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Considérée comme indispensable au développement des sociétés dans un monde en changement, l’éducation des adultes joue un rôle important pour soutenir la participation sociale, civique et économique des individus. Instrument de développement, elle contribue à l’acquisition de compétences et de savoirs essentiels à l’insertion et la mobilité professionnelle des individus, et elle prend une place de premier plan dans un contexte de renouvellement continu des savoirs et des capacités d’action des sujets (Bélanger et Frederighi, 2000 ; Bélanger, Doray et Lévesque, 2008). Prise dans son sens large, l’éducation des adultes est à la fois un champ d’études et de pratiques. Elle recouvre un ensemble d’activités favorisant l’apprentissage, plus ou moins formalisées, auxquelles prennent part une diversité d’acteurs dans des lieux aussi variés que les établissements scolaires, les milieux de travail, les organismes sociaux (Conseil de la science et de la technologie, 2009 ; Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture – UNESCO, 1997). Dans de nombreux pays, le développement de l’éducation des adultes s’est inspiré des travaux de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation la Science et la Culture se fondant tour à tour sur les concepts d’éducation permanente, de formation continue, puis d’éducation tout au long de la vie qui, selon la Déclaration de Hambourg de 1997 (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 1997), s’avère un élément intrinsèque du droit à l’éducation (Delors, 1996 ; Gouvernement du Québec, 2004 ; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007 ; Pénault et Sénécal, 1982). Au Québec, dès 1966, l’État prend en charge le développement de l’éducation des adultes et crée des services éducatifs gratuits dans toutes les régions de son territoire. Dans une perspective d’accessibilité, il cherche à donner accès à une éducation de base pour tous et à assurer le développement de programmes d’études. Il se dote ainsi, à l’instar de plusieurs sociétés, d’un secteur étatique voué spécifiquement à la formation de base des adultes. Dans ce numéro thématique, les auteurs se penchent spécifiquement sur le secteur de la formation générale des adultes.. À ce propos, il importe de distinguer l’éducation des adultes comme champ d’études et de pratiques au sens large et le secteur de la formation générale des adultes, qui est une entité administrative rattachée au ministère responsable de l’éducation. Le secteur de la formation générale des adultes ne recouvre donc qu’une partie des activités qu’on peut associer à l’éducation des adultes. Ce secteur a été créé au sein du système d’éducation secondaire pour offrir des services éducatifs à toutes les personnes, âgées de plus de 16 ans, qui ne sont plus soumises à l’obligation de fréquentation scolaire (Gouvernement du Québec, 2014). Cette prise en charge étatique s’affirme au début des années 2000, avec l’adoption d’une Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue (Gouvernement du Québec, 2002a). Signalons que le fait qu’il s’agit d’une politique gouvernementale, et non d’une politique uniquement rattachée au ministère de l’Éducation, montre bien que l’éducation des adultes dépasse largement le seul secteur de la formation générale des adultes. Cette politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue s’inscrit explicitement dans le cadre de la conception de l’éducation tout au long de la vie promue par l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture. Le plan d’action gouvernemental (Gouvernement du Québec, 2002b) qui découle de cette politique fait alors de la formation de base l’une de ses quatre priorités, et insiste de manière transversale sur la nécessité de susciter la demande de formation et de lever les obstacles à la participation.

S’inspirant des principes de l’andragogie, ce secteur éducatif se dote en 1966 d’une infrastructure organisationnelle, de méthodologies et de stratégies d’intervention spécifiquement adaptées à l’enseignement aux adultes (Bessette, 2005 ; Merriam, Cafarella et Baumgartner, 2007), orientations encore en vigueur aujourd’hui (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). Si le secteur de la formation générale des adultes est administré au sein même de la structure formelle, il fonctionne comme un système ouvert, ce qui permet la collaboration avec d’autres composantes du système scolaire (secteur de la formation générale des jeunes, formation professionnelle, enseignement collégial), ainsi qu’avec des acteurs externes à celui-ci (milieux de travail, milieux communautaires). Depuis 1988, le secteur dispose de son propre encadrement législatif, notamment pour son offre de services éducatifs : le Régime pédagogique de la formation générale des adultes assure ainsi la prestation de dix services d’enseignement ou de formation ainsi que de services d’éducation populaire, de services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement et de services complémentaires. En formation générale des adultes, le curriculum de formation est structuré à partir d’une offre de programmes d’études comprenant deux composantes principales : la formation de base commune (alphabétisation, études de niveau présecondaire et du premier cycle du secondaire) et la formation de base diversifiée (qui correspond au deuxième cycle du secondaire), qui comprennent une très grande variété de cours comportant des unités variables, ce qui permet le cheminement individuel modulaire et progressif (Voyer, Brodeur et Meilleur, 2012). Si on associe généralement la formation de base à l’acquisition d’un diplôme (études générales ou professionnelles), dans une acception plus large, elle est aussi désignée comme une formation qui permet le développement des compétences essentielles qu’une personne adulte doit posséder pour être capable de fonctionner en société et de s’y développer harmonieusement (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005, p. 4).

Depuis une quinzaine d’années, des pressions se font sentir sur les systèmes éducatifs nationaux, et de nombreux pays adoptent ou actualisent leurs politiques d’éducation des adultes, de même que leurs programmes d’études, leurs infrastructures et leurs dispositifs de formation, afin d’élever la formation de base de leur population et, partant, de combattre la dépendance économique, l’exclusion sociale et la pauvreté, des visées qui s’apparentent au projet d’origine de l’éducation des adultes de nombreux pays (Draper, 1998 ; Elias et Merriam, 2005). En plein essor dans la plupart des sociétés occidentales, la formation de base des adultes est soumise aux défis posés par une demande sociale croissante. Cette demande sociale provient tout autant du marché du travail – en mal d’une main-d’oeuvre qualifiée pour faire face à l’innovation continue (Lévesque, Doray et Diallo, 2009) – que du secteur de l’enseignement général des jeunes comme solution de rechange au cheminement régulier pour une proportion importante des jeunes d’à peine 16 ans.

