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Luc Godbout, professeur au Département de sciences comptables et de fiscalité et chercheur à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, en compagnie de sa collègue Suzie St-Cerny, professionnelle de recherche à la Chaire, se sont risqués à publier un ouvrage au titre quelque peu provocateur : le Québec serait-il devenu un paradis pour les familles, là où la pauvreté est réputée si étendue ? Les auteurs en effet ont souhaité que leurs concitoyens puissent réaliser l’effort que l’État a consenti au Québec depuis un certain nombre d’années à l’endroit des familles – des initiatives nombreuses et des transferts en argent dont bien peu de personnes seraient en mesure de situer la hauteur. Cet État en aurait tellement fait depuis quelques années que la question du « paradis pour les familles », suivi du point d’interrogation, se poserait ainsi de façon légitime.

Les auteurs se sont posé de multiples questions et ont tenté d’y répondre à l’aide de données à jour, présentées dans des tableaux tout à fait accessibles et d’une grande clarté. Avant d’y arriver, ils ont survolé les questions de démographie et de natalité, brossé un portrait statistique des familles, analysé le coût des enfants, fourni quelques éléments de la politique familiale, décrit les programmes de soutien financier aux familles et présenté leur méthode. Leurs constats portent ensuite sur le soutien aux familles en 2008, ses interactions avec le revenu familial, l’évolution de ce soutien de 2000 à 2008, comment se compare le Québec. Les auteurs terminent avec quelques axes de réflexions, que ce soit sur l’apport des frais de garde à contribution réduite (garderies à 7 $) et son impact sur les taux d’emploi des femmes, sur le régime d’assurance parentale, sur les recompositions familiales, etc.

Les auteurs avancent qu’une famille pauvre, avec deux enfants, dont les revenus ne sont que de 25 000 $, peut compter sur un revenu disponible annuel de 38 000 $ après impôts, cotisations sociales et prestations. Pour une famille, dont le revenu atteint 50 000 $, le revenu disponible est d’environ 48 000 $. Deux personnes gagnant 75 000 $, toujours avec deux enfants, ont un revenu disponible de 61 000 $ environ (p. 126). Diverses hypothèses de revenu et divers cas sont ainsi examinés, familles monoparentales, familles biparentales, etc.

On pourrait ajouter à cela que même au salaire minimum à temps plein, le revenu disponible est doublé avec deux enfants (de 15 000 à 30 000 $), ce que peu de gens doivent savoir mais qu’il est possible de vérifier avec l’addition de tous les programmes de transferts. Vouloir augmenter ce salaire minimum est une chose, mais l’impact d’une telle initiative demeurera toujours bien marginale à côté de ce que procurent les transferts gouvernementaux à l’intention des familles.

« C’est au Québec que la proportion du revenu de travail qui reste disponible à la famille, une fois considérés les prestations, impôts, cotisations sociales et les frais de garde, est la plus élevée, et ce, en regard d’une sélection de pays du G7 et de pays nordiques » (p. 241). Les auteurs espèrent que les perceptions à cet égard vont suivre, de sorte qu’on réalise que le Québec a clairement fait le choix des familles.

Un colloque en novembre 2008 a aussi permis d’appuyer la sortie du livre, dans lequel on retrouve également, sous forme d’encarts, les contributions de plusieurs des spécialistes invités à cette occasion, ainsi que de quelques autres (Jacques Légaré, Pierre Fortin, Ruth Rose, Jean-Yves Duclos, Alain Noël, près d’une quinzaine en tout). Ceux-ci ne se situent pas nécessairement toujours dans le même registre que les auteurs et éditeurs, bien qu’ils ne contestent pas les chiffres à l’appui de la thèse, mais la complémentarité de leurs points de vue respectifs permet de brosser un portrait encore plus complet de l’évolution récente des politiques. Rose par exemple examine l’évolution à plus long terme des politiques québécoise et fédérale à l’endroit des familles, pour conclure que le parcours a été jalonné de certains reculs et de quelques avancées ; Duclos se demande pour sa part si l’aide gouvernementale est excessive et sans nécessairement trancher la question, ses comparaisons sont éclairantes et portent à réfléchir sur l’équité fiscale ; Noël inscrit cette évolution favorable aux familles dans le contexte plus vaste des gains récents dans la lutte contre la pauvreté au Québec.

Seul agacement, dans le cadre de ses présentations publiques des données du livre – notamment celle au colloque organisé par le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CCLPES) de l’automne 2008 –, Godbout évoque systématiquement les retombées positives à l’endroit des familles les plus démunies comme un effet insoupçonné des « baisses d’impôt », s’en tenant à la lettre aux annonces budgétaires du gouvernement Charest au cours des dernières années. Si cela ne se retrouve pas dans le discours, il n’en demeure pas moins que plusieurs des initiatives en question, dont le soutien aux enfants qui a remplacé trois programmes existants (prestations familiales, crédit d’impôt non remboursable pour enfant à charge et réduction d’impôt à l’égard des familles) tout en bonifiant les montants transférés aux plus pauvres, s’inscrivent bel et bien sous le chapitre de la redistribution de la richesse. Si le gouvernement s’est bien appliqué à ne faire passer de telles initiatives que pour des « baisses d’impôt », il s’agissait pourtant de toute évidence, à son corps défendant, de redistribution de la richesse, l’impôt des plus riches servant à financer le soutien aux plus pauvres. Le constat qu’une telle initiative profite davantage aux plus pauvres n’a donc pas de quoi surprendre. Cela ne serait pas toujours vrai avec les « baisses d’impôt », qui ne profiteraient d’abord qu’aux contribuables qui en paient. Sans doute l’auteur a-t-il voulu encore une fois provoquer un peu son auditoire.

Godbout et St-Cerny ont souhaité faire oeuvre de pédagogie de façon à ce que leurs concitoyens puissent, en somme, prendre acte de l’évolution récente des politiques sociales à l’égard de la famille qui lui sont favorables, il n’en demeure pas moins que les spécialistes de ces questions qui ont suivi de près cette évolution ont sans doute moins appris des données présentées, mais doivent reconnaître que celles-ci sont peu connues du grand public, y compris dans certains cercles, qui y trouveront des données d’intérêt et des réflexions tout aussi intéressantes.