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1. Introduction et problématique

Même si l’obtention d’un premier diplôme ne saurait être considérée comme une panacée à l’ensemble des pièges qui guettent l’individu dans nos sociétés du risque (Beck, 2001), on constate que celles et ceux qui en sont dépourvus sont tout de même plus susceptibles de se retrouver en situation de pauvreté et de précarité. Ainsi, dans la grande majorité des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, dans le groupe des 20 à 24 ans, les personnes qui n’ont pas terminé leurs études secondaires forment 22 % de la population, mais représentent 30 % des sans-emplois (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005). Les jeunes non diplômés qui occupent un emploi sont partout plus à risque d’avoir un emploi instable et peu gratifiant (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005) et leur situation ne semble pas en voie de s’améliorer. Depuis plusieurs années, le nombre d’emplois occupés par des personnes sans diplôme d’études secondaires diminue de façon significative au profit des emplois nécessitant un diplôme de niveau secondaire, collégial ou universitaire (ministère de l’Emploi du Québec, 2004). Alors que la proportion de la population en emploi ou aux études est de 66,1 % chez les diplômés du secondaire et de 76,9 % chez les bacheliers, elle est de 44,9 % chez les non-diplômés (Statistique Canada, 2005). Au Québec, plus de 70 % des prestataires de la sécurité du revenu de moins de 30 ans sont sans diplôme (ministère de l’Éducation du Québec, 2002a). On sait par ailleurs que le niveau de scolarité est directement associé à l’état de santé et aux habitudes de santé ; en 1997, 19 % des non-diplômés ont fait état d’une excellente santé comparativement à 30 % des diplômés universitaires (Statistique Canada, 1999). Les non-diplômés sont aussi plus enclins à adopter des comportements à risque pour la santé, comme le tabagisme, pratiqué par 23 % d’entre eux, mais par seulement 13 % des diplômés universitaires (Statistique Canada, 1999). L’absence de diplôme des parents peut aussi influencer la situation de leurs descendants (effet intergénérationnel), comme le montrent les travaux sur la scolarisation (Finnie, Laporte et Lacelles, 2004), sur la participation à la formation et sur la littératie (Bourdon, 2006).

C’est dans ce contexte que les instances publiques sont amenées à soutenir de diverses manières, d’une part la persévérance aux études des jeunes jusqu’à l’obtention d’un premier diplôme, et d’autre part, la poursuite de l’apprentissage et le retour en formation de l’ensemble de la population, et plus particulièrement des personnes qui n’ont pas obtenu un premier diplôme du secondaire. À l’échelle internationale (Delors, 1996 ; Organisation de coopération et de développement économiques, 2001) et dans les divers contextes nationaux, la formation ou l’apprentissage tout au long de la vie sont promus par de nombreux acteurs sociaux, avec une insistance plus grande pour les uns sur le développement économique (conception instrumentale de la formation), et pour les autres sur le développement humain (conception émancipatrice) (Alheit et Dausien, 2005 ; Bélisle, 2004).

Au Québec, le gouvernement s’est doté, en 2002, d’une Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue (ministère de l’Éducation du Québec, 2002a) dans laquelle il s’engageait à accroître significativement le niveau de formation de base de la population. Le Plan d’action en matière d’éducation des adultes et de formation continue 2002-2007 (ministère de l’Éducation du Québec, 2002b) qui en a découlé, ainsi que le Pacte pour l’emploi (ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008) et la stratégie Tous pour l’emploi (ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et Commission des partenaires du marché du travail, 2013) proposent toute une série de mesures souvent menées en collaboration avec plusieurs partenaires, susceptibles de favoriser le développement de pratiques d’apprentissage tout au long de la vie. Le plan d’action recommande, entre autres, de diversifier les lieux et modes de formation pour les adapter aux besoins des populations visées, lesquelles incluent explicitement les jeunes adultes de 16 à 24 ans ayant interrompu leurs études sans avoir obtenu de diplôme.

Au fil des ans, une proportion croissante de jeunes adultes s’est tournée vers le secteur des adultes en formation générale pour poursuivre sa scolarité (Marcotte, Cloutier et Fortin, 2010 ; Rousseau, Théberge, Bergevin, Thétreault, Samson, Dumont et Myre-Bisaillon, 2010). Malgré cette contribution croissante du secteur de l’éducation des adultes à l’atteinte des objectifs de scolarisation du Québec, plusieurs jeunes adultes n’en récoltent pas encore les bénéfices. En 2001, un peu plus du tiers (36 %) des 16-24 ans ayant interrompu leurs études sans premier diplôme ne s’inscrivent pas à l’éducation des adultes, et parmi les personnes qui effectuent un retour en scolarisation, le quart interrompt leurs études à nouveau sans avoir obtenu un premier diplôme (ministère de l’Emploi du Québec, 2004). Ce constat d’un accroissement de la fréquentation de l’éducation des adultes par les jeunes, mais aussi celui des limites rencontrées dans l’expression de la demande et la diplômation des inscrites et inscrits, ont inspiré la mise sur pied du Programme d’aide pour favoriser le retour en formation des 16-24 ans intitulé Le plaisir d’apprendre, j’embarque quand ça me ressemble (ministère de l’Emploi du Québec, 2004) que nous désignons par Programme 16-24 dans la suite du texte.