Au Québec, on observe les pressions exercées sur le secteur de la formation générale des adultes pour répondre à cette demande de plus en plus diversifiée. Malgré la pertinence de son rôle sur le plan social, ce secteur est souvent perçu, dans les médias, au sein de la population, et même par certains professionnels qui y enseignent, comme une voie de garage, une école de décrocheurs ou le parent pauvre du système scolaire (Potvin et Leclercq, 2012, p. 1-2). Les travaux de recherche s’y étant intéressés sont encore peu nombreux, si on les compare à ceux portant sur les autres secteurs de l’éducation. Ainsi, parmi les 101 projets financés à ce jour dans le cadre du Programme de recherche sur la persévérance et la réussite scolaire (Action concertée Fonds de recherche sur la société et la culture – FRQSC – ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport – MELS), 10 portent entièrement ou en partie sur l’éducation des adultes, et presque tous sont centrés sur les moins de 24 ans (http://www1.mels.gouv.qc.ca/sections/prprs/index.asp?page=recherches). Par ailleurs, de 2003 à 2013, sur 446 projets en éducation financés par la section SAVOIR du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, seulement 20 (4,5 %) sont déclarés dans le sous-domaine Andragogie, éducation permanente, éducation communautaire, ce qui est bien peu quand on sait que ce sous-domaine couvre un champ beaucoup plus large que la formation générale des adultes ou même que la formation de base. Ainsi, malgré les apports de ce secteur éducatif au rehaussement de l’éducation de base de la population et à l’originalité de son infrastructure, les scientifiques ne s’y sont pas intéressés outre mesure et ont négligé de décrire et d’investiguer ses particularités (Solar, 1995). Pourtant, la formation générale des adultes constitue un modèle unique dont la nature, le fonctionnement et les résultats méritent d’être étudiés. Dans un contexte en mutation, propice à une réflexion élargie sur les réalités changeantes dans ce secteur, quels sont donc les facteurs démographiques, socioculturels, économiques et politiques qui suscitent des pressions vers des adaptations ou des transformations institutionnelles en formation générale des adultes ?

1. La formation générale des adultes dans un monde en changement

Au Québec, comme dans la plupart des sociétés occidentales, l’évolution démographique se caractérise par un vieillissement et une diversification des origines de la population, alors que la part de l’immigration croît beaucoup plus rapidement que celle de la natalité dans l’accroissement de sa population (Institut de la statistique du Québec, 2013). Malgré ces phénomènes démographiques, les gouvernements dans plusieurs pays ont plutôt tendance à favoriser les actions auprès des jeunes afin de soutenir la formation de base. Au Québec, le secteur de la formation générale des adultes reçoit aujourd’hui une population de plus en plus jeune (16-24 ans), dont une part importante est perçue comme élèves à risque, soit parce qu’ils présentent un handicap, un retard scolaire, des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation, soit parce qu’ils sont issus de l’immigration ou parce qu’ils sont aux prises avec des problématiques psychosociales plus lourdes qu’antérieurement (Potvin et Leclercq, 2011, 2012 ; Rousseau, Théberge, Bergevin, Tétreault, Samson et Dumont, 2010). L’un des changements les plus importants survenus au cours des dernières décennies concerne le fait que nombre d’entre eux poursuivent leurs études secondaires en continuité, c’est-à-dire en transitant directement du secteur des jeunes au secteur des adultes. Le passage en continuité vers la formation générale des adultes pour l’obtention d’un diplôme d’études secondaires est devenu non seulement une voie fréquemment empruntée (volontairement ou non) par les élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation, mais aussi par de nombreux jeunes de certaines régions éloignées (Rousseau, Tétreault, Bergeron et Carignan, 2007) ou issus de l’immigration en milieu urbain (Potvin, Leclerq, Steinbach, Vatz-Laaroussi, Armand, Voyer et Ouellet, 2014). Les taux de fréquentation à la formation générale des adultes, ainsi que plusieurs pratiques d’aiguillage vers ce secteur à partir de l’enseignement régulier, laissent transparaître une tendance à inscrire la formation des adultes dans le prolongement de la lutte au décrochage scolaire. Cela détonne avec la perspective officielle d’éducation tout au long de la vie, qui met plutôt l’accent sur une accessibilité de l’éducation à toutes les étapes du développement de la personne, de la naissance à la mort. Même si, en nombre absolu, leur participation va en augmentant, la proportion des adultes plus âgés en comparaison à celle des jeunes adultes, demeure assez faible. En 2010-2011, 48,8 % des inscrits à la formation générale sont âgés de 24 ans et moins, alors que seulement 6,5 % ont 65 ans et plus (Voyer, Brodeur, Meilleur et Sous-comité de la Table ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport – Universités de la formation à l’enseignement des adultes, 2012), une disproportion d’autant plus frappante qu’il y a une part beaucoup plus importante de non-diplômés du secondaire chez la population plus âgée, et que ces personnes sont généralement plus disponibles, dégagées qu’elles sont pour la plupart des obligations associées au travail.

Or, dans des perspectives d’équité et d’accessibilité, une réflexion en profondeur reste à faire, non seulement sur la capacité de la formation générale des adultes de répondre à la diversification des demandes de formation, mais également sur la pertinence, pour ce secteur, de pallier les difficultés rencontrées par la formation générale des jeunes (FGJ) à assurer la réussite éducative des 16-20 ans. Pour certains, il serait plus opportun de répondre de façon élargie à la demande éducative des adultes, une catégorie aussi composée d’une population vieillissante (Bélanger et Frederighi, 2000). Ainsi, malgré les défis importants posés par le vieillissement de la population, les efforts concrets du champ de l’éducation des adultes pour développer des leviers susceptibles d’assurer l’ouverture du système à la demande éducative des adultes du troisième âge en formation générale des adultes sont peu perceptibles. Il en est de même pour la recherche sur cette population, l’absence d’article dans ce numéro révélant d’ailleurs bien cette situation.

