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Introduction

Les représentations, véritables systèmes d'interprétation de l'environnement social, sont des modes spécifiques de connaissance du réel permettant aux individus d'agir et de communiquer. En effet, les composantes identitaires, caractéristiques de l'action, expliquent la pratique ou sont inférées à partir d'elles. Par ailleurs, l'acteur social communique à partir des réalités ayant le statut de représentations, c'est-à-dire par des énoncés qui formalisent une représentation du réel et qui établissent un lien entre cette représentation et l'objet représenté. Les représentations sont liées étroitement aux identités des acteurs insérés dans des contextes donnés: identités sociales et identités professionnelles. Les représentations permettent aux groupes de réguler leurs interactions réciproques: groupes de formation, groupes professionnels.

La recherche d'outils conceptuels, les représentations socioprofessionnelles par exemple, doit permettre aux acteurs de donner du sens, doit aider à l'analyse des activités et par là même générer de nouveaux savoirs. Ces derniers sont posés comme des activités de formalisation et de communication consécutive à des activités intellectuelles aboutissant à de nouvelles activités d'un intérêt social amenant une transformation des représentations. Dans les modes de formation actuels, il y a engagement dans une action de transformation du réel ou de sa représentation, ceci induisant une transformation identitaire doublée d'une production de transformation ou d'évolution de représentation. Ces transformations/évolutions vont permettre la professionnalisation, l'acteur mettant en discours sa propre activité ou l'environnement de son activité. Une vraie culture de formation ne repose-t-elle pas sur la capacité de transfert à d'autres situations par le jeu de décontextualisation/ recontextualisation?

Nous cherchons à montrer qu'il existe un lien entre identité et représentation, l'identité impliquant une structure cognitive présentant les représentations comme la réalité. Nous revenons tout d'abord sur les grandes approches de la notion d'identité, nous voyons par la suite comment les théories des représentations permettent dans le contexte de la formation, de saisir le développement d'activités spécifiques à une situation amenant la production de nouvelles représentations; celles-ci devant donc se comprendre comme un processus dynamique en évolution, par rapport à des contextes différents. Nous illustrons ce lien identité/représentation par une étude diachronique, concernant l'évolution des représentations de leur futur métier de la part d'élèves ingénieurs en formation, qui met à jour les problèmes méthodologiques de saisie des représentations. Ce travail fait ressortir la diversité des représentations du métier d'ingénieur pour une population d'apprenants d'une même école, il pose les problèmes de formation à une profession dont le spectre de compétences s'étend de plus en plus, il remet en question le développement de la professionnalité.

La question des identités

La notion d'identité, lieu d'articulation de l'individuel et du social, peut être saisie selon deux points de vue. Le premier, d'ordre sociologique, définit l'identité comme les modalités d'appartenance de l'individu à un groupe, à une catégorie sociale, en fonction de son intégration à un système donné. Le second, d'ordre psychanalytique, définit l'identité par les caractéristiques qu'un individu reconnaît comme siennes (le soi) et auxquelles il accorde une valeur de reconnaissance. C'est une incorporation du social par l'individuel.

Un troisième point de vue intégrant d'une certaine façon les deux premiers apporte un éclairage intéressant, c'est le point de vue psychosocial. L'identité est ici définie «à partir d'une problématique de l'interaction intégrant, d'une part, les aspects individuels et les composantes psychologiques liées à la personnalité (le soi) et, d'autre part, les variables sociologiques reliées notamment à la notion de rôle social. L'intérêt de cette approche est d'articuler dans la notion d'identité sociale les composantes psychologiques et sociales à l'intérieur d'une structure affective et cognitive qui permet à l'individu d'échanger avec le monde social qui l'entoure et de se représenter qui il est.

Notre problématique de recherche concernant le métier, et plus particulièrement le futur métier des élèves ingénieurs, conduit à la question de savoir ce qui, dans le champ de l'identité sociale, peut être qualifié de professionnel.

En contexte professionnel, l'identité professionnelle est mobilisée prioritairement par rapport aux autres, c'est le contexte qui actualise les identités qui lui sont spécifiques. En conséquence, les relations de travail, la participation aux activités professionnelles et organisationnelles vont permettre l'élaboration d'une identité professionnelle. Lorsqu'on parle d'identités professionnelles, cela renvoie à des activités liées à une profession et à la construction d'identités spécifiques à des groupes. La notion d'identité professionnelle sera donc le résultat d'interactions entre un acteur social, des groupes professionnels ou liés à la profession et le contexte professionnel. En fonction des interactions, visée de différenciation ou d'identification, l'acteur n'active pas les mêmes identités ainsi caractérisées par leur pluralisme. Parler d'identités professionnelles, c'est reconnaître aux champs des activités professionnelles la capacité de construire des identités spécifiques à des groupes au cours de processus de socialisation significatifs des domaines considérés. En effet, les constructions identitaires, activées dans une situation, interviennent dans la mobilisation de certaines représentations, dans leur construction ou leur transformation. Dans une situation donnée, chaque acteur revendique une certaine identité. Cependant, il n'a pas la maîtrise complète du choix de cette identité, car elle est aussi définie et appelée par le contexte et les autres acteurs. Ainsi, par exemple, dans une relation de travail, un acteur peut revendiquer une identité d'homme face à une femme, mais celle-ci peut refuser cette identité et vouloir cantonner l'interaction dans un rapport de collègues. Si une des instances de l'identité sociale s'avère professionnelle, nous postulons que, dans le contexte professionnel, l'identité professionnelle est mobilisée en priorité par rapport aux autres identités. Nous affirmons donc la nécessaire contextualisation, en ce sens où le contexte actualise préférentiellement des identités qui lui sont spécifiques. Cette spécificité repose non seulement sur les acteurs, groupes et institutions propres au contexte, mais aussi sur les actions qui s'y développent. Pour construire leur identité professionnelle, les individus doivent créer des relations de travail, collaborer aux activités professionnelles dans des organisations et participer aux jeux des acteurs et de leurs groupes qui s'y développent. Blin (1994) définit l'identité professionnelle comme «un réseau d'éléments particuliers des représentations professionnelles, réseau spécifiquement activé en fonction de la situation d'interaction et pour répondre à une visée d'identification/différenciation avec des groupes sociétaux ou professionnels» (p. 86).

