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Depuis plus de dix ans, nous avons vu apparaître une publication abondante sur le rôle important de la gestion des ressources humaines dans la performance organisationnelle. Les premières publications ont cherché à établir des liens entre différentes pratiques individuelles, telles que la sélection, la formation ou l’évaluation du rendement et divers indicateurs de performance organisationnelle — l’hypothèse implicite étant que les effets de ces pratiques seraient additifs (Weber 1994 ; Becker et Gerhart 1996). Malgré des résultats parfois intéressants, la variance expliquée dans la prédiction de la performance organisationnelle à partir de pratiques considérées isolément s’est souvent révélée marginale. Cela a mené plusieurs chercheurs à affirmer que les pratiques individuelles ont un impact limité et que pour avoir un impact important sur la performance organisationnelle, les pratiques doivent être intégrées, c’est-à-dire cohérentes ou complémentaires (Schuler et Jackson 1988 ; Snell et Dean 1992 ; Arthur 1994 ; Huselid 1995 ; Ichniowski, Shaw et Prennushie 1995 ; Delaney et Huselid 1996 ; Fericelli et Sire 1996 ; Schuler 1998). La cohérence ou la complémentarité des pratiques de GRH fait référence à ce que les théoriciens appellent l’intégration horizontale (Wils, Le Louarn et Guérin 1991 ; Becker et Huselid 1998)[1]. La complémentarité s’intéresse donc à la cohérence interne des pratiques et des politiques de RH et relève des théories « configurationnelles ». Selon ces théories, la combinaison idéale de pratiques est celle qui atteint le plus haut niveau de cohérence interne, ayant alors le potentiel le plus élevé d’influer sur la performance organisationnelle (Wright et McMahan 1992).

Les chercheurs et théoriciens soutenant les théories « configurationnelles » cherchent à dériver des typologies idéales de pratiques de RH ayant une congruence élevée. Ces configurations sont appelées des systèmes de travail de GRH (HRM work systems) et, en théorie, elles maximiseraient la cohérence horizontale (Delery et Doty 1996).

Grappes de pratiques et performance organisationnelle

Ces configurations ou grappes de pratiques (bundles) prennent plusieurs noms, notamment « système de pratiques progressives ou novatrices » (Arthur 1994 ; MacDuffie 1995), « système à forte participation » (high-involvement management) (Lawler 1986) et « système à engagement élevé » (high-commitment management) (Ramsey, Scholarios et Harley 2000). Dans ces dernières appellations, les grappes se limitent presque uniquement aux pratiques destinées à développer l’engagement et la participation des employés (p. ex., la participation aux décisions, la rémunération incitative, le travail en équipe, la formation à la résolution de problèmes, etc.). Les grappes peuvent toutefois également comprendre des pratiques traditionnelles, appelées aussi pratiques techniques (Huselid, Jackson et Schuler 1997). C’est ce qui aurait amené Becker et Huselid (1998) à attribuer un nom plus générique aux grappes de pratiques de RH, soit celui de « systèmes de pratiques de travail à haute performance » (high-performance work systems). La distinction entre une pratique stratégique et une pratique technique demeure ambiguë car les pratiques techniques de GRH peuvent aussi influencer l’engagement si elles arrivent, de façon cohérente, à promouvoir ce type de comportements clés au sein de l’organisation.

La notion de complémentarité est étroitement associée au concept de grappes de pratiques. Ainsi, pour MacDuffie (1995), la complémentarité réfère à l’intégration de grappes de pratiques avec la logique organisationnelle que forment, par exemple, les systèmes de production (p. ex., les systèmes de production flexible) ou le type de technologie de production (p. ex., la production de masse). Dans ce contexte, une grappe de pratiques interreliées et en chevauchement fournirait aux travailleurs plusieurs avenues pour acquérir les connaissances et habiletés nécessaires à leurs tâches, de même que des incitatifs pour stimuler la motivation. La performance serait alors le produit de multiples facteurs non indépendants dont l’influence agirait en partie par le fait qu’ils sont redondants. Par contre, pour Ichniowski, Shaw et Prennushie (1997), la notion de complémentarité se limite à la présence de pratiques provenant de domaines distincts de pratiques de GRH, telle qu’une pratique de rémunération en lien avec une pratique d’évaluation du rendement, mais agissant en harmonie entre elles pour créer une synergie.

Les chercheurs qui se sont intéressés à l’effet des grappes de pratiques sur la performance organisationnelle ont obtenu des résultats encourageants, quoique parfois contradictoires. En effet, dans certaines études, la combinaison de certaines pratiques entraîne une amélioration de la prédiction de la performance organisationnelle (Arthur 1994 ; Kalleberg et Moody 1994 ; MacDuffie 1995 ; Pil et MacDuffie 1996 ; Becker et al. 1997 ; Ichniowski, Shaw et Prennushie 1997 ; Becker et Huselid 1998). Par contre, d’autres recherches ne révèlent pas de relation ou des relations très marginales (Delaney et Huselid 1996 ; Huselid 1995). Il est permis de penser que ces résultats s’expliqueraient en partie par des problèmes au niveau de la pertinence de certaines pratiques combinées dans la grappe et des liens logiques qui les unissent.

Choix des pratiques et mesures

Deux questions clés émergent des études sur les systèmes de RH. La première porte sur le choix des pratiques devant faire partie d’une grappe, lequel est souvent aléatoire (Wood 1999). En effet, certains chercheurs combinent plusieurs pratiques, sans justification ou critère de sélection, dans l’espoir que des relations synergiques en résulteront. Il devient alors difficile d’expliquer l’obtention d’une relation avec la performance organisationnelle puisque les liens entre les pratiques ne sont pas démontrés. La deuxième question vise le nombre approprié de pratiques à combiner pour qu’elles révèlent leur rôle dans la performance de l’organisation (Lahteenmaki, Storey et Vanhala 1998). Cette dernière question est cependant douteuse puisque l’important n’est pas tant le nombre de pratiques, mais leur pertinence et les relations logiques qui les unissent et qui déterminent concrètement leur potentiel synergique. Ce point de vue rejoint celui Becker et Gerhart (1996) qui soutiennent que si l’effet des meilleures pratiques existe, il est plus probable que ce soit dans l’architecture du système et pas seulement dans le choix des meilleures pratiques de RH.

