Corps de l’article

Les résultats que nous présentons dans le présent article sont issus d’un projet de recherche évaluative qui avait pour objectif général de vérifier si un programme syndical de formation en santé et en sécurité du travail atteignait ses objectifs ou, en d’autres termes, produisait ses effets attendus (Contandriopoulos et al. 1992). Le programme à l’étude, dispensé par une centrale syndicale québécoise à ses membres, a pour objectif ultime d’améliorer l’action syndicale des travailleurs menée dans leur milieu de travail à l’égard de la prévention primaire des lésions professionnelles. Notre étude est la première recherche évaluative portant sur un programme de formation syndicale en santé et en sécurité du travail offert au Québec. Nous présentons ici nos résultats sur l’un des thèmes faisant l’objet de la formation, soit les accidents de travail et plus spécifiquement les objectifs d’apprentissage suivants : (1) comprendre que les accidents de travail ont plusieurs causes, (2) être capable d’identifier ces causes, (3) être capable d’identifier des mesures pour éviter l’occurrence d’accidents et (4) attribuer les accidents de travail à des risques environnementaux dont les employeurs sont responsables.

Le programme de formation de base en santé et en sécurité du travail à l’étude est d’une durée prescrite de quinze heures réparties sur trois jours. Il s’adresse à des membres de comités de santé et de sécurité du travail, à des délégués syndicaux, à des officiers ou de simples membres de syndicats. Il est offert régulièrement depuis 1976 par le Service d’éducation de la centrale, des formateurs issus des instances régionales (les conseils du travail) ou encore par des formateurs des grands syndicats affiliés. Dans tous les cas, il s’agit de militants syndicaux formés par la centrale, au cours d’une session d’une durée de cinq jours, qui porte à la fois sur le contenu et sur les méthodes pédagogiques. On distribue aux apprentis les cahiers du formateur et du participant. De plus, on place les futurs formateurs en situation concrète de formation devant leurs collègues. Leurs pratiques pédagogiques sont analysées et commentées. Les formateurs novices qui réussissent ce cours peuvent ensuite dispenser des programmes de formation à des militants syndicaux, et ce d’abord sous la supervision de formateurs seniors.

Blondin (1980 : 79) précise que le cours de base en santé et en sécurité du travail suit les trois étapes suivantes : (1) la « prise de conscience du nombre dramatique d’accidents de travail et la détérioration souvent rapide de la santé des travailleurs comme conséquence de la présence peu contrôlée de tueurs silencieux qui hypothèquent gravement leur santé », (2) des « informations sur les lois dont le but officiel est la protection de la santé », et (3) « les diverses dimensions des moyens d’action syndicale [...] pour protéger notre santé, assurer notre intégrité physique ». Ces trois étapes correspondent aux trois « blocs » du programme de formation identifiés comme suit dans le cahier du formateur : (1) les accidents de travail et les atteintes à la santé, (2) droits des travailleurs et des travailleuses en matière de santé et de sécurité, et (3) l’action syndicale.

Le processus du programme doit avant tout faire appel à l’utilisation de l’expérience et des connaissances des travailleurs. Il est basé sur l’échange et la confrontation des connaissances et des perceptions. Peu d’exposés doivent être présentés. On doit privilégier les discussions et les travaux d’équipe. De plus, la communication doit être simple et directe. Par ailleurs, Blondin (1980 : 78) précise que les formateurs doivent éviter « tout ce qui est paralysant, passif, démobilisant » puisque les programmes de formation sont conçus pour « qu’au sortir du cours, ce qui fut appris soit traduit en gestes concrets, en action et en engagement ». Il s’agit de l’objectif ultime du programme de formation.

Peu de recherches évaluatives ont porté sur des programmes de formation en santé et en sécurité du travail et celles qui ont été consacrées au sujet ont principalement mis l’accent sur des interventions dont l’objectif ultime était différent du programme faisant l’objet de notre étude, soit de modifier les comportements de travailleurs à l’égard de leurs activités de travail, et principalement des postures adoptées lors de soulèvements de charges, de manière à prévenir l’occurrence de maux de dos. Quelques publications portent sur des programmes de formation qui poursuivent des objectifs ultimes similaires au programme qui a fait l’objet de notre étude, soit d’amener les individus formés à améliorer les conditions de travail dans leurs milieux respectifs. De telles publications ont avant tout été produites par des ergonomes qui ont conçu des programmes de formation à l’analyse du travail à l’intention de travailleurs. En général, les auteurs font état d’analyses qualitatives peu formalisées comparant les caractéristiques des situations de travail qui prévalaient avant la formation à celles qu’ils ont observées ou encore que des travailleurs leur ont rapportées après la formation. Les observations des auteurs semblent converger : la formation à l’analyse du travail amènerait les individus formés à revendiquer l’amélioration de leurs conditions de travail (Wendelen, Lacomblez et Teiger 1998). À notre connaissance, une seule étude empirique a porté sur un tel programme de formation (Montreuil et al. 1997). Celui-ci était destiné à du personnel utilisant des terminaux à écran de visualisation et basé sur un modèle de promotion de la santé qui visait à permettre aux travailleurs de connaître les contraintes et les risques associés à leurs conditions de travail et de leur fournir des stratégies préventives. Les résultats indiquent que le nombre d’individus ayant implanté des stratégies préventives était significativement plus élevé dans le groupe exposé au programme que dans le groupe témoin. Le nombre de changements apportés aux postes de travail était significativement supérieur dans le groupe exposé. De même, chez les individus de moins de 40 ans du groupe exposé, l’incidence de problèmes musculo-squelettiques était inférieure de moitié à celle du groupe témoin.

