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Le Conseil affirme que « les tensions qui subsistent actuellement au Québec découlent de la non-confirmation de la laïcité » (p. 70). Ce silence législatif est la raison derrière l’apparition de la « laïcité ouverte », également au coeur des tensions sur la question des accommodements raisonnables au Québec.

Prenant appui sur le débat polarisé de la laïcité au sein de l’État québécois, dans un avis intitulé Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le Conseil du statut de la femme exige une réflexion collective sur la laïcité du modèle québécois comme un incontournable pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Dans un premier temps, le Conseil interroge le rapport complexe entre l’État et la religion : la laïcité est essentielle « pas seulement pour préserver l’autonomie du sacre et du politique » (p. 48), mais aussi en transcendant « les différences culturelles, religieuses et ethniques » (p. 57) des citoyens et des citoyennes, la laïcité garantit leur égalité et la neutralité de l’État. Dans un deuxième temps, l’avis traite de questions très importantes telles que la position politique du Québec au sein du Canada, l’interculturalisme contre le multiculturalisme, la particularité de l’identité québécoise et la recherche d’une forme idéale de la laïcité qui respecte les valeurs communes du Québec, tout en protégeant les droits individuels.

La structure de l’avis est fondée sur une démarche interprétative et jurisprudentielle avec des références législatives riches, surtout des commentaires juridiques, parfois inutilement longs (par exemple p. 50-51). En termes de présentation, l’avis est divisé en quatre chapitres et suit une structure clairement établie, de la définition du problème aux recommandations législatives.

Le premier chapitre examine le contexte patriarcal des religions monothéistes, profondément néfaste selon le Conseil aux questions reliées à la contraception et à l’avortement et qui entérine le rôle passif attribué aux femmes. Dans le deuxième chapitre, le Conseil fait un bon résumé de la place de la religion au Québec avant la Révolution tranquille. Le troisième chapitre élabore une présentation des caractéristiques constitutives de la laïcité au Québec et des rapports entre la « laïcité ouverte » et le multiculturalisme, soit les droits et l’identité collective contre les droits et l’identité individuelle. Dans le quatrième chapitre, le Conseil exige un service public neutre, des agentes et des agents de l’État débarrassés de signes religieux, ainsi que l’enseignement des valeurs civiques au lieu de la « culture religieuse » (p. 110). Finalement, le Conseil met à l’oeuvre plusieurs recommandations destinées à des institutions diverses, dont l’Assemblée nationale et le service public.

Cette recension examine l’un des arguments les plus problématiques de l’avis qui part du principe qu’il n’y qu’une seule et unique forme de féminisme pouvant assurer la protection des droits des femmes et l’égalité des hommes et des femmes au Québec.

Le Conseil défend un plaidoyer en faveur de l’affirmation concrète de la laïcité dans les statuts du Québec afin d’éviter les conséquences sur l’égalité des sexes qui peuvent découler « des demandes d’accommodement religieux formulées par des personnes appartenant à des minorités » (p. 8). D’un côté, l’avis ne traite pas seulement des religions minoritaires, mais également du rôle de la religion comme telle dans les institutions étatiques. De l’autre côté, le Conseil dédie la plus grande partie de son attention à l’islam et à ses effets négatifs sur les femmes par rapport à d’autres religions monolithiques.

En effet, malgré quelques références au passé catholique du Québec, la plupart des exemples de discrimination proviennent de l’islam et du voile. Bien que les femmes portent le voile pour diverses motivations, le Conseil réaffirme « le fait que la femme choisisse librement ou sous la contrainte sociale ou familiale de porter le voile n’influence nullement le sens qui est ainsi transmis : l’infériorisation de la femme » (p. 101).

Le Conseil prétend que les religions monothéistes se fondent sur l’infériorisation des femmes et ne permettent pas aux femmes de se sortir du patriarcat et de progresser vers leur égalité réelle. Ce point est l’une des hypothèses les plus problématiques traitées par le Conseil. En prenant appui sur l’expérience des féministes blanches québécoises d’avant les années 1960 comme point de référence, le Conseil ferme simplement les yeux aux agency de femmes religieuses. Il dessine une image binaire et simpliste de la réalité : les femmes religieuses opprimées et les femmes non religieuses libérées.

Par ailleurs, la perception de la religion et de la religiosité comme étant ontologiquement nuisibles aux droits des femmes est problématique, car cet argument repose sur l’articulation des femmes comme étant des victimes de leur manque d’autodétermination. En outre, il contribue à l’essentialisme culturel, présentant les femmes minoritaires en tant que victimes de leurs « cultures » et pérennisant des conditions arriérées où les femmes sont considérées comme marchandise des hommes.

Il est également intéressant de souligner le fait qu’il n’y a pas de référence aux féministes religieuses qui prétendent que les religions ne sont pas fondamentalement préjudiciables aux droits des femmes, puisqu’ils peuvent être réinterprétés d’une manière égalitaire. Plusieurs féministes universitaires et militantes ne voient pas la religion et les droits des femmes comme une antithèse ; par exemple en ce qui a trait à l’islam, Margot Badran, Amina Wadud et Fatemeh Fakhraie ; au christianisme, Kristen Aube ; ou au judaïsme, Marla Brettschneider et Dawn Robinson Rose. Ces femmes croient à la réconciliation de la religion et du féminisme et rejettent à la fois l’idée d’un féminisme unique qui ne tient pas compte des différences entre les femmes et l’affirmation d’une émancipation universelle réalisée à travers des expériences de féministes blanches privilégiées. Dans cette perspective, il convient de citer Margot Badran (2002) qui rappelle judicieusement que les « Féminismes sont produits dans des lieux particuliers et sont formulés dans des termes locaux[1] » (notre traduction).

En ce sens, les références et les arguments sont uniquement basés sur des expériences des femmes québécoises et sur l’opinion de personnes qui ne croient pas à la compatibilité des religions et à la protection des droits des femmes dans l’articulation d’un féminisme universel. Cette position, qui fait valoir que cette forme particulière de féminisme est la seule qui puisse contribuer à l’épanouissement des droits de toutes les femmes, est problématique en soi et est aggravée par le fait que le Conseil prétend connaître la vérité absolue sur la vie de l’ensemble des femmes, qu’il formule de façon non seulement limitée mais également essentialiste et monolithique.

Alison Bailey (2008) rappelle aux féministes que des projets féministes sont souvent nourris par l’empathie qui suggère qu’une femme peut avoir une connaissance de la souffrance d’une autre femme parce que leurs souffrances possèdent des caractéristiques similaires. Cependant, « L’empathie permet aux femmes puissantes et privilégiées de partager l’expérience des femmes les plus différentes[2] » (notre traduction) (Bailey, p. 30). Enfin, les motifs ontologiques de ce féminisme s’avèrent être traduits en termes essentialistes et monolithiques. Cela ne peut pas être considéré comme une contribution aux droits des femmes en général.