Combiner les pratiques sur une base rationnelle ou empirique

Toutes les études citées précédemment partent du principe que la combinaison des pratiques produira un effet conjugué supérieur sur la performance organisationnelle en raison de leur complémentarité. Cependant, très peu de recherches démontrent explicitement l’existence de cette complémentarité ni, en fin de compte, la formation d’un système réel par les grappes de pratiques de RH. En effet, la plupart des recherches regroupent des pratiques de RH très générales et se penchent sur leurs relations avec la performance organisationnelle, sans toutefois présenter une analyse raisonnée ou un modèle explicatif des liens qui les unissent.

Quelques auteurs ont cherché à décrire les liens logiques qui expliqueraient la complémentarité des pratiques d’une grappe. Ainsi, Ichniowski, Shaw et Prennushie (1997) ont présenté des exemples de pratiques complémentaires et une analyse raisonnée de leur effet conjugué sur la performance organisationnelle. Dans le même sens, plusieurs auteurs ont tenté d’expliquer, au moyen d’exposés raisonnés, les liens entre certaines pratiques de GRH dans le contexte de la gestion d’équipe (Kandel et Lazear 1992 ; Milgrom et Roberts 1995) ou encore d’affectations spéciales (Carmichael, MacLeod et Bentley 1993). Des études de cas permettent aussi de documenter les liens logiques entre les pratiques à l’intérieur de milieux auxquels s’appliquent des contingences particulières (Hutchinson, Purcell et Kimie 2000 ; Pichault et Nizet 2000). Malgré leur pouvoir de généralisation limité, ces études ont l’avantage de présenter des exemples détaillés de complémentarité sur le plan du contenu et de fournir ainsi une explication rationnelle des liens interpratiques et de leur potentiel d’influence de la performance humaine et organisationnelle. En fait, tous ces chercheurs présentent une analyse raisonnée différente pour justifier le choix de leurs pratiques dans la grappe et expliquer leur complémentarité. Ces analyses raisonnées permettent aux chercheurs et aux praticiens de mieux comprendre pourquoi et comment certaines pratiques agissent de concert pour maximiser la cohérence horizontale et accroître la performance organisationnelle. La recherche présentée dans cet article se situe dans cette perspective.

Mesure de la complémentarité

La combinaison de pratiques de RH dans une grappe pose le problème de la mesure de la complémentarité. On a eu recours à plusieurs moyens pour tenter de démontrer l’existence de cette complémentarité. Les premières études ont vérifié la covariation entre des groupes de pratiques telles que les pratiques de gestion de la qualité totale et les pratiques d’engagement (Lawler, Morhman et Ledford 1995 ; Osterman 1994). Toutefois, les corrélations à elles seules ne permettent pas de conclure que les pratiques font partie d’un tout cohérent, mais seulement qu’elles apparaissent en concomitance. L’analyse factorielle est également utilisée pour cerner les pratiques partageant un sens commun. Toutefois, cette approche mène à l’exclusion de pratiques importantes non suffisamment liées à un facteur. De plus, au dire même des chercheurs qui l’ont utilisée, les facteurs sont souvent difficiles à interpréter (Huselid 1995 ; Arthur 1994). On a également tenté de faire une évaluation de la complémentarité en mesurant le degré d’étendue de l’implantation des pratiques, c’est-à-dire la mesure dans laquelle un groupe de pratiques est implanté au même degré dans l’ensemble de l’organisation (Huselid 1995). On assume alors qu’une implantation généralisée est un signe de cohérence. Une autre approche consiste à comparer l’écart ou la similitude entre le profil théorique idéal et le profil retrouvé dans l’entreprise (Delery et Doty 1996 ; Becker et Huselid 1998). Dans ce cas, on assume que l’entreprise a un ensemble de pratiques cohérentes si l’écart entre la configuration idéale et la configuration de l’entreprise est faible. Il s’agit alors de complémentarité par rapport à un modèle théorique. Pour leur part, Ichniowski, Shaw et Prennushie (1997) calculent un score d’homogénéité de l’implantation des pratiques et vérifient dans quelle mesure l’implantation graduelle et simultanée de plusieurs pratiques (continuum d’homogénéité) entraîne un effet croissant sur la performance organisationnelle. On s’attend alors à une augmentation de la performance organisationnelle parallèlement à l’accroissement du score sur le continuum d’homogénéité des pratiques et à ce que cet effet soit supérieur à l’effet résultant de l’implantation de pratiques particulières. Enfin, l’approche la plus répandue est le calcul de l’interaction statistique entre deux types de pratiques de RH. On vérifie parfois l’interaction entre deux pratiques simples (p. ex., la formation et l’évaluation du rendement), mais le plus souvent entre des pratiques regroupées en sous-grappes, par exemple des pratiques de contrôle versus des pratiques d’engagement (Arthur 1994).

Ces études font ressortir des limites importantes. Premièrement, comme le suggèrent les multiples approches utilisées pour évaluer la complémentarité, le manque de définition du construit « complémentarité » rend difficile l’établissement d’un lien entre les études consultées. La complémentarité est un concept qui doit être mieux défini si l’on veut consciemment créer des systèmes de GRH ayant un haut niveau de cohérence interne. Une deuxième limite touche le choix des pratiques incluses dans une grappe de pratiques. Celles-ci sont souvent choisies sans critères théoriques ou résultats empiriques pour justifier leur inclusion dans la grappe, mais surtout sans que l’exercice de l’alignement vertical ait été effectué. Une troisième limite vise la mesure des pratiques de RH sur laquelle on s’appuie pour démontrer l’existence de cette complémentarité dans les études statistiques. Dans les recherches consultées, la mesure des pratiques étudiées est globale. Par exemple, on demande aux répondants d’évaluer la proportion d’employés touchés par une pratique en particulier. Or, ce n’est pas parce que des pratiques de RH s’appliquent à un pourcentage élevé d’employés qu’elles forment pour autant un système cohérent. Autrement dit, une mesure de l’étendue des pratiques dans un milieu ne permet pas de comprendre l’architecture horizontale du système de RH, c’est-à-dire comment s’imbriquent diverses pratiques pour former un tout et travailler en synergie. Enfin, malgré l’intérêt et l’utilité de certaines approches statistiques utilisées pour mesurer l’effet conjugué des pratiques de RH dans le milieu de la recherche et vérifier des hypothèses particulières, elles ont peu d’utilité pour les professionnels de la GRH lorsque vient le moment de mettre sur pied un système de GRH. Comme le soulignent Becker et Huselid (1998), ces mesures sont indirectes et nous apprennent très peu de choses sur le mariage des pratiques au sein du système. Ainsi, l’absence d’outils de mesure directe de la complémentarité des pratiques de RH est une limite qui permettrait d’expliquer pourquoi nous n’avons pas réussi, jusqu’à maintenant, à évaluer et à bien comprendre l’incidence de l’intégration horizontale des pratiques de RH sur la performance organisationnelle (Becker et Huselid 1998).

