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Les comportements culturels des adultes ont été profondément auscultés depuis 25 ans. Citons, entre autres, les enquêtes du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF) sur les pratiques culturelles des Québécois, et les cycles de l’Enquête sociale générale qui portent sur l’emploi du temps. Les recherches québécoises sur les pratiques culturelles des jeunes de moins de 15 ans et sur leurs valeurs sont par ailleurs peu nombreuses. La dernière enquête sur les loisirs des jeunes qui couvre l’ensemble du Québec date de près de 15 ans (En vacances et à l’école. Les loisirs des élèves du secondaire, Gouvernement du Québec, 1994). Certaines pratiques des jeunes, il est vrai, ont fait l’objet d’une attention particulière. C’est le cas de la lecture qui a donné lieu à plusieurs recherches dans le cadre de l’évaluation de la politique québécoise de la lecture et du livre. Il en est un peu de même des pratiques entourant les technologies de l’information et de la communication, entre autres avec les études menées par l’équipe de Jacques Piette de l’Université de Sherbrooke et par les sondages NetAdos du Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO).

Aussi, l’ouvrage de Gilles Pronovost, qui fournit un large aperçu des valeurs et des pratiques culturelles des jeunes en les situant dans leur environnement familial et scolaire, était-il attendu. Cette étude s’inspire des travaux menés en France par Sylvie Octobre sur les loisirs culturels des enfants et des adolescents (Les loisirs culturels des 6-14 ans, La Documentation française, 2004). Elle se situe également dans le prolongement des recherches de l’auteur sur les thèmes de la famille, du rapport au temps, des valeurs des jeunes et de leurs pratiques de loisir. Le contenu de certains chapitres n’est pas complètement inédit puisqu’il a fait l’objet de publications dans cette revue et en d’autres lieux. Toutefois, leur rassemblement au sein d’un même ouvrage fournit au lecteur un portrait plus complet de l’univers culturel des jeunes.

L’analyse se base principalement sur une recherche empirique entreprise sur les activités de temps libre des élèves de la 5e et de la 6e année du primaire ainsi que ceux du début du secondaire. Au total, plus de 1 800 questionnaires ont été remplis par ces élèves provenant de différents territoires : Rivière-du-Loup, Abitibi, Québec, Trois-Rivières, Montréal et Laval. L’échantillon se limite volontairement aux classes d’écoles publiques francophones. Toutefois, il aurait été intéressant qu’il ait été étendu aux classes anglophones de même qu’à celles du secteur privé de manière à dégager plus largement la diversité des univers des jeunes selon d’autres milieux scolaires.

Le chapitre deux, qui porte sur les rapports au temps, aux perspectives d’avenir et au système de valeurs, présente les valeurs des jeunes dans leur évolution par rapport aux institutions que sont la famille, l’école et le travail et aussi par rapport à leurs réseaux de sociabilité dans la famille et avec les amis. « Le parcours des jeunes au sein de leur réseau familial ainsi que leur cheminement scolaire apparaissent comme deux variables clés qui conditionnent le contenu de ces valeurs, l’importance qui leur est attachée, leur évolution dans le temps » (p. 34).

Le chapitre trois, qui traite de la construction du système de valeurs, s’appuie sur l’analyse d’entretiens semi-dirigés menés auprès d’une trentaine de jeunes de 14 à 19 ans. Ce chapitre est fort instructif de la structuration des valeurs des jeunes au début de l’adolescence (14 à 16 ans) lorsqu’ils se distancient du milieu familial, puis de celle de leur entrée dans la vie adulte (17 à 19 ans) selon leur réussite, les perspectives d’emploi et l’intégration progressive au marché du travail.

Les autres chapitres abordent des thématiques plus spécifiques : les activités physiques, les activités culturelles, les habitudes de lecture et les technologies de l’information et de la communication. Les conclusions de ces analyses confirment généralement celles d’autres études québécoises ou étrangères. En plus des données de la recherche empirique dont il a été question, l’auteur enrichit son analyse des résultats d’autres recherches qu’il a menées dans le cadre de l’Enquête sociale et de santé auprès des enfants et des adolescents québécois (Santé Québec et Institut de la statistique du Québec, 1999) ou encore dans le cadre d’un projet subventionné par le MCCCF.

Cette étude vient combler un vide dans la connaissance des pratiques culturelles d’une partie de la population, les jeunes du secondaire. Elle met à jour les influences de la famille, de l’école et des amis dans la structuration des valeurs des jeunes aux différents points de passage de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte. Elle montre comment les jeunes vivent dans des univers multiples. L’auteur en identifie cinq (médias, pratique en amateur, lecture, équipements culturels et pratique sportive) évoluant au cours des cycles de vie de la jeunesse et subissant l’influence des stéréotypes sexuels.

Le tableau dressé dans cet ouvrage demande à être doublement complété. Certaines pratiques méritent d’être explorées davantage, telle l’écoute musicale dont on sait combien les jeunes la valorisent dans leur espace culturel, combien elle contribue à leur identité et comment ils s’en servent comme véhicule de sociabilité. Puis, ce tableau esquissé devrait se prolonger par une étude représentative de l’ensemble des élèves de la fin du primaire et du début du secondaire, plus complète quant au contenu et plus large quant à la couverture sociale et géographique.