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Le référendum de 1995 sur la souveraineté partenariat demeure un événement phare de l’histoire politique du Québec. En octobre 2005, dix ans plus tard, des acteurs, témoins, observateurs et politicologues furent conviés à participer à un colloque visant à poser un regard sur la démarche référendaire de 1995 mais surtout dans le but d’en tirer des leçons dans l’éventualité d’un autre référendum. Comme le titre de cet ouvrage l’indique, les participants étaient invités surtout à réfléchir sur les conditions et la conjoncture pouvant entourer la tenue d’un éventuel référendum. Comme l’écrit d’ailleurs le directeur du quotidien Le Devoir, Bernard Descôteaux : « La tenue d’un troisième référendum ne peut de fait être définitivement écartée. Dès le soir du 30 octobre, les souverainistes se convainquirent que ce n’était que partie remise » (p. XIV).

D’entrée de jeu, Jean-François Lisée évoque quelques éléments de la stratégie référendaire de 1995. Conseiller politique du premier ministre Jacques Parizeau, au lendemain de l’élection du Parti québécois en septembre 1994, son regard porte essentiellement sur « ce que j’ai vu et ce à quoi j’ai contribué » (p. 7). Jean-François Lisée rappelle entre autres comment le programme du Parti québécois de 1993 contraignait le nouveau gouvernement à faire adopter par l’Assemblée nationale une déclaration « affirmant la volonté du peuple québécois de devenir souverain » (p. 90). Selon lui, une telle déclaration posait une « problème de légitimité » surtout que la souveraineté n’avait plus le vent dans les voiles au moment de l’élection de 1994. L’objectif premier de la stratégie était donc de ramener la souveraineté à l’avant-scène. Pour ce faire, il fallait créer une grande coalition souverainiste en regroupant les Partenaires pour la souveraineté et en mettant sur pied des Commissions régionales dont le mandat était de proposer des changements au projet de loi sur la souveraineté du Québec. Finalement, l’entente tripartite signée en juin 1995 sur une offre éventuelle de partenariat au Canada entre les leaders du Parti québécois, du Bloc québécois et de l’Action démocratique du Québec, permettra d’unir davantage les Québécois autour de l’idée de souveraineté.

Jean-François Lisée estime que le camp souverainiste a commis deux erreurs qui auraient pu changer le résultat de 1995 : l’identification de l’électeur et la discipline budgétaire imposée par Jacques Parizeau aux ministères. Quant à Pierre-F. Côté, l’ancien directeur général des élections du Québec au moment du référendum de 1995, il insiste davantage sur les dérives du camp du Non qui ont contourné aisément les règles de la Loi sur la consultation populaire du Québec. Ce qui est devenu flagrant en 1995 fut de constater que des personnes physiques ou morales vivant à l’extérieur du Québec ont contribué sans commune mesure aux dépenses du camp du Non. Pour régler ce problème, il propose deux avenues. Une solution politique qui serait de signer une entente entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux (Ontario en particulier) et le gouvernement du Québec dans laquelle chaque partie s’engagerait à respecter les règles référendaires. Quant à la solution juridique, le gouvernement du Québec devrait inscrire toute fraude électorale comme une infraction criminelle et demander à la Cour d’appel du Québec d’établir clairement que l’équilibre des dépenses en période référendaire est nécessaire et conforme à la Constitution canadienne. Ainsi, pour qu’il y ait une « réponse claire » lors d’un référendum, il faut d’abord que les règles soient respectées par les deux camps.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, trois chapitres nous replongent dans l’analyse sociologique du vote de 1995. Tout d’abord, Claire Durand propose une relecture de tous les sondages publiés en 1995 ainsi que ceux sur l’évolution de l’appui à la souveraineté jusqu’en 2005. L’analyse des données confirme que l’arrivée de Lucien Bouchard dans la campagne « ne peut expliquer la remontée du Oui durant les deux semaines précédant l’événement » (p. 32) et qu’il faut rejeter l’hypothèse que la montée de l’appui à la souveraineté serait due à la formulation de la question. Le succès du camp du Oui s’explique aussi par les erreurs du camp du Non. Mais la question essentielle est de savoir qui seront les électeurs potentiels pour le Oui lors d’un éventuel référendum. Claire Durand note que des changements sociologiques importants se sont produits au Québec depuis le référendum de 1995 et que les appuis à la souveraineté ont évolué. Les électeurs de plus de 55 ans représentaient 27 % des partisans du Oui en septembre 2005 contre 15 % en 1995. De plus, la cohorte jeune a diminué de 37 % à 28 % en dix ans. Gilles Gagné et Simon Langlois abondent dans le même sens en soulignant que l’appui à la souveraineté n’est pas de nature générationnelle puisque de plus en plus de jeunes s’identifient au fil des ans au projet de René Lévesque. En d’autres termes, la probabilité de voter Oui augmente de génération en génération. Toutefois, et les auteurs insistent, chaque campagne référendaire a sa propre dynamique, ce qui demeure à bien des égards un facteur essentiel de mobilisation. Gagné et Langlois concluent d’ailleurs sur une note optimiste (pour les souverainistes sans doute) à savoir que le mouvement souverainiste demeure « une force tranquille… qui conserve tout son potentiel de changement sur le plan politique » (p. 65). Finalement, le chapitre de Jack Jedwab confirme les observations des auteurs précédents.