Mais ces représentations perçues sur un plan individuel sont toujours l'expression de groupes d'acteurs qui partagent des préoccupations semblables vis-à-vis d'un objet social. L'existence d'une représentation professionnelle dans un champ d'activités pose d'emblée l'existence d'un groupe social donné dans ce champ. La difficulté tient à l'identification de cet ensemble d'individus qui ont quelque chose en commun. Quand on compare les représentations professionnelles de deux groupes issus d'une même population d'acteurs, il est nécessaire de préciser en quoi ces groupes diffèrent. Doise (1990) propose de différencier les groupes selon des critères psychosociaux correspondant à l'un ou l'autre de quatre niveaux d'explication. Le niveau institutionnel concerne le sens, le projet-visée, les finalités politiques qui sous-tendent les pratiques et les représentations professionnelles; le niveau positionnel touche les statuts et les rôles, les positions hiérarchiques des membres de l'organisation; le niveau interindividuel rejoint les effets de groupe, les interactions et les processus de communication et de décision; le niveau intra-individuel se rapporte aux intérêts et aux motivations personnelles qui sont à l'origine de stratégies et d'interprétations des contraintes institutionnelles.

Dans cette perspective, les identités professionnelles peuvent être lues à travers les représentations. Si on compare les représentations professionnelles de deux groupes d'une même population d'acteurs, on peut s'attendre à ce que certains de leurs éléments soient partagés, étant donné l'identité collective de la population, et que d'autres éléments soient distincts compte tenu de l'identité propre à chaque groupe. À l'instar des groupes, les représentations professionnelles qui sont significatives des contextes dans lesquels elles s'élaborent et se transforment méritent, à l'évidence, la nécessaire mobilisation de niveaux d'explication différents. Situés dans le cadre général de l'étude des processus cognitifs, les travaux de Zavalloni (1972) définissent l'identité comme une structure cognitive liée à la pensée représentationnelle qui désigne les modalités d'organisation, pour un individu donné, des représentations qu'il a de lui-même et des représentations qu'il a des groupes auxquels il appartient. L'identité apparaît donc comme un objet privilégié pour comprendre la construction subjective de la réalité sociale, dans la mesure où le rapport au monde s'effectue à travers les diverses appartenances de l'individu.

La question des représentations

On doit à la psychologie sociale d'avoir introduit explicitement le concept d'identité collective dont elle distingue cinq dimensions constitutives. L'identité collective est subjectivement vécue et perçue par les membres du groupe; elle résulte de la conscience d'appartenance à ce groupe; elle se définit d'abord par opposition et différences avec d'autres; elle est perçue à travers un ensemble de représentations où s'opposent traits négatifs et positifs; ces images s'expriment dans un discours qui révèle un système d'idées.

L'identité collective s'inscrit dans le processus représentationnel. En effet, les membres d'un groupe ne s'identifient pas au groupe en tant que tel, mais à ce qu'il signifie pour tous ceux qui s'y reconnaissent. La représentation du groupe d'appartenance ou de référence se révèle une dimension importante de l'identité collective. Celle-ci peut être conçue comme l'identité commune aux membres d'un groupe, elle leur permet de se reconnaître et de se faire connaître comme tel. Elle est activée à un moment donné et est largement tributaire de la situation d'interaction. Les identités professionnelles seront donc comprises comme des identités collectives qui se définissent à partir du groupe qui les fonde. La proximité notionnelle entre l'identité ainsi conceptualisée et la représentation sociale ouvre sur la question: l'identité serait-elle une dimension de la représentation sociale articulant l'ego et l'alter avec l'objet. En effet, les deux concepts cherchent à rendre compte de la manière dont les sujets intériorisent, s'approprient et organisent pour eux-mêmes les caractéristiques de leur groupe d'appartenance ou comment ils les rejettent au profit de caractéristiques d'autres groupes servant de référent.

Les deux courants actuels les plus marquants des approches structurales des représentations sociales sont exprimés, d'une part, par l'école d'Aix-en-Provence, représentée par Abric, Flament, Moliner, Guimelli et Rouquette, qui suggère une conception consensuelle des représentations organisées autour d'un noyau central dont la fonction est structurante et gère le sens de l'ensemble du champ représentationnel relatif à un objet donné et, d'autre part, par l'école de Genève, avec Doise, Clemence et Lorenzi-Cioldi, qui propose une conception des représentations sociales sans consensus, définies comme des principes générateurs de prise de position liés à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux.

La conception structurale des représentations est celle d'une représentation sociale constituée de divers schèmes, en interaction, sous la dépendance d'une structure organisatrice plus profonde: le noyau central. Le système central est fortement marqué par la mémoire collective du groupe et par les normes auxquelles il se réfère, il résiste au changement et constitue la base consensuelle que partage les membres du groupe; il est donc essentiellement normatif. Le système périphérique quant à lui, est plus souple, plus sensible aux effets de contexte et permet l'intégration dans la représentation des variations individuelles liées à l'histoire des sujets; il est donc plus fonctionnel. Les travaux de Moliner (1992) éclairent les rôles respectifs du noyau central et des éléments périphériques: «Les schèmes centraux (noyau central) sont normatifs en ce sens qu'ils expriment la normalité, mais pas la certitude, alors que les schèmes périphériques conditionnels expriment le fréquent, parfois l'exceptionnel, mais jamais l'anormal» (p. 114). Nous sommes donc en présence de deux niveaux d'organisation ou d'un double système. Le système central, structurant les cognitions relatives à l'objet est le fruit des déterminismes historiques, symboliques et sociaux auxquels est soumis le groupe social. Le système périphérique, en prise avec les contingences quotidiennes, permet, dans une certaine mesure, l'adaptation de la représentation à des contextes sociaux variés. À cette organisation interne est associé un modèle de compréhension des processus d'évolution et de transformation des représentations sociales.