Nous avons décrit ailleurs l’implantation du programme faisant l’objet de notre étude et sa théorie sous-jacente et l’écart que nous avons observé entre les composantes du programme prescrit par la centrale et celles qui avaient été implantées (Desnoyers et al. 1997 ; Berthelette et al. 1998). La description de la théorie sous-jacente nous a permis, entre autres, de cerner les effets intermédiaires du programme. Il nous apparaissait plus utile de centrer notre évaluation sur ces effets plutôt que de mettre d’emblée l’accent sur les effets ultimes du programme afin de permettre à la centrale d’avoir une vision d’ensemble des résultats de chacun des objectifs d’apprentissage de son programme. Nous voulions également éviter d’utiliser l’approche de « la boîte noire » (Chen et Rossi 1983) dont les limites sont importantes. Les chercheurs qui font appel à cette approche omettent de vérifier l’implantation du programme évalué. Par conséquent, ils ne peuvent expliquer leurs résultats lorsque ceux-ci indiquent qu’un programme ne produit pas ses effets attendus. Nous souhaitions, au contraire, être en mesure de produire des résultats utiles à la centrale syndicale concernée afin qu’elle puisse prendre des décisions éclairées sur l’avenir de son programme. Par ailleurs, peu de publications portant sur l’analyse des effets de programmes de formation en santé et en sécurité du travail en décrivent les théories sous-jacentes et les processus. Par conséquent, l’extrapolation des résultats de telles recherches évaluatives à des programmes susceptibles d’être similaires est limitée. Nous présentons des données sur la théorie sous-jacente du programme et son processus (les activités menées dans le cadre du programme [Contandriopoulos et al. 1992]) afin de faciliter la comparaison, par nos lecteurs, des caractéristiques du programme à l’étude à celles d’autres interventions similaires.

Méthodes

La population à l’étude est composée des membres des syndicats locaux, appartenant à une grande centrale syndicale québécoise, qui sont susceptibles de participer au programme de formation. Nous avons fait appel à un devis de recherche prétest, post-test avec groupe témoin non équivalent. La participation au programme de formation étant volontaire, la possibilité d’assigner les sujets de manière aléatoire aux groupes exposé et témoin était exclue.

Nous avons utilisé une méthode d’échantillonnage par grappe afin de recruter les sujets de l’étude. L’échantillon du groupe exposé est composé de 65 délégués syndicaux qui ont participé à quatre sessions de formation dispensées entre les mois de février et de novembre 1999. Ces sessions regroupaient 18 personnes en moyenne. Chacune des sessions était dispensée par deux formateurs sur une période de trois journées consécutives, conformément au programme prescrit. Le prétest a été administré au début de la première journée de formation alors que le post-test a été complété à la fin de la troisième et dernière journée de formation.

Les sujets du groupe témoin ont été recrutés parmi des membres des syndicats locaux exposés à d’autres programmes de formation que celui faisant l’objet de la présente étude, entre les mois de novembre 1997 et février 2000 (n = 60). Ils ont participé à six programmes de formation portant sur les thèmes suivants : le bruit, l’organisation du travail (deux groupes), et le délégué syndical (trois groupes). Les activités de ces programmes étaient réparties sur trois jours, comme pour le programme à l’étude. Dans tous les cas, le prétest a été administré au début de la première journée de cours alors que le post-test a été complété à la fin de la dernière journée.

Nous avons procédé à une étude exploratoire afin d’identifier les effets attendus du programme, soit les objectifs d’apprentissage et leur contenu notionnel, « la matière à apprendre ou l’objet de l’habileté à développer » (Tousignant et Morissette 1990 : 48). Pour ce faire, nous avons adopté une démarche itérative comportant les trois étapes suivantes : (1) recueillir et analyser le contenu de données issues du matériel pédagogique utilisé par les formateurs et les participants, puis le compte rendu textuel d’une session de formation que nous avons enregistrée sur bande sonore, (2) valider nos résultats préliminaires auprès de la personne responsable de la formation en santé et sécurité au travail de la centrale, et (3) confronter nos résultats à des cadres conceptuels susceptibles de contenir des objectifs d’apprentissage pertinents au programme à l’étude. L’analyse de contenu du matériel pédagogique nous a permis d’identifier les 32 thèmes sur lesquels la formation portait. Nous avons utilisé ces thèmes pour effectuer une première codification du compte rendu textuel de la session à l’aide du logiciel Atlas Ti.

Les objectifs d’apprentissage relatifs au thème des accidents de travail qui fait l’objet du présent article, identifiés suite à l’analyse qualitative des résultats de cette étude, sont les suivants : (1) comprendre que les accidents de travail ont plusieurs causes, (2) être capable d’identifier ces causes, (3) être capable d’identifier des mesures pour éviter l’occurrence d’accidents et (4) attribuer les accidents de travail à des risques environnementaux dont les employeurs sont responsables.

La durée prescrite des activités de formation qui les concernent est de 75 minutes alors que celle que nous avons observée était de 120 minutes. Cet écart serait attribuable aux trois dimensions suivantes de la théorie sous-jacente au programme élaborée par ses concepteurs : (1) l’objectif ultime du programme est d’amener les participants à mobiliser les travailleurs de leur entreprise de manière à ce qu’ils fassent pression sur les dirigeants de leur entreprise pour éliminer les sources de risque des lésions professionnelles, (2) pour que le programme produise cet objectif ultime, il doit au préalable amener les participants à attribuer l’ensemble des lésions professionnelles aux conditions de travail, (3) ces dernières relèvent de la responsabilité des employeurs, (4) il serait inutile de poursuivre la formation si les objectifs du premier bloc du cours n’étaient pas été atteints.

Les deux cadres conceptuels suivants nous sont apparus pertinents pour conceptualiser les objectifs de la centrale identifiés précédemment sous forme d’objectifs d’apprentissage, soit (1) la taxonomie des objectifs pédagogiques (Bloom et al. 1969), et (2) la théorie de l’attribution (Dubois 1996).

La taxonomie des objectifs pédagogiques fait référence à des manifestations cognitives de l’apprentissage, soit des connaissances, des habiletés et des capacités intellectuelles. Elle regroupe six niveaux d’apprentissage, subdivisés en sous-catégories et ordonnancés de manière hiérarchique en fonction de leur degré d’abstraction et de complexité. Il s’agit des catégories suivantes : l’acquisition de connaissances, la compréhension, l’application, l’analyse, la synthèse et l’évaluation. La connaissance fait référence au simple rappel de faits, de méthodes, de processus, de modèles, de structures ou d’ordres. La compréhension consiste à connaître l’information qui est communiquée et à savoir s’en servir, sans nécessairement établir de lien avec d’autres informations ni à en saisir toute la portée. L’application et l’analyse sont respectivement définies comme « l’utilisation des représentations abstraites dans des cas particuliers et concrets » et la « séparation des éléments ou parties constituantes d’une communication de manière à éclaircir la hiérarchie relative des idées et des rapports entre les idées exprimées ». La synthèse est une opération qui consiste à réunir et à combiner des éléments de manière à « former un plan ou une structure que l’on ne distinguait pas clairement auparavant ». Enfin, l’évaluation consiste à porter un jugement de valeur sur un objet dans un but précis. Ce cadre conceptuel nous a permis de cerner deux des objectifs d’apprentissage à l’égard du thème des accidents du travail, soit la compréhension des facteurs contributifs des accidents et l’application de connaissances à l’égard de leur prévention.