Ce programme expérimental (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2007), placé sous la responsabilité du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, a été mené en collaboration avec le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec, la Fédération des commissions scolaires du Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles et le Secrétariat à la jeunesse jusqu’en 2011. Déjà prévu dans le Plan d’action de la politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue, il s’inscrivait aussi dans le Plan d’action en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (ministère de l’Emploi et de la Solidarité Sociale du Québec, 2004) et s’intégrait dans le cadre de la Stratégie d’action jeunesse de 2006.

La population des jeunes adultes visés par le Programme 16-24 est très hétérogène (Marcotte et al., 2010). Certains rencontrent des obstacles à la poursuite de leur formation en vertu de responsabilités familiales ou de l’obligation de travailler pour subvenir à leurs besoins de base. D’autres ont des expériences et situations de vie particulières (toxicomanie, itinérance) qu’il est nécessaire de prendre en compte sous peine de courir le risque de ne pas arriver à les joindre (Bourdon et Roy, 2004). Plusieurs ont vécu des difficultés scolaires qui leur font craindre de nouveaux échecs : on sait par exemple que quatre jeunes sur dix attribuent leur décision d’interrompre leur scolarisation à des facteurs liés à l’école et à leur expérience scolaire, et que les facteurs socioéconomiques comme le revenu, la profession et les attitudes à l’égard de l’éducation entrent généralement en jeu (Développement des ressources humaines Canada, 2000). Tout comme pour les adultes plus âgés (Lavoie, Lévesque, Aubin-Horth, Roy et Roy, 2004), ces obstacles se conjuguent à d’autres, contextuels ou situationnels, comme l’éloignement et les difficultés de transport, notamment en milieu rural (ministère de l’Emploi du Québec, 2004).

Le cahier de mise en oeuvre du Programme 16-24 se fonde explicitement sur une approche écosystémique, apparentée à l’approche écologique développée par Bronfenbrenner (1979 ; 1986 ; 1994) qui inspire de nombreux programmes destinés aux populations en situation de précarité. Ce cahier vise à agir sur un ensemble de niveaux susceptibles d’avoir une incidence sur le retour en formation et la réussite des jeunes adultes : le jeune adulte ; sa famille ; son environnement éducatif (sa classe et son centre) ; sa communauté (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2007). Le Programme 16-24 a été mis sur pied au même moment que plusieurs autres programmes à l’intention de milieux défavorisés, comme le programme Famille, école et communauté, réussir ensemble (FECRE) qui s’est déployé de 2003 à 2009 (Larose, Bédard, Couturier, Lenoir, Lenoir, Larivée, et Terrisse, 2010) et le Programme d’aide à l’éveil à la lecture et à l’écriture dans les milieux défavorisés (PAÉLÉ), déployé en 2003 et toujours actif (Myre-Bisaillon, Villemagne, Puentes-Neuman, Raîche, Dionne, et Louis, 2010), qui partagent notamment avec lui d’accorder de l’importance accordée aux relations partenariales et à une approche de type écosystémique.

Après une étape de concertation et de préparation visant à soutenir sa mise en place, l’application de ce programme a débuté, de manière expérimentale, en 2004-2005 dans vingt commissions scolaires réparties dans 17 régions du Québec (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2007). Sur chacun des territoires visés par la mise en oeuvre du programme, ces commissions scolaires ont formé des équipes locales de partenaires qui avaient pour mandat de produire des états de situation et d’élaborer des plans d’action tenant compte de l’approche écosystémique préconisée.

L’évaluation du premier volet de mise en oeuvre (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2007), qui visait la mobilisation des différents acteurs, ainsi que l’élaboration des portraits de situation et des plans d’action, a révélé une perception généralement positive du programme dans les milieux. Cette évaluation faisait aussi état de propositions et de moyens d’action très diversifiés touchant chacun des cinq systèmes visés, tout en faisant ressortir des difficultés notables dans l’appropriation de l’approche écosystémique. En 2008, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec a annoncé qu’il mettrait fin au programme en 2011, qu’il ne poursuivrait l’expérimentation que dans 5 des 20 commissions scolaires et qu’une recherche évaluative serait mise en place pour identifier les leçons à tirer de ces expériences en vue d’un réinvestissement dans les services et instances en place.

Compte tenu des promesses offertes par cette expérimentation d’un modèle novateur visant à soutenir le retour en formation des 16-24 ans à l’éducation des adultes, cet article propose une analyse critique des moyens planifiés et mis en oeuvre dans le cadre du programme, à partir des données récoltées dans le cadre de la recherche évaluative commanditée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, en s’intéressant plus particulièrement à la manière dont a été mobilisée l’approche écosystémique préconisée (Bourdon, Bélisle, Yergeau, Gosselin, Garon et Thériault, 2011).