Lorsque les situations sont perçues comme irréversibles par les sujets, trois types de transformations sont possibles, soit une transformation résistante, une transformation progressive et une transformation brutale. Dans la première, l'émergence de «schèmes étranges» permet la protection du noyau par des mécanismes d'interprétation, de justification de rationalisation. Selon Flament (1986), ces schèmes étranges sont composés de la manière suivante: le rappel du normal; la désignation de l'élément étranger; l'affirmation d'une contradiction entre les deux termes; la proposition d'une rationalisation permettant de supporter la contradiction. La deuxième, soit la transformation progressive, se fait par une multiplication des schèmes étranges qui, à terme, vont modifier le noyau central sans rupture. La troisième, la transformation brutale, survient lorsque les pratiques nouvelles mettent en cause la signification centrale de la représentation et créent une incohérence insupportable. Dans ce cas, le noyau se fracture, ses éléments se dispersent et se retrouvent intégrés à autant de représentations nouvelles.

Si plusieurs travaux expérimentaux (Abric, 1989; Vergès, 1987; Moliner, 1989) vérifient les aspects théoriques intégrés au modèle du noyau central, l'approche structurale proposée par Doise (1990) est sensiblement différente. L'intérêt majeur des travaux de cet auteur, inscrits directement dans la lignée de Moscovici (1986), est de suggérer que la définition des représentations sociales en termes de consensus est insuffisante et qu'il convient de les interpréter comme des prises de position de nature différente. «Plus que des opinions consensuelles, affirme Doise (1990), les représentations sociales sont donc des prises de position de nature différente, même si des repères communs peuvent être utilisés» (p. 122). Parce que les dynamiques relationnelles et les dynamiques représentatives sont intimement liées, il propose la définition suivante: «Les représentations sociales sont des principes générateurs de prise de position liés à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux et organisant les processus symboliques intervenant dans ces rapports» (p. 124). Ces principes constituent des métasystèmes susceptibles de réguler les systèmes cognitifs individuels et la référence aux représentations sociales oblige à établir un lien entre organisation cognitive et rapports sociaux symboliques. Tout comme Moscovici (1986), l'auteur rejette une conception consensuelle des représentations sociales, car des principes organisateurs différents sont activés selon le contexte social. Ainsi, du consensus compris comme un accord entre individus se manifestant dans la similitude des réponses, on aboutit selon cette conception au partage de points de références à partir desquels sont prises les positions. Mais les représentations se distinguent par des ancrages dans des réalités collectives s'exprimant dans les liens qui unissent appartenances et positions sociales aux modulations dans les représentations sociales. Relève donc du domaine des représentations sociales toute étude qui analyse les liens entre métasystème constitué par des régulations sociales, systèmes cognitifs des individus et contextes sociaux. Compte tenu de cette orientation, on comprend l'intérêt porté par l'auteur au processus d'ancrage: «Une étude exhaustive d'une représentation sociale devrait mettre à jour un savoir commun, des principes organisateurs de positions individuelles par rapport aux points de repère fournis par ce savoir commun, et les ancrages de ces positions dans des réalités sociopsychologiques» (Clémence, Doise, Lorenzi-Cioldi, 1994, p. 122). Il s'agit donc de chercher un sens pour l'organisation des contenus, sens qui se réfère aux significations régissant les relations symboliques entre acteurs sociaux. Les processus d'ancrage modulent continuellement certains aspects des représentations en fonction de leur insertion dans des rapports sociaux spécifiques et, comme l'indique Doise (1990), «il ne s'agit pas tant d'établir des liens définitifs ou univoques entre appartenances et contenus de représentations sociales, mais de relier des variations représentationnelles et relationnelles» (p. 156).

Méthodologie

Dans nos travaux (Fraysse, 1996), nous avons choisi l'approche diachronique. Cette approche permet de ne pas s'en tenir à un simple empirisme descriptif, car le chercheur doit prendre en compte les notions de causalité et d'interaction. La nécessité d'atteindre le niveau de l'explication conduit le psychologue social à se rapprocher de l'histoire; sinon, il se heurte toujours au même problème, celui du temps social, révélateur de changements, de métamorphoses, de créations ou de disparitions, qui résiste à tout autre type d'explication, en dehors de l'explication causale.

Cette démarche vise à saisir une éventuelle transformation des représentations sociales sous l'effet d'interactions sociales et par le jeu de l'intergroupe. Il s'agit d'un processus diachronique se déroulant dans le temps. Dans cette perspective, on procède à l'analyse des représentations à l'entrée dans l'école (T0) et on compare à la sortie de l'école (T1).

Échantillon

Notre population est issue de trois départements de l'Institut national des sciences appliquées de Toulouse (INSA), génie civil urbanisme (GCU), génie électrique (DGE) dont deux options: automatique électronique informatique (AEI) et informatique industrielle (II), génie mécanique (GM). Le tableau 1 présente notre échantillon de départ.

Tableau 1

Échantillon de départ, celui du temps zéro (T0)

Échantillon de départ, celui du temps zéro (T0)

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L'approche diachronique comparative pose un problème de cohérence d'échantillonnage relatif à l'établissement d'une comparaison pertinente. En effet, comment procéder à une comparaison pertinente des échantillons au temps T0 et au temps T1, alors qu'on relève entre les deux populations (T0/T1) des différences d'effectif et de distribution. Nous distinguons deux catégories de sujets: des sujets «anciens», déjà présents en T0, et des sujets «entrants» non présents en T0.

Trois cas de figure vont pouvoir être examinés, soit les sujets présents en T0 sont présents en T1, soit les sujets présents en T0 sont absents en T1, pour cause de redoublement, d'exclusion, d'abandon ou de non-réponse au questionnaire, soit encore les sujets absents en T0 sont présents en T1,pour cause de redoublement, d'entrée en cours de cursus, de non-réponse au questionnaire en T0.

D'abord, d'un point de vue descriptif, on observe des irrégularités de distribution qui apparaissent entre les sujets dits «anciens» et les sujets dits «entrants». Puis, d'un point de vue analytique, on trouve des liens significatifs entre certains items et les variables «anciens» et «entrants». Enfin, de l'analyse multidimensionnelle émergent des oppositions des variables «anciens» et «entrants» sur plusieurs facteurs de l'analyse factorielle de correspondances. En conséquence, dans un souci de comparaison pertinente, nous écartons les sujets «entrants» et comparons les mêmes sujets présents en T0 et en T1, soit 148 sujets que présente le tableau 2.

