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Pierre Bourdieu a formulé l’idée que le champ scientifique est un champ social, semblable à bien d’autres, dans lequel agissent des rapports de force, des intérêts et des stratégies spécifiques. Les chercheurs se livrent, pour le monopole de la compétence scientifique, une lutte qui a la particularité de ne pouvoir être départagée que par d’autres chercheurs : la reconnaissance d’un scientifique – et son évaluation – passe par ses pairs qui sont également ses concurrents (Bourdieu, 1975 ; 1991).

Cette reconnaissance et cette évaluation reposent essentiellement sur l’écrit scientifique. En effet, même si actuellement les chercheurs sont de plus en plus incités à diversifier leurs activités (qu’on pense à l’innovation, au transfert technologique ou à la commercialisation…), la publication demeure l’extrant principal de la recherche scientifique. Décisif pour l’accumulation d’un capital scientifique par les chercheurs, l’écrit scientifique constitue à la fois un moyen de communication des résultats de la recherche et un instrument pour enregistrer la propriété intellectuelle. À cet égard, la revue savante, vecteur privilégié pour l’appropriation d’idées nouvelles, fonctionne aussi comme une mesure de reconnaissance et de crédibilité dans le champ scientifique (Latour et Woolgar, 1979).

Un certain nombre d’observations empiriques confirment cette analyse. Les chercheurs, dont le capital scientifique est tributaire de l’audience potentielle, tendent évidemment à maximiser l’impact de leurs travaux en essayant de publier dans les revues les plus largement diffusées, souvent des publications d’envergure internationale au détriment des publications nationales de diffusion plus locale (Godin et Limoges, 1995). En outre, les chercheurs tendent également, de plus en plus, à publier leurs recherches dans ce qui est aujourd’hui la lingua franca de la science : l’anglais. En 1990, 85 % des publications en sciences naturelles et en génie s’écrivaient en langue anglaise, selon le Science Citation Index (SCI), un pourcentage en progression depuis plusieurs décennies[1]. Dans un contexte qui favorise une hiérarchisation croissante du monde de l’édition scientifique entre publications internationales et publications locales, et qui semble mener vers une anglicisation progressive des publications scientifiques, la question du rôle et de la place des revues savantes locales dans le champ scientifique se pose avec acuité.

Un certain nombre d’études récentes ont élagué le terrain au Québec et ont commencé, par exemple, à attirer l’attention sur les lacunes des grandes banques de données sur les publications scientifiques (comme le SCI) pour étudier le champ scientifique québécois et ses pratiques de publication. Américaines, pour la plupart, ces banques sont affectées d’un biais évident à l’égard de l’anglais et négligent, de plus, d’indexer une grande partie des écrits, notamment dans les sciences sociales et humaines où l’on retrouve la majorité des revues québécoises (Gingras et Médaille, 1991 ; Godin et Vallières, 1995). Ces études ont également tenté de cerner les conditions de l’édition scientifique et signalé le caractère hétérogène des pratiques de publications entre les disciplines (Godin et Limoges, 1995).

Il a été noté, à cet égard, que l’anglais ne représente pas le même intérêt sur tous les « marchés » et que son utilisation dépend largement du domaine visé (Gingras, 1984). En effet, si la langue anglaise joue un rôle prépondérant pour la visibilité des travaux en sciences naturelles, en génie et dans les sciences biomédicales, la reconnaissance scientifique passe autant par les langues nationales en sciences sociales et humaines et dans les arts et lettres[2]. Dans ces derniers cas, les recherches sont caractérisées par « un enracinement dans un milieu social et une problématique donnée », et les stratégies de publication tendent à être surtout locales (FCAR, 1988). De fait, le « marché » des sciences sociales et humaines, ou des arts et lettres, regroupe à la fois un public de chercheurs et un public non spécialisé le plus souvent national (Whitley, 1982)[3].

Certes, comme l’ont fait remarquer Godin et Limoges (1995), un phénomène de « localisme » existe également en sciences naturelles et en génie : les pratiques de citations des chercheurs diffèrent sensiblement selon qu’ils publient dans des revues nationales ou dans des revues étrangères[4]. De plus, les articles publiés dans les revues étrangères sont généralement de caractère plus fondamental et font plus souvent l’objet d’une cosignature internationale, alors que les textes diffusés dans les revues nationales ont un caractère plus appliqué[5] (Mendezet al., 1993 ; Gingras et Médaille, 1991 ; Rocher, 1991 ; Gagné, 1991). Finalement, les publications nationales, lorsqu’elles existent en sciences naturelles et en génie, semblent jouer surtout un rôle de tremplin pour les chercheurs en début de carrière (FCAR, 1988 ; Godin et Limoges, 1995).

À la lumière des études actuelles, il semble possible d’affirmer que la dynamique de l’édition scientifique est sinon déterminée, du moins fortement influencée, par les pratiques des chercheurs. En effet, tout se passe comme si les manuscrits envoyés aux revues étaient le produit d’une présélection effectuée par les chercheurs eux-mêmes en fonction de la représentation qu’ils se font de leur propre position dans le champ scientifique et en fonction de la représentation qu’ils se font de la revue, de sa clientèle, de son prestige, bref de sa position relative dans le champ de l’édition scientifique[6].