Par ailleurs, d’autres changements socioculturels, qui influencent en particulier le rapport social au savoir (Conseil de la science et de la technologie, 2009), participent à transformer le secteur de la formation générale des adultes. Par exemple, l’utilisation généralisée des technologies de l’information et des communications dans l’activité quotidienne, la transformation des rapports familiaux, la montée de mouvements d’affirmation identitaire et les développements scientifiques ont contribué à renouveler la demande éducative des adultes. Les savoirs valorisés socialement ne sont plus les mêmes qu’autrefois, et le statut accordé au savoir tend à se complexifier. Tout comme d’autres sociétés développées, l’État québécois a dû prendre acte du fait que les processus d’élaboration, de transmission et d’appropriation du savoir se sont transformés (Dandurand et Ollivier, 1991). Pour développer la capacité d’appropriation du savoir des individus et la culture de l’apprentissage, de nombreux pays ont entrepris des réformes curriculaires (Ettayebi, Jonnaert et Lafortune, 2007). L’élaboration de nouveaux programmes d’études suppose la détermination et la prescription de nouveaux contenus et de nouvelles approches d’enseignement. Au Québec, la réforme du curriculum et des programmes d’études de la formation générale des adultes, qui s’est développée sur plus d’une décennie, a donné lieu à l’instauration de nouveaux programmes d’études avec une approche d’enseignement qui allie socioconstructivisme et approche par compétence au sein d’un curriculum de formation révisé (Ettayebi, Medzo et Fortier, 2004). Or, cette opération d’envergure – dont la phase d’implantation demeure encore inachevée – ne s’est pas faite sans heurts, le milieu de la formation générale des adultes ayant eu de la difficulté à opérer les changements de pratiques demandés. Les enseignants et les gestionnaires ont sévèrement critiqué les approches et les modalités d’enseignement proposées par les autorités ministérielles tout autant que les conditions organisationnelles, professionnelles et opérationnelles, jugeant le projet peu approprié (Institut de coopération pour l’éducation des adultes, 2014). Le milieu de la formation générale des adultes s’est principalement inquiété des conditions d’implantation de cette réforme curriculaire et, plus rarement, de la nouvelle prescription de savoirs et compétences.

Des changements d’ordre économique font également pression sur le milieu de la formation générale des adultes. Dans leurs études et énoncés d’orientations, les organismes internationaux (Organisation de Coopération et de développement économique, 2013 ; Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, 1997, 2009) en font abondamment mention, en soulignant notamment l’existence de nouveaux modes d’organisation du travail, la transformation des processus de production, la montée de l’emploi atypique, le rehaussement des exigences de compétences et la pression à la performance économique. Bien que la sphère éducative ait toujours été influencée par les impératifs économiques, l’important mouvement de structuration des politiques en matière d’activation de l’emploi et de formation de la main-d’oeuvre, survenu au cours des dernières décennies au Québec et au Canada, a interpelé l’ensemble des milieux concernés par l’éducation de base des adultes (Bérubé, 2007). Le virage économique s’amorce en 1984 avec l’Énoncé d’orientation et Plan d’action en éducation des adultes qui associe explicitement la formation de base à l’employabilité. Ce maillage avec l’activité productive se poursuit, en 2002, avec le Plan d’action en matière d’éducation des adultes et de formation continue (ministère de l’Éducation du Québec, 2002b) qui donne une place centrale à l’apprentissage en milieu de travail et au développement de la reconnaissance des acquis et des compétences. En 2008, le Plan d’action Éducation, emploi et productivité (ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, 2008) interpelle plus directement encore le secteur de la formation de base des adultes, qui doit accentuer la formation à l’employabilité des adultes peu scolarisés, dans la perspective d’améliorer l’intégration au travail, le maintien en emploi et le développement de la productivité au travail. S’il est vrai que les relations entre les organismes institutionnels issus du secteur de l’éducation des adultes et les organismes associés au monde du travail ont toujours été traditionnellement bien tissées (Tanguy, 1986), les relations entre les deux sphères tendent aujourd’hui à s’accentuer. Au Québec, la valorisation croissante de la formation de base en entreprise et des formations de courte durée en réponse à des besoins immédiats (Bernier, 2011) participe à modifier la dynamique de l’offre et de la demande de la formation de base. Cette tendance se reflète dans l’organisation des services tout comme dans les pratiques d’intervention. Par exemple, le personnel oeuvrant au sein des organisations de soutien à l’emploi (comme Emploi-Québec) détermine souvent la durée des parcours de formation des étudiants adultes bénéficiaires d’allocations financières qui fréquentent la formation générale des adultes (par exemple, assurance-emploi) ; ils orientent souvent les choix de programmes d’études en fonction des besoins d’un secteur d’activité économique plutôt que des préférences individuelles (Bélanger, Wagner et Voyer, 2004).

2. La recherche sur la formation générale des adultes

Ce sont principalement les études sur la participation qui ont éclairé la compréhension des caractéristiques des publics adultes et les tendances de fréquentation dans les divers services et milieux (Bélanger, Doray, Lévesque et Labonté, 2004 ; Cross, 1981 ; Darkenwald, G. et Valentine, 1985). Un nombre important d’études décrit également la motivation individuelle ainsi que les trajectoires et les perspectives éducatives d’adultes en identifiant, notamment, des portraits typiques d’adultes (Boutinet, 2004).