L’attribution est « une explication, un jugement porté, une inférence faite a posteriori sur un événement précis » (Dubois 1996). Il porte sur les lieux de causalité de cet événement qui peuvent être d’ordre interne (les causes étant attribuées à des caractéristiques de l’individu impliqué dans l’événement) ou externe (les causes étant attribuées à des facteurs d’origine environnementale). Ce concept nous est apparu pertinent pour qualifier l’un des effets attendus de la formation, soit l’habileté des individus formés à expliquer l’occurrence d’accidents de travail en fonction de facteurs environnementaux (problèmes d’organisation de travail, d’outils inadéquats, etc.), plutôt que de les attribuer à l’adoption de comportements à risque par les travailleurs victimes des accidents. Il s’agit de la pierre angulaire de la théorie sous-jacente au programme élaborée par la centrale. Ainsi, l’attribution des lésions professionnelles à des causes d’ordre externe est l’un des objectifs intermédiaires du programme de formation.

Nous avons créé un tableau de spécification des objectifs d’apprentissage, de leur contenu notionnel et de leur importance relative (Tousignant et Morissette 1990 ; Desnoyers et al. 1997). Nous avons estimé l’importance relative des objectifs et de leur contenu en fonction de la proportion du temps (réel sur prescrit) qui leur a été accordée par les formatrices de la session observée, et des commentaires de la personne responsable des cours de santé et sécurité au travail de la centrale.

Ces différentes étapes nous ont permis de construire un instrument de mesure qui reflétait l’importance relative des effets attendus du programme qui devaient être mesurés. Il s’agit d’un questionnaire auto-administré qui comportait des questions relatives aux effets attendus du programme et aux caractéristiques des sujets qui nous permettraient de contrôler les éventuels biais de sélection pouvant altérer la validité interne de notre étude. Rappelons que les résultats que nous présentons concernent un seul des thèmes de la formation, soit les accidents du travail.

Nous avons soumis les objectifs d’apprentissage et leur contenu notionnel de même que la formulation de nos questions au responsable de la formation en santé et en sécurité au travail de la centrale afin d’en valider le contenu. Nous avons mesuré l’ensemble des variables dépendantes, correspondant aux effets attendus du programme et qui font l’objet du présent article à l’aide du cas suivant :

Diane est technicienne de laboratoire. Elle porte des moyens individuels de protection dans le cadre de ses activités. Il s’agit d’un sarrau, de gants, de lunettes, d’un chapeau et d’un masque respiratoire. Elle travaille dans un environnement dont la température varie entre 25 et 35 degrés Celsius. Cette température élevée est due essentiellement à la proximité d’appareils de stérilisation. À la chaleur, le port de l’équipement devient particulièrement irritant et il arrive que Diane l’enlève. Un jour, dans cette situation, Diane est brûlée au 2e degré par les gaz échappés au moment de l’ouverture de l’appareil de stérilisation.

Les trois questions suivantes ont été utilisées : (1) Quelle(s) est (sont) la ou les causes de cet accident ? (2) Comment cet accident aurait-il pu être évité ? (3) Qui est responsable de cet accident ? Le programme de formation prévoit l’utilisation de cinq cas comparables à celui que nous avons utilisé, suivis de questions identiques aux nôtres.

La première question de notre instrument de mesure était ouverte. Elle visait à mesurer la compréhension des sujets du phénomène accidentel. Il s’agit également d’une mesure de l’attribution des causes d’accidents. Nous avons répertorié l’ensemble des réponses fournies par les sujets. Chacune des réponses fournies a fait l’objet d’une évaluation normative par les chercheurs responsables du projet. Cette évaluation portait sur la plausibilité théorique de la réponse. Puis, les réponses plausibles à la première question ont été codifiées à nouveau dans les deux catégories suivantes : causes individuelles et causes environnementales. Enfin, nous avons calculé pour chaque sujet le nombre de réponses appartenant à chacune de ces catégories. Il s’agit des deux premiers effets attendus mesurés ou variables dépendantes, soit le nombre de causes individuelles plausibles et le nombre de causes environnementales plausibles de l’accident décrit dans le cas, énumérées par les sujets.

La deuxième question était ouverte. Elle visait à mesurer l’application des connaissances acquises à l’égard de la prévention des accidents de travail. Les réponses plausibles à la deuxième question ont également été codifiées dans les deux catégories suivantes : (1) actions individuelles plausibles de la part de la travailleuse et (2) actions plausibles de la part des employeurs. Il s’agit de nos troisième et quatrième effets attendus ou variables dépendantes, soit le nombre d’actions individuelles et le nombre d’actions organisationnelles plausibles qui auraient pu être menées pour prévenir l’accident décrit dans le cas, énumérées par les sujets.

La troisième question comportait les deux sous-questions suivantes dont les réponses étaient mesurées à l’aide d’échelles visuelles analogues : (1) indiquez le pourcentage de responsabilité de l’employeur dans cet accident, et (2) indiquez le pourcentage de responsabilité de la travailleuse dans cet accident. Les pourcentages de responsabilité de l’employeur et de la travailleuse sont les deux derniers effets attendus ou variables dépendantes. Il s’agit de variables continues, dont la valeur peut varier entre 0 et 10, qui visent à mesurer l’attribution des causes d’accidents.

Nous avons fait appel aux trois variables suivantes afin de vérifier la présence potentielle d’un biais de sélection entre les groupes exposé et témoin : (1) le nombre de mois d’expérience au sein d’un comité de santé et de sécurité du travail, (2) le nombre de mois d’expérience à titre de délégué syndical et (3) l’exposition antérieure à un cours de formation syndicale de santé et de sécurité du travail.