Tableau 2

L'échantillon retenu pour fin de comparaison

L'échantillon retenu pour fin de comparaison

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Recueil de données

Concernant le recueil des données, nous avons procédé en plusieurs étapes. Pour construire notre outil de saisie, nous avons commencé par recueillir une production spontanée de mots, avec des groupes multiples et variés d'élèves de l'INSA. L'exercice consistait à obtenir un éventail le plus large possible de mots renvoyant au mot «ingénieur», pour avoir un matériau important qui nous servirait de base de travail. Cette activité s'est déroulée de façon individuelle, afin d'éviter les effets de groupe. Il nous semblait incohérent de vouloir mesurer les effets de groupe en partant d'un matériau où ils sont déjà particulièrement prégnants. À l'inverse, un recueil individuel de mots nous semble plus à même de pouvoir constituer une base intéressante en vue de l'élaboration de notre futur questionnaire. Nous avons procédé ainsi: les élèves ingénieurs d'un même groupe sont invités à noter sur une feuille anonyme «dix mots qui, pour eux, renvoient au métier d'ingénieur». Il est bien précisé que ces dix mots doivent avoir une signification pour eux; donc, ce travail n'a de sens que s'il est individuel; les élèves sont disposés dans une grande salle afin qu'ils ne puissent pas communiquer entre eux. Cet exercice a été réalisé auprès d'un groupe par année d'étude, et ce, dans chaque département, soit environ 500 sujets. Ceci nous permet d'avoir un échantillon large de tous les élèves de l'établissement. Ce travail de production spontanée offre une palette variée de réponses possibles produites par les sujets eux-mêmes; il est une mobilisation des représentations de ces 500 sujets. À partir de ce vocabulaire recueilli, nous avons retenu la quasi-totalité des mots notés par les élèves, ce qui constitue un dictionnaire de 240 mots inducteurs, beaucoup de mots choisis étant communs. Ce même dictionnaire sera soumis aux élèves ingénieurs représentant notre échantillon, c'est-à-dire en troisième année d'études dans les départements de génie civil et urbanisme, génie mécanique et génie électrique auxquels nous avons adjoints les stagiaires du cycle préparatoire de formation continue. Les sujets doivent alors se positionner face à chaque mot inducteur: ils cochent la colonne «positif» si ce mot correspond à leur représentation du métier d'ingénieur ou «négatif» si ce mot ne correspond pas à leur représentation du métier d'ingénieur. Pour chaque mot inducteur, le sujet doit obligatoirement prendre position, les non-réponses n'étant pas admises; tout ceci a évidemment été indiqué dans les consignes précédant l'exercice. L'analyse factorielle de correspondances fait apparaître les dimensions que présente la figure 1.

Une première dimension (facteur 1, 47,20% de l'inertie) correspond aux prises de position positives ou négatives quant à l'ingénieur. Ce facteur distingue les classes 4 et 5 (représentation du métier par ce qu'il n'est pas) des classes 1 et 2 (représentation du métier par ce qu'il est). Les traits négatifs principaux renvoient à un univers représentationnel plutôt statique du métier d'ingénieur: c'est un métier qui ne présente pas de forte perspective de carrière, où l'on ne dirige pas des hommes et qui n'a pas de véritable dimension scientifique. À l'inverse, dans la partie droite du diagramme se situent des classes très positives. Le métier d'ingénieur en est un qui comporte une véritable dimension scientifique et de création. Cette opposition apparaît concernant la définition générale et le statut social de l'ingénieur. Quant aux qualités humaines, elles sont présentes seulement sur le pôle positif: aucun item renvoyant à des qualités humaines ne semble donc franchement rejeté.

Figure 1

Analyse factorielle des correspondances (valeur)

Analyse factorielle des correspondances (valeur)

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La deuxième dimension (facteur 2, 30,29% de l'inertie) distingue des items qui renvoient à des dimensions externes à l'individu (statut social et image) et des items qui ont trait à des dimensions internes à l'individu (définition générale et qualités humaines). Deux pôles s'opposent sur cet axe: les scientifiques créatifs, partie basse du diagramme, et les non-scientifiques commerciaux. Le métier d'ingénieur est ici perçu, sur l'axe cérébral, de la réflexion. D'un côté, une dimension réflexion, interne, introvertie; de l'autre, une dimension action, externe, extravertie.

La troisième dimension (facteur 3, 17,83% de l'inertie) exprime principalement une opposition des représentations centrées sur le sujet de celle centrées sur le contexte. Le statut social se différencie de la définition générale et des qualités humaines ainsi que de l'image de l'ingénieur.

Figure 2

Analyse factorielle des correspondances (contexte professionnel)

Analyse factorielle des correspondances (contexte professionnel)

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Le cadran inférieur marque la forte présence des élèves de formation continue du département de génie mécanique. En général, tous les élèves de formation continue se situent dans la partie basse du diagramme. Le sujet est mis en avant par son expérience professionnelle et sa maîtrise technique qui semblent avoir là une réelle influence sur l'univers représentationnel du métier d'ingénieur. Ces résultats restent trop généraux et vagues; ceci s'avère insatisfaisant. Nous devons donc proposer un outil où les sujets seront obligés de se prononcer en positif et en négatif; car quand on répond à ce type de questionnaire, la tentation est grande de cocher négativement si le mot inducteur ne convient pas parfaitement à sa vision des choses. On demandera donc de retenir positivement les mots qui se rapprochent plutôt de sa propre représentation. Cette mobilisation ne peut faire l'objet d'un traitement analytique fournissant des résultats très pertinents vu le nombre d'items comparativement au nombre de sujets. En revanche, cette investigation de type ouvert permet de cerner des univers sémantiques et d'obtenir ainsi un matériel qui pourra être regroupé en un recueil de mots cités par l'ensemble de la population et d'élaborer un dictionnaire structuré et plus réduit, regroupé en items significatifs, à partir des sous-groupes de mots inducteurs que nous avons identifés. Cela devrait permettre d'obtenir une définition générale de l'ingénieur et d'en circonscrire les qualités humaines, le statut social et l'image. Le même dictionnaire sera soumis aux mêmes sujets en T0 et en T1.