Pour étudier la dynamique du champ scientifique dans le contexte québécois, notamment en ce qui concerne les revues savantes, plusieurs questions restent à éclaircir. Quelles sont les pratiques de publication des chercheurs québécois ? Quelles sont leurs stratégies de communication ? Comment perçoivent-ils les revues savantes québécoises ? Deux outils ont été développés pour apporter des éléments de réponses à ces questions. Premièrement, une enquête a été réalisée auprès de l’ensemble des professeurs du réseau universitaire québécois afin de mieux connaître leurs pratiques de publication et de lecture. Les réponses permettent, en particulier, de voir où les chercheurs publient leurs travaux, d’apprécier les différences entre les domaines disciplinaires et de préciser l’évaluation des chercheurs sur les revues québécoises publiées dans leur spécialité.

Deuxièmement, une banque de données bibliométriques a été constituée sur les revues québécoises. Le nombre de ces revues peut être estimé à une soixantaine. Pour 52 d’entre elles, soit celles qui se sont présentées au concours de soutien aux revues du Fonds FCAR en 1996, un ensemble d’informations a été saisi sur les numéros publiés entre 1980 et 1999 inclusivement. Ces données ont permis, entre autres, de juger du volume de la production scientifique qui passe par ces revues selon les domaines et de cerner l’origine des auteurs.

À l’aide de ces deux outils, nous allons, dans un premier temps, dégager les grandes lignes des pratiques de publication des chercheurs québécois ; puis, dans un deuxième temps, un portrait général des revues savantes québécoises sera dressé : que publie-t-on ? Qui publie ? Finalement, nous verrons comment les chercheurs évaluent les revues québécoises et comment ils les utilisent.

Les pratiques de publication des chercheurs québécois

À l’automne 1994, 8 985 questionnaires ont été adressés à autant de professeurs dans 18 institutions universitaires québécoises dans le cadre de l’évaluation du programme du Fonds FCAR de soutien aux revues. Au total, 1 714 d’entre eux ont répondu, pour un taux de réponse de 19,1 %[7]. La première partie du questionnaire s’intéressait aux chercheurs en tant qu’auteurs, c’est-à-dire ayant publié au cours des cinq dernières années dans les revues savantes québécoises et étrangères. On voulait ainsi cerner les pratiques de publication des chercheurs québécois, leurs motivations à publier ainsi que les bénéfices retirés de la publication. Une seconde partie s’adressait aux chercheurs en tant que lecteurs. Cette section permettait également de rejoindre ceux qui se sont abstenus de publier dans les revues et de connaître leurs motivations.

Quatre grands secteurs ont été différenciés : le secteur des sciences sociales et humaines (SSH), des arts et lettres (AL), des sciences biomédicales (SBM) et le secteur des sciences naturelles et du génie (SNG). Parmi l’ensemble des personnes interrogées, 1 558 ou 91 % ont déclaré avoir publié au cours des cinq dernières années. Ces « chercheurs actifs » constituent l’échantillon à partir duquel nous avons produit la présente analyse. Comme le montre le tableau 1, la population des chercheurs en SNG est sur-représentée parmi les chercheurs qui publient, notamment dans les institutions anglophones, alors que les secteurs du SSH et des AL sont légèrement sous-représentés.

Tableau 1

Taux de réponses des chercheurs actifs par secteurs (%)

Taux de réponses des chercheurs actifs par secteurs (%)

Note :

Description des sigles :

(SNG) Sciences naturelles et génie ;

(SSH) Sciences sociales et humaines ;

(SBM) Sciences biomédicales ;

(AL) Arts et Lettres.

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La publication dans les revues québécoises

De manière générale, les chercheurs québécois publient de façon non négligeable dans les revues québécoises (tableau 2) : sur les 1 558 répondants, 48 % y publient, 8,8 % affirmant même y publier une grande partie ou la totalité (76 % à 100 %) de leurs travaux.

Tableau 2

Répartition des chercheurs selon leur secteur disciplinaire et la part de leurs articles publiés dans les revues québécoises (%)

Répartition des chercheurs selon leur secteur disciplinaire et la part de leurs articles publiés dans les revues québécoises (%)

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Trois facteurs affectent toutefois ces résultats. Premièrement, la sur-représentation des chercheurs en SNG et la sous-représentation des secteurs SSH et AL ont pour effet de gonfler le pourcentage des chercheurs qui ne publient pas au Québec. En effet, les chercheurs en SNG sont de loin ceux qui publient le moins dans les revues québécoises[8]. Plus de 87 % des chercheurs en SNG et 69,1 % en SBM ne publient aucun article au Québec, alors qu’en SSH et en AL, les pourcentages respectifs se chiffrent à 35,3 % et 29,9 %.

Deuxièmement, les chercheurs très actifs (ayant publié plus de vingt articles au cours des cinq dernières années) constituent 19,3 % de l’échantillon, ce qui représente probablement un pourcentage plus élevé que la distribution effective de l’ensemble des chercheurs québécois. Or, nous l’avons vérifié, dans tous les secteurs sauf les AL, ces chercheurs publient davantage dans des revues non québécoises.