2. Contexte théorique

La théorie écologique du développement humain (Bronfenbrenner, 1979) est basée sur une conception du comportement humain comme résultant d’une adaptation continuelle, progressive et mutuelle entre l’individu et son environnement. Même si ce modèle a été utilisé comme référence dans le cadre de travaux portant sur des populations plus âgées, par exemple les jeunes adultes visés par le programme 16-24, il a été à l’origine conçu pour expliquer le développement des enfants. Bronfenbrenner pourrait avoir lui-même contribué à cette confusion en référant souvent à la personne (person) en général plutôt qu’à l’enfant dans ses travaux. Ainsi, selon ce modèle, l’enfant peut être considéré comme évoluant à l’intérieur de quatre systèmes imbriqués les uns dans les autres, du plus particulier au plus englobant. Le microsystème est constitué des groupes et institutions en contact direct avec l’enfant (sa famille, ses pairs, son école…). Le mésosystème n’est pas un espace particulier, mais il désigne plutôt les interrelations entre les différents microsystèmes fréquentés par un enfant. Selon Tarabulsy, Provost, Drapeau et Rochette (2008), il joue un rôle particulièrement important pour le développement de l’enfant, un mésosystème riche, constitué de liens denses et cohérents entre les microsystèmes favorisant une meilleure adaptation. Les exosystèmes sont ceux qui influencent l’enfant mais auxquels il ne participe pas directement. On pense ici aux milieux de travail des parents par exemple. Enfin, le macrosystème réfère aux divers aspects du contexte culturel, aux institutions et aux normes qui forment la toile de fond sur laquelle se déploient les différents systèmes de l’enfant. C’est dans le macrosystème qu’on retrouve les représentations et préjugés, les conditions économiques ou les principes organisationnels (par exemple, le système scolaire) qui structurent l’environnement large de l’enfant. Selon cette théorie, l’enfant lui-même est considéré comme un système, l’ontosystème, qui est formé de ses dispositions, de ses ressources, et des caractéristiques qui agissent comme signal pour son environnement (par exemple, son sexe ou la couleur de sa peau), et qui peuvent être interprétées différemment selon le microsystème (par exemple, la famille, l’école, les pairs) fréquenté. Le chronosystème vient plus tard compléter le modèle, en référence explicite (Bronfenbrenner, 1986 ; 1994) aux fondements de l’approche biographique (Elder, 1974) qui insistent sur l’importance des conditions environnementales, sur leur transformation dans le temps et leur influence sur les parcours de vie. Les travaux empiriques de l’époque (Elder, 1974), confirmés par d’autres plus récents (Mortimer et Shanahan, 2003), montrent comment les événements n’ont pas le même effet lorsqu’ils surviennent à des périodes différentes de la vie, et que le moment historique (la Grande Dépression aux États-Unis, par exemple) dans lequel s’inscrit un parcours de vie peut avoir une influence importante sur son déploiement

La théorisation de Bronfenbrenner s’est fortement opposée au caractère a-contextuel et a-social des théories du développement, notamment cognitif, de l’humain (Tudge, Gray et Hogan, 1997) qui avaient cours au moment où elle a vu le jour. Cet aspect novateur a fait en sorte qu’elle a servi d’inspiration à plusieurs initiatives novatrices dans le champ de l’éducation aux États-Unis, et plus récemment au Québec. Dans leur évaluation du programme Famille, école et communauté, réussir ensemble, Larose et ses collaborateurs (2010) rapportent que celui-ci cible des actions sur cinq systèmes (les enfants, les parents, les enseignants, l’école et la communauté), tout comme le Programme 16-24, et rapportent des effets positifs de l’appropriation de cette approche par les acteurs, notamment sur leur mobilisation, sur l’attitude du personnel enseignant envers les parents vivant en situation de défavorisation et sur les pratiques collaboratives (Boulanger, Larose, Larivée, Couturier, Mérini, Blain, Cusson, Moreau et Grenier, 2011).

Il s’agit toutefois d’une approche souvent mal comprise et appliquée de manière superficielle (Larose, Terrisse, Lenoir et Bédard, 2004). De plus, puisqu’elle est issue de l’étude du développement des enfants, elle pourrait être moins pertinente pour intervenir chez les populations plus âgées. L’objectif de cet article est donc d’examiner comment cette approche a pu être mobilisée pour soutenir le retour en formation de jeunes adultes dans le cadre du Programme 16-24. Plus spécifiquement, il s’agit d’analyser : 1) comment l’approche a été présentée lors de l’implantation du programme ; 2) comment elle a été planifiée et mise en oeuvre concrètement dans les moyens prévus aux plans d’action des commissions scolaires participantes et 3) comment elle a été comprise par le personnel intervenant associé au programme.

3. Méthodologie

L’analyse proposée mobilise des données collectées dans le cadre d’une recherche évaluative menée de 2009 à 2011, dans cinq commissions scolaires, afin de mieux comprendre l’originalité de ce programme et de cerner des pratiques qui paraissent les plus porteuses pour favoriser le retour en formation et l’obtention d’un premier diplôme chez les jeunes de 16 à 24 ans.

3.1 Commissions scolaires participantes

La sélection des 5 commissions scolaires, parmi les 20 qui avait entrepris la démarche avant 2008, a été effectuée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec sur la base du type de milieu (rural, urbain et semi-urbain), de l’application du modèle écosystémique et de la stabilité de la personne s’occupant du mandat d’agent de développement. Ces commissions scolaires sont la Commission scolaire de Laval, la Commission scolaire Eastern Shores, la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île, la Commission scolaire Pierre-Neveu et la Commission scolaire des Samares. Compte tenu de ces critères de sélection, on peut considérer que ces cinq commissions scolaires sont représentatives de ce qui a été conçu par les décideurs comme une application optimale de l’approche préconisée tout en offrant une variété de contextes de mise en oeuvre. C’est pourquoi les données traitées ici couvrent l’ensemble de ces cinq commissions scolaires.

3.2 Constitution des données analysées

Trois des sources d’information collectées dans le cadre de la recherche évaluative sont mobilisées pour répondre aux objectifs de cette analyse.  La première source (source 1) regroupe les documents ministériels préparés en soutien à l’implantation du programme et mis en ligne sur le site du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec ainsi ainsi qu’un rapport visant à documenter le processus et les actions entourant la mobilisation des différents acteurs impliqués, l’élaboration des portraits de situation et l’élaboration des plans d’action des équipes locales de partenaires (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2007, p. 1), rapport produit par le ministère au moment de l’implantation du programme 16-24 dans 20 commissions scolaires.