Résultats

Le traitement des données permet le repérage et la description des représentations. Le rappel théorique sur les représentations sociales a montré qu'elles pouvaient être admises comme des principes générateurs de prise de position liés à des insertions spécifiques à un ensemble de rapports sociaux (Doise, 1990). Ce qui est partagé, ce ne sont pas les prises de position, mais les référents sur lesquels une population donnée prend ses positions. Ces référents sont largement induits par l'opérationnalisation qui s'appuie, cependant, sur des recherches exploratoires. Par contre, il existe bien des prises de position communes à des groupes de cette population, groupes dont les appartenances ou les contextes sociaux sont différents. Des représentations distinctes peuvent être interprétées comme étant l'application de principes organisateurs communs à des groupes, sur un objet social donné et fonction de leurs ancrages. Comme représentations distinctes, nous prenons les différents ensembles de prises de position sur le questionnaire structurés autour d'un même principe organisateur. En conséquence, à partir des réponses individuelles au questionnaire, il s'agit de reconstituer les divers champs de prises de position et de repérer les principes organisateurs qui les signifient. Les techniques factorielles et classificatoires sont les plus adaptées à cet objectif, car elles «permettent de montrer que les représentations sociales sont aussi des principes organisateurs des différences entre des prises de position individuelles» (Clémence, Doise et Lorenzi-Cioldi, 1994, p. 128). D'ailleurs, les techniques factorielles permettent de dégager les principes organisateurs qui ordonnent une image de points «individus/prises de position» et les techniques de classification permettent de ranger dans des catégories des individus en fonction du degré de ressemblance de leurs prises de position. La classification descendante hiérarchique (Reinert, 1983), en s'articulant avec l'analyse factorielle des correspondances, opère une partition des individus selon leurs réponses à un ensemble d'items. L'affectation des sujets aux classes est réalisée à partir de la valeur du chi carré. Les résultats sont présentés sous la forme d'un arbre et d'un tableau du profil des classes, précisant les items qui les composent et, pour chaque item, sa contribution à la formation de la classe (c2) ainsi que son effectif. L'interprétation des profils des classes permet de repérer des groupes d'items constituant un indice, sorte de «condensé sémantique» (Aissani, Bonardi, Guelfucci, 1989) et éclairant les principes organisateurs des représentations.

Les résultats mettent à jour deux représentations autonomes et équivalentes (en T0). Il s'agit d'une représentation de type scientifique à profil «égocentré» (esprit de création, valeur individuelle) ou à profil «hétérocentré» (responsable ouvert aux autres) et d'une représentation de type non scientifique[1] à profil industriel (carrière, sécurité/indépendant, prestige) ou à profil commercial ( manager / adapté à un environnement économique). En T0, ces représentations sont distribuées également chez les scientifiques et les non-scientifiques, soit 74 sujets pour chaque groupe; en T1, le groupe des non-scientifiques compte 51 sujets (35%) et celui des scientifiques, 97 sujets (65%). La figure 3 présente la distribution en fonction des départements.

Tableau 3

Distribution en fonction des départements

Distribution en fonction des départements

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La figure 4 illustre sommairement les zones représentationnelles pour chaque département au moment T0 et au moment T1 sur les facteurs1 (scientifique/non scientifique) et 2 (technicocommercial/industriel). Nous avons donc là une visualisation des déplacements entre les deux moments étudiés.

Figure 3

Histogramme par départements

Histogramme par départements

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Département de génie électrique – L'ancrage «scientifique» fort se confirme et la rupture radicale avec toute représentation à dimension «commerciale» ressort nettement.

Département de génie mécanique – La représentation se transforme de manière importante vers le pôle «scientifique»: d'un rapport équilibré, nous passons à un rapport deux tiers/un tiers. L'option «productique», qui se positionne franchement dans cette zone, amène le département vers la dimension «technicocommerciale».

Département de génie civil – L'ancrage «non scientifique» se confirme malgré un rapprochement vers la zone «scientifique»; la dimension «commerciale» est en recul, pour se rapprocher, mais sans l'atteindre, d'une zone à profil «industriel».

Figure 4

Évolution des représentations

Évolution des représentations

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Discussion

L'hypothèse du noyau structurant a une conséquence méthodologique. Si toute représentation est organisée autour d'un noyau, toute étude de représentation se doit d'identifier les cognitions constitutives de ce noyau, tout d'abord pour saisir l'organisation de la représentation étudiée, ensuite pour comparer des représentations différentes et, enfin, pour estimer l'évolution d'une représentation.

Ces différences conceptuelles marquent nécessairement les techniques de recueil et de traitement des données utilisées dans les recherches. Nous rappellerons en quoi les analyses utilisées orientent les choix théoriques et les interprétations des représentations. Le sujet n'a pas conscience de ses représentations comme telles, l'identité impliquant une structure cognitive présentant les représentations comme la réalité et en tant que références familières qui ne suscitent pas d'interrogation particulière. Elles ne sont posées comme représentations que dans la mesure où elles deviennent un objet d'étude pour mieux comprendre le fonctionnement cognitif. On ne peut demander à une personne ses représentations, mais seulement essayer de les reconstruire à partir de méthodes d'études indirectes. Elles sont déduites des propos tenus par les sujets observés et il s'agit de savoir comment inférer les représentés à partir des représentants discursifs. Les études sur les représentations sociales portent sur du matériel langagier et posent deux problèmes méthodologiques: celui du recueil des représentations et celui de l'analyse des données obtenues. Comme le rappelle Abric (1994), «le choix d'une méthodologie (de recueil comme d'analyse) est déterminé bien entendu par des considérations empiriques (nature de l'objet étudié, type de population, contraintes de la situation, etc.), mais aussi et de façon plus fondamentale par le système théorique qui sous-tend et justifie la recherche» (p. 211).

Par rapport aux approches structurales, il ne suffit pas de rechercher les contenus de la représentation, mais aussi l'organisation de ces contenus. Il serait donc utile de mobiliser plusieurs méthodes d'investigation pour saisir cette double composante représentationnelle. Reste que saisir les aspects consensuels d'une représentation ou en montrer les variations individuelles ne mobilise pas les mêmes techniques d'analyse de données. La recherche des principes organisateurs des prises de position individuelles correspond davantage à la visée des techniques d'analyse factorielle: «Montrer que les représentations sociales sont aussi des principes organisateurs des différences entre des prises de position individuelles est peut-être l'apport le plus important de l'utilisation raisonnée des analyses de type factoriel» (Doise, Clémence, Lorenzi-Cioldi, 1992, p. 148).