Combinaison de pratiques de RH dans le contexte du secteur industriel

De nombreux auteurs prétendent qu’on ne peut pas étudier les pratiques de RH en dehors du contexte organisationnel (Arthur 1994 ; MacDuffie 1995, Youndt et al. 1996 ; Pichault et Nizet 2000). Ainsi, Jackson et Schuler (1995) affirment que pour comprendre la GRH dans son contexte, nous devons tenir compte de l’influence de l’environnement externe sur les composantes de la GRH. Les facteurs contextuels externes proposés dans les théories comprennent les facteurs juridiques, sociaux et politiques de l’environnement, les conditions du marché de travail, le taux national de syndicalisation, la culture nationale et les caractéristiques de l’industrie. Ce dernier facteur, malgré son potentiel de valeur pour la GRH, a rarement été intégré dans les recherches (Jackson et Schuler 1995). La plupart du temps, lorsqu’elles sont prises en considération, les caractéristiques de l’industrie le sont à titre de variables de contrôle, malgré le fait que cette mesure, de type nominal, ne répond pas aux conditions de base pour leur inclusion dans un modèle de régression.

Jackson et Schuler (1995) proposent de classer les caractéristiques de l’industrie en deux catégories, soit les organisations manufacturières et les organisations de services[2]. La nature différente des activités de ces deux types d’organisations aurait des répercussions sur plusieurs systèmes de RH. On assume donc, théoriquement, que les caractéristiques qui distinguent ces industries affecteront de façon différente le choix des pratiques et leur incidence sur la performance humaine et organisationnelle (Jackson et Schuler 1995). L’absence de prise en considération de ce facteur contextuel est une autre limite importante des recherches en GRH qui permettrait d’expliquer la faible variance obtenue dans la prédiction de la performance organisationnelle.

Objectifs de la recherche

La présente recherche vise à répondre, dans une certaine mesure, aux limites indiquées ci-dessus. En réponse à la première limite énoncée, nous proposons une définition opérationnelle du concept de la complémentarité afin de guider le choix de pratiques de RH à inclure dans le système de RH. Cette définition doit être suffisamment précise pour permettre d’identifier les liens de complémentarité entre les pratiques de GRH. Comme nous l’avons souligné précédemment, la notion de synergie est au coeur du concept de complémentarité et elle en est une résultante. De plus, il n’est pas rare que les auteurs cherchent à démontrer les liens rationnels qui existent entre les pratiques de divers domaines d’activités de GRH (p. ex., la dotation, la rémunération, etc.) afin d’expliquer leur effet conjugué.

Ainsi, nous avons défini la complémentarité comme suit, en prenant appui sur les points qui précèdent : l’ensemble des pratiques de différents domaines d’activités de GRH dont l’utilisation conjointe peut être rationnellement justifiée et dont l’effet synergique sur la performance organisationnelle dans un milieu donné peut être empiriquement démontré.

Par conséquent, la mesure de la complémentarité utilisée dans le cadre de la présente recherche diffère de celle des recherches précédentes par l’emploi d’items représentant chacun une combinaison de pratiques. Chaque combinaison de pratiques représente un lien de complémentarité interpratiques. Par exemple, une organisation peut offrir de la formation externe sans que celle-ci soit associée au besoin de perfectionnement identifié dans l’évaluation du rendement. Le fait de lier la formation à l’évaluation du rendement crée un lien de complémentarité. Dans notre modèle, on peut s’attendre à une complémentarité globale si des combinaisons de pratiques logiquement interreliées sont regroupées. Ainsi, l’addition des effets de chaque combinaison de pratiques conjointes est une mesure intéressante de la complémentarité.

Avant de combiner des pratiques de RH provenant de différents sous-systèmes de ressources humaines (p. ex., la dotation et la rémunération) et de les étudier concurremment, il nous a semblé essentiel, conformément à la définition ci-dessus, premièrement, d’expliquer pourquoi des pratiques provenant de domaines différents d’activités de GRH peuvent être logiquement liées au sein d’organisations ayant des caractéristiques communes ; deuxièmement, d’expliquer pourquoi ces pratiques, lorsqu’elles sont combinées, devraient avoir plus d’influence sur la performance organisationnelle que chaque pratique isolée et, troisièmement, de vérifier, au moyen de données empiriques, la prédiction de ce lien avec la performance organisationnelle. Contrairement aux autres recherches qui ont recours à une série d’items mesurant le degré d’étendue d’une seule pratique de RH à la fois, nous avons élaboré des items plus complexes englobant des pratiques de RH provenant de quatre grandes activités de GRH, soit la dotation, la rémunération, la formation et l’évaluation du rendement.

Tout en tenant compte des trois points ci-dessus, nous nous sommes fixés comme objectif de choisir des pratiques de RH dont la combinaison pourrait être justifiée théoriquement ou reposerait sur des résultats empiriques afin de vérifier l’hypothèse voulant que plus les pratiques provenant de différents domaines d’activités de GRH sont complémentaires entre elles, plus la performance organisationnelle est élevée (hypothèse 1).

Comme le secteur industriel est une variable contingente pouvant permettre de mieux expliquer les variations dans les résultats des recherches, en théorie, on devrait s’attendre à ce que cette caractéristique donne lieu à des différences en ce qui concerne les combinaisons de pratiques de RH et leur impact sur les mesures de la performance perçue. Par conséquent, la présente étude a aussi comme objectif de vérifier dans quelle mesure l’impact des pratiques complémentaires variera selon que les organisations appartiennent au secteur manufacturier ou au secteur de services (hypothèse 2).