Nous avons fait appel à des questions ouvertes pour mesurer les deux premières variables qui sont de nature continue. Nous avons attribué une valeur nulle à ces deux variables lorsque les sujets ne possédaient aucune expérience. Pour la troisième variable qui est dichotomique, nous avons demandé aux sujets d’identifier les programmes de formation qu’ils avaient suivis à partir d’une liste de 23 programmes identifiés par la centrale. L’exposition antérieure à l’un ou l’autre de trois programmes pertinents (Actions en prévention, Organisation du travail et Plaideurs à la Commission de la santé et de la sécurité du travail) recevait un code signifiant la présence d’une formation en santé et en sécurité du travail. Nous avons tenté, à l’aide de ces trois variables, d’estimer le niveau de compétence en santé et en sécurité du travail des sujets lors du prétest.

Nous avons effectué des analyses descriptives des variables dépendantes et de contrôle, de même que des analyses bivariées pour comparer nos groupes. L’appartenance au groupe exposé ou témoin correspond à la variable indépendante.

Dans un premier temps, nous avons vérifié s’il existait des différences significatives entre le groupe exposé et le groupe témoin à l’égard des variables de contrôle en faisant appel à des tests de t (expérience dans un comité de santé et sécurité au travail et à titre de délégué syndical) et des tests de chi carré (nombre de sujets ayant une expérience dans un comité de santé et sécurité au travail et ayant occupé une fonction de délégué syndical, et formation antérieure en santé et sécurité au travail). Comme le montre la figure 1, nous avons évalué les écarts entre les groupes pour chacune des variables dépendantes à l’aide de test de t : (1) prétest vs post-test pour le groupe exposé (C1) et pour le groupe témoin (C2) ; (2) prétests des groupes exposé vs témoin (C3), et (3) post-tests des groupes exposé et témoin (C4) .

Figure 1

Méthodes d’analyses bivariées pour les variables dépendantes

Méthodes d’analyses bivariées pour les variables dépendantes

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Nos analyses multivariées avaient pour objectif d’estimer l’effet de l’exposition au programme de formation sur chacun des six effets attendus du programme. L’exposition au programme, mesurée de manière dichotomique selon que les sujets appartenaient au groupe exposé ou témoin constitue la variable indépendante. Les résultats obtenus par les sujets concernant les effets attendus du programme, mesurés lors du post-test, correspondent aux six variables dépendantes. Par ailleurs, les résultats du prétest pour chacune des six mesures des effets ont été inclus dans nos analyses à titre de variables de contrôle, de manière à estimer l’effet net de la formation, soit le degré d’apprentissage des sujets entre la période qui précédait la formation (prétest) et celle qui la suivait (post-test).

Les interactions entre la sélection, d’une part, et l’accoutumance au test, la maturation et l’histoire, d’autre part, sont des biais susceptibles de menacer la validité interne d’une étude basée sur un devis comme le nôtre (Contandriopoulos et al. 1980). En effet, l’absence d’une assignation aléatoire des sujets entre le groupe exposé et le groupe témoin peut faire en sorte que les groupes présentent des caractéristiques différentes susceptibles d’être à l’origine d’un éventuel écart entre leurs résultats respectifs, entraînant ainsi un biais de sélection. Or, si de telles différences font en sorte qu’un groupe est plus sensible à un biais d’accoutumance au test, de maturation ou d’histoire que l’autre groupe, la validité de la relation observée entre l’exposition au programme et ses effets est altérée.

Nous avons fait appel à trois variables mesurant les compétences des sujets en SST afin de tenter de contrôler la présence potentielle d’un biais d’interaction entre la sélection et l’accoutumance au test. Un biais d’accoutumance au test apparaît lorsque les réponses au post-test sont altérées par l’utilisation de l’instrument de mesure des effets lors du prétest. Dans le cas de cette étude, nous avons postulé que les trois variables de contrôle permettaient d’estimer les compétences acquises en santé et sécurité au travail avant l’exposition au programme. Il était plausible que la connaissance des questions relatives aux effets attendus du programme, acquise lors de l’administration du prétest, entraîne une réflexion pouvant modifier en soi les réponses données lors du post-test plus particulièrement chez les sujets qui possédaient des compétences en santé et sécurité au travail au moment du prétest.

Un biais de maturation altère la validité interne des résultats lorsque les sujets subissent des changements, liés au temps entre le prétest et le post-test, susceptibles d’altérer leurs résultats post-test. Un biais d’histoire est présent lorsque les sujets sont exposés à une autre intervention qui poursuit des objectifs similaires à celle faisant l’objet de la recherche évaluative, entre le prétest et le post-test. Nous avons administré les questionnaires post-test lors de la dernière journée de formation, soit trois jours après le début de la formation dans les deux groupes, afin de tenter de réduire au minimum la probabilité d’interaction entre d’éventuels biais de sélection et de maturation et d’histoire.

Nos analyses descriptives ont révélé que les quatre premières variables dépendantes (le nombre de causes individuelles et de causes environnementales plausibles de l’accident et le nombre d’actions individuelles et organisationnelles plausibles qui auraient pu être menées pour prévenir l’accident) suivaient une distribution de Poisson. Pour les analyses finales nous avons donc regroupé les réponses en deux catégories, soit la présence ou l’absence de réponses plausibles. Puis nous avons soumis nos données à des analyses de régression logistique multiple. Nous avons utilisé la méthode de sélection des variables progressive hiérarchique. La sélection des variables a été réalisée à l’aide du ratio des logarithmes naturels de vraisemblance (likelihood ratio). Les deux méthodes suivantes nous ont permis d’évaluer le degré d’ajustement du modèle : (1) la comparaison des valeurs prédites aux valeurs observées, et (2) le rapport de vraisemblance. Enfin, les deux dernières variables dépendantes ont été soumises à des analyses de régression linéaire multiple. Nous avons fait appel à la méthode de sélection des variables progressive hiérarchique.

Résultats

Caractéristiques des groupes

Les taux de réponse des groupes exposé et témoin sont respectivement de 80 % et de 90 %. Toutefois, après avoir retiré les questionnaires qui ne contenaient pas l’ensemble des données utiles aux analyses présentées dans cet article, les taux de réponse chutent à 65 % (groupe exposé) et à 70 % (groupe témoin), chacun des groupes étant composé de 42 sujets.