Avant d'expliquer les résultats, nous voudrions réaffirmer ici la difficulté, la limite de la saisie des représentations. Comme nous l'avons déjà précisé, le sujet n'a pas conscience de ses représentations en tant que telles, elles ne sont posées comme représentations que dans la mesure où elles deviennent un objet d'étude pour mieux comprendre le fonctionnement cognitif. Elles sont inférées à partir des paroles des sujets observés et il s'agit de savoir comment inférer les représentés à partir des représentants discursifs. On ne peut pas demander à une personne ses représentations, mais seulement tenter de les obtenir à partir de méthodes d'études indirectes. Ceci étant précisé, l'observation de ces résultats amène une série de remarques.

Les représentations, reflet de préoccupations semblables

Les représentations recueillies sont l'expression de groupes d'acteurs partageant des préoccupations semblables vis-à-vis d'un objet. La difficulté tient à l'identification de cet ensemble d'individus qui ont quelque chose en commun. Quand on compare les représentations de deux groupes issus d'une même population d'acteurs, on doit préciser en quoi ces deux groupes diffèrent. À l'instar des groupes, les représentations significatives des contextes dans lesquels elles s'élaborent et se transforment méritent, à l'évidence, la nécessaire mobilisation de niveaux d'explication différents. Nous reprendrons, pour expliquer nos résultats, le modèle de Doise (1990), qui propose de différencier les groupes selon des critères psychosociaux correspondant à l'un ou l'autre de quatre ordres d'explication: institutionnel, positionnel, interindividuel, intra-individuel. Nous retenons ici les points de vue institutionnel et interindividuel.

Sur le plan institutionnel (sens, projet, finalités qui sous-tendent les pratique) – En T0, les représentations socioprofessionnelles sont liées au département d'appartenance: génie électrique, représentation centrée sur la curiosité scientifique; génie civil, aspects commerciaux; génie mécanique, partage entre les deux conceptions précédentes.

En T1, nous passons d'un rapport «scientifique/non scientifique» équivalent à un rapport majoritairement scientifique; cette transformation s'opère différemment selon les départements. Au département de génie électrique, la représentation est de type «scientifique» majoritaire; il y a élimination du pôle «commercial», centration sur l'individu, amplitude d'ouverture. Au département de génie mécanique, les représentations se transforment le plus, par inversion de tendance. Au département de génie civil, la représentation est de type «non scientifique» majoritaire.

Sur le plan interindividuel (effets de groupe, interactions, processus de communication et de décision) – Nous voyons les repésentations socioprofessionnelles comme l'expression de plusieurs déterminismes qui s'exercent sur les sujets, à l'intérieur ou à l'extérieur du champ du système de formation.

L'analyse pluri-explicative des représentations socioprofessionnelles des élèves ingénieurs de l'INSA peut rendre compte de l'influence des différents réseaux internes ou externes au système sur la structuration des représentations. Les différentes représentations propres aux groupes de la population peuvent être confrontées aux différents groupes d'appartenance ou de référence de la population.

Les représentations, reflet des groupes d'appartenance

La mise en relation des représentations socioprofessionnelles des élèves ingénieurs, avec les variables repérant certains groupes d'appartenance ou de référence, permet de vérifier si le lien entre une représentation et un groupe d'appartenance ou de référence est significatif (p<0,01); dans ce cas, ce groupe constitue l'ancrage privilégié de cette représentation. La représentation exprime alors les significations portées par le groupe et manifeste ses enjeux à l'intérieur de la population. Il s'agit de repérer les rapports les plus significatifs entre les représentations socioprofessionnelles et les principaux groupes d'appartenance ou de référence.

Sur le plan institutionnel

Les représentations socioprofessionnelles des élèves ingénieurs de l'INSA sont liées à leur option de formation (p<0,001), soit les départements.

Département de génie électrique – Ce département s'affirme comme présentant aux formés une réelle culture scientifique. Nous tentons maintenant de comprendre les différences représentationnelles dans une même option: automatique électronique informatique. L'orientation automatique présente un profil très scientifique, un pourcentage nul d'élèves se positionnant dans la catégorie non scientifique; ce dernier pourcentage est toutefois ramené à 42 pour l'orientation «électronique».

Le groupe de l'orientation automatique est composé exclusivement d'élèves ingénieurs de formation initiale alors que le groupe de l'orientation électronique est composé d'élèves ingénieurs de formation initiale et de formation continue. Ce dernier groupe déplacerait ainsi l'orientation sur le pôle non scientifique, ce qui aurait un effet régulateur de l'option AEI dans son ensemble qui, au bout du compte, présente un profil proche de l'option II.

Département de génie civil – La visée pragmatique est ici encore très présente malgré un rapprochement du pôle scientifique; deux explications peuvent fournir un éclairage intéressant. La situation encore favorable de l'embauche conduit rapidement les élèves à l'engagement dans la vie active et non pas à une éventuelle poursuite d'études dans le cadre d'un diplôme d'études avancées, puis d'un doctorat.

Le Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (1994) écrivait à ce propos que «les ingénieurs formés par le département sont appréciés et les débouchés sont très satisfaisants: à la sortie, avant 1992, un étudiant, en moyenne, bénéficiait de 7 propositions d'emplois. À l'heure actuelle, dans une situation difficile, les offres sont encore suffisantes» (p. 61).

Par ailleurs, il existe dans ce département, une véritable dynamique tournée vers l'extérieur et les entreprises du secteur en particulier. Cette dynamique est relevée par le même Comité national d'évaluation qui écrit:

Les élèves organisent un «forum de génie civil du sud-ouest» qui permet de nouer des liens importants avec les entreprises régionales. Un autre événement, le «marathon des chantiers», permet aux étudiants, en dehors des stages, d'avoir une idée des types de travaux et d'ouvrages en construction en France, voire en Europe (1994, p. 48).