La seconde source (source 2) comprend l’ensemble des plans d’actions et des fiches d’évaluation des moyens planifiés pour les années 2005-2006, 2006-2007 et 2007-2008 dans une base de données préparée pour le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec par une firme de consultants (Sogemap Inc.). Le mot moyen est utilisé dans le cadre du Programme 16-24 pour désigner les actions mises en oeuvre dans les commissions scolaires. Ce terme apparaît dans les plans d’action, les fiches d’évaluation ainsi que dans la base de données sur les plans d’action fournies par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. Les moyens recensés sont d’ampleur diverse. En effet, un moyen peut être une rencontre d’information avec les parents, l’organisation d’une journée carrière ou la mise sur pied d’un programme de formation professionnelle. Alors que la base fournit les données pour les 20 commissions scolaires participantes au programme à cette époque, seules celles concernant les cinq commissions mentionnées à la section 3.1 ont été retenues aux fins de la présente analyse, parce qu’elles seules ont pu être validées par les agentes et agents de développement dans le cadre de la recherche.

La troisième source (source 3) regroupe les entretiens semi-dirigés menés auprès de 63 personnes appartenant à diverses catégories de personnel intervenant dans le cadre du programme dans les cinq commissions scolaires. Parmi ces personnes, les chercheurs ont rencontré sept (quatre femmes et trois hommes) à titre de responsables du programme dans leur commission scolaire. Parmi elles, cinq occupaient un poste de direction au sein d’un établissement scolaire ou de l’administration de la commission scolaire et deux occupaient des postes de professionnels. Sept autres personnes (cinq femmes et deux hommes) occupaient des fonctions d’agents de développement du programme, avec un rôle de soutien aux travaux des équipes locales et de porteurs du dossier dans la commission scolaire. Le programme prévoyait que la formulation et le suivi des plans d’action soient faits par des équipes locales de partenaires rassemblant des personnes qui représentaient, localement ou régionalement, des organismes interpellés par la situation de la population visée (les partenaires externes) ainsi que des instances des trois différents secteurs d’enseignement (les partenaires internes). Des entretiens ont été conduits avec 31 partenaires externes (19 femmes et 12 hommes) rattachées à des Carrefours jeunesse emploi ou d’autres organismes communautaires, d’Emploi-Québec, du système de santé et de services sociaux, du secteur privé et d’agences gouvernementales fédérales, et 18 partenaires internes (10 femmes et de 8 hommes) rattachés à une école secondaire, à un centre d’éducation des adultes, à un centre de formation professionnelle ou à l’administration de la commission scolaire. Notons ici que l’utilisation faite des mots partenaires et partenariat dans le cadre du programme déroge quelque peu du sens qu’on lui accorde dans les écrits scientifiques (par exemple, Bourque, 2009). Il est inexact de désigner comme partenaires internes des instances qui font partie du même système, soit le système scolaire. De la même manière, le mot partenaire est utilisé pour désigner des personnes représentant leur organisme, ce qui s’écarte encore des conceptualisations de l’approche partenariale pour lesquelles les partenaires ne peuvent être que des organisations.

Des grilles d’entrevue ont été construites pour chaque groupe de répondants ; toutes abordaient leur compréhension de l’approche écosystémique et la facilité avec laquelle elle était mobilisée dans le programme.

3.3 Déroulement

Les documents (source 1) ont été téléchargés à partir du site du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec et le rapport (source 1) ainsi que la base de données (source 2) ont été obtenus directement de la Direction de l’éducation des adultes et de l’action communautaire du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. Les entrevues ont été planifiées et organisées par la professionnelle de recherche coordonnant le projet, avec le soutien des personnes ayant un mandat d’agents de développement dans chaque commission scolaire, et se sont déroulées entre février et mai 2010. D’une durée moyenne d’une heure, elles se sont déroulées en face à face lors de visites sur chacun des cinq sites.

3.4 Méthode d’analyse des données

Les documents (source 1) et entrevues (source 3) ont fait l’objet d’une analyse thématique ciblant les références globales à l’approche du Programme 16-24 et à l’écosystémie en particulier. Une première lecture de l’ensemble du corpus effectuée par des auxiliaires de recherche spécifiquement formés a d’abord été effectuée pour cibler l’ensemble des passages traitant de l’approche. Ces passages ont ensuite fait l’objet d’une analyse thématique systématique visant à documenter la manière dont l’approche est présentée dans la documentation et la manière dont elle est comprise par les acteurs de terrain.

Après avoir été importée dans SPSS à partir de son format original (FileMaker Pro), la base de données sur les moyens (source 2) a d’abord fait l’objet d’un important travail de recodage visant à pallier les inconsistances imputables à la saisie de la plupart des valeurs sous forme de texte libre plutôt que de variables catégorielles. Une fois cette standardisation effectuée, nous avons procédé à un classement des moyens en catégories plus larges et propices à une analyse globale. L’ensemble des classifications a ensuite été validé auprès des agentes et agents de développement dans chaque commission scolaire. La base de données validée compte 874 mentions représentant en fait 480 moyens distincts, parmi lesquels 214 ne sont mentionnés qu’une année, 138 sont mentionnés deux années et 128, à chacune des trois années d’observation. Cette base de données a fait l’objet d’analyses descriptives et de fréquences et des tableaux croisés. Sauf lorsque les années sont explicitement distinguées, les analyses présentées ici portent sur les 874 mentions de moyens, de manière à bien refléter la pondération associée à la répétition d’un moyen sur plusieurs années dans les plans d’action.