Plusieurs études empiriques sur le secteur de la formation générale des adultes qui adoptent ce type de perspective montrent que les caractéristiques liées aux systèmes de formation, aux établissements ou aux apprenants eux-mêmes peuvent accentuer les difficultés des apprenants adultes et entraver les parcours éducatifs (Aubin-Horth, 2007 ; Bélanger, Carignan et Staiculescu, 2007 ; Bélanger, Wagner et Voyer, 2004 ; Lavoie, Lévesque et Aubin-Horth, 2008 ; Potvin et al., 2014). Ces études révèlent, non seulement que les parcours sont de moins en moins linéairement ordonnés et prévisibles (Bourdon, 2010, p. 2), mais qu’ils sont en grande partie l’effet d’une demande socialement construite. Même si ce type d’études constitue l’un des angles d’investigation les plus développés, les profils types des étudiants de la formation générale des adultes, les singularités de leurs cheminements scolaires ou les facteurs de réussite ou de persévérance aux études de certaines catégories d’apprenants sont encore sous-documentés, autant sur le plan statistique que sur le plan de l’analyse des trajectoires, des pratiques institutionnelles à leur égard et des perceptions des acteurs (Potvin et Leclercq, 2011, 2012). Il y a un besoin pour une analyse fine de l’interaction des dimensions structurelles et individuelles dans les cheminements personnels et scolaires des apprenants. Des recherches récentes ou en cours, au Québec comme dans d’autres provinces canadiennes (Brown, 2009), pointent vers la nécessité de documenter plus spécifiquement les liens entre les adaptations institutionnelles récentes et les besoins psychologiques, psychopédagogiques et pédagogiques des différents types d’apprenants adultes. Aussi, des analyses de trajectoires de cohortes d’apprenants issues du système scolaire et basées sur des données empiriques peuvent permettre de comprendre l’effet des catégorisations, orientations, obstacles, classements, succès ou échecs au fil des parcours éducatifs et biographiques (Ledent, McAndrew et Potvin, 2012 ; Potvin et al, 2014 ; Rousseau, Tétreault, Bergeron et Carignan, 2007). Cet angle d’analyse est important à investiguer, d’autant que les adultes sont plus nombreux aujourd’hui à avoir fréquenté plusieurs systèmes scolaires, compte tenu du contexte de mondialisation, d’immigration et de vieillissement de la population.

Récemment, des travaux empiriques la situation des jeunes de 16-24 ans fréquentant les centres d’éducation des adultes (Marcotte, Cloutier et Fortin, 2008), notamment ceux issus de l’immigration (Potvin et Leclercq, 2012) ainsi que les jeunes en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (Rousseau et al., 2010), mettent en relief des besoins particuliers. Ils soulignent, par exemple, le besoin de développer les soutiens en francisation pour les jeunes issus de l’immigration qui poursuivent leur scolarité secondaire (Potvin et al., 2014), de même que les services complémentaires offerts par des psychologues ou des travailleurs sociaux, par exemple (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2009). Soulignons, au passage, qu’une partie des travaux récemment menés sur les jeunes adultes de la formation générale des adultes semble participer à la migration de notions qui étaient jusque-là à peu près étrangères aux cadres de référence du champ de l’éducation des adultes. En effet, le recours aux notions telles que décrochage, élèves à risques, raccrochage pour qualifier les adultes en formation contribuent à recomposer l’univers sémantique du champ d’études de l’éducation des adultes. D’ailleurs, dans ce numéro thématique, certaines contributions portant sur les jeunes révèlent cette tendance qui incite à se demander si les nouvelles manières d’aborder ou d’appréhender l’expérience éducative de l’adulte traduisent une nouvelle identité adulte. La conceptualisation renouvelée du jeune adulte invite à se demander s’il ne s’opère pas une psychologisation du champ ou plutôt un développement de sous-champs de spécialisation des sciences de l’éducation, en particulier celui de la psychoéducation ou de l’adaptation scolaire.

Depuis ses débuts, les chercheurs du champ de l’éducation des adultes se sont également intéressés au rapport au savoir des adultes issus des milieux populaires et marginalisés en examinant leurs conditions sociales et culturelles. Selon Solar et Thériault (2013), les travaux traitant d’alphabétisation, d’analphabétisme et de littératie des adultes sont les plus nombreux dans l’ensemble du champ de la francophonie canadienne. En formation générale des adultes, des chercheurs se sont penchés sur l’alphabétisation (Deniger et Roy, 1998 ; Ouellet, 2007) et sur le rapport à l’écrit (Bélisle et Bourdon, 2006), certains travaux ayant permis un développement dans des applications pratiques (Commission scolaire de Montréal et Réseau de la formation générale des adultes, 2013). La persistance de difficultés en lecture au sein de la population adulte inquiète les chercheurs tout autant que les praticiens et décideurs. Compte tenu de la nécessité de mieux éclairer le rapport au savoir des étudiants adultes (Conseil de la science et de la technologie, 2009), il serait important de combler le manque d’études traitant directement des contenus éducatifs (Solar, 1995) et de s’intéresser au processus de transmission et d’appropriation du savoir. Actuellement, la recherche sur la didactique – des langues, des sciences et des mathématiques – en formation de base des adultes en milieu scolaire demeure insuffisamment développée.

L’étude de l’influence des changements de l’offre organisationnelle, des pratiques institutionnelles ou pédagogiques sur la demande de formation et sur les parcours éducatifs ne peut éviter non plus l’analyse des innovations récentes sur le plan de l’ingénierie pédagogique. Au même titre que les services de validation des acquis de l’expérience offerts en France (Revue Éducation permanente, 2004), le Québec dispose des Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement (SARCA) qui deviennent un objet de recherche incontournable en formation générale des adultes (Bélisle et Boutinet, 2009). L’étude de ce dispositif pourra éventuellement permettre de révéler les ancrages pragmatiques de notions théoriques particulièrement centrales au champ de l’éducation et formation des adultes, telles les notions d’apprentissage expérientiel (Bailleux, 2000 ; Mezirow, 2001) ou d’autonomie (Carré, 2013 ; Tremblay, 2003) et d’apporter des éclairages utiles à la compréhension des biographies éducatives des adultes en formation. Cela sera d’autant plus pertinent que la recherche de nature théorique ne semble pas avoir un écho important dans les travaux actuels sur la formation générale des adultes.