Troisièmement, les chercheurs des universités anglophones, qui constituent près du quart de la population des chercheurs universitaires au Québec, publient en grande majorité (86,4 %) dans des revues non québécoises, de façon beaucoup plus marquée que leurs homologues des universités francophones.

Ceci se constate dans tous les secteurs (tableau 3). Il convient de souligner, toutefois, la nette distinction entre d’une part les secteurs des SNG et des SBM, et d’autre part les secteurs des SSH et des AL. Dans ces deux derniers secteurs, les chercheurs des universités francophones utilisent beaucoup plus les revues québécoises pour diffuser leurs recherches ; du reste, ces revues sont parfois les seuls véhicules pour une recherche québécoise en SSH et AL qui peut difficilement être publiée ailleurs à cause de son caractère « national ».

Des disparités sont cependant observables à l’intérieur même des secteurs des SNG et des SBM, en ce qui concerne l’importance accordée par les chercheurs aux revues scientifiques québécoises (tableau 2). Ainsi, en sciences biomédicales, en mathématiques et en science de la terre et de l’atmosphère, on trouve plus de 16 % des chercheurs qui publient jusqu’à 25 % de leurs articles dans des revues québécoises. Également, près de 8 % des chercheurs en sciences biomédicales et en sciences de la terre et de l’atmosphère y publient entre 26 et 50 % de leurs articles. Mais dans l’ensemble, la participation des chercheurs en SNG et en SBM aux revues québécoises apparaît négligeable. La physique, par exemple, compte seulement deux chercheurs ayant publié un article au Québec.

Tableau 3

Répartition des chercheurs selon leur institution d’appartenance francophone ou anglophone et la part de leurs articles selon les lieux de publication

Répartition des chercheurs selon leur institution d’appartenance francophone ou anglophone et la part de leurs articles selon les lieux de publication

Tableau 3 (suite)

Répartition des chercheurs selon leur institution d’appartenance francophone ou anglophone et la part de leurs articles selon les lieux de publication

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Le faible nombre de revues québécoises dans ces domaines est évidemment un facteur déterminant (annexe 1). En SNG, on ne répertorie que quatre revues québécoises, et dans les SBM on en compte deux. Les chercheurs de ces disciplines qui publient un plus grand pourcentage de leurs articles au Québec, soit ceux des sciences de la terre et des mathématiques, peuvent compter sur Géographie physique et quaternaire et Annales des sciences mathématiques au Québec. En sciences biomédicales, où l’on recense Médecine / Science et Santé mentale au Québec, la proportion des chercheurs publiant au moins une partie de leurs travaux atteint 30,9 %.

Les chercheurs des SSH et des AL semblent davantage répartir leurs publications entre des revues québécoises et des revues étrangères. Plus de six chercheurs sur dix dans le cas des SSH et plus de sept sur dix dans les AL publient au moins une partie de leurs articles au Québec. En arts et lettres en particulier, près de 40 % des répondants affirment publier dans des revues québécoises la majorité de leurs articles ; ce pourcentage atteint plus de 26 % en SSH.

Ce sont les chercheurs en littérature, en droit, en éducation et en communication qui publient la plus grande part de leurs travaux dans des revues québécoises. En droit, 20,6 % des chercheurs ne publient aucun article dans les revues québécoises, mais plus du tiers d’entre eux (38,2 %) y publient la quasi-totalité de leurs travaux. Dans le cas de l’éducation, ce sont 30 % des chercheurs qui ne publient aucun article, tandis que le quart d’entre eux publient plus des trois quarts de leurs articles dans des revues québécoises. En littérature, la part des chercheurs publiant plus de 75 % de leurs articles dans des revues d’ici atteint 55,9 %, ce qui en fait la discipline publiant le plus dans des revues québécoises. La linguistique est la seule discipline de l’échantillon où tous les répondants publient au moins un article dans les revues québécoises.

Les chercheurs des SSH et des AL publient donc, dans l’ensemble, une part non-négligeable de leurs travaux dans des revues québécoises. Certaines disciplines des sciences sociales et humaines, cependant, sont moins présentes dans les revues québécoises que les autres.

Ainsi, une majorité des chercheurs en psychologie (64 %) ne publie aucun de leurs articles dans des revues québécoises. Dans le domaine des arts et des langues, ceux qui ne publient pas dans les revues québécoises représentent respectivement 65 % et 47 % des chercheurs. À cet égard, les chercheurs de ces disciplines se comportent davantage comme ceux des sciences naturelles que ceux des sciences humaines. En effet, sur les dix-neuf disciplines de notre découpage (annexe 2), dix comptent une majorité de chercheurs ne publiant aucun article dans des revues québécoises. Sur ces dix disciplines, on retrouve les huit disciplines des sciences naturelles, du génie et des sciences biomédicales, plus les arts et la psychologie.

L’importance accordée aux revues québécoises varie également selon la langue de l’institution d’attache. Ainsi, les chercheurs des universités francophones publient proportionnellement davantage dans les revues québécoises que leurs homologues des universités de langue anglaise. Près de la moitié des chercheurs associés aux universités francophones (45,9 %) ont déjà publié un article dans une revue québécoise contre seulement 13,6 % chez ceux associés aux institutions anglophones. Dans les universités francophones, 11,5 % des personnes ont déclaré publier quasi exclusivement dans des revues québécoises (76 à 100 % de leurs publications), alors que cette proportion est de 0,5 % dans les institutions anglophones.