3.5 Considérations éthiques

Le projet de recherche évaluative a reçu l’aval du Comité d’éthique de la recherche Éducation et sciences sociales de l’Université de Sherbrooke. Les documents disponibles sur le Web (source 1) et la base de données sur les plans d’action (source 2) ne contiennent aucune information permettant d’identifier, directement ou indirectement, des individus. Les personnes interviewées (source 3) ont donné leur consentement libre et éclairé pour leur participation et l’équipe s’est engagée à ne transmettre aucune information sur les refus de participer à la direction des diverses organisations. Ces personnes ont été conviées, avec l’ensemble des parties prenantes à l’évaluation, à deux activités de transfert organisées par le Fonds de recherche québécois sur la société et la culture à la suite du dépôt du rapport final.

4. Résultats

Les résultats se déploient en trois parties. La première présente l’approche écosystémique telle qu’elle est décrite dans la documentation du programme, la seconde examine la manière dont elle se traduit dans les moyens planifiés aux plans d’action et mis en oeuvre sur le terrain, et la dernière traite de son appropriation par les acteurs.

4.1 Présentation de l’approche écosystémique dans le programme 16-24

Dans le cahier de mise en oeuvre (ministère de l’Emploi du Québec, 2004), les approches et conditions retenues afin de poser les jalons du Programme 16-24 sont l’approche écosystémique, le partenariat, l’empowerment et le capital social. Le choix de l’approche écosystémique y est expliqué ainsi :

On ne peut appréhender l’échec ou la réussite scolaire sous l’angle de l’analyse de causalité en fragmentant ou en isolant cette réalité de façon à n’intervenir que sur certains déterminants ou encore sur un seul acteur. […] Outre qu’elle donne un sens à la mobilisation des acteurs et au partenariat, cette approche constitue un outil pour analyser et comprendre la situation dans son ensemble, pour déterminer sur quels facteurs agir, pour convenir des actions à mener auprès des différentes cibles qui ont le pouvoir d’influencer la situation à transformer et pour organiser l’action des partenaires de façon à transformer la situation de manière durable.

Ministère de l’Emploi du Québec, 2004, p. 12

Toutefois, la documentation du programme ne réfère pas au vocabulaire proposé par Bronfenbrenner (microsystème, mésosystème, macrosystème…), mais plutôt à des systèmes cibles (Sogémap inc., 2010) que sont le jeune adulte, la famille, la classe, le centre de formation et la communauté. Le cahier de mise en oeuvre précise que la mise en oeuvre du programme est sous la responsabilité des commissions scolaires qui bénéficient d’un financement pour mettre en place des services de formation et d’accompagnement susceptibles d’agir de façon concertée et globale sur les systèmes qui influencent la réussite scolaire des jeunes adultes visés (ministère de l’Emploi du Québec, 2004, p. 20).

Un pivot du programme consiste en l’élaboration, la mise à jour annuelle et le suivi d’un plan d’action destiné à soutenir la démarche. Le programme prévoit que cette opération sera réalisée par une équipe locale de partenaires, soutenue par une ou un agent de développement, sur la base d’un portrait de situation auquel ils ont collaboré (ministère de l’Emploi du Québec, 2004). Les constats établis par ce portrait doivent permettre d’identifier les facteurs de protection à renforcer dans les systèmes-cibles et de les traduire en termes d’objectifs et de moyens. Ainsi, les plans d’action devaient être constitués d’un minimum de 5 moyens par système-cible ainsi que d’un minimum de 25 moyens pour l’ensemble des systèmes-cibles. Articulé autour de cette logique 5/25, le plan d’action devait aussi préciser, pour chacun des moyens indiqués, les indicateurs, les résultats visés, le moyen utilisé pour l’évaluation, les responsables de sa mise en oeuvre et de son évaluation, les partenaires ainsi que le calendrier de travail.

4.2 Application de l’approche dans la planification et la mise en oeuvre des moyens

L’analyse des plans d’action a permis de mettre en lumière la nature des moyens planifiés, les systèmes-cibles visés par ces moyens ainsi que l’évolution de leur mise en oeuvre au cours des trois années d’observation. On peut constater au tableau 1 que les familles de moyens les plus fréquentes dans les plans d’action sont Projets/expériences (24 %), Visibilité/communication (22 %), Modalités pédagogiques (19 %) et partenariat/concertation (14 %). La première regroupe les moyens se rapportant à des projets qui permettent d’interagir avec le milieu, de sortir de l’école, de faire vivre des expériences diverses, comme un stage d’exploration en milieu de travail, un atelier sur le stress ou une école de cirque. Il est utile de noter que, dans cette famille, on retrouve neuf références à des moyens qui sont en fait d’autres programmes, mesures ou services comme IDEO 16-17 (Bélisle, Yergeau, Bourdon, Dion et Thériault, 2012) ou Solidarité jeunesse (Panet-Raymond, Bellot et Goyette, 2003) qui ne ciblent qu’indirectement ou incidemment le retour en formation. La seconde comprend les moyens visant à faire connaître les services ou à les promouvoir, comme les journées portes ouvertes ou la relance téléphonique auprès des jeunes ayant interrompu leurs études au secteur régulier. La troisième inclut les moyens qui visent l’adaptation des approches pédagogiques ou des stratégies d’enseignement, comme l’expérimentation de modalités d’accompagnement ou l’implantation de programmes locaux. Enfin, et la quatrième vise les tables, comités et autres modalités de concertation, tant au sein du milieu scolaire qu’avec les partenaires des autres milieux.