Département de génie mécanique – Une véritable dynamique scientifique s'installe dans ce département, dont les représentations socioprofessionnelles de ses élèves ingénieurs sont centrées sur ce pôle. La création d'un nouveau laboratoire de recherche en 1990, et qui a maintenant une réelle visibilité, n'est pas étrangère à cette polarisation. Le Comité national d'évaluation indiquait à propos de cette équipe de recherche: « Les motivations industrielles de cette équipe étant réelles, il faudra penser sérieusement à son extension dans un contexte de recrutement difficile» (1994, p. 52).

Sur le plan interindividuel

Les représentations socioprofessionnelles des élèves ingénieurs de l'INSA sont liées à leur engagement social hors INSA (p<0,01). Les élèves ingénieurs ayant des responsabilités associatives extérieures à l'INSA présentent majoritairement des représentations du type scientifique.

La participation large confère aux acteurs une ouverture, une curiosité qui semble se transférer dans un champ, lié à la formation. Les responsabilités associatives prennent une dimension importante dans un profil d'ingénieur; d'ailleurs, l'école s'en est rendu compte car, pour le recrutement dès le premier cycle, les candidats qui ont eu une expérience associative leur donnant des responsabilités peuvent en faire part devant un jury spécifique; cet entretien peut entraîner un «bonus» dans le dossier de sélection.

La curiosité que manifeste un sujet par rapport à son environnement n'est- elle pas révélatrice de potentialités pouvant être mises au service d'une démarche scientifique s'exerçant dans le cadre d'un métier d'ingénieur?

Les représentations socioprofessionnelles des élèves ingénieurs de l'INSA sont liées à leur engagement social à l' INSA: responsabilités diverses (p<0,01).

Les élèves ingénieurs ayant des responsabilités à l'intérieur de l'INSA présentent majoritairement des représentations du type non scientifique. Il s'agit le plus souvent de responsabilités dans des conseils de départements, de services, de centres, responsables d'année, commissions diverses... Bref, des instances qui ont pour mission le bon fonctionnement de l'établissement. Il n'est pas surprenant de voir ces élèves ingénieurs présenter une représentation de type «non scientifique». En effet, dans tous ces lieux, on traite des problèmes concrets, quotidiens, pédagogiques, de vie de l'établissement, les problèmes scientifiques sont traités par le conseil du même nom. On a donc là une visée tout à fait pragmatique qui est très éloignée d'une problématique scientifique ou de recherche.

Les représentations socioprofessionnelles des élèves ingénieurs de l'INSA sont liées à leur statut formation initiale/formation continue (p<0,005).

Les élèves ingénieurs à statut formation continue présentent majoritairement des représentations du type non scientifique. Ce type d'élève ingénieur présente la paritcularité d'être plus âgé que les élèves ingénieurs à statut formation initiale; de plus, ils ont tous au minimum cinq années d'expérience professionnelle en tant que techncien supérieur. On a donc là la trace d'une repésentation ancienne centrée sur la résolution de problèmes concrets, et une vision s'appuyant sur un vécu d'une profession qui marque ses distances par rapport à l'ingénieur. C'est souvent la prise de conscience de ces distances qui conduit le technicien à l'engagement en formation en vue d'obtenir le diplôme d'ingénieur.

Cette catégorie de population semble jouer un rôle quant à l'équilibrage des représentations dans son ensemble. Concernant la problématique de la transformation, la mise en exergue de deux représentations socioprofessionnelles autonomes présente parfois des éléments dont les significations et les fondements sont difficiles à cerner.

C'est pourquoi il nous a semblé intéressant de procéder à une saisie dans leur historicité pour comprendre leur enracinement et mettre l'accent sur des éléments de permanence mais aussi sur des éléments de changement. D'ailleurs, les acteurs sociaux ne sont jamais définitivement assignés dans des positions, notamment par le jeu des interactions sociales.

La transformation spécifique aux groupes

En relation avec la première hypothèse, s'il existe au temps T1 les mêmes éléments de représentations par rapport au temps T0 qui ne sont pas partagés par l'ensemble de la population mais uniquement dans des groupes, ces éléments indiquent une stabilité de la représentation spécifique à ces groupes.

En relation avec la deuxième hypothèse, s'il existe au temps T1 de nouveaux éléments de représentations par rapport au temps T0 qui ne sont pas partagés par l'ensemble de la population mais uniquement dans des groupes, ces éléments entraînent une transformation de la représentation spécifique à ces groupes.

Globalement, nous passons d'un rapport scientifique/non scientifique de 50/50 (exprimé en pourcentage de l'effectif de l'échantillon étudié) au temps T0 à un rapport de 66/34 en T1. Tous les départements voient leurs effectifs modifier leurs représentations entre le temps T0 et le temps T1. Ces transformations s'opèrent de la façon suivante (voir figure 4) pour chaque département.

Département de génie électrique – Nous passons d'un rapport scientifique/ non scientifique de 63/37 (exprimé en pourcentage de l'effectif du département) au temps T0 à un rapport de 80/20 en T1. L'ancrage scientifique s'opère par élimination du pôle «commercial», par une centration sur l'individu, caractéristique de l'option infomatique industrielle et par une amplitude d'ouverture, quand ouverture il y a, caractéristique de l'option automatique électronique informatique.

Département de génie civil – Nous passons d'un rapport scientifique/ non scientifique de 34/66 (exprimé en pourcentage de l'effectif du département) au temps T0 à un rapport de 44/56 en T1. Il s'agit donc d'un déplacement vers le pôle scientifique tout en conservant une représentation de type non scientifique majoritaire. Ce déplacement s'opère au détriment du profil «commercial» ouvert aux autres et à l'avantage d'une centration sur l'individu.

Département de génie mécanique – Nous passons d'un rapport scientifique/ non scientifique de 50/ 50 (exprimé en pourcentage de l'effectif du département) au temps T0 à un rapport de 71/29 en T1. C'est le département dont les représentations se transforment le plus. Cette transformation s'opère sur plusieurs plans: le profil non scientifique industriel est en forte régression; l'expression d'une représentation scientifique centrée sur l'individu est la plus importante. Par ailleurs, une stabilité sur le pôle scientifique est assurée par une représentation de l'ingénieur ouvert sur l'extérieur, dans son quotidien, son milieu de travail.