Au plan des pratiques de publications, il faut donc nuancer la dichotomie SNG / SBM d’une part, qui publierait surtout à l’étranger et en anglais, et SSH / AL d’autre part qui publierait surtout au niveau local : dans ce dernier groupe de disciplines, les possibilités de diffusion à l’extérieur du Québec ne sont pas rares et semblent utilisées par les chercheurs.

La publication hors Québec

Exception faite des revues savantes québécoises, où les chercheurs québécois publient-ils ? On peut souligner d’emblée que les chercheurs ne publient pas plus dans les revues canadiennes que québécoises (tableau 3). En effet, 63,2 % des personnes ayant répondu au questionnaire n’ont publié aucun article dans des revues canadiennes éditées en anglais – comparativement à 62,1 % pour ceux qui se sont abstenus d’utiliser les revues québécoises. Il n’y a en fait que 3 % des chercheurs qui publient la majeure partie de leurs travaux dans des revues canadiennes anglophones. Si on ajoute à ces derniers les chercheurs publiant dans des revues canadiennes bilingues, on atteint 6,1 %. On observe aussi que 12,8 % des chercheurs publient majoritairement leurs articles dans des revues québécoises. En additionnant ceux qui publient la majorité de leurs articles dans les revues québécoises, canadiennes (anglaises et bilingues), on obtient un taux de 18,9 %, ce qui signifie que plus de 80 % des chercheurs universitaires québécois publient la majeure partie de leurs articles dans des revues hors Québec.

Pour un faible nombre de chercheurs, soit 1,8 %, les revues éditées en français dans d’autres pays constituent le principal lieu de publication. Un groupe important (39,5 %) publie surtout dans des revues éditées en anglais, mais non canadiennes. Parmi les revues éditées en anglais, les revues américaines recueillent, et de loin, l’adhésion du plus grand nombre : 34,3 % des chercheurs y publient la majorité de leurs articles. Au total, 42,5 % des chercheurs québécois publient la majorité de leurs articles dans des revues éditées en anglais.

On remarque qu’un tiers des chercheurs (33,9 %) concentrent fortement leurs publications (de 51 à 100 % de leurs articles) dans une seule catégorie de revues (québécoises, américaines, etc.). Dans l’ordre, les trois types de revues où se retrouvent le plus souvent ces chercheurs sont les revues américaines (18,6 %), les revues québécoises (8,8%) et les revues canadiennes bilingues (3,5 %).

Des différences s’observent encore ici entre les chercheurs des universités anglophones et francophones. Alors que 22,8 % des chercheurs des universités de langue française ont déclaré publier plus de 50 % de leurs articles dans des revues de langue française, ce pourcentage est seulement de 2,9 % pour leurs collègues des universités anglophones. Ces derniers publient davantage dans les revues éditées en anglais que leurs collègues des universités francophones. Malgré tout, pour les deux groupes de chercheurs, les revues américaines exercent la plus grande attraction : 30,8 % des chercheurs des universités francophones y publient 51 à 100 % de leurs articles, alors qu’ils sont plus de 45 % chez les chercheurs des universités anglophones.

Motifs de la publication hors Québec

Un nombre important de chercheurs ‑ 62,1 % ‑ ne publient jamais dans les revues québécoises : quelles sont leurs raisons ? Le principal motif évoqué par les répondants à cette question est commun à tous les secteurs et institutions d’appartenance : il n’existe aucune revue dans leur spécialité.

En ce qui concerne les autres motifs, des différences importantes s’observent entre les institutions anglophones et francophones et selon les disciplines. Ainsi, en SNG les chercheurs des universités anglophones invoquent-ils, comme second motif, de n’écrire qu’en anglais (73 répondants), la troisième raison étant que l’occasion d’y publier ne s’est jamais encore présentée (45 répondants). Pour leurs homologues des universités francophones, cette dernière raison arrive en deuxième position (94 répondants), alors que le fait de n’écrire qu’en anglais, évoqué par 47 répondants, vient en troisième.

Aucune différence ne se remarque entre les institutions anglophones et francophones en SBM. En SSH, c’est l’évaluation négative de la qualité des revues québécoises qui est avancée par les chercheurs des universités francophones comme troisième raison d’abstention à publier dans des revues québécoises.

Les revues scientifiques québécoises

Les chercheurs publient dans des revues québécoises lorsqu’elles existent dans leur discipline. Ce comportement caractérise beaucoup plus, cependant, les chercheurs québécois des SSH et des AL. Du reste, quelles sont les revues québécoises et qu’y publie-t-on ?

Une banque de données, la Banque de données sur les revues savantes québécoises (BRSQ), a été conçue entre autres pour répondre à ces questions. La BRSQ constitue un répertoire complet de 52 revues scientifiques québécoises – dont la majorité (39) ne sont pas présentes dans les banques de données de l’ISI – sur un total d’environ 60 que produit le Québec (Godin et Limoges, 1995)[9]. La banque de données répertorie tous les types de documents publiés dans les 52 revues de 1990 à 1999. De plus, les documents publiés en 1980 et 1985 ont été indexés afin d’étudier l’évolution des revues dans le temps.