Méthodologie

Élaboration des items, du questionnaire et des sujets

Dans un premier temps, en s’appuyant sur les recherches publiées en GRH, nous avons identifié les liens rationnels existants entre les quatre principaux domaines d’activités de GRH, soit la dotation, la rémunération, la formation et l’évaluation du rendement. À titre d’exemple, des liens traditionnels sont couramment établis entre la rémunération et l’évaluation du rendement. Conformément à notre définition toutefois, chaque item devait avoir un lien logique (premier critère) et devait être justifié en ce qui a trait à son potentiel synergique (deuxième critère), tant pour les organisations de services que les organisations manufacturières. Par exemple, un des items retenus combine deux domaines d’activités de GRH, soit l’évaluation du rendement et la rémunération. Il se lit comme suit : « la rémunération ou une partie importante de la rémunération (p. ex., une augmentation au mérite, des primes au rendement individuel ou d’équipe) de la plupart des employés clés est directement liée aux mesures du rendement et à l’atteinte d’objectifs prédéterminés ». Dans ce cas, comme dans tous les items élaborés, chaque combinaison de pratiques interactivités devait reposer sur un exposé raisonné. Dans ce cas, l’exposé raisonné est que « s’il existe, de façon générale, un lien important entre le rendement de l’employé et sa rémunération au sein d’une organisation, la probabilité d’influencer favorablement le rendement individuel d’une proportion importante d’employés est plus élevée tout comme, par conséquent, la probabilité d’améliorer la performance organisationnelle ». Un autre exemple combinant une pratique de dotation et de formation est le suivant : « les candidats ayant un potentiel élevé sont identifiés par un processus valide (dotation) et sont préparés à l’avance (perfectionnement) afin d’occuper des postes éventuels ayant plus de responsabilités ». L’exposé raisonné étant que « si les personnes ayant un potentiel de rendement élevé sont identifiées de façon systématique et formées dès le début de leur cheminement de carrière, la probabilité qu’elles apporteront une contribution supérieure à l’organisation est plus élevée que si l’organisation n’en tient pas compte et ne développe pas leur potentiel ».

Après épuration et révision du matériel, 22 items de liens interpratiques appartenant aux quatre domaines d’activités de GRH ont été ainsi élaborés et retenus. Le tableau 1 présente ces items. Les données ont été obtenues à partir d’un questionnaire envoyé aux responsables de services de ressources humaines dans 563 organisations au Québec et en Ontario, soit 238 du secteur secondaire (entreprises manufacturières ou de transformation) et 325 du secteur des services. Nous avons obtenu les noms des répondants à partir de la liste de membres d’associations professionnelles en ressources humaines de l’Ontario et du Québec. Les questionnaires ont été remplis par des responsables des ressources humaines ayant une autorité fonctionnelle (directeur, vice-président, etc.). Il est raisonnable d’avancer que ces personnes étaient les mieux placées pour nous fournir l’information nécessaire relative aux pratiques de gestion des ressources humaines et aux liens entre ces pratiques. De plus, ces personnes étaient dans une bonne position pour fournir une évaluation valable de la performance de leur entreprise respective puisqu’elles occupent des postes stratégiques dans leur organisation. Le fait d’avoir ciblé les deux secteurs industriels assure aussi une certaine homogénéité des environnements comparatifs des répondants. Les données descriptives de l’échantillon sont présentées au tableau 2. En plus de fournir des données biographiques sur les organisations (p. ex., les secteurs d’activités, la taille, l’ancienneté, le taux de syndicalisation), les répondants ont évalué la performance de l’organisation en ce qui a trait à « la productivité et à l’efficience », au « positionnement concurrentiel » et à « l’acquisition d’une clientèle et à la croissance ».

Variable indépendante et variables dépendantes

La variable indépendante est représentée par une mesure globale du degré de complémentarité interactivités des pratiques de GRH. Dans le cadre de cette recherche, nous avons défini de façon opérationnelle la variable complémentarité des pratiques interactivités de GRH comme la somme des interrelations logiques entre les pratiques de quatre domaines d’activités de GRH, soit la dotation, la rémunération, l’évaluation du rendement et la formation. Les 22 questions ciblant la complémentarité entre les diverses pratiques de GRH demandaient au répondant d’indiquer, sur une échelle de fréquence en sept points (rarement à très souvent), dans quelle mesure chaque pratique conjointe était présente dans son organisation. Le score total de complémentarité interactivités des pratiques de RH a été calculé en prenant la somme des réponses aux 22 items mesurant la complémentarité des pratiques interactivités de GRH (moyenne = 62,47 ; E.T. = 22,46). Ainsi, plus le score augmente, plus les liens entre les pratiques interactivités de GRH sont nombreux et, en tenant compte du contenu des items, plus le niveau de complémentarité des pratiques dans leur ensemble augmente. La cohérence interne de l’échelle de la dimension complémentarité des pratiques interactivités de GRH est de 0,84 (alpha de Cronbach).

Tableau1

Items de mesure de la complémentarité des pratiques interactivités de GRH et corrélations avec les facteurs de performance organisationnelle

Items de mesure de la complémentarité des pratiques interactivités de GRH et corrélations avec les facteurs de performance organisationnelle

Tableau1 (suite)

Items de mesure de la complémentarité des pratiques interactivités de GRH et corrélations avec les facteurs de performance organisationnelle

a Les corrélations entre 0,11 et 0,17 sont significatives à 0,05; les corrélations supérieures à 0,16 sont significatives à 0,01.

b F1 : productivité/efficience, F2 : positionnement concurrentiel, F3 : acquisition de clientèle et croissance.

c La première ligne indique les corrélations pour les organisations de services, la deuxième ligne pour les entreprises de fabrication.