Tableau 1

Distribution des moyens prévus aux plans d’action selon les familles de moyens, par année

Distribution des moyens prévus aux plans d’action selon les familles de moyens, par année

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Les cinq autres familles regroupent moins du quart des moyens. Le Soutien direct (6 %) regroupe les soutiens financiers et le transport ainsi que les autres formes d’accompagnement individuel non pédagogique, en orientation ou en toxicomanie par exemple. Cette famille inclut notamment huit mentions aux Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement dont la mise en place était en cours lors des années visées. L’Administration/gestion (6 %) rassemble ce qui touche aux démarches administratives, aux changements organisationnels et à la gestion des ressources humaines. Dans la Reconnaissance/motivation (5 %), on retrouve les moyens qui visent à motiver ou à reconnaître une personne ou un groupe. Les moyens visant la Formation continue (3 %) du personnel et ceux visant l’Évaluation/analyse (2 %) de la situation des jeunes gens, par le biais de dépistage ou de sondages, sont les plus rares.

Comme l’information sur le système-cible de chacun des moyens était aussi inscrite sous forme de texte libre dans la base de données, elle a subi le même processus de recodage et de validation auprès des agents de développement. Ce faisant, nous avons noté que la cible enseignant apparaissait fréquemment dans la base de données alors qu’il ne s’agit pas d’un niveau qui apparaît systématiquement dans la documentation du programme. Comme il n’est pas clair si les moyens qui ciblent ces membres du personnel sont inclus aux niveaux centre ou classe, nous avons opté pour la création d’un niveau enseignant.

Le système-cible de loin le plus souvent visé dans les plans d’action est Jeunes avec 347 mentions, près de 40 % du total. Le Centre (165), la Famille (148) et la Communauté (130) recueillent respectivement 19 %, 17 % et 15 % des mentions. Les moins fréquemment cités sont Classe (55) et Enseignants (44) qui ne regroupent chacun qu’environ 5 % du total. Il est important d’examiner cette distribution des moyens planifiés avec celle des moyens effectivement mis en oeuvre, année après année, dans les commissions scolaires telle qu’elle est présentée au tableau 2.

Tableau 2

Distribution des systèmes-cibles visés par les moyens prévus aux plans d’action et effectivement mis en oeuvre, par année

Distribution des systèmes-cibles visés par les moyens prévus aux plans d’action et effectivement mis en oeuvre, par année

P = planifié ; Me0 = Mis en oeuvre ; % meo = % mis en oeuvre

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Dans l’ensemble, on constate une légère diminution des moyens planifiés, qui passent de 322, la première année, à 268, la troisième année, en même temps qu’une augmentation du nombre de moyens mis en oeuvre, qui passe de 23 à 90, deux facteurs qui se combinent pour presque quintupler le taux de mise en oeuvre au cours de cette période. Cet accroissement de la mise en oeuvre touche tous les systèmes-cibles, sauf la classe, bien qu’au final les proportions de mise en oeuvre varient du simple au double : près de deux moyens sur cinq (38,7 %) ciblant directement les jeunes ont été mis en oeuvre en comparaison de moins d’un sur cinq (18,9 %) ciblant la communauté. Alors que la démarche visait à ce que les plans de chaque commission scolaire aboutissent à au moins cinq moyens par cible, seul le niveau Jeunes cumule plus de 25 moyens mis en oeuvre au cours d’une année dans le cinq commissions scolaires, et ce dès la deuxième année, alors que le niveau Centre s’en rapproche seulement la troisième année.

4.3 Compréhension et appropriation de l’approche systémique par les acteurs

Dans le cadre des entretiens avec les acteurs engagés dans la mise en oeuvre, une question était posée pour documenter leur compréhension de l’approche du Programme 16-24. Sur les 63 répondants, seulement 11 ont directement nommé l’écosystémie ou l’approche écosystémique dans leur description. Trois autres personnes ont utilisé des termes attachés à cette approche (par exemple, système) ou ont fait référence à une intervention embrassant plusieurs niveaux : Puis on touche à tous les aspects. L’environnement familial du jeune, son environnement éducatif, […] la communauté… Ainsi, on peut penser qu’environ 14 personnes sur 63 (22 %) connaissent de manière variable l’approche écosystémique utilisée dans le cadre du Programme 16-24. Parmi les autres, plusieurs ont le sentiment de ne pas tout comprendre de l’approche, certaines explications ayant pu leur échapper, car elles n’étaient pas là depuis le début de la mise en oeuvre. On n’observe aucune association entre le niveau de compréhension de l’approche et une commission scolaire en particulier. La fonction d’agent de développement est toutefois clairement associée à une meilleure connaissance de l’approche, ce qui n’est pas étonnant car ces personnes ont été les plus proches du discours du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec.

Parmi les 14 personnes ayant référé à l’écosystémie, quatre font référence à son aspect global et holistique, qu’elles perçoivent comme très positif. Toutefois, pour la moitié (7/14) d’entre elles, l’écosystémie est considérée comme une approche complexe, exigeante et difficile à comprendre. C’est, par exemple, le cas d’un agent de développement qui constate sa perplexité initiale :

Au départ, c’est une approche qui a été difficile, qui est pas facile, simple à comprendre. […] Je lisais le programme, puis je faisais « Attends une minute, je vais le relire une autre fois », puis je me rappelle le premier plan d’action que j’ai eu à faire, j’étais comme « Bon, communauté, famille, école… OK, c’est avec quoi, ça ? ».

