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Comme son titre l’indique, le recueil de textes publié sous la direction de Manon Tremblay et autres regroupe des études sur la citoyenneté et la représentation sous l’angle critique du genre, celui-ci étant compris comme la construction sociale de la différence des sexes mais aussi comme une manière de signifier des rapports de pouvoir. Bien que la représentation se conçoive difficilement en dehors de la citoyenneté, celle-ci n’est pas nécessairement garante de la représentation politique lorsque cette dernière est examinée du point de vue du genre.

L’ouvrage comporte deux parties : la première compte quatre chapitres qui traitent d’observations et de questions relatives à la citoyenneté en accordant une attention particulière aux tensions soutenues entre égalité et différences.

Ainsi, la citoyenneté politique des femmes est examinée au premier chapitre dans un jeu de miroir entre l’Europe occidentale et l’Amérique latine. Les enjeux de l’individuation des femmes, dans leur accès à l’espace public politique, retiennent l’attention de l’auteure Bérengère Marques-Pereira dans le souci d’égalité dans la représentation politique et comme éléments importants du processus de démocratisation de l’ensemble des rapports sociaux et politiques. Cette auteure démontre l’importance de se fonder sur une approche de sociologie historique du politique pour trouver les trajectoires nationales différentes donnant sens aux rapports sociaux et aux rapports de force sur lesquels la citoyenneté s’est construite (p. 39).

Les tensions entre égalité et différences permettent à Réjane Sénac-Slawinski de présenter, au deuxième chapitre, une typologie des modèles de citoyenneté. Elle distingue à cet effet les modèles de l’« harmonie naturelle », celui dit de l’« l’équité » et celui de l’« équivalence » et des modèles du « droit à l’égalité », celui dit de l’« arrangement social » et celui dit d’« émancipation ». Cela révèle, entre autres, une correspondance entre la conception des identités sexuées et la conception de l’identité démocratique, notamment, l’égalité en droit de tout citoyen et de toute citoyenne et leurs inégalités dans les faits (p. 58).

Les tensions entre égalité et différences sont par ailleurs particulièrement bien illustrées au troisième chapitre qui traite de l’ouverture du mariage civil aux couples gais et lesbiens. L’auteur, David Paternotte, s’interroge quant à savoir s’il n’y a pas là un nouveau modèle d’accès à la citoyenneté. En tenant compte de la conception féministe du mariage comme institution oppressive, l’auteur doit situer son plaidoyer ou sa position favorable sous l’hypothèse inclusive de la resignification en s’inspirant, entre autres, des réflexions de Judith Butler.

Au quatrième chapitre, Isabelle Giraud s’interroge sur l’opérationnalisation du concept de citoyenneté dans les recherches empiriques sur les politiques de genre. Elle discute aussi de l’usage théorique de la diversité des conceptions de la citoyenneté dans les régimes traditionalistes, libéraux et institutionnalisés pour imaginer la création de régimes plus participatifs et non genrés fondés particulièrement sur des pratiques féministes du politique.

La seconde partie du recueil concerne la représentation et regroupe cinq chapitres. L’intérêt de cette partie est de considérer l’effet sur la présence des femmes au sein des institutions de la démocratie libérale du mode de scrutin uninominal majoritaire, ou proportionnel, y compris du scrutin de liste, sans oublier les stratégies partisanes de sélection des candidatures.

Au cinquième chapitre, Catherine Achin examine la représentation politique des femmes du point de vue des modes d’élection. Elle fait aussi un retour critique sur les effets des règles encadrant les carrières politiques en France et en Allemagne. Elle examine la représentation parlementaire des femmes selon les règles institutionnelles, les modes de scrutin proportionnel ou majoritaire, de même que les conditions de la professionnalisation : indemnité, cumul des mandats et filières politiques. Il est question également dans ce chapitre du rôle déterminant des logiques partisanes et de la perméabilité du champ politique aux mouvements sociaux, notamment les mouvements féministes.

Au sixième chapitre, Thanh-Huyen Ballmer-Cao et Sara Bütikofer s’interrogent à savoir si le système majoritaire ne joue pas contre la représentation des femmes. Leur réflexion est étayée à partir du cas de l’élection au Conseil des États en Suisse, de 1971 à 2003. L’étude est intéressante, car le canton suisse possède à la fois une structure sociale moderne et une longue tradition d’égalité. Cependant, les résultats sont loin de la parité et les mobilisations collectives pour y parvenir s’imposent plus que jamais.

Une étude comparée de la représentation parlementaire des femmes sous le système uninominal en France ou au Québec fait l’objet du septième chapitre. Les données présentées par Mariette Sineau et Manon Tremblay permettent de souligner pour le Québec une plus grande féminisation, et ce, sans quota, sans loi sur la parité. Leur étude comparée de l’asymétrie de situation entre la France et le Québec accorde, parmi plusieurs facteurs explicatifs, toute son importance à la mobilisation sociale des femmes pour la mise en oeuvre des revendications féministes.

Les débats sur les quotas et la parité se poursuivent au huitième chapitre où Léa Sgier aborde les enjeux dans une étude comparée entre le cas de la Suisse et celui de la France. Ces débats montrent que les rapports de pouvoir qui structurent les rapports sociaux entre les hommes et les femmes restent un sujet « inabordable » (p. 188) qui échappe à une « thématisation » explicite. L’égalité des sexes est devenue une norme politique dominante, un discours, pourrait-on dire, mais les implications qu’elle aurait si elle était mise en pratique ne sont de toute évidence toujours pas faciles à accepter (p. 188).

Chantal Maillé, au neuvième chapitre, présente ses observations autour des filières nord-américaines concernant les interventions des mouvements de femmes en faveur d’une politique de présence dans les institutions de la démocratie libérale. Elle relate des initiatives portées par les mouvements de femmes au Canada anglais, aux États-Unis et au Québec ainsi que par les communautés autochtones canadiennes en matière de représentation politique des femmes. Cette auteure pose avec pertinence la question de l’harmonisation de la notion de représentation avec le féminisme. Pour elle, il y a dans l’idée de représentation des principes de hiérarchie, de délégation, de rapports de pouvoir, alors que la démocratie directe se révèle moins centrée sur l’idée de représentation et davantage sur celle de participation active : n’est-elle pas plus proche, se demande cette auteure, des idéaux politiques du féminisme (p. 206-207)? De ce point de vue, Maillé invite les mouvements de femmes à élargir le spectre de leurs actions et à repolitiser les enjeux de la participation citoyenne pour un véritable renouvellement de la démocratie (p. 207).

À l’heure où le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes n’a de cesse d’être rappelé et sert, pour ainsi dire, de porte-étendard du monde libre, cet ouvrage, fort bien documenté, rappelle qu’il y a encore beaucoup à faire pour une mise en oeuvre achevée de ce principe. Ce livre peut assurément servir de référence pour qui veut connaître l’état de la situation dans plusieurs pays occidentaux et poursuivre la recherche, l’analyse et l’action militante sur le sujet.