Dans la troisième partie, qui porte sur les relations Québec-Canada, Benoît Pelletier, Gilles Duceppe et Joseph Facal rappellent comment le gouvernement fédéral et les autres provinces ont réagi aux lendemains du référendum de 1995. Benoît Pelletier, dans un texte datant de 1997 et écrit à titre de ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes du Québec, demeure réaliste et constate qu’il reste « des défis de taille à relever » pour la fédération canadienne et que nombre de demandes du Québec n’ont pas encore reçu une écoute active d’Ottawa. La liste est longue : la reconnaissance de la spécificité du Québec, le règlement du déséquilibre fiscal, le respect des champs de compétences et l’asymétrie pour ne nommer que ceux-là. Il insiste sur le fait que les Québécois rejetteront le projet de souveraineté uniquement si les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux répondent « avec vigueur et sans délai » (p. 118) à ces défis et que le Canada choisit résolument la voie de « la modernisation plutôt que le statu quo » (p. 119). Gilles Duceppe et Joseph Facal renchérissent sur le fait que la démarche référendaire du mouvement souverainiste a été irréprochable en 1995. Pour Gilles Duceppe, les partisans de la souveraineté doivent continuer de parler de partenariat sans en faire une condition à la souveraineté et démontrer aux Québécois que la transition se fera de manière responsable. Joseph Facal estime pour sa part que la Loi sur la clarté (loi C-20) s’appuie sur quatre grands sophismes : « que la question de 1995 était ambiguë, que la majorité absolue des voix n’est pas un seuil suffisant lorsque c’est l’avenir d’un pays qui est en jeu, qu’il n’est que normal qu’il soit plus difficile de se séparer que de s’unir dans une démocratie, et que, de toute façon, le projet de loi C-20 ne fait que donner effet à l’avis de la Cour suprême de 1998 » (p. 135). Selon l’ancien député et ministre, le gouvernement fédéral « a joué avec le feu en s’adressant à la Cour suprême et s’est brûlé » dans tous ces cas d’espèce. De plus, la plus haute cour canadienne a reconnu l’obligation de la négociation advenant une victoire du Oui.

Finalement, dans la dernière partie de l’ouvrage, deux textes, ceux d’Éric Bédard et d’Alain-G. Gagnon et Jacques Hérivault, s’interrogent sur cette quête inassouvie des Québécois à être reconnus non seulement comme peuple mais aussi par la communauté internationale. Dans un texte qui cherche à refonder en quelque sorte la pensée « néosouverainiste », Éric Bédard insiste sur l’importance pour les partisans de la souveraineté du Québec de camper résolument leur projet dans sa continuité historique. Il interpelle ceux qui ont une « conception contractualiste » et trop civique du projet souverainiste. Il met ainsi en question la validité de la proposition récente de créer « une citoyenneté québécoise ». À son avis, le véritable sens de l’indépendance repose sur ce désir de reconnaissance des Québécois « comme communauté historique, comme culture bien vivante mais menacée » (p. 167-168). Quant à Gagnon et Hérivault, ils insistent qu’au lendemain d’un référendum gagnant, la réputation du Canada sera également en jeu dans la mesure où ce dernier sera en mesure d’offrir une « reconnaissance authentique » du nouvel État du Québec à la face du monde.

Le livre conclut par deux textes, l’un de Bernard Landry et l’autre de Thomas Mulcair. L’ancien premier ministre du Québec affirme que deux raisons militent pour l’indépendance : le droit reconnu des peuples à disposer d’eux-mêmes et aussi parce que sans statut national le Québec pourra difficilement faire face aux défis de la mondialisation. Il insiste lui aussi sur l’exemplarité de la démarche référendaire de 1995 et souhaite vivement que lors du prochain référendum « des missions d’observateurs étrangers soient chargées de vérifier si notre démocratie reste exemplaire » (p. 196). Quant au texte de Thomas Mulcair, dont la contribution apporte peu au débat quant au rejet de certains bulletins de vote – puisque tous les cas mentionnés ont trouvé une réponse devant les tribunaux et n’auraient en rien modifié le résultat référendaire – il aurait pu prendre une approche comparative et regarder de plus près les taux de rejet lors du référendum de Charlottetown de 1992 ou lors d’autres référendums. Par exemple, pourquoi lors du référendum de 1995 le taux de rejet a-t-il été plus faible que pour Charlottetown ?

Bref, si l’objectif des auteurs était d’ouvrir un certain nombre de débats avant la tenue d’un troisième référendum sur la souveraineté du Québec, il a été atteint. Il n’en demeure pas moins que, si certaines leçons doivent être tirées du référendum de 1995, et ce, autant du côté du Oui que du Non, plusieurs acteurs n’ont pas encore livré toutes leurs réflexions. Il faut espérer qu’ils le feront bientôt… avant le prochain référendum !