 127).

Quand on compare ce constat à des recherches antérieures réalisées auprès des enseignants et futurs enseignants du primaire, comme celles de Araújo-Oliveira, Lenoir, Morales-Gómez et McConnell (sous presse), Baillat et Espinoza (2008), Baillat, Espinoza et Vincent (2001), Larose et al. (2000) et Lenoir et al. (2008) pour ne donner que quelques exemples, on ne peut qu’être frappé par la similitude des résultats obtenus quant à la hiérarchisation des disciplines scolaires depuis plus d’une vingtaine d’années. En effet, les résultats accumulés par ces recherches témoignent d’une grande stabilité de l’ordre hiérarchique que les futurs enseignants et les enseignants en exercice attribuent aux différentes matières scolaires qui constituent le curriculum de l’enseignement primaire. Le caractère secondaire des sciences humaines et sociales reste stable depuis plusieurs années, même si la raison d’être principale de cette discipline est avant tout la construction conceptuelle de la réalité humaine et sociale.

De façon sous-jacente à cette distinction, qui constitue une réalité concrète dans le milieu scolaire et dans les pratiques des futurs enseignants, il existe, au regard des sciences humaines et sociales, une vision pour le moins réductrice de leur place et de leur fonction première dans la formation d’un être humain, futur citoyen. Certes, l’apprentissage de la langue maternelle, des mathématiques et de l’anglais langue seconde reste sans conteste une entreprise essentielle pour « bien se débrouiller dans la vie de tous les jours » – comme le disent les futurs enseignants eux-mêmes – et constitue également un passeport de la plus haute importance pour la poursuite des études. Néanmoins, pour les futurs enseignants qui ont participé à cette étude, ces matières de base seraient centrées avant tout sur le développement d’habiletés utiles dans la vie de tous les jours (leur apport à la vie quotidienne), alors que les sciences humaines et sociales visent essentiellement le développement de dimensions socialisantes chez l’élève (intégration à la société d’appartenance et au vivre ensemble) par l’acquisition d’un corpus de connaissances sur la société d’hier et d’aujourd’hui. En ce sens, une telle conception pourrait enlever toute possibilité de recourir à une perspective disciplinaire fondée, d’une part, sur l’apport des différentes familles de finalités et, d’autre part, sur l’interrelation entre cette discipline scolaire qui vise avant tout la construction conceptuelle de la réalité humaine et sociale et les matières qui visent l’expression de cette réalité et sa mise en relation.

Conclusion

Bien que les sciences humaines et sociales soient considérées comme étant une discipline secondaire, selon les conceptions des futurs enseignants qui ont participé à l’étude, elles restent somme toute importantes. Néanmoins, leur apport serait axé principalement sur le développement chez les élèves d’attitudes socialement acceptables ainsi que sur le développement d’une connaissance et d’une compréhension de l’histoire et du fonctionnement de sa société d’appartenance pour mieux s’adapter. Une telle perspective placerait alors leur intervention éducative au sein de cette discipline davantage du côté des finalités patrimoniales et civiques, dénotant ainsi une certaine difficulté à briser la primauté accordée au développement identitaire de l’élève basé sur le principe de la socialisation dans une perspective d’adhésion. Les finalités privilégiées viendraient soutenir et justifier toute formation disciplinaire reposant sur la transmission des connaissances factuelles de type dénomination-localisation, ou encore la perspective des « 4R » mis en évidence par Audigier (1995a, 1995 b), sans développer d’apprentissages véritablement conceptuels, une pensée critique et réflexive.

Or, ces résultats soulèvent plusieurs questionnements. Associée au fait qu’aucune place n’est réservée à l’enseignement des sciences humaines et sociales à la plage horaire du 1er cycle du primaire et que la compétence Construire sa représentation de l’espace, du temps et de la société et ses composantes doivent être développées à travers l’enseignement des autres programmes disciplinaires, cette vision des sciences humaines et sociales en tant que discipline secondaire axée prioritairement sur les finalités patrimoniales et civiques peut facilement conduire à une négligence importante quant à son enseignement effectif, et de la sorte, au développement des concepts, habiletés techniques et intellectuelles, attitudes intellectuelles, etc. qui leur sont associés et qui sont indispensables au développement des compétences disciplinaires prévues pour le 2e et le 3e cycle du primaire. Ces questionnements sont d’autant plus importants que la formation didactique au primaire dont bénéficient les futurs enseignants dans le domaine des sciences humaines et sociales est très mince (variant entre 2,5 % et 5 % du nombre total de crédits) et que leur expérience dans l’enseignement de cette discipline dans le cadre de leur formation en milieu de pratique constitue encore une denrée rare (Araújo-Oliveira, 2010 ; Lebrun, Araújo-Oliveira & Lenoir, 2010). De plus, lorsque cet enseignement est compris comme étant secondaire en milieu scolaire, il devient très difficile de concevoir une intervention éducative en sciences humaines et sociales qui reposerait sur des conceptions épistémologiques de type constructiviste ou socioconstructiviste et qui s’actualiserait par des modalités autres que celles axées sur un processus de transmission-réception des savoirs réifiés, décontextualisés et préexistants aux sujets apprenants.

Par ailleurs, si les résultats présentés ici fournissent un corpus de connaissances scientifiques de base permettant déjà d’alimenter certaines dimensions de la formation à l’enseignement dans le champ de la didactique des sciences humaines et sociales au primaire, ils nous renseignent peu sur ce que les futurs enseignants comprennent exactement de chacune de ces finalités et comment ils comptent les développer concrètement dans le cadre de leurs pratiques d’enseignement au sein de cette discipline. Ainsi, dans la mesure où toutes les actions éducatives sont orientées par les finalités qu’on associe à une discipline (Audigier, 1993), il nous semble pertinent de poursuivre notre réflexion en ce sens.