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Tableau 2

Description de l’échantillon

Description de l’échantillon

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Les variables dépendantes sont représentées par trois facteurs regroupant des mesures qualitatives de la performance perçue de l’organisation, soit la productivité et l’efficience (caractère d’efficacité et d’efficience intrinsèque des organisations), le positionnement concurrentiel (continuité et survie) et l’acquisition de la clientèle et la croissance (clients et marché). Les items de ces trois mesures comprennent 13 indicateurs de mesure de la performance organisationnelle perçue (Barrette et Ouellette 2000). Cette échelle a été établie suite à l’analyse factorielle (varimax) des réponses de 150 répondants de même type que dans la présente étude. L’analyse factorielle avec rotation orthogonale (varimax) a permis d’identifier trois facteurs qui expliquent 61 % de la variance des résultats liés à la performance organisationnelle. La structure obtenue après six rotations se compose de trois facteurs ayant des « valeurs propres » supérieures à un. Le premier facteur explique 23 % de la variance, le second facteur 20 % et le troisième 18 %. Afin d’épurer les facteurs, seules les corrélations (loading) de 0,50 et plus ont été conservées. Ainsi, les variables dépendantes sont représentées par trois facteurs regroupant des mesures qualitatives de la performance perçue de l’organisation, soit la productivité et l’efficience, le positionnement concurrentiel (la continuité et la survie) ainsi que l’acquisition de la clientèle et la croissance. Cette mesure de performance organisationnelle perçue utilise une échelle similaire à celle de Huselid (1995) et, pour chaque élément de performance, demande au répondant de répondre à la question suivante : De façon générale pour chaque élément suivant, comment évaluez-vous la performance de votre organisation par comparaison aux autres organisations qui oeuvrent dans le même domaine ?

Résultats

L’analyse des corrélations entre la « complémentarité des pratiques » et les trois variables dépendantes (productivité/efficience, positionnement concurrentiel et acquisition de clientèle et croissance) montre que toutes les corrélations sont positives et significatives (à p = 0,000). Le secteur des services présente des corrélations de 0,27 pour la relation avec la productivité et efficience, de 0,29 pour le positionnement concurrentiel et de 0,41 pour l’acquisition de clientèle et la croissance. Pour le secteur manufacturier, ces chiffres sont respectivement de 0,44, 0,31 et 0,19.

La méthode de régression en deux blocs de type « pas à pas » a été utilisée afin de ne conserver que les variables de contrôle significatives dans les modèles de régression finaux. Les variables de contrôle (taille de l’organisation, années d’existence, taux de syndicalisation) ont donc été introduites en bloc à l’étape 1 de chaque régression. Par la suite, chaque variable indépendante a été introduite à l’étape 2. Les tests d’hypothèses sont basés sur les changements de niveau de variance expliqués avant et après que chaque variable dépendante ait été ajoutée aux variables de contrôle significatives.

Complémentarité des pratiques et performance organisationnelle

La première hypothèse prévoyait que plus les pratiques interactivités de GRH seraient complémentaires entre elles, plus la performance organisationnelle serait élevée. Les résultats corroborent l’hypothèse de recherche autant pour les entreprises du secteur manufacturier que pour celles du secteur des services.

En ce qui a trait au secteur manufacturier, les résultats présentés au tableau 3 indiquent que la variable complémentarité des pratiques de RH (complémentarité GRH) explique une augmentation significative de la variance du facteur : (a) productivité et efficience (F (1,237) = 44,27) avec un ΔR2 de 0,14, (b) positionnement concurrentiel (F (1,237) = 19,98) avec un ΔR2 de 0,07, et (c) acquisition de clientèle et croissance (F (2,236) = 5,05) avec un ΔR2 de 0,02. Tous les scores bêta standardisés vont dans la direction attendue. En ce qui a trait aux entreprises de services, les résultats indiquent que la variable complémentarité des pratiques interactivités de GRH explique une augmentation significative de la variance du facteur : (a) productivité et efficience (F (2,236) = 12,85) avec un ΔR2 de 0,06, (b) positionnement concurrentiel (F (2,236) = 11,97) avec un ΔR2 de 0,05, et (c) acquisition de clientèle et croissance (F (2,236) = 20,92) avec un ΔR2 de 0,10. Tous les scores bêta standardisés vont dans la direction attendue. Deux variables de contrôle sont significatives, soit le taux de syndicalisation et la taille de l’entreprise avec des bêta négatifs. En résumé, les résultats sur cette hypothèse montrent que pour les entreprises du secteur manufacturier, la complémentarité des pratiques de GRH a un lien plus important sur la productivité et l’efficience ainsi que sur le positionnement concurrentiel de l’entreprise comparativement au lien obtenu pour la variable acquisition de clientèle et croissance. En ce qui concerne le secteur des services, l’impact de la complémentarité est relativement égal sur les deux premiers facteurs de la performance, soit la productivité et l’efficience et le positionnement concurrentiel. Toutefois, dans ce dernier cas, l’influence de la complémentarité est deux fois plus élevée sur le facteur acquisition de la clientèle et croissance que sur les deux autres facteurs de performance organisationnelle.

Complémentarité des pratiques et secteur industriel

La deuxième hypothèse prévoyait que l’impact des pratiques complémentaires varierait selon que les organisations appartiennent au secteur manufacturier ou de services. Cette hypothèse est corroborée (tableau 3). En effet, lorsque l’on compare les variables dépendantes des deux secteurs industriels, les résultats indiquent que la complémentarité des pratiques dans le secteur des services prédit cinq fois plus la variable « acquisition de clientèle et croissance » (facteur 3) que dans le secteur manufacturier. En fait, les 22 items ont tous des corrélations positives et significatives (en majorité à 0,01), comparativement à six items ayant cette propriété pour le secteur manufacturier.

Entreprises de services

Une analyse détaillée des corrélations montre que les pratiques complémentaires les plus importantes qui prédisent « l’acquisition de clientèle et la croissance » dans les entreprises de services sont liées à l’usage des données de rendement pour appuyer : (a) l’identification de la relève (pratique 18) ; (b) les décisions de dotation (pratique 17) ; (c) la rétrogradation ou le congédiement (pratique 19) ; et (d) le perfectionnement des employés (pratiques 21 et 22).

Tableau 3

Résultats des analyses de régression entre la complémentarité des pratiques interactivités de GRH et les trois facteurs de performance organisationnelle

Résultats des analyses de régression entre la complémentarité des pratiques interactivités de GRH et les trois facteurs de performance organisationnelle

*:p≤0,05; **:p≤0,01; ***:p≤0,001;

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On y retrouve également des pratiques liant la formation à : (a) la sélection (pratiques 10, 12) ; (b) l’ajout de responsabilités (pratique 13) ; (c) la planification de la carrière et de la relève (pratique 9).