Plusieurs développements récents au secteur de la formation générale des adultes, – les changements démographiques, le renouvellement du curriculum de formation, la modification des règles d’autorisation pour l’enseignement – ont bouleversé l’exercice du travail des enseignants. Si plusieurs études générales décrivent les principes et les valeurs qui orientent la pratique du formateur d’adultes (Elias et Merriam, 2005 ; Pratt, 2005) et s’intéressent à son rôle, à son identité professionnelle et à ses conditions de travail (Bierema, 2010 ; Voyer et Ollivier, 2002), les études empiriques approfondies sur l’exercice de leur pratique enseignante en formation générale des adultes sont quasi-inexistantes (Solar et Thériault, 2013). Fondé sur des approches andragogiques qui valorisent l’autonomie et le recours à l’expérience et aux situations de la vie des apprenants (Knowles, Holton et Swanson, 2005), mais souvent forcé de tenir compte des situations et temporalités particulières dans lesquelles s’inscrivent les apprentissages chez les jeunes adultes et les adultes au passé scolaire trouble et douloureux (Bourdon et Bélisle, 2005), l’enseignement individualisé pratiqué dans le secteur n’a pas beaucoup été l’objet d’une description systématique et actualisée. Tout récemment, des modes spécifiques d’accompagnement individualisé ont été décrits (Lethiecq, 2014), mais les chercheurs se sont surtout intéressés aux enjeux identitaires liés à des impératifs de compétence professionnelle et de formation (Bouchard, 2002 ; Voyer et al., 2012) et à la préservation de la spécificité de la pratique (Voyer et Ollivier, 2002 ; Wagner, 2002).

C’est en considérant la situation lacunaire de la recherche et en prenant acte des transformations récentes qu’il est apparu pertinent de préparer ce numéro thématique sur les réalités et les défis actuels du secteur de la formation générale des adultes au Québec, qui touchent les apprenants en formation de base ainsi que les enseignants et des intervenants qui y oeuvrent. Ce dossier présente des analyses et des réflexions qui éclairent quelques enjeux relatifs aux transformations ou aux adaptations systémiques qui se développent dans ce secteur éducatif sous quatre thématiques : 1) l’influence des politiques éducatives sur la mission de la formation générale des adultes, 2) l’accroissement de la fréquentation des jeunes de 16-24 ans, 3) la situation du personnel enseignant et 4) les dispositifs offrant des passerelles entre la formation et le reste de la vie des personnes apprenante.

La première thématique est abordée par les sociologues de l’éducation, Pierre Doray et Paul Bélanger. Dans une perspective sociohistorique, les deux chercheurs analysent la participation des adultes et cherchent à vérifier si la mission éducative de la formation générale des adultes n’a pas été subvertie sous l’effet d’une concurrence entre politiques éducatives, ce secteur se consacrant moins aujourd’hui à l’éducation des adultes et davantage à la lutte contre le décrochage et à la diplomation de jeunes en difficulté. Même si les jeunes adultes de moins de 20 ans ont toujours été bien présents en formation générale des adultes, l’étude constate une augmentation significative des jeunes, qui représentent aujourd’hui le tiers de l’ensemble des personnes inscrites à la formation générale des adultes. Les changements règlementaires et les politiques de luttes au décrochage scolaire du début des années 1990 ont favorisé le passage direct des jeunes du secteur régulier au secteur de la formation générale des adultes, phénomène devenu monnaie courante, qui aurait directement contribué à un déplacement de mission. Selon les chercheurs, les centres d’éducation aux adultes en sont venus à servir de déversoirs au système scolaire régulier, sorte d’annexe de l’école secondaire traditionnelle pour les jeunes qui n’y trouvent plus leur place. Le phénomène n’est pas sans conséquences sur l’égalité d’accès à l’éducation des adultes et sur la perception qu’on se fait du rôle de la formation générale des adultes. Puisque la présence des jeunes suffit à combler les places disponibles, il y aurait moins de place pour répondre aux besoins des adultes de plus de 20 ans. La dynamique de concurrence entre différentes politiques éducatives porte à privilégier certains services de formation. Ainsi, les efforts étatiques pour le relèvement des qualifications de base des adultes n’ont pas véritablement porté fruit, la participation des adultes en alphabétisation et dans les programmes de bas niveaux – présecondaire et secondaire premier cycle – ayant diminué au cours des dernières années, ce qui est en contradiction, sous certains aspects, avec les visées d’une éducation tout au long de la vie portées par la politique gouvernementale de 2002.

Dans la seconde partie, trois textes abordent la situation des jeunes de 16-24 ans en formation générale des adultes, sous différents angles. Le premier texte dresse un portrait d’ensemble de la diversité et de la complexité des jeunes 16-24 ans inscrits au secteur de la formation générale des adultes, le second porte un regard critique sur la stratégie gouvernementale mise en oeuvre pour le retour et le maintien en formation des jeunes adultes, tandis que le troisième se penche spécifiquement sur les facteurs qui affectent les trajectoires scolaires des jeunes issus de l’immigration dans ce secteur.