Plusieurs confient que cette approche était nouvelle et différait de ce qu’ils avaient connu auparavant. Deux personnes disent que la terminologie utilisée dans l’approche était difficile à comprendre et trois qu’elle était plutôt théorique et difficilement applicable dans la pratique.

Ce que j’avais remarqué surtout, c’était la complexité de tout ça. C’est un programme qui, comment je vous dirais, c’est, ce n’est pas gentil, mais on aurait dit que c’était un programme qui visait à valider des choses qu’un chercheur universitaire fait. Parce qu’il fallait voir, bon, avec les facteurs, mettre en relation des choses et tout ça, et si on en manquait un bout, on, je pense qu’on passait à côté un peu. Moi, j’ai trouvé que c’était un programme qui était complexe et qui exigeait beaucoup.

Certaines personnes mentionnent aussi qu’il était difficile de voir le fil conducteur dans cette approche, comme le dit cette interlocutrice anglophone : It’s hard to wrap your mind around that whole thing. Quatre personnes estiment que la démarche d’élaboration des plans d’action basés sur l’approche écosystémique aurait eu avantage à être plus simple. Une personne affirme que l’approche faisait en sorte qu’il y avait de la répétition dans ces plans et que ceux-ci semblaient compartimentés. À ce sujet, deux personnes mentionnent qu’il était difficile de mobiliser les partenaires autour d’une telle approche. Malgré tout, plusieurs s’accordent pour dire que c’est l’appropriation de l’approche et la mise en place des collaborations qui ont été les plus exigeants, et qu’une fois démarrées, les choses devenaient plus faciles.

C’était nouveau pour nous, oui on sait que vaut mieux sur une problématique agir sur tous les aspects de la problématique, mais on s’entend que juste… on change vraiment notre paradigme d’intervention, là. Et donc pour accompagner les directions, choisir les personnes, monter la table locale, oui je dirais qu’au début [c’était très exigeant]. Puis après, bien c’est sûr que ça prend moins de temps parce qu’on s’habilite et puis le train est parti.

Malgré la faible consolidation de l’appropriation de l’approche chez certains acteurs, il semble que, sur le plan collectif, les avancées aient pu être récupérées, au moins en partie, selon une des personnes interviewée : Pour partir le train, ça prend beaucoup d’énergie, mais ça en a pris moins pour les SARCA parce que les 16-24 étaient là avant.

Outre le temps requis pour l’appropriation de l’approche en raison de sa complexité, les témoignages sur l’approche concernent son intérêt et sa cohérence avec le développement du partenariat. Selon cinq personnes, l’approche écosystémique a favorisé le partenariat, qui n’était pas encore une pratique courante dans les établissements scolaires, notamment ceux de la formation générale des adultes. Une personne précise que, dans l’approche écosystémique, la responsabilité du programme est partagée par tous les partenaires, et que cela a été un élément facilitateur dans la mise en oeuvre du programme. Selon une autre personne, l’approche écosystémique a permis de valoriser des projets déjà existants et mis en oeuvre par des partenaires. Cette valorisation du travail des partenaires semble avoir contribué à accroître la confiance mutuelle, même si d’un point de vue comptable la désignation comme moyens dans le Programme 16-24 d’autres services ou mesures pourrait ne pas avoir été envisagé au plan national. Rappelons que certains de ces moyens sont financés par un autre ministère (par exemple, IDEO 16-17) ou relèvent d’une autre mesure du plan d’action gouvernemental de 2002 (par exemple, les Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement) (ministère de l’Éducation du Québec, 2002b).

5. Discussion

L’approche écosystémique du programme repose sur le postulat que, pour favoriser le retour en formation de la population visée, cinq systèmes-cibles sont concernés : le jeune adulte, sa famille, sa classe, son centre de formation et sa communauté. On ne retrouve toutefois pas de fondements théoriques ni de précisions sur cette approche dans la documentation du programme, sauf dans les modalités d’élaboration des plans d’action qui précisent que ces derniers devaient être constitués d’un minimum de 5 moyens par système-cible ainsi que d’un minimum de 25 moyens pour l’ensemble des systèmes-cibles (logique 5/25). Parmi les systèmes-cibles, les jeunes adultes sont surreprésentés, tant dans la planification que dans la proportion de moyens mis en oeuvre, alors que la classe et les enseignants sont visés par beaucoup moins de moyens, ce qui traduit une certaine difficulté à concrétiser la prescription 5/25. Bien que cette logique ait pu attirer l’attention sur l’importance d’agir à plusieurs niveaux, elle semble avoir été en général contreproductive et la plupart des acteurs rencontrés ont jugé l’approche complexe, exigeante et difficile à comprendre. Plusieurs personnes interviewées ne la mentionnent pas lorsqu’ils parlent du programme. Si la réduction de l’approche à la logique 5/25 a rendu son application plutôt superficielle, comme l’ont observé Larose et ses collaborateurs (2004) dans le cas du programme Famille, école et communauté, réussir ensemble, elle semble aussi, et paradoxalement, avoir rendu son appropriation plus complexe, ce que ces auteurs n’ont pas relevé dans le cadre de ce même programme.