Les résultats (tableau 3) montrent aussi que la complémentarité des pratiques dans ce milieu a un impact moindre quoique non négligeable sur la productivité et l’efficience puisque 17 des 22 items ont des corrélations significatives. Dans ce milieu, les pratiques de RH complémentaires ayant un lien positif avec la productivité et l’efficience touchent, entre autres, (a) l’identification des besoins de formation lors du processus de sélection ; (b) l’ajustement des responsabilités suite à l’acquisition de nouvelles connaissances ou compétences ; (c) la mise en place d’activités de développement suite à la création d’équipes de travail ; (d) la mise en place d’activités de formation et de perfectionnement pour combler les écarts identifiés lors de l’évaluation du rendement.

Entreprises manufacturières

Les résultats des analyses corrélationnelles montrent que l’impact des pratiques complémentaires de RH sur la productivité et l’efficience (facteur 1) est presque trois fois plus important pour les entreprises manufacturières que les entreprises de services. En effet, 18 des 22 corrélations significatives vont dans la direction attendue. Ces résultats suggèrent que la productivité et l’efficience dans les entreprises manufacturières serait favorisée surtout par : (a) une rémunération au-dessus de la moyenne pour recruter des candidats qualifiés (pratique 7) ; (b) une rémunération directement liée au rendement (pratique 1) ; (c) l’identification des besoins de formation et de perfectionnement lors du processus de dotation (pratique 10) ; (d) des mesures de formation et de perfectionnement pour appuyer la création d’équipes de travail (pratique 14).

Entreprises manufacturières et de services

Les pratiques qui favorisent le positionnement concurrentiel sont relativement similaires pour les entreprises manufacturières et de services. Plus spécifiquement, les résultats indiquent que le positionnement concurrentiel serait surtout favorisé par : (a) une rémunération supérieure à la moyenne pour attirer des candidats clés ; (b) des besoins de formation identifiés lors de la sélection ; (c) l’identification et le développement des individus à potentiel élevé en vue d’une promotion ; (d) la mise en place d’activités de formation et de perfectionnement suite à la création d’équipes de travail ; (e) l’orientation et la formation suite à l’embauche ; (f) l’utilisation des résultats des évaluations du rendement pour les décisions touchant les promotions, la rétrogradation ou le congédiement et le perfectionnement. La qualité et le développement des produits et des services de même que la capacité de l’organisation d’attirer et de retenir des employés clés demeurent une condition de survie à long terme quel que soit le secteur industriel. Il n’est donc peut-être pas surprenant que ce soit les mêmes pratiques complémentaires de RH qui prédisent le positionnement concurrentiel dans les deux secteurs.

Il est intéressant de noter que la complémentarité entre certaines pratiques interactivités de GRH a des effets généralisés sur les trois facteurs de performance organisationnelle. L’analyse indique que ces pratiques touchent le développement des employés (pratiques 10 et 16) ainsi que des mécanismes pour attirer ou identifier des employés clés (pratiques 7, 11 et 18). Ces résultats soutiennent l’idée que l’acquisition et le développement du potentiel humain jouent un rôle important dans la performance globale organisationnelle, quel que soit le type d’organisation.

Discussion

Dans cette recherche, nous avons voulu étudier l’impact d’un ensemble de pratiques complémentaires sur la performance organisationnelle en tenant compte du secteur industriel. De plus, nous souhaitions proposer une piste de recherche distincte en réponse aux multiples critiques touchant le choix et la cohérence des pratiques dans les grappes de pratiques, souvent synonymes de systèmes de pratiques de RH de haute performance.

Impact des pratiques de RH complémentaires

Dans le cas des entreprises de services, les résultats ont montré que le facteur « acquisition de clientèle et croissance » a un pourcentage de variance expliquée supérieur aux deux autres facteurs. La variance expliquée sur ce facteur est cinq fois plus élevée pour les entreprises de services que pour les entreprises manufacturières. Il est probablement normal que ce facteur de performance, axé en partie sur l’acquisition de clientèle, soit le plus associé aux pratiques de RH dans les entreprises de services. En effet, dans ces entreprises, la relation entre les employés et la clientèle est plus directe que dans les entreprises manufacturières. Il apparaît donc logique que les pratiques de RH contribuent davantage à influencer ce facteur de performance. En présumant qu’un certain nombre de ces pratiques visent à influencer les comportements des employés vers une orientation clientèle, on peut penser qu’une meilleure cohérence entre les pratiques favorisa l’émergence des comportements attendus. Autrement dit, si plusieurs pratiques visant l’amélioration du service à la clientèle travaillent de concert à rehausser les compétences sous-jacentes, par exemple dans les relations interpersonnelles, l’impact sera plus élevé sur la performance organisationnelle que si ces pratiques ne sont pas alignées ensemble. Dans ce milieu, une grande partie de l’énergie de la GRH vise à améliorer les compétences humaines afin d’offrir un meilleur service, fidéliser les clients actuels et attirer de nouveaux clients. Ces résultats suggèrent que plus les pratiques de RH sont complémentaires, plus le développement des compétences clés orientées vers le service au client ont des chances de se concrétiser. Par contre, dans le secteur manufacturier, les compétences visées sont plutôt d’ordre technique et manuel. Les compétences que l’on cherche à développer relèvent davantage du fonctionnement des opérations et ont donc peu de chances d’influer directement sur les comportements d’acquisition de la clientèle et de croissance du marché.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la plus grande efficience des pratiques complémentaires de RH dans le secteur manufacturier comparativement à celles des services. Rappelons que le facteur productivité et efficience se compose d’items touchant l’atteinte des objectifs, le contrôle des coûts et l’utilisation efficace des ressources. Comme nous le suggérons ci-dessus, les tâches dans ce milieu étant surtout de nature manuelle[3], il est possible qu’il soit plus facile d’y articuler des pratiques de RH comparativement au milieu des services. D’autre part, dans les entreprises manufacturières, les mesures du rendement sont certainement plus accessibles, concrètes et quantifiables puisqu’elles font appel à des données de production. Par conséquent, il est plus facile de voir les manques et d’intervenir rapidement lorsque des pratiques se nuisent et réduisent l’efficacité. Si ce postulat est vrai et que les pratiques de RH sont moins complexes et plus compréhensibles[4] dans le secteur manufacturier, il est permis de penser que l’harmonisation des pratiques y est plus facilement atteinte, que l’impact de l’incohérence de certaines pratiques à court terme y est plus visible et que les pratiques qui se nuisent mutuellement peuvent être plus rapidement identifiées et corrigées. On peut avancer l’hypothèse que l’harmonisation plus facile des pratiques dans ce milieu réduit les pertes d’énergie et le gaspillage causés par l’incohérence des pratiques interactivités de GRH et, par conséquent, influence positivement la productivité et l’efficience.