La transformation dans ce département s'opère donc sur des caractéristiques en opposition. Les insertions sociales partagées donnent lieu à des interactions et à des expériences spécifiques qui, éventuellement à travers l'intervention différenciée de valeurs, croyances et perceptions sociales, transforment les représentations.

Nous pouvons donc reconnaître aux champs des activités de formation, la capacité de construire des identités spécifiques à des groupes au cours de processus de socialisation significatifs des domaines considérés. Cette spécificité repose non seulement sur les acteurs, groupes et institutions propres au contexte, mais aussi sur les actions qui s'y développent. À la lumière de ces résultats, nous pouvons réaffirmer maintenant la nécessaire contextualisation, en ce sens où le contexte actualise préférentiellement des identités qui lui sont spécifiques.

Notre approche diachronique indique que les représentations des élèves ingénieurs de l'INSA, définies comme des prises de position, s'articulent dans le champ de la formation et ont des significations totalement opposées, définissant ainsi deux groupes d'élèves ingénieurs et faisant apparaître une multiplicité identitaire de chaque acteur en fonction du contexte.

Avec Moscovici et Doise (1992), ces résultats montrent qu'il faut se garder d'une conception consensuelle des représentations sociales, car des principes organisateurs différents sont bien activés en fonction du contexte social.

Des prises de position des acteurs émergent de nouvelles identités ancrées sur des valeurs reposant sur un système symbolique partagé par les membres du groupe qui s'y reconnaissent et servant de guide dans les interactions sociales. Les interactions mobilisent des identités différentes que l'analyse des représentations comme système symbolique, permet de mettre à jour.

Ces représentations de la part d'acteurs en formation, pour leur futur métier présentent un caractère particulier et une spécificité qu'il convient, à notre sens, de faire émerger. Nous ne sommes pas là en présence d'une représentation sociale, au sens classique du terme déjà évoqué plus haut ni d'une représentation professionnelle liée à une pratique comme nous l'avons déjà indiqué. Il est donc nécessaire, tout en s'appuyant sur le modèle général des représentations sociales, de préciser en caractérisant cette représentation d'un objet spécifique, le futur métier, dans un contexte spécifique, le système de formation, de la part d'acteurs spécifiques, les formés. Ces perspectives de recherche semblent fécondes et prometteuses: nous nous limitons ici à qualifier et à définir ce nouveau concept qui fait l'objet de nos axes de travaux actuels. Nous qualifions ces représentations de socioprofessionnelles, car elles se situent à un moment particulier de transition. Elles ne sont d'ailleurs ni sociales, l'objet de la représentation (le métier) étant spécifique et déjà familier, ni professionnelles; le métier n'ayant pas encore été exercé, on ne note pas de réelle pratique de la part des acteurs. Ces représentations interviennent donc pendant la période de formation au métier.

Nous donnons la définition suivante: les représentations socioprofessionnelles sont un ensemble organisé d'informations se référant à un rôle professionnel et comportant des schèmes qui expriment une pratique. Elles précèdent l'action professionnelle et expriment les reconstructions que le sujet effectue à partir d'éléments connus à un moment de la formation. Les représentations socioprofessionnelles constituent le premier degré initiatique d'engagement du sujet dans un champ professionnel.

Conclusion

Les représentations socioprofessionnelles des élèves ingénieurs étudiés révèlent des déterminismes multiples sur les plans institutionnel et interindividuel. Le clivage manifeste de l'échantillon étudié entre une identité ancrée sur une approche scientifique de l'ingénieur et une identité plus centrée sur une approche non scientifique et commerciale nous renvoie à la question de l'unicité de la profession et par là même de la formation. Le métier d'ingénieur présente de multiples facettes liées à l'individu, à la définition de sa fonction, et aussi à l'entreprise, à sa taille, à son secteur d'activités, à son type de production. La polarisation des représentations et des identités groupales soulève la difficile question pour une école de la professionnalité de ses élèves. Selon nous, cette professionnalité ne tient pas seulement en un ensemble de compétences techniques dont on pourrait aisément faire le tour, mais renvoie à tout un répertoire de schèmes qui concernent également l'interaction avec autrui, la communication, le langage. Faut-il rechercher l'homogénéité de l'ingénieur et, si oui, sur quoi? Quelles fonctions, quelles compétences? Ce clivage n'est-il pas adapté à la réelle diversité professionnelle du métier d'ingénieur? Dans un système de formation à une profession, peut-on concilier deux fonctions et deux champs de compétence?

Nous avons rappelé plus haut quelques éléments théoriques concernant la construction des identités, lieux d'articulation de l'individuel et du social, qui intègrent des composantes psychologiques liées à la personnalité et des variables sociologiques, liées notamment au rôle social.

Puis nous avons tenté de montrer comment ces éclairages théoriques faisaient apparaître le lien entre représentation et identité qui, dans sa dimension de continuité reconnue par les autres, conduit à une représentation de soi qui va structurer les rapports du sujet à l'environnement. Les constructions identitaires interviennent donc dans la mobilisation de certaines représentations, voire dans leur construction ou leur transformation.

Les approches théoriques marquent les approches méthodologiques de recueil et de traitement de données, le chercheur se doit donc de rappeler en quoi les techniques d'analyse utilisées vont orienter les choix théoriques et les analyses explicatives. Comme le souligne Bourdieu (1992), «La recherche est inséparablement construction de schèmes théoriques propres à organiser les faits qu'ils contribuent à produire comme tels, mise en oeuvre de techniques qui sont grosses, sinon de théories, du moins d'effets théoriques, et vérification des modèles construits par et pour la confrontation avec ces faits» (p. 86).

Enfin, nous pensons que le paradigme des représentations est un modèle explicatif pertinent qui mérite d'être enrichi dans le contexte particulier de la formation, afin de mieux cerner ce qui préside aux choix d'orientation et de métier, et conditionne donc les investissements des apprenants dans les différents contextes de formation. La réflexion concernant cette représentation, que nous avons qualifiée de socioprofessionnelle, mérite à l'évidence d'être poursuivie et approfondie.