Au total, 7 233 documents ont été statistiquement analysés. Sur la période considérée ici (1991-1996), environ 86 % de ces documents étaient écrits en français, 13 % en anglais et 1 % dans une autre langue.

Le système de classification de chaque revue comprend plus de vingt variables. Outre le nom de la revue, on y trouve d’abord une classification selon trois principaux domaines (ou familles de disciplines) où sont distinguées près de 30 spécialités (voir annexe 1). On compte 34 revues dans les sciences sociales et humaines (SSH), 13 revues dans les arts et lettres (AL) et 5 dans les sciences biomédicales, les sciences naturelles et le génie (SBM-SNG). Un certain nombre d’informations de base ont aussi été saisies sur chacun des documents indexés : le titre, l’année de parution, le volume et le numéro de la revue, la localisation du document (page de début et de fin) ainsi que le nombre d’auteurs et la langue du document. Ont été également indexés le nom des auteurs, leur adresse institutionnelle et leur origine nationale[10].

Enfin, chacun des documents a été classé selon une typologie comprenant une dizaine de catégories : article, compte rendu, note, présentation, éditorial, etc. (voir annexe 3). Le tableau 4 montre la fréquence de chaque type de document entre 1991 et 1996. Le type de document le plus courant est l’article (48 % des documents répertoriés entre 1991 et 1996) suivi du compte rendu (36 %).

La production scientifique québécoise

Dans le cadre de la présente analyse, seuls les deux types de documents les plus représentatifs d’une production de connaissances scientifiques nouvelles ont été retenus : l’article et la note de recherche sont, en effet, les vecteurs les plus importants pour la diffusion de nouvelles connaissances. Dans le cas présent, ils représentent 53 % de l’ensemble des documents inventoriés dans la BRSQ entre 1991 et 1996. Ces deux types de documents seront, par convention, appelés « publications » dans ce qui suit.

La majorité des publications québécoises se retrouvent, comme le montre le tableau 5, en sciences sociales et humaines (58 %). Suivent les arts et lettres (26 %) et les sciences biomédicales, les sciences naturelles et le génie (16 %). On observe un taux de croissance d’environ 50 % entre 1980 et 1996, le nombre de publications passant d’environ 800 à plus de 1 200 par année. L’apparition de 13 nouvelles revues après 1980 explique en partie cette croissance. L’on note cependant qu’entre 1980 et 1996 le nombre de publications est multiplié par quatre dans les SBM-SNG (qui comptent trois revues en 1980 et cinq en 1996). Un certain essoufflement de la production semble perceptible après 1993 : en effet, le nombre total de publications répertoriées, en nette augmentation jusque-là, a amorcé un léger repli depuis cette date.

Tableau 4

Types de documents – BRSQ, 1991-1996

Types de documents – BRSQ, 1991-1996

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Chacun des domaines disciplinaires a une tradition bien spécifique quant au type de documents produits. Ainsi les SBM-SNG présentent-ils la plus forte proportion de publications (83 % d’articles et de notes) relativement à l’ensemble des types de documents. Cette proportion est de 66 % en AL et de 44 % en SSH. Dans ce dernier domaine, les comptes rendus sont très fréquents et représentent 45 % des documents produits.

Origine des publications

Les revues recensées dans la BRSQ montrent évidemment une forte présence d’auteurs québécois (46 % des publications). Les auteurs étrangers sont cependant relativement nombreux (37 %). Les auteurs originaires du reste du Canada signent, quant à eux, 13 % des publications[11].

Tableau 5

Nombre de publications par année selon les secteurs selon les secteurs, 1980-1996

Nombre de publications par année selon les secteurs selon les secteurs, 1980-1996

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En ce qui concerne les auteurs du Québec, le nombre des publications dans les revues québécoises est à peu près stable entre 1991 et 1996. Si la présence de ces auteurs est relativement importante dans les SSH (57 %), elle est un peu plus faible dans les AL (42 %) et sensiblement plus basse dans les SBM-SNG (17 %). Notons que les sciences sociales et humaines sont le seul domaine où l’on observe une croissance des publications en provenance des auteurs québécois (plus 5 %).

Le tableau 6 montre le nombre de publications en provenance de chercheurs d’autres provinces canadiennes. De 1991 à 1996, le nombre de ces publications diminue dans les SBM-SNG de même que dans les SSH, alors qu’une légère croissance s’observe dans les AL. Les auteurs ontariens se classent au premier rang (67 %). L’Alberta, avec 10 % des publications, et la Colombie-Britannique, avec 9 %, suivent de loin et les autres provinces, quant à elles, ont une présence marginale dans les revues québécoises.

Des auteurs d’environ 85 pays signent des travaux dans les revues québécoises. Le tableau 7 montre le nombre de publications des auteurs des dix pays revenant le plus souvent dans les revues québécoises. À eux seuls, ces dix pays représentent 74 % de la production étrangère.

Tableau 6

Nombre de publications en provenance des chercheurs canadiens hors Québec dans les revues québécoises, par secteurs, 1991-1996

Nombre de publications en provenance des chercheurs canadiens hors Québec dans les revues québécoises, par secteurs, 1991-1996

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Entre 1991 et 1996, on observe une légère progression dans tous les domaines. Ces chiffres sont à la hausse en ce qui concerne la France, la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne et le Brésil, et à la baisse pour les autres pays.