Les résultats de nos analyses descriptives indiquent que 30 sujets du groupe exposé et 10 sujets du groupe témoin ont été membres d’un comité de santé et de sécurité du travail. La différence entre les groupes est statistiquement significative (p = 0,000). Le nombre moyen de mois d’expérience dans un comité était respectivement de 7,3 mois (s = 9,6) chez les sujets du groupe exposé au programme et de 11,1 mois (s = 22,1) chez les sujets du groupe témoin. Cet écart entre les groupes n’est pas statistiquement significatif (p = 0,456).

Le nombre de sujets possédant une expérience de délégué syndical est réparti comme suit entre les groupes exposé et témoin : 23 et 34. La différence est statistiquement significative (p = 0,009). Le nombre moyen de mois d’expérience dans cette fonction s’élève à 11,1 mois (s = 22,1) chez le groupe exposé et à 36,4 mois (s = 66,0) chez le groupe témoin (p = 0,021).

Par ailleurs, les pourcentages respectifs des groupes exposé et témoin d’individus ayant suivi d’autres programmes de formation en santé et sécurité au travail que le programme à l’étude sont de 2 % et de 33 % pour le groupe témoin. Cette proportion élevée dans le groupe témoin n’est pas surprenante puisque le contenu de trois des six programmes, dans lesquels nous les avons recrutés, portait en partie sur des aspects liés à la santé ou à la sécurité du travail. Nous n’avons pu effectuer de test de chi carré pour cette variable puisqu’une cellule contenait moins de cinq sujets. Les résultats des analyses bivariées et l’importance de l’écart observé entre les groupes à l’égard de formations antérieures en santé et sécurité au travail semblent indiquer la présence d’un biais de sélection entre les groupes.

Les résultats des analyses bivariées

Les analyses bivariées présentées dans les tableaux 1 et 2 révèlent la présence d’une seule différence statistiquement significative entre les groupes exposé et témoin en ce qui concerne les résultats au prétest (C3 de la figure 1). Il s’agit de l’appréciation de la responsabilité de l’employeur pour l’accident décrit dans le cas soumis aux sujets. Le groupe exposé accorde au départ une plus faible responsabilité à l’employeur que ne le fait le groupe témoin (5,45 ± 3 vs 6,82 ± 3,02). La présence d’un tel écart significatif indique la présence d’un biais de sélection, pour cette variable, dont nous contrôlons l’effet dans les analyses finales par l’inclusion des résultats du prétest à titre de variable de contrôle.

Chez le groupe exposé, nous observons des différences statistiquement significatives entre les résultats du prétest et ceux du post-test (C1), et ce, pour chacun des effets attendus du programme. Le nombre de causes individuelles de l’accident identifiées par les sujets de même que la variation intragroupe diminuent sensiblement entre le prétest et le post-test alors que le nombre de causes environnementales augmente. Nous observons le même phénomène pour la mesure d’application des connaissances concernant les actions individuelles et organisationnelles pouvant être mises de l’avant pour prévenir les accidents de travail. Enfin, le pourcentage de responsabilité attribué à la travailleuse diminue de manière importante alors que celui attribué à l’employeur augmente.

Chez les témoins, nous observons que les moyennes prétest et post-test (C2) de quatre variables font l’objet de différences statistiquement significa-tives. Le nombre moyen de causes environnementales (¯xpré = 0,944 ; ¯xpost = 0,679) et d’actions organisationnelles (¯xpré = 1,00 ; ¯xpost = 0,714) diminue entre le prétest et le post-test, ce qui correspond à l’inverse de ce que le programme de formation vise à atteindre. Par ailleurs, le pourcentage de responsabilité que les témoins attribuent à l’employeur augmente (¯xpré = 6,82 ; ¯xpost = 7,59) alors que celui attribué à la travailleuse diminue (¯xpré = 4,80 ; ¯xpost = 3,22). L’écart entre les résultats du prétest et du post-test observé chez le groupe témoin peut indiquer la présence d’un biais d’accoutumance au test pour ces variables.

Tableau 1

Résultats descriptifs et analyses comparatives des résultats prétest et post-test (n = 84)

Résultats descriptifs et analyses comparatives des résultats prétest et post-test (n = 84)
p

probabilité que les différences observées entre les moyennes adjacentes soient liées au hasard

*

différence statistiquement significative

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Tableau 2

Résultats descriptifs et analyses comparatives des résultats des groupes témoin et exposé (n = 84)

Résultats descriptifs et analyses comparatives des résultats des groupes témoin et exposé (n = 84)
p

probabilité que les différences observées entre les moyennes adjacentes soient liées au hasard

*

différence statistiquement significative

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Enfin, nous avons comparé les résultats post-test des groupes exposé et témoin (C4). Nos analyses révèlent la présence de différences significatives entre les groupes et ce pour chacune des variables dépendantes. Le nombre de causes individuelles d’accidents est inférieur alors que le nombre de causes organisationnelles est supérieur chez le groupe exposé au programme. Nous observons le même phénomène pour le nombre d’actions individuelles et organisationnelles visant à prévenir l’accident. Enfin, le pourcentage de responsabilité attribué à l’employeur est supérieur dans le groupe exposé alors que celui attribué à la travailleuse est plus faible. Ces résultats sont conformes à la théorie sous-jacente au programme.

Les résultats des analyses multivariées

Seules les analyses multivariées permettent de vérifier si les changements observés chez le groupe exposé peuvent être attribuables au programme de formation. Elles nous permettent également d’estimer l’importance relative de l’effet du programme sur ces changements. Nous avons regroupé les résultats de nos analyses de régression logistique dans le tableau 3 alors que ceux obtenus à l’aide d’analyses de régression linéaire multiple apparaissent dans le tableau 4.

Tableau 3

Résultats des analyses de régression logistique (n = 84)

Résultats des analyses de régression logistique (n = 84)

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Tableau 4

Résultats des analyses de régression linéaire multiple (n = 84)

Résultats des analyses de régression linéaire multiple (n = 84)

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L’exposition au programme de formation est la seule variable associée de manière statistiquement significative à la probabilité qu’un sujet attribue une cause individuelle à l’accident lors du post-test. Nos résultats indiquent que le programme réduit cette probabilité : le ratio de cotes étant de 0,141, les sujets ayant participé au programme de formation à l’étude ont une probabilité de 85,9 % inférieure aux sujets du groupe témoin d’identifier une cause individuelle d’accident après la formation. Deux variables permettent d’expliquer la probabilité qu’un sujet réfère à une cause environnementale. Il s’agit des résultats au prétest et de l’exposition au programme. Une fois l’effet des résultats du prétest contrôlés, cette probabilité est quatre fois plus grande pour le groupe qui a participé au programme que pour le groupe témoin. En somme, il semble que le programme de formation atteigne l’un de ses objectifs, soit d’accroître la compréhension du rôle des facteurs environnementaux sur l’occurrence d’accidents de travail.