Julie Marcotte, Aude Villatte et Geneviève Lévesque constatent l’accroissement du nombre de jeunes adultes en formation générale des adultes et estiment que l’affluence de cette population demande un ajustement institutionnel en matière de services et de pratiques qui doit s’appuyer sur une bonne connaissance de leurs caractéristiques psychosociales. De manière tout à fait intéressante, leur questionnement s’appuie sur un recadrage des notions de persévérance et de raccrochage scolaire. Les auteures prennent acte du fait que les trajectoires éducationnelles sont marquées aujourd’hui par des discontinuités et des bifurcations, phénomène lié au contexte social d’individualisation des parcours de vie et du développement identitaire. Le phénomène de l’allongement des études ne peut ainsi être considéré uniquement sous l’effet des facteurs personnels, familiaux et scolaires compte tenu de la discontinuité de plus en plus normative dans les trajectoires des jeunes adultes. Ces auteures rappellent les possibilités actuelles d’individualiser la transition à la vie adulte, possibilités renforcées par l’accessibilité singulière des dispositifs de la formation générale des adultes qui permettent la poursuite des études selon des modalités flexibles et réversibles à partir de la gestion individualisée des besoins. Cette recherche exploratoire menée avec une enquête par questionnaire/analyse statistique de classes latentes permet de constater l’hétérogénéité des profils de jeunes adultes de 16 à 24 ans dans les centres d’éducation aux adultes (avec quatre profils). Les auteures observent, tout d’abord, que la majeure partie des jeunes adultes (54 %) sont des personnes sans problème majeur, avec un profil tout à fait comparable à celui d’autres jeunes adultes sans retard scolaire. À l’instar d’autres études, elles supposent qu’une part de ces jeunes adultes vit un détachement dans son rapport aux études et que le statut d’élève n’est pas l’élément central de leur développement identitaire, rapport pouvant être indirectement favorisé par une offre institutionnelle permettant un retour à l’école à tout moment de la vie. Ensuite, une autre partie des jeunes adultes des centres d’éducation aux adultes sont des personnes en grande difficulté dont la trajectoire de vie est marquée par des difficultés de toutes sortes. Ceux-ci ont des besoins d’aide et de soutien importants, besoins (liés à la santé psychologique et la santé physique) qui vont au-delà des aspects pédagogiques. En somme, l’identification de caractéristiques distinctives des jeunes adultes fréquentant un centre d’éducation aux adultes permet de nuancer les besoins des jeunes et de servir de base pour adapter l’offre de services complémentaires. Elle incite également à se prémunir contre une tendance à la stigmatisation des jeunes adultes de la formation générale des adultes, lesquels seraient trop souvent présentés à partir d’attributs déficitaires ou encore strictement associés à des personnes en difficulté ou à risque de décrochage.

Dans leur contribution, Sylvain Bourdon et Rachel Bélisle poursuivent sur le thème des jeunes adultes en formation générale des adultes en s’intéressant cette fois-ci à l’aspect programmatique et à son déploiement dans les milieux. Leur analyse porte sur le Programme d’aide pour favoriser le retour en formation des 16-24 ans, Le plaisir d’apprendre, j’embarque quand ça me ressemble, mis en oeuvre dans la foulée du plan d’action gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue de 2002 (ministère de l’Éducation du Québec, 2002b). Ce programme expérimental vise à pallier les limites dans l’expression de la demande de formation et la diplomation chez les 16-24 ans en formation générale des adultes qui continuent d’être constatés malgré l’augmentation des statistiques de fréquentation. Les auteurs s’intéressent aux fondements de l’approche écosystémique préconisée dans le programme, à sa concrétisation dans les moyens mis en oeuvre et à son appropriation par les acteurs sur le terrain. Pour ce faire, ils mobilisent des données qualitatives (documents et entretiens) et quantitatives (bases de données de plans d’action) collectées dans le cadre d’une recherche évaluative menée auprès de cinq commissions scolaires, de 2009 à 2011. Les auteurs font le constat d’importantes difficultés, dans l’appropriation de l’approche écosystémique, par les acteurs de terrain, qui la trouvent complexe et difficile à appliquer. Ils montrent comment cette difficulté pourrait, paradoxalement, relever d’une volonté d’en simplifier l’application tout en assurant un déploiement cohérent en tablant sur une quantification, intégrée dans le processus de reddition de compte du programme, des actions planifiées et mises en oeuvre. Cette volonté de simplification aurait plutôt rendu l’application de l’approche superficielle et nui à son appropriation. Malgré ces difficultés d’appropriation, l’approche semble tout de même avoir aidé les acteurs à penser les différents systèmes fréquentés par les jeunes dans leur soutien au retour en formation, mais elle aurait avantage à être adaptée pour tenir compte des caractéristiques spécifiques et de l’inscription sociale de la population visée. Les auteurs rappellent en effet que les travaux qui ont inspiré cette approche (Bronfenbrenner, 1994) portent essentiellement sur le développement des jeunes enfants et que, malgré leur proximité de ce groupe d’âge, les 16-24 ans se déploient dans des systèmes beaucoup plus étendus et complexes, en tant que jeunes adultes.