La France se distingue tout particulièrement dans les revues québécoises (45 % des publications venant de l’étranger), notamment dans les SBM-SNG (70 %). La position occupée par ce pays s’explique surtout par une revue : Médecine / Sciences, résultat d’une collaboration franco-québécoise.

Tableau 7

Nombre de publications en provenance des chercheurs de l’étranger dans les revues québécoises, par secteurs, 1991-1996

Nombre de publications en provenance des chercheurs de l’étranger dans les revues québécoises, par secteurs, 1991-1996

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Indice de liens notables avec la recherche réalisée aux États-Unis, les publications d’auteurs américains (ou avec une adresse américaine) arrivent en seconde position dans tous les domaines, mais plus de la moitié des publications concerne les SSH. En troisième place suit la Belgique devant le Royaume-Uni et la Suisse. Pour l’essentiel, la présence des auteurs d’autres pays s’affirme plus spécialement dans les SSH et les AL.

Les auteurs du Québec qui publient dans les revues scientifiques québécoises représentent surtout les grandes universités francophones : l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal (tableau 8). Mais les revues constituent aussi un support de diffusion pour les chercheurs d’institutions anglophones, surtout en SSH et en AL : McGill occupe à cet égard la quatrième place.

Tableau 8

Les 15 institutions québécoises dont les chercheurs publient le plus dans les revues québécoises, par secteur, 1991-1996

Les 15 institutions québécoises dont les chercheurs publient le plus dans les revues québécoises, par secteur, 1991-1996

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En ce qui concerne les auteurs attachés à des institutions canadiennes hors Québec, ils proviennent surtout des universités ontariennes : l’Université d’Ottawa est au premier rang et seule l’Université d’Alberta parvient à se glisser entre l’Université de Toronto et les universités York et Queen’s (tableau 9).

Tableau 9

Les 15 institutions canadiennes hors Québec dont les chercheurs publient le plus dans les revues québécoises par secteurs, 1991-1996

Les 15 institutions canadiennes hors Québec dont les chercheurs publient le plus dans les revues québécoises par secteurs, 1991-1996

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Ces publications visent essentiellement les SSH et les AL. Une exception cependant : la forte présence en SBM-SNG de deux organismes fédéraux : la Commission géologique du Canada et Agriculture Canada arrivent en effet largement en tête dans ce domaine.

Le tableau 10 permet d’identifier les institutions étrangères dont les chercheurs publient le plus dans les revues québécoises. Les institutions françaises dominent largement cette liste et leur apport apparaît particulièrement significatif en SBM-SNG : le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) arrive en première position, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) occupe la deuxième place, et l’Institut Pasteur la quatrième.

La prédominance de ces institutions trouve son origine principalement dans la revue franco-québécoise Médecine / Sciences. L’on note aussi que les quinze institutions étrangères les plus présentes dans les revues québécoises sont toutes francophones – françaises, belges ou suisse, notamment en raison de la plus grande dispersion institutionnelle des auteurs originaires des États-Unis, qui se situent pourtant au deuxième rang quant à leur présence globale dans les revues québécoises (voir tableau 7). En ce qui concerne ce dernier pays, si on remarque l’Université de Californie et l’Université Harvard parmi les premières institutions, on en distingue d’autres aussi comme l’Université du Texas, l’Université du Colorado ou l’Université de l’Iowa. Les auteurs originaires des États-Unis se retrouvent ainsi dans quelque 240 institutions.

Pour récapituler, les chercheurs québécois publient surtout dans les sciences humaines et sociales, tout comme ceux des universités canadiennes hors Québec (tableau 11).

La forte présence des chercheurs des institutions étrangères en SBM-SNG s’explique par le poids des institutions françaises (et l’influence de la revue franco-québécoise Médecine / Sciences). Les autres pays sont, dans l’ensemble, plutôt actifs dans les AL et les SSH.

La collaboration scientifique

Le tableau 12 révèle qu’environ trois quarts des publications sont signées par un seul auteur, les travaux en collaboration représentant donc le dernier quart. Cette distribution varie selon le domaine disciplinaire : de fait, certaines disciplines sont moins propices au travail en équipe ou les chercheurs sont moins enclins, par tradition, à collaborer.

Tableau 10

Les 15 institutions étrangères dont les chercheurs publient le plus dans les revues québécoises par secteurs, 1991-1996

Les 15 institutions étrangères dont les chercheurs publient le plus dans les revues québécoises par secteurs, 1991-1996

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Tableau 11

Nombre de publications des chercheurs québécois, canadiens et étrangers dans les revues québécoises par secteurs, 1991-1996

Nombre de publications des chercheurs québécois, canadiens et étrangers dans les revues québécoises par secteurs, 1991-1996

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Dans les arts et lettres, la proportion de publications cosignées est de 8 %, dans les sciences sociales et humaines, de 25 % et dans les sciences biomédicales, les sciences naturelles et le génie, de 65 %. À l’exception des AL, les publications en collaboration sont en hausse, ce qui est conforme à une tendance déjà observée dans l’ensemble de la production scientifique à l’échelle internationale (Gingras, Godin et Foisy, 1999).