Aucune variable ne permet d’expliquer les résultats obtenus au post-test concernant la probabilité d’identifier des actions individuelles de prévention de l’accident exposé dans notre cas. Par contre, les résultats du prétest et l’exposition au programme sont associés, de manière statistiquement significative, à la probabilité d’identifier des actions organisationnelles. Le programme de formation augmente de quatorze fois la probabilité que les sujets identifient au moins une cause organisationnelle, après que l’effet des résultats du prétest ait été contrôlé.

Nos deux modèles de régression multiple linéaire en respectent les prémisses, tel que l’ont révélé les analyses résiduelles et les analyses des corrélations entre les variables indépendantes et de contrôle. Le coefficient de corrélation le plus élevé était de 0,415 (p = 0,000) ; il concernait le nombre de mois d’expérience en santé et sécurité au travail et l’ancienneté dans une fonction de délégué syndical.

Trois variables sont positivement associées, et de manière statistiquement significative au pourcentage de responsabilité attribué à l’employeur. Elles expliquent 30,4 % de la variation de cette variable. L’exposition au programme est la variable qui semble avoir l’effet le plus important, suivie des résultats au prétest, puis de la présence d’une formation. Enfin, deux variables ont été retenues pour expliquer la variation du pourcentage de responsabilité attribuée à la travailleuse. Elles en expliquent 17,8 %. L’exposition au programme a un effet négatif sur notre variable dépendante, alors que les résultats du prétest lui sont associés de manière positive. Ces résultats semblent indiquer que le programme de formation favorise l’acquisition d’une attribution externe à l’égard des accidents.

Discussion

Les résultats que nous avons présentés dans le cadre du présent article font partie d’une recherche évaluative plus vaste qui avait pour objectif général de vérifier si un programme de formation de base en santé et en sécurité du travail, dispensé par une centrale syndicale à ses membres, produisait ses effets attendus. Il s’agit d’un type de recherche évaluative, soit une analyse des résultats selon le cadre conceptuel de Contandriopoulos et al. (1992). Nous avons entrepris cette recherche après avoir constaté qu’il existait peu d’écarts entre le programme prescrit et celui qui était implanté. Afin d’analyser les résultats du programme de formation, nous avons fait appel à une stratégie de recherche expérimentale invoquée et plus particulièrement à un devis prétest post-test avec groupe témoin non équivalent puisqu’il était impossible d’assigner aléatoirement les sujets entre le groupe exposé au programme et le groupe témoin, la mise en oeuvre du programme et le recrutement des participants étant sous le contrôle de la centrale, de ses instances régionales et des syndicats qui la composent. En de telles circonstances, le choix d’un tel devis est optimal puisqu’il réduit au minimum le nombre de biais susceptibles d’altérer la validité interne des résultats (Contandriopoulos et al. 1980).

Nous avons tenté de prévenir l’occurrence d’un biais de sélection en constituant notre groupe témoin de sujets dont les caractéristiques risquaient d’être similaires à celles des sujets du groupe exposé au programme de formation. Puisque l’expérience syndicale était une variable importante, nous avons recruté les sujets du groupe témoin dans des programmes de formation destinés à des membres actifs dans leurs syndicats respectifs. Nous avons également vérifié s’il existait des différences entre nos groupes à l’aide de nos variables de contrôle. Nos résultats ont indiqué que les sujets du groupe exposé comportaient trois fois plus de membres de comités de santé et de sécurité du travail, mais que la durée de leur expérience en la matière n’était pas statistiquement différente de celle du groupe témoin. Pour leur part, les témoins comportaient plus de membres agissant comme délégué syndical (une fonction de portée plus générale) et pour une durée trois fois plus longue. Les sujets du groupe témoin avaient également suivi plus de programmes de formation dans différents domaines afférents à la santé et à la sécurité du travail. Toutefois, nos analyses bivariées portant sur la comparaison des résultats prétest des groupes exposé et témoin semblent indiquer que la validité d’un seul résultat risquait d’être menacée par un biais de sélection. Il s’agit de la responsabilité de l’accident attribuée par nos sujets à l’employeur, celle-ci étant d’emblée supérieure dans le groupe témoin. Les effets potentiels d’un biais de sélection ont été contrôlés lors de nos analyses multivariées par l’inclusion des résultats du prétest des groupes exposé et témoin à titre de variables de contrôle et la comparaison des résultats post-test entre ces groupes. L’inclusion de nos variables de contrôle relatives à l’expérience dans un comité de santé et sécurité au travail et comme délégué syndical, de même que la présence de formation antérieure en santé et sécurité au travail, dans les analyses de régression, nous a permis de contrôler le biais d’interaction potentiel entre la sélection et l’accoutumance au test. Le temps écoulé entre les pré et post-tests des groupes exposé et témoin étant identique et faible, il est très peu probable qu’un biais d’interaction entre la sélection et la maturation ait pu altérer la validité interne de notre étude. Cependant, en raison des différences existant entre nos groupes à l’égard du nombre de travailleurs membres de comités de santé et sécurité du travail, il est possible qu’un biais d’interaction entre la sélection et l’histoire ait pu se produire : un tel biais serait lié dans notre cas à l’influence chez le groupe exposé d’événements relatifs à la santé et à la sécurité au travail extérieurs au programme de formation, tel qu’un accident de travail important impliquant l’un de leurs collègues, qui se seraient produits pendant la formation et qui auraient pu influencer les réponses des sujets lors du post-test. Toutefois, nous croyons que le risque d’un tel biais est minime puisque les sujets ne retournaient pas dans leur milieu de travail entre le prétest et le post-test.