Par ailleurs, l’inclusion dans les plans d’action de moyens qui sont en fait d’autres programmes ou services (IDEO 16-17, Solidarité jeunesse ou les Services d’accueil, de référence, de conseil et d’accompagnement) reflète un flou important dans la définition de ce qui constitue un moyen du Programme 16-24, de même que la difficulté, ou l’incohérence perçue sur le terrain, dans une logique partenariale, de mettre en place de nouvelles initiatives, alors que certaines répondent déjà aux besoins perçus. Dans une optique d’arrimage des services, on peut penser que la prise en compte de ces autres programmes et services n’est pas une mauvaise idée en soi, mais leur inclusion en tant que moyens dans le cadre du Programme 16-24 demeure discutable. Finalement, notre étude indique qu’il paraît encore difficile d’agir au niveau de la classe pour favoriser la persévérance scolaire en formation générale des adultes ou en formation professionnelle. La participation du personnel enseignant n’est pas ciblée aussi directement que celle des jeunes ou des familles, généralement les parents, et on constate que les systèmes-cibles initiaux ont laissé dans l’ombre d’autres groupes professionnels intervenant directement auprès des jeunes, par exemple ceux d’éducation spécialisée ou qui s’occupent d’orientation, alors qu’ils sont bel et bien au coeur de l’intervention dans le Programme 16-24. Même s’ils ne sont pas ciblés par le programme, plusieurs de ces groupes professionnels sont présents dans les moyens étudiés, ce qui reflète la préoccupation des acteurs de terrain envers les besoins et services complémentaires pour les 16-24 ans soulignés dans d’autres études (Marcotte et al., 2010 ; Potvin et Leclercq 2014 ; Rousseau et al., 2010).

Ainsi, la présente étude montre que l’adaptation de l’approche écosystémique dans le Programme 16-24 est restée centrée sur l’organisation des services et assez peu sur le système des jeunes, ou sur d’autres systèmes que ceux typiquement scolaire ou familial. Par ailleurs, les résultats de l’étude globale indiquent que, telle que déployée, l’approche écosystémique dans le Programme 16-24 semble avoir contribué au retour en formation générale ou à une entrée en formation professionnelle d’un certain nombre de jeunes adultes. Cette approche a aussi favorisé la mise en place de moyens parfois novateurs pour soutenir leur intérêt et leur persévérance (Bourdon, Bélisle, Yergeau, Gosselin, Garon et Thériault, 2011).

Cette approche semble féconde pour aider les acteurs à penser les différents systèmes dans lesquels vivent les jeunes adultes et les adultes, mais elle doit être adaptée pour tenir compte des caractéristiques distinctes de ces âges de la vie, notamment en fonction du développement et de l’inscription sociale. Dans ces cas, il est possible que l’on doive significativement s’écarter des postulats et travaux initiaux sur l’approche écosystémique et des interprétations qui déterminent les systèmes des acteurs ou qui affirment que l’ajustement se fait mieux quand le mésosystème est riche et les microsystèmes homogènes.

Comme l’indique le rapport global de l’évaluation du programme (Bourdon et al., 2011), nous avons constaté que son but général a suscité assez peu d’adhésion, tous partenaires confondus, les acteurs privilégiant une approche par petits pas, plutôt que de viser l’obtention de l’un ou l’autre diplôme du secondaire. Sans surprise, les effets du programme sur le but général sont très modestes et ses objectifs spécifiques sont atteints en partie seulement (Bourdon et al., 2011). Mais ici, l’approche écosystémique ne semble pas directement en cause.

Notre analyse indique que le Programme 16-24, dans sa structure et son esprit, ne constituait pas une prescription programmatique au sens propre, mais s’apparentait plutôt aux approches de programmation souple ou ouverte (Bélisle et al., 2011) et, à ce titre, en partageait les défis, notamment celui associé à la formation des acteurs, défi qui pose des problèmes importants d’appropriation d’une théorie de programme encore peu enseignée en formation initiale.

6. Conclusion

Dans cet article, nous avons cherché à comprendre comment l’approche écosystémique a été mobilisée dans le cadre d’un programme expérimental destiné à soutenir le retour en formation de jeunes adultes de 16 à 24 ans. L’analyse a porté sur des données collectées dans le cadre d’une recherche évaluative menée de 2009 à 2011 dans cinq commissions scolaires du Québec : documents ministériels préparés en soutien à l’implantation du programme ; plans d’action et fiches d’évaluation des moyens planifiés dans le cadre du programme ; entrevues réalisées auprès de 63 personnes appartenant à diverses catégories de personnel intervenant dans le cadre du programme. Elle a permis de relever plusieurs difficultés dans l’appropriation de l’approche, difficultés qui semblent imputables à sa traduction dans les outils proposés et au manque de familiarité des acteurs avec les fondements de l’écosystémie. Même si les analyses ont permis de bien mettre en lumière les systèmes-cibles des moyens prévus et mis en oeuvre, ainsi que de bien faire ressortir le niveau d’appropriation de l’approche, cette étude a des limites : une durée relativement brève et l’impossibilité de faire des entrevues en profondeur qui auraient permis de mettre au jour les modèles d’action (Chen, 2005) mobilisés par les acteurs dans le cadre de situations spécifiques. Les résultats ouvrent sur de nombreuses pistes de recherche, notamment au regard des nécessaires adaptations à proposer au modèle axé sur le développement des enfants pour en favoriser la mobilisation dans l’élaboration et la mise en oeuvre de pratiques de soutien aux populations plus âgées.