Si l’on isole les publications réalisées par des chercheurs québécois en collaboration avec leurs homologues du reste du Canada, on constate qu’elles connaissent une très légère croissance. Cette collaboration est somme toute très limitée (soit 0,8 %) et concentrée dans les sciences sociales et humaines (61 % des collaborations).

La collaboration internationale (publications contenant au moins un auteur étranger) représente environ 3 % des publications (tableau 13). Elle est beaucoup plus fréquente dans les sciences biomédicales, les sciences naturelles et le génie (17 % des publications du Québec dans ce domaine) que dans les arts et lettres (moins de 1 %) ou les sciences sociales et humaines (2,7 %). Cette collaboration internationale connaît en outre une hausse de 75 % entre 1991 et 1996 dans les SSH alors qu’elle décroît dans les SBM-SNG.

Tableau 12

Publications dans les revues québécoises, selon le nombre d’auteurs, par secteurs, 1991-1996

Publications dans les revues québécoises, selon le nombre d’auteurs, par secteurs, 1991-1996

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Tableau 13

Pays des chercheurs qui cosignent des articles avec des chercheurs québécois, dans des revues québécoises, par secteur, avec le Québec 1991-1996

Pays des chercheurs qui cosignent des articles avec des chercheurs québécois, dans des revues québécoises, par secteur, avec le Québec 1991-1996

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Les Français sont les principaux partenaires des chercheurs québécois (45 % des collaborations internationales), devant les Américains (17 %) et les Belges (8 %). La collaboration avec les États-Unis a doublé dans les SSH, mais les chiffres restent, en valeur absolue, extrêmement faibles. De fait, il est difficile de parler de tendance ici.

L’évaluation des revues québécoises par les chercheurs

Dans l’enquête réalisée auprès des chercheurs, diverses questions ont été posées pour mieux cerner l’opinion des chercheurs sur les revues québécoises. Les personnes interrogées se sont vu d’abord demander d’évaluer les revues sur la base de sept critères. Les chercheurs devaient classer la qualité des revues québécoises par rapport à l’ensemble des autres revues de leur discipline, sur une échelle de 1 (moins bonne) à 5 (meilleure). Seuls les chercheurs ayant déclaré l’existence de revues québécoises dans leur domaine (une population d’environ 700) étaient invités à répondre à ces questions. On note qu’aucun des critères de qualité n’atteint le niveau 4 (l’indice le plus élevé étant de 3,59). Aucune revue québécoise n’apparaît donc aux personnes interrogées comme de qualité exceptionnelle (tableau 14).

Tableau 14

Évaluation des revues québécoises par secteur et selon sept critères de qualité

Évaluation des revues québécoises par secteur et selon sept critères de qualité

Note :

Description des sigles :

(SNG) Sciences naturelles et génie ;

(SSH) Sciences sociales et humaines ;

(SBM) Sciences biomédicales ;

(AL) Arts et Lettres.

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Néanmoins, il est clair que le secteur des AL fait l’évaluation la plus positive de ses revues, suivi par le secteur des SSH, ce dernier jugeant plus faibles les revues sur la base des critères de méthode et de reproductibilité des résultats. Les chercheurs en SNG et SBM font une faible évaluation des revues québécoises sur plusieurs critères : nouvelles données, perspective théorique, méthode…

Les chercheurs ont aussi été amenés à évaluer les revues québécoises selon d’autres attributs (tableau 15). Les revues québécoises en AL sont évaluées le plus positivement sur tous les critères, à l’exception de la diffusion dont l’indice est d’ailleurs le plus bas pour tous les secteurs. Dans tous les secteurs également, l’ouverture aux problématiques locales semble l’attribut le mieux évalué. Inversement, l’ouverture aux problématiques internationales reçoit une évaluation assez faible, surtout dans les SNG et les SBM.

Tableau 15

Évaluations des revues québécoises par secteur et selon divers attributs

Évaluations des revues québécoises par secteur et selon divers attributs

Note :

Description des sigles :

(SNG) Sciences naturelles et génie ;

(SSH) Sciences sociales et humaines ;

(SBM) Sciences biomédicales ;

(AL) Arts et Lettres.

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Relativement au calibre de la revue, l’évaluation laisse voir un contraste net entre les SNG et SBM d’une part, et les SSH et AL d’autre part (tableau 16). En effet, un groupe important de chercheurs en SNG (43,56 %) et en SBM (43,27 %) ne considère pas les revues québécoises dans leur domaine comme étant de calibre international, alors qu’en SSH et en AL, 42,82 % et 64,47 %, respectivement, affirment que ces revues sont « certainement » de calibre international. La perception globale sur l’avenir des revues québécoises apparaît plutôt positive, cependant, comme l’indique l’addition, dans chaque secteur, de ceux qui ont répondu « en voie de devenir » (de calibre international) et « certainement » (de calibre international). À noter que, dans l’ensemble, les revues québécoises ont déjà une certaine longévité : 59 % ont plus de 25 ans, 15 % plus 50 ans (annexe 3).