L’utilisation des résultats du prétest à titre de variable de contrôle nous a permis de distinguer les effets relatifs du programme de ceux des compétences acquises par les sujets avant l’exposition au programme en ce qui concerne les effets attendus du programme. Nos analyses bivariées révèlent que le groupe exposé présente un plus grand nombre de changements statistiquement significatifs entre les mesures du prétest et celles du post-test. Toutes les différences sont statistiquement significatives et vont dans le sens des objectifs de la formation selon lesquels les participants doivent comprendre que les accidents sont liés à un nombre important de facteurs, qu’ils doivent les attribuer à des causes externes plutôt qu’internes et qu’ils doivent en attribuer la responsabilité à l’employeur plutôt qu’à la travailleuse victime de l’accident.

Chez les témoins, deux des questions ne subissent pas de modification entre le prétest et le post-test : les témoins attribuent le même poids aux causes individuelles des accidents et préconisent le même nombre d’actions individuelles pour en prévenir l’occurrence. Il ne semble donc pas y avoir de biais d’accoutumance au test pour ces variables. Par ailleurs en post-test, les témoins attribuent plus de responsabilité à l’employeur et moins à la travailleuse à l’égard de l’accident. Ce changement qui va dans le sens souhaité par le programme de formation semble bien ne pouvoir résulter que d’un effet d’accoutumance au test. Tout se passe comme si, en réfléchissant de nouveau aux questions posées, on rajustait le tir. Nous ne pouvons par ailleurs éliminer la possibilité que les témoins aient discuté entre eux de ces questions entre les deux mesures, puisqu’ils se côtoyaient dans le cadre du programme de formation. Cependant, pareilles considérations ne tiennent pas compte des autres changements observés dans les réponses des sujets du groupe témoin. En post-test, ceux-ci invoquent moins de causes environnementales à l’accident et proposent moins d’actions organisationnelles qu’en prétest. Ce phénomène est paradoxal : on aurait pu s’attendre à ce que ces réponses ne changent pas et le fait que leur évolution se fasse dans le sens contraire aux effets attendus de la formation résiste à l’analyse.

La comparaison des mesures post-test, des groupes exposé et témoin, se traduit par des différences significatives qui vont dans le sens des effets attendus du programme de formation. Toutefois, les changements ne semblent pas résulter des mêmes causes.

Dans le cas de l’attribution des accidents à des causes individuelles, les résultats des témoins ne changent pas entre le prétest et le post-test, alors que ceux des cas diminuent conformément aux attentes. Dans les analyses multivariées, seule l’exposition au programme de formation est associée à cet effet attendu. Il semble donc que le programme atteigne pleinement son objectif.

L’attribution des accidents à des causes environnementales est significativement plus importante en post-test chez le groupe exposé que chez le groupe témoin. On pourrait croire que c’est le changement paradoxal du groupe témoin qui induit les différences entre le pré et le post-test de ce groupe. Or la comparaison pré-post chez le groupe exposé indique que leur attribution a significativement augmenté, ce qui semble indiquer un effet de la formation. Cette interprétation est modulée par les résultats des analyses multivariées selon lesquels les résultats du prétest et l’exposition au programme sont associés à la probabilité d’attribuer l’accident à des causes environnementales.

La préconisation d’actions individuelles en matière de prévention ne change pas chez le groupe témoin, alors qu’elle diminue chez le groupe exposé, conformément aux objectifs du programme. En post-test, le groupe exposé se démarque encore significativement des témoins. On peut croire ici à l’atteinte des objectifs du programme. Cependant, paradoxalement, les analyses multivariées ne font ressortir aucun facteur significatif qui puisse expliquer les changements.

Il en va un peu différemment pour ce qui est des actions organisationnelles préconisées. En post-test, le groupe exposé y recourt significativement plus que les témoins. Cela pourrait résulter d’un autre changement paradoxal chez ces témoins, qui préconisent moins ces actions en post-test qu’en prétest. Mais il y a en même temps une augmentation significative de ce choix chez les exposés, et les analyses multivariées mettent au premier plan l’effet de la formation, ce qui conforte une interprétation favorable à l’atteinte des objectifs de la formation.

L’appréciation de la responsabilité des employeurs fait l’objet de la seule différence significative entre témoins et exposés en prétest, les témoins la considérant plus importante. Ces témoins vont, en post-test, augmenter leur attribution de façon significative. En pareilles circonstances, le fait que les exposés attribuent une plus grande responsabilité aux employeurs que les témoins lors du post-test est assez marquant. La variabilité, selon les analyses multivariées, est attribuable surtout au programme, mais aussi aux résultats du prétest et à l’ensemble des autres formations reçues.

Enfin, l’attribution de la responsabilité à la travailleuse est significativement plus faible chez le groupe exposé que chez le groupe témoin en post-test, tel qu’attendu. Pourtant le groupe témoin a atténué la part de responsabilité de la travailleuse entre le pré et le post-test, mais le groupe exposé l’a fait de façon plus marquante. Ici encore, les analyses multivariées confirment que la variation est liée au programme de formation mais qu’elle est aussi marquée par les résultats du prétest.

Les résultats des analyses multivariées indiquent que le programme de formation à l’étude est associé, de manière statistiquement significative, à cinq de ses six effets attendus. Le programme entraînerait, tel que prévu, une amélioration de la compréhension des facteurs contributifs des accidents telle que souhaitée par la centrale syndicale. Cette amélioration se traduit par une moins grande probabilité, chez les sujets du groupe exposé au programme, d’attribuer des causes individuelles à l’accident décrit dans notre instrument de mesure, et une plus grande probabilité pour ces sujets de lui attribuer des causes environnementales. Le programme favoriserait également l’application des connaissances enseignées par la centrale à l’égard de la prévention des accidents. Cet apprentissage se traduit par une plus grande probabilité, pour les sujets du groupe exposé, d’identifier une action organisationnelle susceptible de prévenir l’accident décrit. Enfin, le programme de formation augmente le pourcentage d’attribution externe de l’accident et réduit le pourcentage d’attribution interne.

La présence d’une formation antérieure en santé et sécurité au travail est associée au pourcentage de responsabilité attribuée à l’employeur. Par ailleurs, cet effet attendu du programme était le seul pour lequel nous avions observé, lors des analyses bivariées, une différence significative entre les résultats du prétest des groupes exposé au programme et témoin. Ces résultats semblent indiquer la présence d’un biais d’accoutumance au test chez les sujets qui avaient déjà participé à une formation en santé et en sécurité au travail. L’inclusion de cette variable dans nos analyses nous a permis non seulement d’en estimer l’effet mais aussi de faire en sorte que l’estimation de l’effet du programme de formation ne soit pas altérée par sa présence.