Les résultats ont montré que les pratiques complémentaires avaient un impact moindre sur la mesure de la productivité et de l’efficience dans le secteur des services comparativement au secteur manufacturier. Dans le secteur des services, il est possible qu’il soit plus difficile d’identifier l’incohérence entre les pratiques en raison de la complexité accrue des activités de travail. Le maintien de pratiques non cohérentes entraînerait des coûts supplémentaires rendant moins importantes les retombées de plusieurs de ces pratiques sur le plan de l’efficience. Par exemple, les coûts de formation[5] suite à l’identification d’écarts de rendement dans les tâches liées au service à la clientèle ne se traduisent pas nécessairement par des retombées de productivité au niveau escompté à court ou à long terme. En effet, dans ce milieu, l’identification des besoins de formation et de perfectionnement par l’évaluation du rendement y est plus difficile, particulièrement les habiletés d’interaction avec la clientèle et la connaissance des produits et services. De plus, le transfert des acquis est plus exigeant car il fait souvent appel à la modification de comportements. Malgré l’impact moindre des pratiques sur le facteur « productivité et efficience », les résultats suggèrent que dans les entreprises de services, ce facteur est favorisé par des pratiques liant étroitement le rendement et la formation des employés.

Dans les études récentes, les appellations « systèmes de ressources humaines » ou « systèmes de haute performance » sont fréquemment utilisées alors que les liens entre les pratiques qui permettraient de répondre à la définition de système ne sont jamais ou presque jamais établis. L’idée que les pratiques de RH devraient être cohérentes entre elles remonte à plusieurs années. Aussi existe-t-il un important consensus que les pratiques, politiques et processus de RH devraient être conçus et implantés en tant que système cohérent. Par définition, un système est un ensemble d’idées logiquement solidaires et coordonnées qui tendent à produire un résultat unifié. Cette notion sous-entend que les pratiques de RH du système doivent être reliées logiquement et s’appuyer mutuellement afin de créer un effet multiplicateur sur la performance organisationnelle. Toutefois, malgré cette position largement reconnue, il n’existe à peu près pas de recherches sur les liens de cohérence entre plusieurs pratiques. Nous avons donc cherché, dans cette étude, à développer des mesures de l’interrelation des pratiques de RH en s’appuyant sur divers modèles théoriques et des résultats empiriques qui lient fréquemment certaines pratiques de RH.

Force est de constater à la lecture des publications du domaine que peu d’auteurs ont tenté de mesurer directement les éléments de cohérence interpratiques de RH. Évidemment, en combinant deux pratiques et en obtenant un score global, notre système ne répond qu’en partie à la définition de système puisque la combinaison de deux pratiques permet de confirmer l’existence d’un degré de cohérence seulement et non la cohérence parfaite de l’ensemble. Il est toutefois possible d’aller plus loin dans cette direction et d’imaginer l’élaboration d’items plus complexes incluant de nombreuses pratiques de dotation, de rémunération, de formation et d’évaluation du rendement et qui, en théorie, s’appuieraient mutuellement. À l’avenir, on devrait tenter dans les recherches d’augmenter la complexité des items en y intégrant des pratiques provenant d’au moins trois sous-systèmes de RH. Toutefois, ces combinaisons devraient reposer sur des justifications logiques applicables aux contingences du milieu. L’utilisation de modèles de compétences génériques pourrait servir de base à l’élaboration de ces items. Cependant, l’élaboration d’items qui combineraient plusieurs pratiques de RH dans un exposé raisonné pose un défi aux chercheurs, ne serait-ce que sur le plan de la clarté et du sens que prendra l’item aux yeux du répondant. On pourrait peut-être relever ce défi en cernant un ensemble de pratiques et en les examinant en regard de contingences majeures internes (p. ex., la stratégie) et externes (p. ex., le secteur industriel). Cela nécessiterait alors que la mesure aille au-delà d’une appréciation unitaire comme le font la plupart des recherches en GRH qui ne mesurent qu’un seul objet d’un ensemble et qu’elle évalue la complexité de la gestion des ressources humaines en utilisant des mesures multiples, c’est- à-dire en combinant les pratiques appartenant à un sous-système avant de mesurer leur présence. L’élaboration d’items intégrant plusieurs pratiques de RH est un objectif auquel on doit satisfaire dans les recherches si l’on veut obtenir des mesures signifiantes de systèmes de RH.

Certains chercheurs prétendent que la cohérence interpratiques est unique à chaque organisation et qu’une mesure généralisable ne peut pas être envisagée. Ce courant soutient que l’organisation des pratiques est alignée sur des contingences si spécifiques à chaque milieu qu’elle rend unique l’architecture RH de chaque organisation (Becker, Huselid et Ulrich 2001 ; Le Louarn et Wils 2001). À l’autre extrémité, un autre courant théorique soutient que certaines pratiques de RH sont universelles et ont des répercussions positives généralisables quel que soit le milieu (Delery et Doty 1996). Entre ces deux pôles, l’on retrouve divers modèles théoriques de contingences qui appuient l’idée de l’alignement des pratiques de RH selon des contingences internes et externes particulières. Notre étude s’inscrit dans cette dernière perspective. Ainsi, bien que l’ensemble des pratiques, des politiques, des processus et des stratégies de RH puisse être assez spécifique à chaque organisation, nos résultats suggèrent que la combinaison de certaines pratiques plutôt que d’autres peut profiter aux organisations d’un même secteur industriel.