En ce qui concerne l’utilisation des revues par les chercheurs, un certain nombre de questions ont été posées qui donnent aussi un aperçu de l’évaluation directe ou indirecte des revues québécoises par les chercheurs. On peut mentionner rapidement que les chercheurs en SSH et AL sont ceux qui, de façon générale, 1) évaluent mieux la contribution intellectuelle des revues québécoises dans leur domaine, 2) consultent davantage ces revues, 3) y sont plus souvent abonnés, 4) incitent plus les étudiants gradués à y publier et 5) les utilisent davantage dans leurs cours que ne le font leurs homologues des SNG et des SBM. Dans une certaine mesure, l’utilisation plus soutenue des publications québécoises en SSH et AL par les chercheurs du Québec ne fait qu’illustrer le caractère plus national du marché pour les recherches dans ces secteurs.

Tableau 16

Évaluation par les chercheurs québécois du calibre international des revues québécoises par secteur (%)

Évaluation par les chercheurs québécois du calibre international des revues québécoises par secteur (%)

Note :

Description des sigles :

(SNG) Sciences naturelles et génie ;

(SSH) Sciences sociales et humaines ;

(SBM) Sciences biomédicales ;

(AL) Arts et Lettres.

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Finalement, la BRSQ donne aussi certaines indications, de manière indirecte, sur l’opinion des chercheurs étrangers publiant au Québec. De 1991 à 1996, 3 550 chercheurs étrangers ont fait paraître certains de leurs travaux au Québec (4 054 publications). Une quarantaine d’auteurs étrangers publient avec plus ou moins de régularité au cours de cette période (plus de quatre publications) : dans 45 % des cas (18 sur 40), il s’agit de chercheurs français (ou européens) publiant dans Médecine / Sciences ; c’est le cas également pour 37 % de ceux qui publient plus de trois travaux[12].

Au terme de cette analyse qui mettait en perspective les revues savantes québécoises, les pratiques de publication des chercheurs québécois et leur évaluation de ces revues, un certain nombre de constats peuvent être dressés.

En général, les chercheurs universitaires québécois publient peu dans les revues québécoises ; plus de 80 % d’entre eux publient la majeure partie de leurs travaux dans des revues étrangères, le plus souvent dans des revues américaines. Ces dernières exercent un attrait certain même parmi les chercheurs des universités francophones ; 30,8 % d’entre eux y publient de 51 à 100 % de leurs articles. L’anglais demeure un vecteur incontournable pour diffuser la recherche et, de fait, est largement utilisé ; 42,5 % des chercheurs publient la majorité de leurs articles dans des revues éditées dans cette langue. Ces chiffres permettent de déduire une relative visibilité de la recherche québécoise au plan international.

Il existe des différences appréciables entre les pratiques de publications des chercheurs des différents secteurs disciplinaires. En sciences biomédicales et en sciences naturelles et génie, ce sont respectivement près de 87 % et 69 % des chercheurs qui ne publient aucun article au Québec. Dans les sciences sociales et humaines et les arts et lettres, cette proportion chute à près de 35 % et 30 %. Ces deux secteurs disciplinaires disposent d’ailleurs d’un nombre beaucoup plus important de revues, soit près de 90 % de l’ensemble des titres québécois.

Cette dichotomie entre ces deux grands groupes de disciplines doit toutefois être nuancée : certaines disciplines en sciences sociales et humaines (l’administration, les langues…) ont des comportements assez proches de ceux des sciences naturelles. Sous ce rapport, le marché et la capacité de susciter un intérêt au niveau soit national soit international déterminent en grande partie les pratiques de publication : trouver une audience intéressée à l’échelle internationale apparaît, en général, plus facile pour les chercheurs en sciences biomédicales, en sciences naturelles et en génie que pour leurs homologues en sciences sociales et humaines.

Les différences dans les pratiques de publications ont des répercussions sur l’évaluation que les chercheurs font des revues scientifiques québécoises dans leur domaine. De façon générale, la perception des revues québécoises est plus positive dans les sciences sociales et humaines ou les arts et lettres que dans les sciences biomédicales, les sciences naturelles et le génie ; l’utilisation des revues est également plus soutenue dans ces domaines. Rappelons également, comme indicateur de la qualité des revues québécoises, le fait qu’un grand nombre de chercheurs étrangers publient dans celles-ci : plus de 50 % des articles sont signés ou cosignés par des chercheurs étrangers. Il resterait toutefois, pour valider l’indicateur, à vérifier l’hypothèse selon laquelle ces pratiques sont d’abord un effet de réseau.

Bref, le champ de l’édition scientifique québécoise apparaît largement tributaire de la position que tendent à occuper les chercheurs dans le champ scientifique. Dans l’ensemble, les données recueillies montrent la propension des chercheurs québécois à étendre à l’échelle internationale leur aire de diffusion, visant ainsi à maximiser l’impact de leurs travaux et à s’assurer une reconnaissance plus grande. Si pour les études plus « enracinées dans une problématique sociale », les revues nationales restent des éléments clés dans les stratégies des chercheurs pour maximiser la visibilité de leurs travaux, les « synthèses théoriques », souvent produites par les plus dotés en capital scientifique, les plus avancés « dans la consécration », sont plus susceptibles d’être diffusées à l’échelle internationale. Dans ce sens, les revues québécoises tendraient à être désavantagées pour publier les contributions les plus significatives des chercheurs québécois ou étrangers.