Par ailleurs, nos analyses ne nous ont pas permis de vérifier la présence de relation entre le programme et la probabilité qu’un sujet identifie des actions individuelles susceptibles de prévenir l’occurrence de l’accident décrit dans notre instrument de mesure. Aucune variable de contrôle n’est associée à cette variable dépendante. Il est plausible que l’absence de relation statistiquement significative entre le programme et cet effet attendu soit liée à une puissance statistique insuffisante puisque l’écart entre les résultats prétest et post-test était faible.

Nous avons tenté de réduire au minimum les biais pouvant affecter la validité externe de l’étude en recrutant des sujets dans quatre groupes. Les programmes auxquels ceux-ci ont participé ont été dispensés par des formateurs différents. Il est probable que nos résultats puissent être extrapolés à l’ensemble des programmes de base en santé et en sécurité du travail dont la centrale syndicale est responsable, et ce, pour les raisons suivantes : (1) nos taux de réponse étaient élevés (65 % et 70 %), et (2) dans le cadre d’une étude précédente, nous avons observé peu d’écart entre le programme prescrit et celui qui était implanté. Cet écart ne concernait que le temps consacré aux activités portant sur les thèmes abordés dans le cadre du présent article, la durée observée des activités étant supérieure à celle qui était prescrite dans le cahier du formateur.

Malheureusement nous ne pouvons comparer nos résultats à ceux d’autres études puisqu’il s’agissait de la première recherche évaluative portant sur un programme de formation syndicale dont la théorie sous-jacente avait été décrite. Une autre recherche évaluative a vérifié s’il existait une relation entre un programme de formation de santé et de sécurité du travail et ses effets attendus (Montreuil et al. 1997). Compte tenu de l’écart existant entre la théorie sous-jacente au programme que nous avons étudié et celle qui a été utilisée par cette équipe de recherche, nous ne pouvons en comparer les résultats.

Nos résultats ne pourraient être extrapolés qu’à des programmes de formation qui feraient appel à un processus similaire à celui du programme à l’étude. Sous la poussée de Freire (1983) et de Blondin (1980), la théorie sous-jacente au programme implique que les formateurs demandent constamment aux participants, par des méthodes actives et participatives, d’exprimer leurs connaissances et leurs perceptions, d’une part, sur les conditions de travail et sur leur santé, et, d’autre part, sur les comportements des personnes concernées par des problématiques de santé et de sécurité du travail (collègues de travail, employeur, inspecteurs de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, etc.). Ils doivent également demander aux participants d’exprimer ce qu’ils pensent des relations entre leur travail et leur santé. Le formateur doit interagir avec les participants soit pour renforcer ou pour modifier les opinions qu’ils exposent. Les résultats de notre étude descriptive de l’implantation du programme ont révélé que les activités de formation, utilisées dans le cadre du processus du programme, sont des quatre types suivants : (1) exposés théoriques dispensés par le formateur (environ 35 % du cours), (2) plénières au cours de laquelle le formateur demande des données aux participants (environ 5 % du cours), (3) discussions en sous-groupes des cas décrits dans le matériel pédagogique (environ 40 % du cours), et (4) plénières au cours desquelles un représentant de chacun des sous-groupes présente les résultats des discussions (environ 20 % du cours). Nous avons observé que le formateur jouait un rôle d’animation durant les plénières : il formulait des questions et marquait son approbation ou sa désapprobation à l’égard des réponses fournies par les participants. L’analyse du compte rendu textuel de la session que nous avons enregistrée sur bande sonore nous a permis de constater que les formateurs confrontaient les participants lorsque ceux-ci exprimaient des opinions différentes des effets attendus du programme. En général, l’interaction prenait fin lorsque le participant adoptait l’opinion du formateur. Il semble donc y avoir une concordance avec la théorie éducative à laquelle la centrale syndicale réfère (Freire 1983 ; Blondin 1980). Le processus du programme que nous venons de décrire risque d’entraîner un biais susceptible d’affecter la validité externe de notre étude. Il s’agit du désir de plaire à l’évaluateur. En effet, compte tenu des méthodes de confrontation utilisées par les formateurs, il est probable que les participants connaissent les effets attendus du programme et qu’ils soient tentés de se conformer aux objectifs de formation lorsqu’ils complètent le questionnaire post-test. Seules des observations des actions syndicales qu’ils mènent à leur retour dans leur milieu de travail permettraient de vérifier la valeur prédictive des mesures à court terme des effets de la formation que nous avons effectuées.

Conclusion

Notre étude a permis de vérifier la présence de relations entre un programme de formation de base, en santé et en sécurité du travail, dispensé par une centrale syndicale à ses membres, et cinq de ses effets attendus. Ceux-ci portaient uniquement sur un thème du programme, soit les accidents de travail. Selon la théorie sous-jacente au programme, l’apprentissage qu’il vise à produire est en lien direct avec l’action syndicale que la centrale met de l’avant. Il ne s’agit pas, dans le cadre de ce programme, de former des spécialistes de la santé et de la sécurité du travail, possédant des compétences techniques en la matière, mais plutôt des individus qui mobiliseront les travailleurs de leurs entreprises de manière à établir des rapports de force avec les dirigeants afin que ceux-ci s’engagent dans des activités d’élimination des sources de risque. Pour ce faire la centrale croit nécessaire de modifier avant tout les attributions de ses membres à l’égard des accidents, des attributions internes risquant d’entraîner la culpabilisation des travailleurs victimes d’accidents, ce qui freinerait leurs motivations à réclamer l’implantation de mesures d’élimination des sources d’accidents de travail dans leur entreprise.

Nos résultats semblent indiquer que ce programme produit la majorité des effets attendus relatifs au thème des accidents de travail. Par conséquent, nous ne recommandons pas à la centrale de le modifier. Par ailleurs, notre étude a permis de développer un instrument de mesure qui pourrait être utilisé par la centrale non seulement pour évaluer les effets de son programme mais aussi pour sélectionner les membres des syndicats qui pourraient en bénéficier.