L’article de Maryse Potvin et Jean-Baptiste Leclercq rejoint en partie celui de Marcotte, Villatte et Lévesque. Les auteurs mettent aussi en perspective l’importance des défis liés à la croissance des jeunes de 16 à 24 ans issus de l’immigration dans les centres d’éducation des adultes, principalement dans la région montréalaise. Ils dressent une typologie des trajectoires scolaires de ces jeunes selon les principaux facteurs situationnels, dispositionnels et institutionnels qui les affectent, en ciblant particulièrement les pratiques institutionnelles. Les résultats présentent une synthèse des regards croisés de 288 jeunes ou agents institutionnels rencontrés dans différentes commissions scolaires. Ils montrent que les jeunes immigrants ou réfugiés qui se retrouvent en formation générale des adultes cumulent différents facteurs de risque et des besoins liés à l’âge, à l’immigration récente, à la langue ou aux difficultés d’apprentissage : souvent arrivés au milieu du secondaire, ils sont peu francisés et ont peu bénéficié de soutiens en francisation, en situation d’adaptation, d’acculturation ou de retard scolaire, souvent désignés en cours de route comme élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA), et bifurquent fréquemment à 16 ans vers le secteur anglais en formation générale des adultes. Les trajectoires de ces jeunes révèlent aussi l’inadéquation de certaines pratiques ou processus du système qui engendrent des obstacles, dont trois qui apparaissent comme majeurs : 1) la faible prise en compte des réalités migratoires, familiales, scolaires, identitaires et sociales des jeunes adultes réfugiés ou issus de l’immigration dans l’évaluation des dossiers et des acquis par les Commissions scolaires et les centres d’éducation des adultes ; 2) l’absence de continuité et d’arrimage entre la formation générale des jeunes et la formation générale des adultes ou encore ; 3) l’inadéquation de certains services de formation (notamment les soutiens en francisation et les approches pédagogiques), des services complémentaires ou des Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement, en particulier des outils d’évaluation et de classement. Les auteurs soulignent donc l’importance de prendre en compte ces facteurs institutionnels, qui ont des impacts préjudiciables sur la scolarisation de ces jeunes. Selon eux, des choix ministériels sont directement concernés, car en vertu des besoins de ces jeunes, leur scolarisation en formation générale des adultes ne s’effectue dans les mêmes conditions d’équité que celle des élèves du même âge qui fréquentent le secteur des jeunes au secondaire, car ils n’obtiennent pas les services auxquels ils auraient eu droit au secteur des jeunes. Dès lors, selon les auteurs, il faudrait que ces jeunes demeurent au secteur des jeunes avec des services adaptés à leurs besoins de jeunes adultes, ou que des ressources supplémentaires soient injectées en formation générale des adultes afin de répondre à leurs besoins, sans négliger ceux des autres adultes.

La troisième partie regroupe des textes qui portent sur la situation du personnel enseignant. Malgré des perspectives très différentes, les deux textes révèlent tous les deux le besoin d’orientations ministérielles plus claires pour soutenir la pratique enseignante.

Brigitte Voyer et Anna Maria Zaidman s’intéressent au problème de la reconnaissance professionnelle des enseignants du secteur de la formation générale des adultes. Après avoir exposé les éléments contextuels qui contribuent à cette situation, elles explorent l’idée selon laquelle la diffusion d’un corps de connaissances spécialisées – l’andragogie – pourrait contribuer au développement de l’identité professionnelle de ces enseignants. Elles cherchent à saisir si des orientations politiques, règlementaires et administratives s’appuient sur une base de connaissances se référant aux principes de l’andragogie, ce qui pourrait éventuellement participer au développement de leur savoir professionnel. Leur analyse se réfère au concept d’identité professionnelle, considéré comme un processus de catégorisation et de désignation de l’expérience qui suppose, pour un individu, un arbitrage entre différentes formes de discours. S’inspirant des travaux de Demazière et Dubar (1997), elles expliquent que l’individu développe son identité en interprétant et en traduisant sa situation professionnelle à travers les mots, propositions, normes, notions et concepts issus du discours officiel (le politique et l’administratif) et du discours savant (la théorie). À partir d’une analyse documentaire, elles ont repéré la présence de notions propres à l’andragogie (adulte, besoin, autonomie, rôle sociaux, expérience, accompagnement) au sein de textes ministériels, règlementaires et administratifs. Les chercheures ont vérifié si l’utilisation des notions traduisait les orientations d’un discours andragogique en présentant le caractère spécifique et distinctif de la pratique enseignante en formation générale des adultes. Leur étude révèle que les écrits officiels exposent une conception de l’adulte consistante avec les préceptes de l’andragogie, mais que la présence d’ambiguïtés au sujet des approches et des méthodes d’enseignement en formation des adultes ne peut aider les enseignants à se situer professionnellement. Malgré les prescriptions liées à la fonction de travail, elles constatent l’absence de normes ou de règles de pratique décrivant leur contexte de travail spécifique. Selon elles, il est clair que les contenus informatifs et prescriptifs des documents examinés ne peuvent servir de repères aux enseignants pour soutenir le développement de leur identité professionnelle. Les auteures concluent qu’une relation plus articulée entre le champ scientifique et le champ administratif pourrait contribuer à la diffusion des principes et des fondements pertinents de l’enseignement aux adultes en milieu scolaire, et contribuer ainsi à la structuration identitaire.

Pour sa part, Isabelle Nizet porte un regard sur l’évaluation des apprentissages en formation générale des adultes, en partant de l’hypothèse que la formation initiale et continue des enseignants ne tient pas compte des situations professionnelles réelles de la formation générale des adultes, ni de l’encadrement légal des pratiques évaluatives propres à ce secteur. À partir d’une analyse de contenu d’écrits prescriptifs sur les pratiques évaluatives, d’études empiriques de nature descriptive ainsi que d’artefacts réflexifs produits par des enseignants en formation continue, elle observe plusieurs indices d’une inadéquation entre la formation reçue sur l’évaluation et les situations professionnelles spécifiques rencontrées en formation générale des adultes. Selon elle, les enseignants pourront véritablement construire leur savoir professionnel sur l’évaluation seulement si les caractéristiques de la situation professionnelle vécues par les enseignants sont prises en compte dans une réflexion collective sur la formation du personnel du secteur de la formation générale des adultes.

Une quatrième section clôt ce numéro thématique en abordant, chacun des deux textes à leur manière, et dans des contextes contrastés, des dispositifs susceptibles de susciter l’engagement des adultes en formation en faisant le pont entre le système éducatif et le reste de leur vie.