Au cours des quinze dernières années, les chercheurs ont tenté de trouver les « meilleures pratiques » de RH, soit les pratiques ayant un effet universel sur la performance organisationnelle. L’idée qu’il existe de « meilleures pratiques » pour tous, idée aujourd’hui contestée, pourrait être remplacée par le point de vue qu’il existe de meilleures combinaisons de pratiques selon certaines contingences externes. On pourrait alors envisager la généralisation de sous-systèmes de RH, mais seulement en fonction d’un ensemble de variables contextuelles majeures, tel que celui du secteur industriel. Nos résultats ont montré qu’il y a des variations importantes entre les deux secteurs industriels en ce qui a trait à l’impact des combinaisons de pratiques sur la performance organisationnelle. En effet, les résultats suggèrent que si de bonnes pratiques existent, on a plus de chances de les repérer en prenant en considération les contingences externes majeures telles que celles du secteur industriel ou encore les caractéristiques du bassin de main-d’oeuvre ainsi que le milieu culturel, politique et juridique. Entre les extrémités théoriques, le modèle universel et le modèle de l’architecture unique, l’élaboration de modèles qui s’appliqueraient à certains types d’organisations selon des contingences externes majeures pourrait s’avérer particulièrement utile aux décideurs en GRH. L’utilité des recherches sur le plan pratique s’en trouverait accrue.

Nos résultats nous portent à croire que les liens de complémentarité entre les pratiques de RH pourraient être généralisées aux organisations de même type. En effet, les contingences externes dans un secteur d’activités industrielles pourraient dicter en grande partie le choix des pratiques de GRH. Nous savons que le choix des objectifs stratégiques découle surtout d’une recherche d’adaptation de l’organisation aux facteurs environnementaux dominants qui ont cours dans son domaine d’activités, notamment les facteurs économiques (p. ex., le financement), de marché (p. ex., la clientèle), technologiques (p. ex., l’équipement), socioculturels (p. ex., un groupe de pression) et les facteurs liés aux ressources humaines (p. ex., une pénurie de main-d’oeuvre). Plusieurs de ces facteurs externes auxquels font face les organisations du même secteur d’activités risquent fort d’être très similaires. Il est alors possible que certaines combinaisons de pratiques, répondant le mieux aux contingences externes partagées par ces organisations, puissent être pertinentes pour l’ensemble de ces organisations.

Ces combinaisons de pratiques pourraient former une assise commune de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’architecture RH des organisations. Nous sommes donc en présence d’une hypothèse à vérifier plus à fond, à savoir que certaines combinaisons de pratiques sont généralisables à plusieurs types d’organisations de domaines et secteurs d’activités différents, alors que d’autres combinaisons sont particulières au secteur industriel. Les caractéristiques de l’industrie ne sont toutefois qu’un des facteurs de contingence pouvant être étudiés pour cerner les pratiques complémentaires les plus pertinentes. Des analyses encore plus pointues à l’intérieur de chaque secteur pourraient être effectuées en prenant en considération des variables contextuelles internes importantes telles que la technologie, la structure, le cycle de vie et la stratégie. Aussi, afin d’identifier les combinaisons de pratiques ayant le plus de potentiel synergique selon le contexte, il serait important de mener plus d’études qualitatives, telles que des analyses de cas effectuées et compilées par secteur industriel. Cela permettrait de déterminer plus concrètement les pratiques combinées et les justifications sous-jacentes. Ces études quantitatives et qualitatives favoriseraient l’élaboration d’une théorie plus complète en GRH.

Limites

Cette recherche comporte des forces et des limites. Parmi les forces, notons la relative homogénéité de l’analyse par secteur industriel permettant de tirer des conclusions plus spécifiques à chaque milieu. L’étendue couverte par les pratiques interactivités de GRH étudiées est une autre force de la présente recherche. Toutefois, nous sommes conscients que cette étendue n’est pas exhaustive et que d’autres liens opérationnels peuvent certainement être établis entre les pratiques de divers domaines d’activités de GRH. De plus, notre étude restreint l’analyse au lien entre la complémentarité et la performance organisationnelle. La notion de complémentarité et de son effet va au-delà de ce lien restrictif et devrait aussi être étudiée dans le contexte des mesures du rendement humain telles que l’acquisition d’habiletés, la motivation, la satisfaction au travail, l’absentéisme et le roulement du personnel (MacDuffie 1995 ; Becker, Huselid et Ulrich 2001). Le niveau d’analyse, soit l’organisation dans son ensemble, représente le niveau le plus élevé et entraînerait en théorie une probabilité de relation plus faible entre les mesures de GRH et la performance organisationnelle (Le Louarn et Wils 2001).

L’utilisation d’indicateurs de perception pour évaluer la performance organisationnelle est une autre limite. Quoique les mesures perceptuelles tendent à introduire des erreurs et des biais dans les réponses, les recherches sur les mesures perçues en ce qui concerne la performance organisationnelle montrent des corrélations positives avec des mesures objectives de la performance (Dollinger et Golden 1992 ; Powell 1992). D’autre part, les mesures de perception ont l’avantage de permettre l’évaluation de l’impact des pratiques de RH auprès d’organisations pour qui les mesures financières directes de la performance ne sont généralement pas disponibles ou pertinentes. L’évaluation de la performance organisationnelle parallèlement aux jugements sur la complémentarité des pratiques de RH pose aussi le problème de la possibilité de la variance commune. En effet, les répondants peuvent avoir inconsciemment orienté leurs réponses sur les items mesurant la performance organisationnelle de façon à confirmer la valeur de leurs programmes de GRH. Toutefois, l’obtention de résultats très distincts pour les trois mesures de la performance à l’intérieur de chaque secteur industriel et entre les secteurs industriels renforce la validité des résultats obtenus. On peut penser que si un biais d’attribution avait été très présent, les répondants auraient eu tendance à porter un jugement similaire sur les trois dimensions de performance organisationnelle peu importe les secteurs industriels. Ce biais peut avoir été amoindri par le fait que l’évaluation des pratiques de RH ne portait pas sur un jugement concernant leur efficacité, leur qualité ou leur étendue comme dans plusieurs autres études, mais sur leur degré de coexistence. On peut penser que cette méthode a pu réduire le jugement de valeur a priori sur les pratiques dans l’organisation.

Sur le plan pratique, la présente recherche permet aux gestionnaires et aux professionnels de la GRH d’identifier les liens entre des pratiques qui ont le potentiel d’améliorer la performance de leur entreprise et de les guider dans leur intervention lors de la conception et de l’implantation de pratiques intersystèmes de GRH.