Rachel Bélisle, Guylaine Michaud, Sylvain Bourdon et Isabelle Rioux s’intéressent aux enjeux politiques et pragmatiques de la reconnaissance des acquis expérientiels en formation générale des adultes. L’analyse cible particulièrement le dispositif des Univers de compétences génériques, une démarche de reconnaissance qui intègre les acquis expérientiels dans le diplôme d’études secondaires. Elle s’appuie sur l’analyse secondaire d’entrevues menées auprès d’adultes et d’intervenantes dans le cadre d’une étude de cas régionale sur les espaces d’apprentissage d’adultes ayant obtenu une reconnaissance officielle d’acquis et de compétences au niveau secondaire. Les auteurs constatent qu’au moment de l’étude, en 2011, le dispositif joue le rôle d’attracteur pour le retour aux études des adultes qui sont assez proches du diplôme, tandis que cet effet semble plus mitigé chez ceux qui en sont plus éloignés. L’information sur le processus serait un enjeu important, tant du point de vue pragmatique de l’accès à l’information entraînant sa sous-utilisation que de celui, plus politique, de la conception même, au sein du personnel, des visées de ses finalités. Les auteurs relèvent ainsi la prégnance d’une conception instrumentale du processus de reconnaissance d’acquis extrascolaires au détriment d’une vision plus émancipatrice, cohérente avec l’expérience de plusieurs adultes, et promue par la perspective d’apprentissage tout au long de la vie. Ils documentent aussi les défis importants de mise en mots des acquis de l’expérience rencontrés par les adultes dans le contexte du dispositif Univers de compétences génériques. Face à ces défis, ils notent que la formation et la reconnaissance du personnel engagé dans le processus constituent des enjeux importants dans la reconnaissance des acquis extrascolaire. Ils concluent aussi sur l’urgence, une dizaine d’années après l’implantation de la reconnaissance des acquis extrascolaires en formation générale des adultes, de mener une évaluation des processus en place, afin de mieux comprendre ce qui peut faire obstacle à son inscription dans la perspective gouvernementale d’apprentissage tout au long de la vie adoptée en 2002.

Dans le dernier texte, Souâd Zaouani-Denoux s’intéresse à un dispositif qui permet à des adultes d’attester de leur niveau de formation générale sur le marché du travail, à partir d’une démarche de reconnaissance des acquis expérientielle et de formation qui comporte une évaluation contrôlée menant à un diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Ce dispositif, offert par une institution française, est orienté vers les matières liées aux lettres et aux sciences humaines. Il est destiné à des adultes qui ont quitté l’enseignement secondaire sans diplôme et leur donne la possibilité de s’inscrire aux études supérieures. La démarche de la chercheuse visait à décrire les caractéristiques et les profils des participants à ce dispositif ainsi qu’à identifier les conduites d’engagement ou d’abandon au cours de la démarche proposée par ce dispositif. Envisagée dans une double perspective descriptive et explicative, l’analyse a permis d’examiné les situations individuelles sur le plan sociodémographique et sur le plan scolaire (maintien/abandon ; réussite/non-réussite aux examens ; suite du parcours), à partir de données déjà constituées issues des dossiers administratifs de 211 stagiaires inscrits. À la suite d’entrevues semi-dirigées, l’analyse a ensuite porté sur l’expérience personnelle, notamment les motivations et les conduites. Après avoir révélé quelques caractéristiques du profil des participants, les résultats de l’étude montrent, tout d’abord, que les motivations à la reprise d’études sont très diversifiées, mais qu’elles correspondent à un moment critique du parcours individuel. Si les adultes s’engagent dans cette démarche pour y chercher des acquis utiles à leur développement professionnel, les motivations trouvent également un ancrage important pour leur développement personnel. L’étude souligne qu’une telle démarche de formation procure aux stagiaires une culture générale, l’acquisition d’un diplôme et la concrétisation d’un projet. Lorsqu’il y a perception de soutiens sociaux – famille, enseignants, communautés d’apprentissage –, les participants ont tendance à persister dans le cursus. Le retour aux études permet de maintenir ou de modifier leur projet de vie, ce qui donne sens à la trajectoire et permet le développement identitaire. L’auteur souligne que les résultats concordent avec d’autres recherches qui révèlent que la motivation aux études sera accentuée lors que la formation suivie est articulée à une projection dans le futur.

Ce numéro thématique sur la formation générale des adultes porte sur un modèle éducatif qui a peu d’équivalent en dehors de la société québécoise. Avec bientôt 50 ans d’existence, ce secteur est toujours voué au rehaussement de la formation de base de la population, mission qui s’opère différemment dans d’autres contextes nationaux. À la lumière des réflexions et des analyses présentées, le développement du secteur de la formation générale des adultes n’est pas strictement de l’ordre du changement ou de l’adaptation mais plutôt celui d’une transformation systémique. Son ancrage institutionnel a certainement contribué à préserver et à perpétuer une certaine part de sa mission fondamentale, mais ce secteur tend résolument à prendre une nouvelle forme avec le risque réel de voir la nature de sa mission se modifier. Le secteur de la formation générale des adultes se caractérise par son ouverture, sa souplesse et son accessibilité, des qualités rares et précieuses pour un système public, mais qui présentent cependant le désavantage d’être l’objet d’une malléabilité sans limite. Les textes du numéro montrent donc un secteur qui se transforme de l’intérieur – par la fréquentation de publics diversifiés, la présence dominante de jeunes adultes, l’utilisation de dispositifs d’accompagnement novateurs et le renouvellement des pratiques d’enseignement – tout autant que de l’extérieur, notamment avec les demandes et les pressions du milieu du travail et du secteur de l’enseignement régulier. Influencé par les changements politiques, sociaux et culturels, ce secteur éducatif semble tiraillé de toutes parts et il gagnerait, semble-t-il, à être fondé sur des orientations plus claires et cohérentes. Si ce numéro permet de porter attention à quelques dimensions seulement de la formation générale des adultes, il veut stimuler les chercheurs à poursuivre et à intensifier l’analyse de ses enjeux et de ses particularités.